Yambo Ouologuem et le champ des contre-littératures : Réflexions sur les romans de Nelly Brigitta et Utto Rudolf
1Le succès remporté dès sa publication en 1968 par Le devoir de violence, couronné peu après par le prix Renaudot révéla sans aucun doute un écrivain de premier plan. Mais ce succès n’était pas dépourvu d’une certaine ambiguïté dans la mesure où Yambo Ouologuem, par son art de transgresser les valeurs littéraires de la Négritude, manifestait une complaisance évidente pour la transgression et le sacrilège. Et, à cet égard, il en était du Devoir de violence comme de l’épopée flamboyante des Chants de Maldoror de Lautréamont-Ducasse ou des romans de Sade, Kafka, Georges Bataille ou Pierre Klossowski : on pouvait leur reprocher d’user d’une poétique de l’excès, mais on ne pouvait contester l’appartenance de ces œuvres à la « grande » littérature.
2Néanmoins, le cas de Ouologuem (1940-2017) offre, par rapport à ces illustres devanciers, une particularité notable. En effet, au cours de sa brève carrière, de 1963 à 1973, Ouologuem n’a publié qu’une seule œuvre considérée par la critique comme proprement « littéraire » : Le devoir de violence1. Or Ouologuem est l’auteur d’un essai, Lettre à la France nègre, paru la même année que Le devoir de violence, ainsi que de trois autres romans : Les mille et une bibles du sexe (sous le pseudonyme de Utto Rudolph), Le secret des orchidées et Les moissons de l’amour (sous le pseudonyme de Nelly Brigitta). A quoi on peut ajouter des poèmes, recensions d’ouvrages et articles publiés dans des revues ainsi que trois manuels scolaires, écrit en collaboration, Terres de soleil (CE 1 et CP 2) et Introduction aux lettres africaines, parus respectivement en 1969, 1970 et 1973. La plupart des nombreux critiques qui ont écrit sur Ouologuem, s’est limitée au Devoir de violence et quelquefois à l’essai Lettre à la France nègre et il faut attendre le livre très documenté de Sarah Burnautzki, Les Frontières racialisées de la littérature française : contrôle au faciès et stratégies de passage (2017), pour trouver une prise en compte de ces textes « marginaux » de Ouologuem mais qui révèlent en définitive l’importante activité menée par ce dernier sur une période aussi courte.
3C’est pourquoi, il m’a paru intéressant de situer l’œuvre de Ouologuem par rapport à la question du champ des « contre-littératures » car elle a fait l’objet d’une lecture particulièrement sélective de la part des instances et institutions traitant de ce que l’on appelle la « littérature africaine francophone ». Mais tout ne se ramène pas à un problème de sélectivité de la lecture dans la mesure où, comme on le verra, c’est probablement Ouologuem lui-même qui, après le succès éclatant du Devoir de violence, a souhaité aller vers ces « mauvais genres » et métamorphoser ainsi son image d’écrivain novateur.
La prose des genres « inférieurs »
4La personne qui se plonge pour la première fois dans Les mille et une bibles du sexe, Le secret des orchidées ou Les moissons de l’amour ne peut manquer d’être surprise par une pratique de l’écriture qui, apparemment, n’a pas grand-chose à voir avec celle du Devoir de violence. Et, pour peu que son esprit ait été marqué par les catégories que l’école inculque au sujet de la valeur littéraire d’un texte, elle risque fort de considérer ces œuvres comme « inférieures » et, par conséquent, ne relevant pas du champ de la Littérature, celle qui mérite d’être enseignée et transmise.
5Ainsi, un roman comme Le secret des Orchidées présente la plupart des caractéristiques de la littérature sentimentale, telles qu’on peut les observer dans les romans de Delly ou dans la collection Harlequin. Nelly Brigitta-Ouologuem met en scène des personnages évoluant dans un monde de luxe et de richesse : Éric Maxwell, le producteur de films américain, dispose dès le départ de la prodigieuse fortune léguée par ses parents qui ont créé un immense empire industriel et il règne sur une partie du cinéma mondial ; Ingrid Laurids Bridge, mannequin que se disputent tous les grands couturiers, habite un immense appartement sur le quai d’Orsay et ses tenues comme ses bijoux sont un éblouissement toujours renouvelé ; plus modeste, Claire de Beauregard, rivale d’Ingrid, appartient à une grande famille de la noblesse française et habite dans un bel appartement du XVIe arrondissement. Mais, retenue après un essai par Éric pour tourner dans un film, elle va à son tour connaître la grande vie lors d’un séjour aux États-Unis. Inutile de préciser que tout ce beau monde ne voyage qu’en première classe sur les lignes aériennes ou maritimes et roule en Rolls Royce ou Mercédès de sport aux performances inégalées.
6Ce choix, dans les personnages et les situations qui les réunissent, se traduit par une écriture dont je donnerai quelques exemples rapides2 :
« Son orgueil de femme fit naître dans son cœur cette phrase : “Une femme n’est vaincue que si elle s’avoue vaincue”. Quelqu’un d’autre voulait lui prendre son bonheur d’épouser un milliardaire. Elle défendrait donc ses intérêts jusqu’au bout. Et brusquement, galvanisée par cette résolution froide et calculatrice, elle se mit à dresser son plan d’attaque. » (p. 31).
« Les ombres fuient, le soleil monte. La Mercédès file, file, avale les kilomètres. Dans la voiture, la radio diffuse les flamencos, avec leur bel accompagnement de castagnettes, de guitares, et la voix chantante et éraillée du gitano. » (p. 39).
« Mais voilà, voilà… Il y avait Ingrid Laurids Bridge, qui t’échappe et t’ensorcelle, à laquelle tu plais et à laquelle tu échappes… Ingrid Laurids Bridge, le grand mannequin de réputation mondiale, qui venait en personne chez toi. Ingrid Laurids Bridge, qui interprète au piano, avec tant d’émotion persuasive, Bach et Ravel. Je vous ai surpris (car tu avais tenu à me montrer qu’il n’y avait rien entre elle et toi) dans ton salon Louis XVI, avenue Foch. Et les deux flammes de vos prunelles n’avaient de langage commun, que celui de la musique mystérieuse et profonde, de cette musique classique qui vous parlait au-delà des sons, au-delà des tentations aussi de l’amour et du cœur… » (p. 73-74).
« Dès le collège, mon chéri, je t’attendais… Je travaillais ardemment aux études, et rêvais d’une existence où j’aurais voulu tout faire pour l’homme de ma vie… » (p. 150).
7Les mille et une bibles du sexe présente d’autres caractéristiques, et cela, sur deux plans. Bien que publié, lui aussi sous un pseudonyme, celui d’Utto Rudolf, le récit se rattache directement à la personne de Ouologuem, auteur du Devoir de violence. C’est ce qu’on constate clairement dans l’ « Avertissement », signé « Yambo Ouologuem » et dans lequel celui-ci se présente comme l’éditeur d’un long manuscrit que lui a remis un certain Utto Rudolf :
« En novembre dernier […], m’appelant aux éditions du Seuil, un grand aristocrate parisien me demandait rendez-vous, après maintes fièvres oratoires. Il y a tant d’étonnement à être sincère, que je crus voir dans la rhétorique dudit aristocrate une action cachée : que me voulait-il au juste ? Je le vis, il me remit un manuscrit -lourd de 2400 pages. Rien de saillant. Mais une vérité d’accents, une traduction d’aventures érotiques singulières. […] C’était un manuscrit tout en bibles cachées. […] J’ai décidé, avec l’accord du possesseur du manuscrit d’intituler ces “confessions-poker” : Les mille et une bibles du sexe. » (p. 17-18)3.
8Le travail de l’éditeur va consister à donner une dimension esthétique à ces récits que 300 couples ont confiés à Utto Rudolf et que celui-ci s’est contenté de recueillir dans des carnets. L’avertissement précise également pourquoi Utto Rudolf s’est adressé à Ouologuem :
« Certains passages érotiques de mon roman, Le devoir de violence, lui ayant paru plus que passables, Utto Rudolf a cru pouvoir m’investir des fonctions de directeur littéraire. J’acceptais de jouer ce rôle, après m’être assuré au préalable l’accord de ceux à qui je devais le couronnement de mon premier roman : divers membres du jury du prix Renaudot. Ils ne désavouèrent pas mon initiative : je pris donc sur moi de charpenter le texte, de le corriger entièrement, et enfin de l’éditer. » (p. 18).
9L’autre grande caractéristique des Mille et une bibles du sexe réside dans une conception du récit qui n’a pas grand-chose à voir avec celle qui est suivie dans Le secret des orchidées. Les onze chapitres qui le constituent, relativement indépendants les uns des autres, ont en commun d’être chacun le récit d’une expérience érotique d’une particulière intensité. Sur ce plan, le modèle littéraire dont s’inspire l’auteur est une combinaison de la formule utilisée par Boccace dans le Décaméron (ou par Marguerite de Navarre dans l’Heptaméron) et de la structure sur laquelle repose Les 120 journées de Sodome de Sade. En somme, une collection, organisée, de récits et une perspective « expérimentale », qui permet d’envisager toutes les situations possibles.
Les catégories de l’entendement éditorial
10Dans son livre, Les Frontières racialisées de la littérature française, Sarah Burnautzki retrace l’histoire éditoriale des principaux textes écrits par Yambo Ouologuem et elle le fait en s’appuyant sur deux types de sources : d’un côté, les archives du Seuil ; de l’autre, les documents qui se trouvent à l’IMEC et qui proviennent soit du Seuil soit d’autres sources. Cette enquête minutieuse fait apparaître trois résultats essentiels concernant respectivement l’histoire du manuscrit du Devoir de violence, les jugements portés par les membres des divers comités de lecture qui ont été conduits à porter une appréciation sur ce texte, les relations de plus en plus tendues entre l’écrivain et son éditeur.
11Le coup d’éclat que représente dans les lettres africaines la parution du Devoir de violence, couronné en outre par un prix prestigieux, ne doit pas faire illusion. Ce livre est en fait l’aboutissement d’une histoire complexe. Sarah Burnautzki note d’abord que les relations de Ouloguem avec le Seuil ont commencé dès 1963. En septembre 1963, il envoie le manuscrit d’un roman qui a déjà pour titre Le devoir de violence mais qui n’a guère de rapport avec le roman de 1968 puisqu’il s’agit, d’après une note de lecture signée « Sylvestre », « d’un drame de jalousie et de séduction dans le milieu de la bourgeoisie industrielle européenne4 ». En mars 1964, Ouologuem envoie un deuxième manuscrit qui, cette fois, est un recueil de poèmes, La salive noire, et qui fait l’objet d’une note de lecture tout aussi cinglante5. En novembre de la même année, Ouologuem adresse au seuil un troisième manuscrit : un roman intitulé Humble soif. La note de lecture, signée « Tremblay », souligne que l’un des fils conducteurs de ce nouveau roman est le « désir de démence » du protagoniste, un métis orphelin, mais que la réalisation n’est pas à la hauteur de ce que l’on était en droit d’attendre d’un tel sujet ; Tremblay conclut cependant sa note par ces mots : « Avouons n’avoir jamais été séduit. Il faudrait, toutefois, suivre l’auteur.6 »
12Enfin, probablement au début de l’année 1967, si l’on se fonde sur la date mentionnée sur une des notes de lecture, Ouloguem envoie au Seuil un quatrième manuscrit qui porte de nouveau le titre de Devoir de violence. Le texte retient d’avantage l’attention puisqu’il fait l’objet d’au moins trois notes de lectures : Weber et Jean Cayrol, membres de l’équipe éditoriale du Seuil et un lecteur extérieur, qui signe « MC ». La lecture de ces trois notes « permet d’identifier le manuscrit comme une ébauche de la version définitive qui ne s’en distingue que par quelques détails7. » Les rapports établis par Weber et MC sont très défavorables ; en revanche, celui de Cayrol souligne l’originalité et la profondeur du roman et son jugement emportera la décision auprès de Paul Flamand et de François-Régis Bastide, en dépit des réserves formulées par Christiane Reygnault dans une quatrième note. Le contrat est signé le 11 octobre 1967 et, comme convenu avec ceux qui le soutiennent au Seuil (Bastide, Cayrol, Flamand), Ouologuem remanie encore son texte qui paraît à la rentrée 19688.
13Ce qui frappe, d’autre part, dans les jugements portés dans ces notes de lectures, retrouvées et analysées par Sarah Burnautzki, c’est, à l’exception notable de Jean Cayrol, une difficulté à considérer objectivement un manuscrit provenant d’un écrivain noir. Ainsi, la note de « Sylvestre » concernant le premier manuscrit, déjà intitulé Le devoir de violence, remarque que « l’auteur semble s’être employé à pêcher au hasard de ses lectures et de ses études, idées, citations, formules, qu’il nous ressert recuites » et ajoute que « c’est un perroquet, non un homme qui a voulu écrire ce roman à la française9. » De même, dans le recueil de poèmes, La salive noire, « CR » ne voit que du « toc », des références superficielles à Césaire et aux poètes de l’Anthologie, « la plus facile démagogie du pauvre nègre » et ce qui lui paraît le plus grave une « absence de rythme et c’est bien là le fin fond de la faiblesse pour des poèmes “noirs”10. » Quant au roman Humble soif, Tremblay lui reproche de développer, dans une « écriture d’un formalisme excessif », une thématique de la bâtardise, « anecdotique, par défaut d’universalité “géographique”. L’auteur ne parle pas au nom des pays sous-développés11. »
14Enfin, en ce qui concerne le manuscrit envoyé au début de 1967 et qui préfigure d’assez près Le devoir de violence, on lit dans la note signée « MC » qu’il s’agit d’un « vadémécum de la négritude, rédigé par un collectionneur boulimique et peu organisé » :
« Je ne trouve pas d’unité dans ce tas de briques. Pas de ton dans ce ramassis de lieux communs. Des phrases d’un kilomètre, je veux bien. Mais quand elles pèsent une tonne. […] Je veux bien faire des fleurs aux sous-développés, mais attendons au moins que le gars soit agrégé ès-lettres (j’oubliais qu’il a renoncé à Normale. Tant pis)12. »
15De son côté, Weber se montre consterné et reproche, entre autres défauts, « un didactisme ennuyeux », des « scènes amoureuses » et des « descriptions pornographiques […] proprement lamentables, dans la mesure où le style procède d’une sous-littérature condamnable et par ailleurs tout à fait étrangère à la culture africaine. » En outre, et cela ne manque pas de piquant, il note : « L’ethnographie est souvent raillée, on ne sait pourquoi13. » La note de Christiane Reygnault est plus nuancée dans la mesure où sa connaissance des écrivains africains lui permet de saisir l’innovation que représente Le devoir de violence, par rapport à L’enfant noir ou Une vie de boy, mais elle pointe deux défauts graves : d’un côté, « le manque d’assises de la langue » ; de l’autre, une « accumulation des supplices, des horreurs sadomasochistes », dans un « style de feuilleton 190014 ».
16Dans ces différentes notes de lecture, se lit ainsi un discours traversé d’une contradiction à vrai dire insurmontable. En effet, lorsque Ouologuem imagine un roman mettant en scène des milieux européens et dont l’action se situe en Europe, on ne manque pas de lui reprocher qu’il ne connaît rien à ce monde et, lorsqu’il met en scène des personnages africains en Afrique, on ne manque pas de lui faire remarquer que tout ce qu’il écrit n’a rien à voir avec la « culture africaine ». L’écrivain noir se voit assigner une place et reçoit selon Sarah Burnautzki une « injonction à l’africanisation de ses textes15 ». Les auteurs de ces notes auraient pu pourtant se souvenir de ce qu’écrivait Fanon, un auteur de la maison, dans Peau noire, masques blancs : « Quand on m’aime, on me dit que c’est malgré ma couleur. Quand on me déteste, on ajoute que ce n’est pas à cause de ma couleur… Ici ou là, je suis prisonnier du cercle infernal16. » Il s’agit donc d’un processus qui vise à déposséder l’écrivain de l’écriture qu’il entend utiliser et à lui rappeler ce principe qui est au cœur de la colonisation : le colonisateur saura toujours mieux que les Africains ce qu’est l’Afrique. D’où, par contraste, l’intérêt de la note écrite par Jean Cayrol, le seul à avoir considéré ce manuscrit dans sa dimension proprement littéraire en osant retrouver dans les audaces de Ouologuem une sorte de combinaison de Voltaire, Queneau et Jarry.
17Sans reprendre la description minutieuse que Sarah Burnautzki trace de la dégradation des relations entre Ouologuem et le Seuil17, je retiendrai seulement deux moments qui me paraissent essentiels. Le premier renvoie à l’interprétation que l’écrivain se fait du « droit de préférence » qu’il a accepté en signant son contrat et qui l’oblige à réserver à l’éditeur les cinq ouvrage de fiction suivants – mais il retrouve sa liberté après deux refus successifs de ce dernier. Apparemment, Ouologuem n’a pas respecté cette clause puisqu’il publie en 1968 Lettre à la France nègre chez Nalis, en 1969 Les mille et une bibles du sexe et Les moissons de l’amour aux Éditions du Dauphin et en 1970 Le secret des orchidées, toujours chez le même éditeur. Mais des lettres écrites par Ouologuem à son éditeur font état des trois derniers textes et montrent suffisamment que Paul Flamand n’attachait aucune valeur à ceux-ci et qu’il ne pouvait donc se formaliser18. En 1971, Ouologuem soumet au Seuil la première partie d’un roman qui pourrait être considéré comme une suite africaine au Devoir de violence et qui est intitulé Les pèlerins du Capharnaüm. Paul-André Lesort écrit une note de lecture défavorable et l’écrivain en a connaissance alors qu’il est à New York et, tout en entretenant une correspondance avec Lesort pour défendre son texte, il porte plainte contre le Seuil qui, selon lui, lèse ses intérêts19.
18La crise paraît sans solution jusqu’au jour où un événement inattendu surgit qui va y mettre fin. Ce nouvel épisode commence avec la publication dans Le Figaro Littéraire le 13 mai 1972 d’un article de Guy Le Clec’h qui signale dans Le devoir de violence un plagiat constitué par un long emprunt à un roman de Graham Greene, It’s a Battlefield. Les éditeurs de ce dernier mettent rapidement en branle la lourde machine judiciaire et le Seuil abandonne assez vite la partie en cessant la vente de l’ouvrage, non sans avoir auparavant demandé, en vain, à Ouologuem « d’amender les passages incriminés ou de rembourser au Seuil la somme réclamée20. »
Œuvre géniale, œuvre ratée, œuvre nulle
19Les différents jugements qui ont été portés par les éditeurs sur les manuscrits d’Ouologuem ont en commun de s’ordonner autour de la question de la valeur du texte littéraire et, à cet égard, on observe une typologie qui distingue trois catégories principales : l’œuvre géniale (Jean Cayrol), l’œuvre ratée21, ce qui implique que celle-ci peut être améliorée (Paul-André Lesort dans sa note sur Les pèlerins du Capharnaüm), l’œuvre nulle (par exemple, note de « CR » sur le recueil de poèmes La salive noire ou celle de « MC » sur la dernière version du Devoir de violence) et qui, par là-même, ne pourra jamais devenir une œuvre littéraire, quels que soient les remaniements apportés par l’auteur. En outre, cette typologie, notamment les deux dernières catégories, est travaillée ou biaisée par le fait que l’institution éditoriale française tend toujours à imposer à l’écrivain noir une place, une écriture, une africanisation de ses textes.
20Bien sûr, il n’est pas illégitime dans son principe de vouloir apprécier la valeur littéraire d’un texte même si ce genre de questionnement ne peut déboucher réellement sur une vérité définitive : on le constate aisément dans la diversité des opinions exprimées par les différents lecteurs du Seuil et dans l’évolution qui s’est opérée dans l’esprit de certains d’entre eux, par exemple François-Régis Bastide ou Paul Flamand qui ont pesé dans la décision de publier Le devoir de violence.
21D’autre part, c’est l’activité même de lecture d’un manuscrit qui me paraît poser problème. La personne qui se voit chargée par l’éditeur de lire un manuscrit et d’établir une note sur celui-ci est en droit de penser que son jugement sera d’autant plus objectif qu’elle se limite au texte qu’elle doit apprécier et qu’elle ignore à peu près tout de l’auteur du texte. Un tel principe ne peut fonctionner que dans la mesure où le manuscrit est le premier texte que l’auteur se hasarde à soumettre à un éditeur. Mais, dans le cas d’Ouologuem, la situation était différente, y compris lorsqu’il présente au Seuil en septembre 1963, son premier manuscrit, déjà intitulé Le devoir de violence, mais dont l’intrigue et le milieu décrit n’avaient rien à voir avec le roman publié en 1968, puisque dès 1963 il publiait dans Présence Africaine des poèmes, des notes de lecture et des textes pour la chronique « Palabres ». De la sorte, que faut-il prendre en considération : le texte du manuscrit et le texte seul ou le lien susceptible d’exister entre celui-ci et l’œuvre, même si elle est encore embryonnaire ?
22Or, en se centrant uniquement sur le manuscrit remis à l’éditeur, les auteurs de ces notes témoignent d’une absence de curiosité sur la personne de l’écrivain, son parcours, ses aptitudes. Certes, en septembre 1964, quand il présente son recueil La salive noire, Ouologuem avait déjà publié quelques poèmes dont certains seront d’ailleurs repris dans la Nouvelle Somme de poésie du monde noir un peu moins de deux ans plus tard mais comment imaginer qu’un auteur qui avait déjà derrière lui cinq années d’études supérieures dont deux de classes préparatoires22, ne puisse écrire que du « toc » et de la « démagogie », comme devait le lui reprocher « CR23 » ? Il suffit de lire les textes, comme, par exemple, cet extrait du poème Au milieu des Solitudes, pour voir qu’on ne peut guère souscrire à un tel jugement :
« Quand à ma mort Dieu m’a demandé un siècle après
Ce que je voulais faire pour passer le temps
Je lui ai demandé la permission de veiller la nuit
Je suis le nègre veilleur de nuit
Et à l’heure des sciures noirâtres qui gèrent les parages
Lentement je lève ma lanterne et agite une cathédrale de
Lumières
Mais l’Occident se défie du travail noir de mes heures
Supplémentaires et dort et ferme l’oreille
À mes discours que le silence colporte […].
Et vous cependant dormez
Et vous dormez mes frères mais aussi
Le sommeil vous chasse de la terre
Et vous partez pour des minutes de songes
Amplifiés au gonflement de votre haleine ronronnante
Je vous vends gratis des alcools
Que sans savoir vous achetez par pintes quotidiennes
Et retrouvez la nuit transfigurée dans les myriades de feux
Qui rêvent pour vous
Bonne nuit les petits24 »
23De même, il est encore plus étonnant que le manuscrit du Devoir de violence, envoyé au début de 1967, n’ait pas été situé par rapport à des articles antérieurs de Ouologuem traitant de l’histoire de l’Afrique sur sa longue durée. Parmi ceux-ci, je pense en particulier à un texte donné à Présence Africaine, « Marx et l’étrangeté d’un socialisme africain25 ». Ce long article qui traite du développement aurait pu retenir l’attention par l’intérêt que Ouologuem accorde à l’antinomie entre le temps et la conscience :
« L’expérience révèle que le “temps africain” est d’une élasticité qui frise le loisir. Or, peut-on trouver à ce “temps” un principe d’intelligibilité ? Dieu ? la raison ? Et si ces deux solutions ne nous satisfont pas, chercherons-nous son fondement dans l’Africain concret lui-même ? De toute façon, il nous faut penser la nécessité d’une nouvelle philosophie du temps pour ne pas céder au mirage d’une mystification de l’histoire. […] Ainsi nous croyons que toute la difficulté repose en ce qu’il y a une lutte à mort entre le savoir que nous attendons de la conscience africaine, et le temps, qui est la source d’un troisième terme, qui lui est intelligible : mais alors il est au-delà. Or, parvenus à ce point, nous pouvons nous demander si l’incompréhensibilité du temps ne vient pas de ce que l’on a conçu la raison comme intemporelle, trop rigide, c’est-à-dire en fait la raison mathématique. Mais le temps en vérité n’est pas en dehors de l’esprit. […] Il semble donc bien que c’est du côté d’une phénoménologie de l’homme que l’on doive fouiller, et c’est seulement ensuite que le temps est créé, que l’homme fait le devenir et l’histoire26. »
24Certes, la formulation pourrait être plus précise mais on ne peut qu’être sensible à l’effort que déploie ce jeune écrivain de 24 ans sur la relation entre écriture du roman et écriture de l’histoire, que l’on va retrouver au cœur du Devoir de violence. Ce détour par la philosophie paraît en effet nécessaire pour concevoir un récit qui expose le destin tragique du peuple africain tout en rendant possible, à travers ses protagonistes, le sursaut de la liberté, qui vient ainsi mettre un terme à une fatalité qui semblait ne jamais devoir cesser.
25En ces années où Ouologuem se cherche, il me semble aussi qu’on peut déceler dans ses écrits deux postulations sensiblement opposées : d’un côté, comme dans cet article et, plus tard, dans Le devoir de violence, le tragique conçu comme un obstacle absolu auquel l’homme doit tenter un jour de mettre fin, dans la lignée d’Eschyle et de Sophocle plus que de Racine ; de l’autre, une confiance du sujet dans ses propres forces, qui se traduit par un mouvement dansant de l’être comme chez Nietzsche et Rimbaud ainsi qu’on le constate dans des textes retenus par Marc Rombaut dans son Anthologie. Par exemple, ces vers de « J’ai oublié l’orthographe » :
« J’ai oublié l’orthographe
Et c’est miracle si j’arrive à relire tes lettres […]
J’ai couru quelque temps assoupi en ma mort prolongée
Reniflant les amas de cendre de quelques points de
Vieillissement
Un cri m’a échappé
Un cri indolore et guère changé
Au timbre de sincérité
Tu te mariais27. »
26Ici, c’est encore un monde très proche de celui que l’adolescent de Charleville buvait à pleine bouche : « Sensation », « