Communication et écriture : un différend phénoménologique entre Paul Ricœur et Jacques Derrida à Montréal en septembre 1971
1Dans sa conférence inaugurale du Congrès des sociétés de philosophie de langue française, qui s’est tenu en 1971 à Montréal, Paul Ricœur défend la thèse que seul le discours permet de surmonter l’incommunicabilité des interlocuteurs, des monades. Déniant l’implication des énonciateurs dans l’usage discursif de leurs paroles, Jacques Derrida renvoie tout usage des signes à la reconnaissance anonyme de l’itérabilité des signes de l’écriture. Leur conflit phénoménologique a pris toute son ampleur dans les années 1970 et s’est développé comme un véritable différend : aucun des deux adversaires n’a accepté d’admettre la vérité des prémisses de l’autre ni la validité de son argumentation, tout en s’accordant sur la nécessité de fonder la philosophie contemporaine sur une théorie du langage : une théorie sémantique pour Ricœur, une sémiotique de l’écriture pour Derrida.
2Mais ces théories du langage n’ont trouvé à alimenter leur conflit phénoménologique que dans l’horizon de la théorie husserlienne du sens et en se référant aux théories dites « analytiques » des actes de parole, présupposant ainsi toutes deux une expérience herméneutique et première du sens, indépendante du jugement de vérité. Leur antagonisme s’établit donc sur la base d’une complicité avec la philosophie analytique : la priorité du sens sur la vérité et sur les effets intersubjectifs de la communication de ce sens. C’est cette présupposition qu’il importe, me semble-t-il, d’interroger aujourd’hui. L’expérience d’écriture littéraire, l’expérience de la communication et l’expérience du discours sur cette écriture impliquent-elles toutes trois l’indépendance des expériences de compréhension par rapport aux expériences de vérité que présupposait cette priorité de création du sens et d’accès au sens discursif, d’une part, et que proclamait la théorie de la réitération anonyme des signes, de l’autre ?
La théorie de la communication comme théorie du discours
3Paul Ricœur commence par situer la problématicité philosophique de la communication en mettant en suspens la « thèse naturelle » de la linguistique de Saussure et de Jakobson comme transfert de signes déjà intégrés dans un code. La communication ne surgit comme problème philosophique que, d’une part, lorsque nous rompons avec cette idée « quasi physique » de code linguistique pour nous demander comment il surgit devant la conscience et, d’autre part, lorsque :
nous formons, avec Leibniz et Husserl, l’idée de deux monades, c’est-à-dire de deux séries d’événements psychiques, telles qu’aucun événement d’une série ne peut appartenir à l’autre série ; la dyade requise par la constitution est constituée comme dyade lorsque les deux séries d’événements sont comprises comme des ensembles sans intersection, bref comme des séries closes. Alors – et alors seulement –, la communication devient problème, énigme, merveille ; car ce que la réflexion constitue d’abord, ce n’est pas l’idée de communication, mais bel et bien celle de l’incommunicabilité des monades1.
4Dès lors, la tâche d’une philosophie de la communication est aussi simple que radicale : « comprendre le discours comme transgression de l’incommunicabilité monadique » (DC, p. 25). Car « la fonction de la réflexion transcendantale [...] est de placer d’emblée la théorie du discours dans un espace de jeu, logique et phénoménologique, qui n’est pas du tout celui de la nature. À ce prix, le discours peut fonder la communication, laquelle a cessé d’aller de soi » (DC, p. 26). « [L]e sens fondamental de message, de destinateur, de destinataire2 implique quelque chose comme un ordre des intentions, que seule la réflexion transcendantale justifie » (DC, p. 26).
5La méthode de fondation herméneutique du discours consiste en fait à fonder les prises de position des philosophes analytiques sur la description phénoménologique de ses conditions. Ricœur décrit ensuite ce qu’il entend par discours, s’inspirant de la façon dont Wilhelm von Humboldt distinguait « la parole (die Rede) » de la langue et suivant la stratégie sémanticiste d’Émile Benveniste. L’événement de parole y surmonte la pure virtualité de la langue (artefact des linguistes) pour établir un lien au réel, le sémantisme du discours :
Nous avons donc besoin maintenant d’une considération pour laquelle le discours ne serait pas l’événement qui s’ajoute à un système virtuel, mais l’effectivité même sur laquelle au contraire la langue est prélevée par abstraction ; bref, ce qu’il nous faut, c’est une considération pour laquelle le discours ne se constitue pas par contraste ou par addition, mais par examen direct de ce que Benveniste appelle son « sémantisme » (DC, p. 29).
6Aussi s’agit-il pour le phénoménologue de
montrer comment l’élévation de l’événement au sens dans le discours fonde la communicabilité. En commençant par le noyau logique du discours, nous accédons directement au fondement de la communicabilité ; ce qui d’abord est communiqué, c’est la logicité du discours, qui, d’un bond, extériorise l’événement par rapport à lui-même, met proprement le discours hors de lui-même et l’ouvre à un autre locuteur. Bref, la théorie logique des énoncés nous place d’emblée en ce point où un message est rendu communicable par le procès d’universalisation qui l’habite (DC, p. 31).
