Colloques en ligne

Véronique Le Ru

La construction scientifique du temps

1Qu’est-ce que le temps objectif ? Comment la science l’a-t-elle construit ? Le temps est-il absolu ? Est-il universel ? Ou simplement conventionnel ? Le temps de la science influence-t-il ma conscience du temps et la manière dont je pose le problème du temps en moi ?

La construction de l’abstraction qu’est le temps

2La construction de l’abstraction qu’on appelle le temps objectif a commencé bien avant le XVIIe siècle, notamment par la fabrication des instruments de mesure de processus réguliers : les gnomons, les cadrans solaires, les clepsydres, les sabliers, puis, à partir du XIVe siècle, par le développement considérable de l’art horloger. La spatialisation du temps elle aussi a commencé bien avant le XVIIe siècle, les paradoxes de Zénon et la difficulté de rapporter au continu le temps dénombrable en instants l’attestent suffisamment. Cependant, un savant, dans la construction du temps objectif, franchit le pas décisif, c’est Galilée. En effet, Galilée fait quelque chose que personne n’avait imaginé avant lui, il considère le temps à l’instar de l’espace comme également passible d’un traitement mathématique. Autrement dit, il fait du temps mis à parcourir un espace une variable analogue à celle de l’espace parcouru, pour étudier le mouvement d’un corps. Il y a un avant Galilée où les calendriers, les horloges mesurent des processus et des cycles, et un après Galilée où le temps, au même titre que l’espace, est une variable mathématique dans l’étude du mouvement. La mathématisation de la mécanique rendue ainsi possible entraîne des progrès considérables dans l’élaboration d’horloges de grande précision. La construction de la variable temps est une étape capitale qui fait passer du monde de l’à peu près à l’univers de la précision.

3Avec Galilée, le temps est devenu une notion mathématique abstraite. Cinquante ans plus tard, en 1687, Newton absolutise le temps et l’espace, il en fait des sensoria Dei, « les formes a priori de la sensibilité de Dieu », si je puis traduire ainsi le terme sensorium, qui, en latin, désigne l’organe sensoriel. La boucle est bouclée : alors que déjà avec Galilée, le temps, comme symbole mathématique, se coupait du processus physique dont il était le symbole pour ne plus valoir que pour lui-même, avec Newton, c’est le temps, comme symbole absolu, qui dit la vérité absolue sur les processus physiques et fonde le temps vulgaire relié à des processus physiques. Le symbole temps ne renvoie plus à la chose qu’il signifie ni à sa fonction d’être un moyen d’orientation, mais il vaut pour lui-même1. Cependant, avant de devenir un symbole qui ne vaut plus que pour lui-même, le problème de la construction du temps comme objectif, abstrait, homogène qui, par sa nature, coule uniformément, est conditionné par la position d’un mouvement uniforme pris comme étalon. Dès lors, la construction du temps uniforme et du mouvement uniforme (et sa variante du mouvement uniformément accéléré) ressemble au problème de la poule et de l’œuf : qui apparaît le premier ? Le mouvement uniforme, le temps uniforme, qui conditionne l’autre ? La question fait tourner dans un cercle de manière uniforme. C’est en effet le principe d’uniformité, le principe d’économie et le principe de simplicité que je rencontre en tournant dans ce cercle. Ces principes répondent à des tendances de l’esprit qui veut ordonner les régularités de la nature en économisant ses forces par la visée du simple. Le projet de Galilée est bien de mathématiser les régularités qu’il observe dans l’à peu près de ses instruments de mesure encore rudimentaires. Son projet est donc régi par la conviction qu’il a acquise très tôt que le livre de la nature est écrit dans un langage mathématique. Mais à quelles fins Galilée et Newton ont-ils mathématisé puis absolutisé le temps ? Leur entreprise est d’abord régie, il me semble, par le désir de savoir et de savoir décrire exactement les régularités de la nature. Leur dessein est le même : ne plus séparer comme le faisaient les Anciens la mécanique et la géométrie en rapportant tout ce qui est exact à celle-ci et tout ce qui l’est moins à celle-là, mais montrer que « la géométrie appartient en quelque chose à la mécanique » et que la mécanique rationnelle ou mathématique est une science démonstrative2. Désir de savoir, désir d’exactitude : l’intention est bien de sortir d’un monde de l’à peu près pour entrer dans l’univers de la précision.

Pourquoi vouloir entrer dans l’univers de la précision ?

4Cette question est sans fin si je puis dire. Pourquoi aujourd’hui les biens de consommation courante – les montres, les ordinateurs, les appareils de photographie numérique, les GPS – valent-ils par leur définition de haute précision ? Parce qu’ils sont censés permettre aux utilisateurs de s’orienter de mieux en mieux dans la « jungle » du monde. Les êtres humains depuis des millénaires sont mus par cette volonté de s’orienter le mieux possible dans le monde. Galilée et Newton sont des êtres humains qui ont compris de manière exceptionnelle à quel point la mathématisation du temps était un instrument d’une puissance extraordinairement efficace pour maîtriser la science du mouvement et toutes les techniques qui y sont afférentes. Or maîtriser la science des mouvements terrestres et célestes, n’est-ce pas le meilleur gage pour ne pas se perdre dans l’Univers ? Prévoir les éclipses du Soleil ou de la Lune, calculer le retour de la comète de Halley, établir le calendrier des coefficients de marée, n’est-ce pas trouver une assiette dans l’Univers qui est « une sphère infinie dont le centre est partout et la circonférence nulle part3 » ? Mais contrairement à Pascal, Galilée et Newton ne vivent pas le passage du monde clos à l’Univers infini sur le mode de l’effroi4, mais plutôt sur le mode de la joie intellectuelle, si j’entends bien leur propos5. Ils sont conscients d’apporter leur pierre à l’édifice de la science dans lequel l’être humain pourra se loger avec bien plus de confort que s’il restait dans l’ignorance.

5Ainsi, en faisant du temps une variable homogène à l’espace dans la mathématisation du mouvement, Galilée permet de mettre en équation la spatialisation du temps. Newton franchit un pas de plus en absolutisant l’espace et le temps, mais cette absolutisation ne s’est pas faite sans rencontrer de résistance. Quand Newton oppose le temps relatif et ordinaire, qui est celui de l’expérience humaine commune, au temps absolu qui le fonde et qui émane de Dieu, et quand il fait de même pour l’espace, un penseur cherche à entrer en discussion avec lui par l’intermédiaire de Samuel Clarke, c’est Leibniz. La correspondance de Clarke et de Leibniz exprime une divergence radicale de conceptions qui conduit à l’impasse. Leibniz ne peut admettre l’absolutisation de l’espace et du temps opérée par Newton car pour lui l’espace et le temps sont des notions essentiellement relatives. Il les pense comme des relations, comme des ordres : l’espace est l’ordre des coexistences et le temps est l’ordre des successions. Mais qui dit ordre dit principe d’ordre : c’est donc relativement à un situs, à un point de vue et de temps que l’on dit l’espace et le temps. Or cette conception leibnizienne qui fait de l’espace et du temps deux ordres se référant à un situs est la voie dans laquelle s’engage Einstein pour démanteler le mythe de l’espace absolu, du temps absolu et de la simultanéité absolue qui en est la clef de voûte.

Trouble dans les deux infinis

6Au début du XXe siècle, un événement étrange se produit en physique : quand Einstein croit pouvoir unifier l’explication de l’infiniment grand par sa théorie de la relativité générale, la mécanique quantique produit, par sa théorisation de l’infiniment petit, l’effondrement du déterminisme universel. Si l’Univers reçoit une explication unifiée et harmonieuse par Einstein, la mécanique quantique révèle le caractère aléatoire du comportement des particules élémentaires dans la structure de la matière. Tout se passe comme si la double infinité dont parle Pascal était tirée, du côté de l’explication einsteinienne de l’Univers et de l’infiniment grand, vers l’unité, tandis que, du côté de la structure de la matière et de l’infiniment petit, elle s’ouvrait sur du complexe et de l’indéterminé. On comprend mieux ainsi le propos d’Einstein : Dieu ne joue pas aux dés, et la réponse mallarméenne de Bohr selon laquelle un coup de dés n’abolira jamais le hasard.

7Cependant, si Einstein veut avoir sa part de rêve dans la quête d’unité et d’intelligibilité de l’Univers, il sait que c’est au prix d’une remise en question de la représentation cosmologique de Newton. Le principal mérite d’Einstein est d’avoir su montrer que la théorie de Galilée et de Newton n’est que partiellement relativiste, qu’elle repose en réalité sur les concepts d’espace absolu, de temps absolu et de simultanéité absolue. Si l’on prend l’exemple des marchandises qui, au fond de la cale d’un navire, voyagent de Brest à Venise, affirmer, comme le font Galilée et Newton, la relativité du mouvement uniforme, c’est dire que la vitesse d’un mobile dépend du référentiel dans lequel on la mesure : les marchandises sont immobiles dans le référentiel du navire, elles ont une vitesse égale à celle de croisière du navire pour un observateur resté à Brest. D’où il s’ensuit que la distance parcourue par un mobile est elle-même relative (elle dépend du référentiel). Mais cette relativité des distances ne concerne que des événements se produisant à des instants différents. Pour des événements simultanés, il n’en est pas de même. Mesurer la distance qui sépare deux événements simultanés exige que l’on prenne le point de vue d’un observateur immobile assistant au spectacle du monde. Seul un observateur embrassant d’un seul coup d’œil Brest et les marchandises à fond de cale peut déterminer la distance qui, de façon absolue, sépare Brest des marchandises à un instant donné. Cette mesure, cependant, n’aura un caractère véritablement absolu et incontestable pour tous que si la notion de simultanéité elle-même a un caractère absolu, si ce qui est simultané pour l’observateur l’est également pour tout autre (en translation uniforme par rapport à lui tout au moins). La mécanique classique repose donc sur l’idée qu’il existe une horloge absolue, un temps absolu, un espace absolu, qui sont les mêmes pour tous les référentiels galiléens. Or Einstein a mis en évidence que la thèse du temps absolu et de la simultanéité absolue est une illusion qui a son origine dans le fait que, dans notre expérience quotidienne, nous pouvons négliger le temps de la propagation de la lumière. Pour cette raison nous nous sommes habitués à ne pas faire de distinction entre « ce qui est simultanément vu » et « ce qui arrive simultanément ». Mais quand deux événements se produisent à de grandes distances (années-lumière), il faut faire intervenir un continuum espace-temps, la simultanéité est relative à un point de vue et de temps, c’est-à-dire à un emplacement temporel.

La théorie de la relativité ou la relativisation de l’espace, du temps et de la simultanéité

8Or mettre en doute le caractère absolu de la simultanéité, la rendre relative, comme le fait Einstein dans son article de 1905, revient à saper les fondements mêmes de l’idée d’espace absolu immobile comme réceptacle de tous les objets matériels. Au concept d’espace absolu, Einstein substitue le concept d’emplacement : un corps en mouvement doté d’une vitesse proche de celle de la lumière crée en se déplaçant son espace-temps. D’où le fait que, comme Descartes et Leibniz, Einstein soutient qu’il n’y a pas d’espace vide puisque ce qu’il appelle espace-temps désigne une qualité ontologique d’un corps. L’emplacement et le temps sont toujours à considérer ensemble et un événement, quel qu’il soit, est toujours spécifié par ses trois coordonnées d’espace x, y, z et une coordonnée de temps t. Autrement dit, la description des événements physiques est toujours quadridimensionnelle, même s’il semblait auparavant que ce continuum à quatre dimensions pouvait être séparé en un continuum à trois dimensions, l’espace, et un continuum à une dimension, le temps. Cette séparation apparente n’est qu’une illusion due au fait que la signification du concept de simultanéité semblait aller de soi parce que, par le biais de la lumière, je reçois de façon quasi instantanée des informations en provenance d’objets voisins. Or la lumière ne se propage pas de manière instantanée, elle se propage à la vitesse de 300 000 km/s dans tous les référentiels. Autrement dit, la vitesse de la lumière n’est pas relative à un référentiel, ce qui s’oppose au concept galiléen et newtonien de la vitesse. Du coup, il appert que la vitesse de la lumière n’est pas une vitesse comme les autres. C’est par abus de langage qu’on parle de vitesse de la lumière, pour une raison bien simple du reste, qui est que la lumière n’est pas un corps mais une onde, ou suivant une terminologie plus rigoureuse, un champ. Einstein a montré que la propagation de la lumière notée c est en réalité une caractéristique du continuum espace/temps liée au fait que l’espace vide n’a aucune réalité mais est toujours le lieu de champs électro-magnétiques dont la lumière n’est qu’un cas particulier.

La « vitesse » de la lumière comme facteur de conversion des espaces en temps, des temps en espaces

9Bien que la grandeur c ne puisse être tenue pour la vitesse d’un mobile, elle n’en garde pas moins les dimensions d’une vitesse, c’est un rapport entre un intervalle d’espace (une distance) et un intervalle de temps. Dans la théorie de la relativité restreinte, tout événement se déroule dans le théâtre du monde, qui est le continuum à quatre dimensions. La constante c est alors le facteur de conversion qui permet de transformer des distances en intervalles de temps : c’est une constante structurale de l’espace-temps. En effet, l’idée d’unifier temps et espace et de combiner des durées et des distances entraîne la nécessité d’exprimer ces quantités avec une même unité (car on ne peut pas ajouter des mètres à des secondes). En ce début de troisième millénaire, la physique a complètement assimilé cette nouvelle façon de considérer l’espace et le temps, puisque le fait de fixer la vitesse de la lumière c à la valeur arbitraire 299 792 458 mètres par seconde prouve que cette quantité c est traitée désormais comme un simple facteur de conversion entre mètre et seconde. Certes, dans la vie courante, je continue à me servir des deux unités, le mètre et la seconde, mais en astronomie, à l’échelle du cosmos, il est bien plus normal de mesurer les distances en unités de temps. Les astronomes y sont habitués depuis longtemps avec l’emploi de leur année de lumière, qui représente la distance parcourue par la lumière pendant une année. En d’autres termes, la quantité c permet bien de passer d’un temps à une distance (c’est du reste la même conversion que fait un automobiliste en disant que Paris est à huit heures de Montpellier : il rapporte le trajet à la vitesse de sa voiture et au temps qu’il met pour accomplir le voyage). Si je le compte en temps, malgré sa vastitude quasiment infinie et inconcevable à échelle humaine, l’Univers se laisse bien mesurer. Comme une année compte en gros trente millions de secondes (soit 3×107 s), je trouve que la distance de la Terre à la Lune vaut 1,33 seconde-lumière, que l’horizon de la partie visible d’Univers est à une quinzaine de milliards d’années-lumière, et qu’entre ces deux limites, s’insèrent environ dix-sept ordres de grandeur. Ainsi le Soleil est à 8,3 minutes-lumière, les étoiles les plus proches, à des années-lumière, puis j’en trouve à toute distance jusqu’aux plus lointaines de notre Voie Lactée à une centaine de milliers d’années-lumière. Au-delà la distance des galaxies s’étage de quelques millions d’années-lumière à une quinzaine de milliards d’années-lumière. Cette opération de conversion montre que la vitesse de la lumière est ce qui permet de penser le temps comme parfaitement échangeable avec l’espace et comme tout aussi réversible que lui.

10Ainsi, dans l’espace-temps, une seconde sera tout aussi bien une durée qu’une distance, à savoir les c mètres que la lumière parcourt pendant cette seconde. Concrètement, si je choisis de conserver des secondes dans les formules, je devrai passer des distances aux temps en remplaçant toute occurrence de longueur x exprimée en mètres par la quantité x/c qui, elle, s’exprimera en secondes. Autrement dit « x-exprimé en secondes » est égal à « x-exprimé en mètres » divisé par 299 792 458. Par exemple, le Soleil étant à 150 000 000 de kilomètres de la Terre, pour savoir à combien de temps-lumière il est de la Terre, je dois diviser la distance par c, ce qui donne 150 000 000/300 000 = 500 secondes-lumière = 8,33 minutes-lumière.

Temps subjectif et temps scientifique

11Quand je considère le double tremblement de terre qui s’est opéré dans la physique, il y a cent ans, je suis prise de vertige. Le sol qui me porte s’avère être, au niveau de sa configuration atomique, constitué d’incessants mouvements browniens, le ciel étoilé que je regarde me renvoie à des étoiles mortes il y a des milliers d’années et que je vois toujours cependant briller. Le temps de la lumière… En quoi peut-il « éclairer » le problème du temps en moi ?

12Ce qui me frappe, c’est le hiatus qui sépare le temps pensé par les physiciens et le temps que je vis. Le temps des physiciens est homogène à l’espace et réversible comme l’espace alors que le temps en moi coule parfois lentement, parfois tumultueusement, et n’est pas réversible : je vais vers ma mort. En science, que l’on considère le temps comme cyclique ou comme linéaire, on schématise le temps à partir de la trajectoire d’un mouvement uniforme : soit celle de la révolution des planètes, soit celle d’un mouvement rectiligne uniforme. Le problème est que pour définir un mouvement uniforme, il faut poser que le temps par nature coule uniformément : autrement dit, le concept scientifique du temps, c’est-à-dire sa spatialisation, n’est possible que parce qu’on présuppose que le temps est uniforme et donc échangeable avec l’espace.

13Même si Einstein semble avoir bouleversé et renversé cette conception d’un espace absolu et d’un temps absolu, il n’a pas pour autant remis en question l’idée que le temps est réversible et échangeable avec l’espace, puisqu’il fait de la grandeur c (300 000 km/s) le facteur de conversion entre les espaces et les temps. Einstein, en faisant du temps une quatrième dimension du continuum espace/temps, pousse à son paroxysme l’idée que le temps n’a de réalité que parce qu’il est mesurable, qu’il n’est qu’une dimension, ce qui fait dire aujourd’hui à Marc Lachièze–Rey que dans la physique einsteinienne, on peut décrire tous les événements physiques sans utiliser la notion de temps6.

L’irréversibilité du temps

14Aujourd’hui, pourtant, l’étude des systèmes dynamiques instables met en exergue le fait qu’il y a, dans tout processus physique, des points de bifurcation irréductibles, tout comme le sont les points de bifurcation d’un arbre phylogénétique, où une espèce donne lieu à deux autres branches qui constituent deux nouvelles espèces. On retrouve ainsi sur le plan physique et cosmique ce qu’on savait déjà depuis longtemps sur le plan biologique et anthropologique : le passé est le passé, on ne peut pas revenir en arrière. Ilya Prigogine et Isabelle Stengers, dans La Nouvelle Alliance comme dans Entre le temps et l’éternité, soulignent que la flèche du temps, qui marque son irréversibilité, est la condition elle-même inconditionnée de tous les objets ou plutôt de tous les processus physiques, depuis l’atome d’hydrogène jusqu’à l’Univers lui-même. Mais comment m’approprier dans ma conscience du temps ces apports nouveaux de la science ? Comment allier l’irréversibilité du temps physique et celle que je sens dans ma vie, jour après jour et qui me rapproche, jour après jour, de ma mort ?

15Avec l’irréversibilité du temps surgit la nécessité de penser le sens d’un processus. Or en tant qu’être vivant, je suis moi-même un processus, je suis non seulement un individu vivant engagé, comme tout individu vivant, dans une ontogenèse, mais cette ontogénèse est à son tour prise dans une phylogénèse. Et, en tant qu’être humain, je suis conscience de moi et du temps en moi qui me fait moi. Et ma conscience elle-même est un processus, une toile d’araignée en devenir faite d’interactions internes et externes. Je découvre que ma conscience, mon temps humain n’est plus coupé du temps irréversible de l’Univers, mais que j’ai un air de famille avec tous les processus en devenir qui s’y déroulent. Je ne suis plus dans une solitude humaine dotée de conscience mais je suis, comme être vivant et humain en devenir, par ma conscience du temps compté et irréversible, dans une solidarité de nature avec tous les processus irréversibles de l’Univers et avec l’Univers lui-même.