7Comment s’articulent le sens et la référence dans la logicité du discours ? La phénoménologie se rapporte ici à Frege : « Le sens, c’est ce que dit une expression linguistique ; la référence, c’est ce au sujet de quoi cela est dit. Ainsi l’élève de Platon et le maître d’Alexandre sont-ils deux sens différents, mais désignent la même entité, Aristote » (DC, p. 32). C’est parce que tout événement d’expression discursive présente ces deux éléments qu’on peut tirer les deux leçons suivantes : « 1) le langage est le lieu où le logique s’enlève sur le psychologique ; 2) il est le lieu où le logique à son tour s’efface devant la postulation d’un réel qui constitue l’implication ontologique du discours » (DC, p. 34). C’est ici Strawson3 qui est invoqué pour valider ces leçons :
[L]e discours, pour être signifiant, exige l’équilibre de deux fonctions : une fonction prédicative, par laquelle nous donnons des caractères ou des qualités à quelque chose, ou plaçons ce quelque chose dans une classe, et une fonction d’identification singulière, par laquelle nous désignons une chose et une seule (DC, p. 35).
8Cela implique « d’intenter » (l’expression est de Benveniste) un sens identique : la phrase, comme unité de discours, doit être univoque. Invoquerait-on la polysémie comme constitutive du langage au nom de la multiplicité des interprétations d’une même phrase ? « [U]ne interprétation, précisément, dit un sens ; si une interprétation ne pouvait être identifiée comme disant un sens, elle ne pourrait non plus être discutée, critiquée ou rejetée » (DC, p. 37).
9Cette théorie, indique Ricœur, loin d’ignorer la différence entre le discours oral et le discours écrit, la rend compréhensible en montrant la continuité de ces deux types de discours :
Ce qui arrive dans l’écriture, me semble-t-il, c’est la pleine manifestation de ce qui est à l’état virtuel déjà dans la parole vive, à savoir le détachement du sens à l’égard de l’événement. [...] La signification – comme sens et comme référence – se détache de l’intention subjective du sujet parlant ; elle se détache aussi de tous les traits circonstanciels de la situation de discours. [...] Enfin, le discours écrit échappe aux limites de la situation dialogale et s’adresse à quiconque sait lire. [...] il marque l’ouverture [du discours] sur un monde plus vaste que la situation de dialogue [...] (DC, p. 38).
10Cela ne vaut pas simplement des discours qui veulent être vrais, mais aussi de la fiction et de la littérature :
[L]e sens de la littérature est du côté du monde que chaque texte projette. Ce qui est à comprendre dans un texte, ce n’est pas la situation visible de son auteur, mais sa référence non ostensive, c’est-à-dire les propositions de monde ouvertes par le texte, ou, si vous le voulez, les modes possibles d’être au monde que le texte ouvre et découvre (DC, p. 39).
11On comprend bien ainsi comment communique le discours, mais comment l’acte de discours se communique-t-il lui-même ? L’opération qui est ici nécessaire est d’étendre le logique intenté dans le sens du discours, à la force de l’énonciation par laquelle on extériorise l’être possible au monde comme l’être au monde réel qu’on adopte soi-même. Le phénoménologue interprète ici ce que J. L. Austin4 entend par la force performative ou illocutionnaire du l’acte de parole : « Il faut étendre le caractère d’extériorisation intentionnelle du noyau logique du sens aux autres traits par lesquels la force du discours se laisse elle aussi identifier et reconnaître » (DC, p. 41), à savoir les traits grammaticaux et lexicaux de la force illocutionnaire qui « permettent l’identification et la réidentification de la force propre d’un acte illocutionnaire dans l’échange du discours » (id.). Comment ce noyau logique s’étend-il à la force illocutionnaire ? Examinons-le
moment où nous passons de ce que le langage fait à ce que le locuteur fait. Considérons en effet la promesse. La traitant comme un jeu de langage régi par certaines règles, je puis dire que « la condition essentielle » de ce jeu est que la promesse implique (counts as) que le contractant se place sous l’obligation d’exécuter l’action énoncée. [...] nous passons au langage intentionnel dès que nous opérons la permutation du jeu au joueur. Il est alors équivalent de dire : la promesse counts as, ou de dire : celui qui promet intends that. Autrement dit, en promettant, le locuteur veut dire que son énonciation le place sous ladite obligation. Ainsi l’intention est ce qu’implique la règle sémantique, quand on convertit l’acte de l’énoncé en acte du locuteur (DC, p. 43).
12Enfin, la troisième strate du discours implique, comme l’a souligné H. Paul Grice, une reconnaissance réciproque entre les interlocuteurs de leurs intentions respectives, qui incluent elles-mêmes la visée de cette reconnaissance réciproque :
Mais nous n’avons pas épuisé la notion d’intention avec ses deux usages : intention que, intention de. Un troisième sens d’une importance considérable se découvre ; je ne puis promettre sans avoir l’intention de produire chez l’autre la reconnaissance que mon énonciation a le sens de me placer sous l’obligation de faire ce que je dis. Voilà un nouveau sens de : avoir l’intention de ; à savoir l’intention que mon intention soit reconnue pour ce qu’elle est (DC, p. 45).
Cette dernière mérite proprement le nom d’intention de communicabilité. Son concept représente la pointe la plus avancée de notre analyse du discours en tant que fondement de communicabilité. Elle désigne cette flèche du discours qui n’est plus tournée vers le sens ou la référence, vers ce qu’on dit ou vers ce de quoi [dont] on parle, mais vers celui à qui on parle ; c’est proprement l’intention d’adresse ou d’envoi. [...] C’est ce transcendantal de toutes les formes d’intention que nous exprimions dès le début de cet exposé lorsque nous parlions de l’extériorisation intentionnelle de l’événement de parole dans le discours (DC, p. 47-48).
La déconstruction de la communication par la théorie de l’écriture
13La déconstruction de cette théorie du discours par une phénoménologie herméneutique de l’écriture s’opère de façon explicite et radicale dans la conférence de Jacques Derrida intitulée « Signature, événement, contexte » et prononcée à Montréal le même jour, au même congrès. Classant délibérément cette théorie parmi les théories philosophiques traditionnelles du discours, l’auteur y poursuit comme objectif de désanthropologiser radicalement la théorie de l’écriture en accentuant les traits de rupture qui la distinguent de la communication conçue comme discours, pour tenter de montrer que cette écriture déconstruite permet de repenser à nouveaux frais toute théorie du langage et de la communication. Cette désubjectivation de l’écriture s’opère dans la ligne de la déconstruction de l’événement par Heidegger, alors que la phénoménologie du discours se plaçait chez Ricœur sous l’autorité de l’herméneutique gadamérienne du dialogue. Mais leur ancrage commun dans la méthode husserlienne de l’ἐποχή – la mise en suspens de la « thèse naturelle » de l’existence du monde – érige leur opposition en un véritable différend, puisque c’est au nom de cette mise en suspens de la conscience discursive que Derrida instrumentalise sa présentation en mettant en suspens le rapport de l’écriture et de toute communication à cette conscience, présumée « naturelle » par la philosophie traditionnelle du langage.
14L’Essai sur l’origine des connaissances humaines de Condillac, étroitement inspiré de William Warburton, permet à Derrida de camper la théorie de l’écriture liée à la théorie philosophique traditionnelle de la communication et d’amorcer sa propre voie : « L’écriture est donc une modalité du langage et marque un progrès continu dans une communication d’essence linguistique5. » Il cite Condillac : « Les hommes en état de se communiquer leurs pensées par des sons, sentirent la nécessité d’imaginer de nouveaux signes propres à les perpétuer et à les faire connaître à des personnes absentes6 », et poursuit : « Le même contenu, auparavant communiqué par des gestes et par des sons, sera désormais transmis [...] par différents modes d’écriture, depuis l’écriture pictographique jusqu’à l’écriture alphabétique, en passant par l’écriture hiéroglyphique des Égyptiens et par l’écriture idéographique des Chinois » (SEC, p. 53). Mais l’absence des destinataires dont parle Condillac y « est déterminée de la façon la plus classique comme une modification continue, une exténuation progressive de la présence » (id.).
15Cette qualification ne permet pas d’échapper à la métaphysique de la présence :
[C]ette distance, cet écart, ce retard, cette différence7 doivent pouvoir être portés à un certain absolu de l’absence pour que la structure d’écriture, à supposer que l’écriture existe, se constitue. [...] Il faut, si vous voulez, que ma « communication écrite » reste lisible malgré la disparition absolue de tout destinataire déterminé en général pour qu’elle ait sa fonction d’écriture, c’est-à-dire sa lisibilité. Il faut qu’elle soit répétable – itérable – en l’absence absolue du destinataire ou de l’ensemble empiriquement déterminable des destinataires. Cette itérabilité [...] structure la marque d’écriture elle-même, quel que soit d’ailleurs le type d’écriture (pictographique, hiéroglyphique, idéographique, phonétique, alphabétique, pour se servir de ces vieilles catégories) (SEC, p. 57).
16Ce qui vaut des destinataires vaut des énonciateurs. « Écrire, c’est produire une marque qui constituera une sorte de machine à son tour productrice, que ma disparition future n’empêchera pas principiellement de fonctionner et de donner, de se donner à lire et à réécrire » (SEC, p. 58). Seulement « future » ? Non. « Je dois pouvoir dire ma disparition tout court, ma non-présence en général et par exemple la non-présence de mon vouloir-dire, de mon intention-de-signification, de mon vouloir-communiquer-ceci, à l’émission ou à la production de la marque. [...] La situation du scripteur ou du souscripteur est, quant à l’écrit foncièrement la même que celle du lecteur » (SEC, p. 58). C’est ainsi que s’effectue dans l’écriture
la rupture avec l’horizon de la communication comme communication des consciences ou des présences et comme transport linguistique ou sémantique du vouloir-dire. [...] Du même coup, un signe écrit comporte une force de rupture avec son contexte, c’est-à-dire l’ensemble des présences qui organisent le moment de son inscription. Cette force de rupture n’est pas un prédicat accidentel, mais la structure même de l’écrit. (SEC, p. 59)
17Elle est donc capitale, car elle
tient à l’espacement qui constitue le signe écrit : espacement qui le sépare des autres éléments de la chaîne contextuelle interne [...], mais aussi de toutes les formes de référents présent (passé ou à venir dans la forme modifiée du présent passé ou à venir), objectif ou subjectif. Cet espacement n’est pas la simple négativité d’une lacune, mais le lieu de surgissement de la signification. Il ne reste pourtant pas, comme travail dialectique du négatif, au service du sens, du concept vivant, du telos de la présence, etc., relevable et réductible dans le procès d’une Aufhebung. (SEC, p. 60)
18C’est en tirant ces conséquences qu’on voit à quel point Derrida s’oppose terme à terme à l’Aufhebung de l’événement dans le sens et dans le discours, affirmée par Ricœur (DC, p. 38). Rien en effet ne s’oppose, aux yeux de Derrida, à ce qu’on généralise cette marque de l’écriture à toute communication, voire même à toute expérience :
Cette possibilité structurelle d’être sevrée du référent ou du signifié (donc de la communication et de son contexte) me paraît faire de toute marque, fût-elle orale, un graphème en général, c’est-à-dire, comme nous l’avons vu, la restance non présente d’une marque différentielle coupée de sa prétendue « production » ou origine. Et j’étendrai même cette loi à toute « expérience » en général s’il est acquis qu’il n’y a pas d’expérience de pure présence, mais seulement des chaînes de marques différentielles (SEC, p. 51).
19Aussi va-t-il de soi pour Derrida qu’on puisse étendre la reconnaissance de cette marque de rupture à ce qui semble lier indissociablement énonciateur et production de l’acte illocutoire. La rupture entre la marque écrite ou orale du performatif ne rend-elle pas possible son invocation, c’est-à-dire, en termes techniques, l’instanciation de la convention performative dans l’événement de son énonciation ? « [U]n énoncé performatif serait-il possible si une doublure citationnelle ne venait scinder, dissocier d’avec soi la singularité pure de l’événement » (SEC, p. 71) ? C’est cette scission qui autorise Austin à exempter ses performatifs d’avoir à rendre compte d’une quelconque vérité (dont l’affirmation est réservée par lui aux « constatifs »), pour substituer à cette dimension, appelée sémantique par Benveniste et par Ricœur, la dimension de la réussite et de l’échec, du bonheur et du malheur. Ou encore :
Un énoncé performatif pourrait-il réussir si sa formulation ne répétait pas un énoncé “codé” ou itérable, autrement dit si la formule que je prononce pour ouvrir une séance, lancer un bateau ou un mariage n’était pas identifiable comme conforme à un modèle itérable, si donc elle n’était pas identifiable en quelque sorte comme “citation” (SEC, p. 72) ?
20Aussi Derrida ne s’explique-t-il l’acharnement mis par Austin à renvoyer la citation d’un texte ou son utilisation théâtrale à un usage « non sérieux » du langage, que parce qu’il reste prisonnier du leurre téléologique de la conscience :
[S]i l’on prétend que ce langage ordinaire ou la circonstance ordinaire du langage exclut la citationnalité ou l’itérabilité générale, cela ne signifie-t-il pas que « l’ordinaire » en question, la chose et la notion, abritent un leurre, qui est le leurre téléologique de la conscience, dont il resterait à analyser les motivations, la nécessité indestructible et les effets systématiques (id.) ?
21Mais pourquoi cela constituerait-il un leurre ? La première conséquence de ce geste de reconnaissance de l’itérabilité de toute marque dans la communication est la suivante :
[É]tant donné cette structure d’itération, l’intention qui anime l’énonciation ne sera jamais de part en part présente à elle-même et à son contenu. L’itération qui la structure a priori y introduit une déhiscence et une brisure essentielles. Le « non-sérieux », l’oratio obliqua ne pourront plus être exclus, comme le souhaitait Austin, du langage « ordinaire » (id.).
22L’opposition frontale avec la théorie du discours de Ricœur peut enfin s’énoncer, en conclusion, comme différend irréductible : « L’horizon sémantique qui commande habituellement la notion de communication est excédé ou crevé par l’intervention de l’écriture, c’est-à-dire d’une dissémination qui ne se réduit pas à une polysémie » (SEC, p. 75). Car « en tant qu’écriture, la communication, si l’on tient à garder ce mot, n’est pas le moyen de transport du sens, l’échange des intentions et des vouloir-dire, le discours et la “communication des consciences” » (id.).
23Et pour cause : le gain théorique le plus patent de cette analyse derridienne n’est-il pas d’avoir mené à son terme l’εποχή husserlienne en faisant de tout usage de ces marques réitérables une εποχή de la vérité, réduisant tout événement de parole ou de discours à une conscience de sens dont la vérité radicale serait l’identification de la conscience, de la réflexion à l’εποχή constamment réitérée du sens ? Mais comment cette εποχή peut-elle être objet d’expérience ? Comment peut-elle même constituer à elle seule une expérience, sinon dans cette « citation » de l’expérience du sens à laquelle nous donnerait magiquement accès un discours philosophique sur l’écriture, un discours philosophique qui s’efface lui-même comme discours vrai pour pouvoir le faire, et pour devenir « philosophique » ? Si le modèle derridien proposé dans cette déconstruction du sens, du discours et de la communication demeure ainsi le modèle husserlien corrigé à l’aide de l’événementiel de parole heideggérien, qu’est-ce qui lui permet de se projeter lui-même dans la communication comme structure philosophique propre à cette dernière ? Qu’est-ce qui l’oblige donc à le faire ? De quel ordre est cette « nécessité » ?
L’absence de pertinence du différend : l’asile phénoménologique de l’ignorance
24Le différend entre les deux conceptions du discours et de l’écriture comme constitutifs tous deux de la communication semble irréductible, voire irréfutable pour tout phénoménologue du langage qui cherche dans la mise en suspens de la « thèse naturelle » du monde la vérité présupposée de l’usage du langage. Toutes les deux répètent en effet le geste de Husserl à propos de la « thèse naturelle » de l’existence du langage et de la communication, mais stigmatisent précisément comme « thèse naturelle » ce que l’autre dévoile comme structure nécessaire du discours ou de l’écriture. En dénonçant le linguisticisme du code et l’existence purement virtuelle de la langue comme attitude naturelle à l’égard du langage, Ricœur stigmatise d’avance ce qui rend réitérables les marques d’écriture de Derrida : le code, un code passé au filtre des événements d’invention et d’invocation des marques, mais un code tout de même. Cette objectivation des marques est ce qui leur permet d’être considérées comme un « monde » posé par la réflexion habituelle et érigé en essence nécessaire du langage par la théorie de l’écriture. De même, la présence sémantique de la conscience à la constitution du « monde » du discours semble être naturelle à la position de l’existence du langage et de la communication, à la fois par la réflexion scientiste des idéologues tels que Condillac et par la théorie sémanticiste de Ricœur. Elle est ce qui doit être mis en suspens pour accéder au dévoilement de « l’autre » des marques écrites ou orales. Chacune pose l’autre comme la fausseté absolue qui empêche d’accéder à la vérité logiciste du discours et des actes de discours ou à l’εποχή, à la mise en suspens des référents objectifs et subjectifs, εποχή présente en chaque usage des signes. Cette opposition rend-elle leur différend irréductible ? Mais ce différend est-il incontournable ou tient-il à la réduction du discours philosophique à l’épistémologie cartésienne et kantienne, qui hypothèque leur volonté de vérité ?
25Comme je l’écrivais dans « Comment guérir de l’épistémologie ou le temps de la philosophie8 », la phénoménologie présuppose toujours un « Tiers-monde » qui soit ce qui lui permet de constater l’adéquation entre la conscience phénoménologique de sens et la connaissance à laquelle elle accède grâce aux résultats de cette mise en suspens de l’attitude naturelle :
Fondant dans la conscience qu’a chacun d’être une conscience uniforme de sens en tous ses états et actes mentaux, l’aptitude de tous à s’y reconnaître ou non comme conscience de conscience adéquate à elle-même, tant dans sa forme intentionnelle que dans ses contenus prédicatifs, il n’est pas étonnant que ce programme ait attiré épistémologues néokantiens et ontologues cartésiens : la conscience de conscience y apparaît être l’être que le sujet connaissant était déjà avant qu’il connaisse quoi que ce soit et pour pouvoir connaître quoi que ce soit. Dépositaire, à ce titre, d’un Tiers-monde permanent d’essences posées a priori entre la conscience empirique qu’il est et le monde empirique qu’il a à connaître, la phénoménologie ne prétend faire connaître à chacun que lui-même : que les lois de la conscience de sens auxquelles il se soumet en toute expérience pour pouvoir la penser9.
26Comme l’écrit Vincent Descombes dans Grammaire d’objets en tous genres10, le destin du programme husserlien était de demeurer un programme, la conscience de conscience n’étant qu’un ersatz impuissant de l’énonciation. Toute donation prédicative de sens s’avère inéluctablement subjective, pensée qu’elle a été sur le modèle de la perception, comme perception de l’adéquation de la perception de pensée et de la perception de perception dans les phénomènes de conscience de la conscience.
27C’est cette déconvenue phénoménologique que Derrida transforme en loi du sens dans sa théorie platonicienne de l’écriture. La compréhension de sens ne passe ni par une perception, ni par une anticipation de l’expérience perceptive : « Celui qui à côté de moi ou à une distance infinie dans le temps ou l’espace, entend cette proposition, doit, en droit, comprendre ce que j’entends dire11. » La conscience de sens n’est ainsi accessible qu’à une phénoménologie apophatique, construite à l’image de l’hénologie plotinienne :
[M]a non-perception, ma non-intuition, mon absence hic et nunc sont dites par cela même que je dis, par ce que je dis et parce que je dis. L’absence d’intuition – et donc du sujet de l’intuition – n’est pas seulement tolérée par le discours, elle est requise par la structure de la signification en général, pour peu qu’on la considère en elle-même. Elle est radicalement requise : l’absence totale du sujet de l’énoncé et de l’objet de l’énoncé – la mort de l’écrivain ou/et la disparition des objets qu’il a pu décrire – n’empêche pas un texte de vouloir-dire12.
28Au nom de quoi est-elle requise ? Au nom de l’exigence épistémologique dont Husserl s’était fait le gardien : elle requiert ici de respecter l’expérience du sens en elle-même, l’expérience de tout ce qui différencie l’expérience de l’expérience, de toutes les autres expériences, comme étant précisément tout autre qu’elles, elle requiert qu’on s’y voie et qu’on y voie les choses aussi autres de nous-mêmes et d’elles-mêmes que nous le sommes et qu’elles le sont nécessairement à chaque fois.
29Sous prétexte de déconstruire une métaphysique toute puissante de la présence et d’abattre l’idole logocentrique (en dénonçant le savoir impossible de l’identité des choses et des sens transmis, dans lequel Ricœur croit encore, aux yeux de Derrida), sous prétexte de purifier le rêve phénoménologique d’une présence absolue à la présence des choses à elles-mêmes, on se borne à reconduire l’exigence épistémologique : on la reconduit à propos de cet objet au-delà de tout soupçon qu’est l’aperception pure des différences comme différences, des prédicats dépourvus a priori de suppôts, les marques itérables de l’écriture projetées en toute communication. On consacre donc allègrement l’échec phénoménologique en essence de l’expérience du langage : l’anticipation de cet échec, et non plus l’anticipation de sa réussite, est ici décrite comme essence de tout référent. Telle est la compulsion épistémologique qui meut encore la déconstruction derridienne des modes de description phénoménologique du discours :
On ne guérit de cette épistémologie qu’en reconnaissant que les descriptions phénoménologiques (du discours ou de l’écriture) ne mettent à même ni d’être ce qu’elles présupposent qu’on doit être comme être pensant sa parole ou comme donateur de sens, ni de savoir quand on est ou non ce qu’elles disent qu’on doit être13.
30La transformation de la théorie des performatifs d’Austin par la théorie du discours de Ricœur ne saurait, elle non plus, faire illusion à ce sujet. La transformation de l’équivalence logique et sémantique du concept de promesse en acte de promesse ne sémantise en effet l’énonciation performative elle-même qu’en substituant la perception de l’acte intenté de promesse au jugement d’objectivité sur la promesse elle-même : sur le fait que la promesse soit à promettre. Elle intègre ainsi l’interprétation de la force performative au logicisme référentiel qui accompagne son interprétation strawsonienne des phrases, sans en tirer les conséquences et en les réduisant à cet effet spéculaire de l’énonciation performative dans l’acte performatif qu’on est présumé faire du seul fait qu’on le dit. Ce faisant, elle ne respecte pas la loi du discours à laquelle elle se soumet pour produire sa théorie du discours. En séparant le sens de la vérité, elle présuppose qu’elle peut produire une théorie du sens indépendante de sa théorie de la vérité alors qu’en énonçant sa théorie du discours, elle ne peut pas penser ce qu’elle affirme du discours sans le penser vrai. Mais cette loi qu’elle suit comme un Müssen, et non comme un Sollen, elle la dénie en présupposant qu’on puisse produire du sens sans savoir si ce sens est vrai ou sans le présupposer, alors qu’elle doit présupposer dans son exercice herméneutique lui-même qu’elle ne peut le penser et l’affirmer que comme vrai14.
31Parce qu’elle se soumet effectivement dans sa pratique à la loi de vérité alors qu’elle ne prétend qu’interpréter le sens de tout sens, la théorie herméneutique du discours développée par Ricœur se plie à une loi de vérité infiniment plus exigeante que celle qui semble lui permettre de déchiffrer les lois de production d’un sens indépendant de sa vérité. L’interprétation du seul sens qui soit à reconnaître en toute communication doit se concevoir comme l’aperception du seul sens qui puisse être pensé vrai et réel du seul fait qu’il ait été pensé, par opposition aux autres sens imaginables qui, eux, n’apparaissent pas être tels. S’il en est ainsi, le sens unique et vrai qu’on donne à l’action, à la perception et à la pensée n’apparaît pas devoir être différent de ce qu’une pré-compréhension doit être reconnue être pour devenir l’objet d’une compréhension authentique : l’acte d’interprétation ne fait que reconnaître comme vrai ce qui a dû être pensé vrai pour pouvoir être pensé. La logique de l’interprétation est donc fondée comme affirmation originaire du sens sur une logique transcendantale plus fondamentale qu’elle, celle qui affirme la nécessité de penser vraies ses propositions pour pouvoir les penser, celle qui affirme que la visée de vérité conditionne la visée du sens et qu’elle en est indissociable.
32C’est à cette logique qu’obéit l’exercice du discours philosophique pratiqué par Ricœur15, mais c’est cette logique à laquelle il oublie de se soumettre lorsqu’il la réduit à exprimer la sémantique du sens, puis lorsqu’il transfère cette logique du sens dans son interprétation des forces performatives du langage. Il se prive ainsi de reconnaître la logique philosophique inhérente à l’usage de la parole comme à l’usage du discours et de l’écriture qu’il avait pourtant décelée comme « affirmation originaire » dans les années 1950. C’est pourtant à cette logique qu’obéissent également les actes dits performatifs ou illocutoires par Austin. Dans le cas de l’affirmation comme dans celui de la promesse, l’acte de communication est objectivé comme affirmation ou comme promesse, sans que les interlocuteurs puissent y faire l’expérience d’autre chose que de l’objectivité de l’affirmation et de la proposition affirmée ou de leur absence d’objectivité, que de l’objectivité ou de l’absence d’objectivité de la promesse et de l’action promise. Cette objectivité de l’action de parole comme des actions non verbales qui lui sont corrélées n’est accessible qu’en raison de cette logique d’affirmation originaire : il y est jugé qu’elle soit à faire ou à ne pas faire comme acte de parole et les autres actes sont jugés à faire ou à ne pas faire sur le modèle du jugement d’objectivité portant sur l’acte de parole. En renvoyant à la simple intention performative et à la reconnaissance de son occurrence comme état et acte mental présupposé, Ricœur cède à la sémantique pragmatique d’Austin, puis à celle de Grice, en ne se rappelant en chaque cas que la théorie de l’intentionnalité d’Husserl. C’est ainsi qu’il expose sa théorie du discours aux attaques que mène Derrida contre l’hypostase de la conscience des intentions sémantiques et des intentions de reconnaissance du vouloir dire : il semble céder au psychologisme des théories des speech-acts, et il y cède effectivement, sans valider pour autant le cynisme derridien qui s’affiche comme dénonciation du logocentrisme dans la théorie du discours.
33Le différend qui les oppose – et qu’ils affrontent sans pouvoir en déceler la cause – est philosophique et il tient à leur incapacité à reconnaître l’inhérence de la logique philosophique soit du discours, soit de l’écriture. Cette incapacité tient à l’impasse qu’ils font, comme au jeu de bridge, sur la « position de la parole », sur la « thèse naturelle de la parole » dont ils ont à cœur de faire abstraction, qu’ils ont à cœur de « mettre en suspens », persuadés qu’ils sont tous deux de ne pouvoir atteindre l’essence du sens et, par là, celle de la communication, qu’en doutant d’elle, comme si ce doute avait d’entrée de jeu la capacité du doute hyperbolique de Descartes : celle de découvrir la logique nécessaire du langage. Mais pour la découvrir, il leur aurait fallu pouvoir faire en même temps le mouvement inverse : découvrir la logique de vérité, et pas simplement de sens, qui anime la perception de la perception propre à l’émission phono-auditive de la parole elle-même aussi bien qu’à la pensée. Il leur aurait fallu percer ce mur du son, ce mur de l’identification aux sons qui permet à la logique de la parole d’animer la vie psychique aussi bien que la vie sociale. Il leur aurait fallu lever l’hypothèque posée sur l’ignorance de l’origine de la pensée et de la parole en l’homme, héritée d’Aristote pour qui il suffisait de distinguer l’homme des autres vivants comme « vivant doué de parole », transmise par Descartes et Kant comme si la parole et la pensée constituaient des miracles naturels, des propriétés spécifiques inanalysables, valides du seul fait qu’elles soient apparues chez l’homme et qu’elles y persistent.
34Comme l’a montré l’anthropologue Arnold Gehlen dans son ouvrage Der Mensch16, l’avorton chronique qu’est l’homme, diagnostiqué comme tel par Louis Bolk17 en 1926, a besoin de mettre en corrélation ses appareils récepteurs sensoriels et ses appareils moteurs par le moyen de son appareil audiophonique, par le biais de son identification aux sons qu’il émet et qu’il entend. Il lui manque en effet les coordinations héréditaires extraspécifiques à l’environnement qu’on appelle instincts et il doit combler leur manque en produisant des corrélations audiophoniques entre ses perceptions et ses actions. Le vivant humain utilise les seules coordinations héréditaires entre la perception et les actions qu’il possède, les coordinations intraspécifiques de nutrition, de sexualité et de défense pour construire au moyen des sons, un pont avec son environnement et pour développer cet environnement en un véritable monde. Il peut s’identifier aux sons si et seulement s’il s’y reconnaît et y reconnaît les choses identiques à ce qu’il les affirme être parce qu’il inverse, dans cette affirmation qu’est toute énonciation, la direction de ses circuits organiques « stimulus-réponse-action consommatoire », parce qu’il y inverse la direction des pulsions. Il fait de la réception des stimuli auditifs la seule réaction et la seule action consommatoire dont il se gratifie. Il transforme ainsi la réception de la phase initiale du circuit organique en action consommatoire et se libère ainsi, dans cette perception de la perception audiophonique des sons, de la nécessité de la réaction organique à laquelle sont soumis les animaux bien formés. Mais il fait aussi de l’identification à chacune de ses propositions une affirmation de soi qui ne se satisfait pas d’être purement et simplement cette affirmation. Cette affirmation déclenche en effet nécessairement un mouvement de reconnaissance de soi, des choses et d’autrui dans cette proposition, un mouvement de jugement qui juge simultanément sa propre objectivité en jugeant de la réalité du mouvement de reconnaissance de soi, des choses et d’autrui.
35Ce mouvement se produit nécessairement, c’est effectivement un Müssen. Car on ne peut produire de proposition sans la penser vraie : sans identifier ce que c’est que d’exister pour le référent de la proposition et sans identifier ce mode d’existence à ce qu’on en affirme dans l’usage du prédicat, en identifiant ce référent à une propriété ou à une relation. Car originellement, la parole est liée à la perception visuelle qu’elle rend possible en projetant la visée de la vision vers un objet visible et en faisant consommer l’identification de cet objet à ce qu’on en perçoit alors. Parce qu’on ne peut penser sa proposition sans la penser vraie, il est nécessaire de juger si oui ou non ce qu’on n’a pu s’empêcher de penser vrai pour pouvoir le penser est aussi vrai ou aussi faux qu’on a dû le penser vrai. On ne peut réduire ce mouvement de réflexion judicative nécessaire à un mouvement de mise en suspens du sens, d’εποχή, sans inhiber le jugement de vérité et d’objectivité qu’appelle tout discours ou tout usage d’une marque d’écriture et sans le réduire au pur mouvement de reconnaissance de son occurrence psychologique, qu’on soit phénoménologue du discours ou phénoménologue de l’écriture. Et l’on empêche par là de parler ce qui parle en toute parole pour en faire un discours : ce jugement de réflexion de vérité lui-même, ce mouvement qui est aussi nécessaire à la vie de l’être humain que l’usage du langage lui-même.
36C’est ainsi que la logique philosophique de vérité accompagne la production et la régulation de toute expérience. La reconnaissance perceptive, motrice ou consommatoire de soi doit se juger déjà objective et vraie pour pouvoir se produire et pour déclencher l’identification de reconnaissance objective de soi en elle dans ce temps de la réflexion de vérité. Ce mouvement de reconnaissance de soi et d’autrui, comme sujets qui se découvrent en accord avec l’affirmation propositionnelle qu’ils se font être dans la communication (même lorsqu’ils pensent alors leur perception, leur action physique ou leur action consommatoire) ne peut s’effectuer une fois pour toutes, du seul fait que cette reconnaissance d’eux-mêmes se soit elle-même désignée comme telle dans une discipline philosophique appelée « anthropologie du langage ». Il ne tient en effet son opérance que du mouvement de communication appelé par toute situation où l’être humain a à s’orienter par la pensée et par la parole et qui se réfléchit dans ses protagonistes chaque fois qu’il se produit. Ce jugement de reconnaissance anthropologique de soi effectué en tout discours comme en toute écriture n’est pas simplement celui qu’un sujet ou des sujets constate(nt) se produire en lui (ou en eux) comme un fait mental, psychologique, mais celui d’un sujet à la fois transcendantal et empirique qui a à se reconnaître dans la pensée ou dans l’énonciation qu’il produit, en accord avec le jugement d’objectivité qu’il porte et qu’il fait porter à autrui, en accord avec ce qu’il reconnaît d’universel en lui comme en tout être humain, en accord avec l’accord transcendantal et empirique de soi avec soi et de soi avec autrui qu’il est comme mouvement de vérité. Parce que ce jugement ne peut s’appuyer que sur celui d’autrui et sur la communauté d’expérience qu’il instaure, parce que sa nécessité repose sur la nécessité de satisfaire au besoin qui satisfait tous les autres : le besoin de parole et de jugement, parce que son support biologique est identique chez chaque être humain à travers la diversité des langues, le partage du jugement de vérité entre interlocuteurs est aussi nécessaire que leur recours au discours et leur recours à l’écriture.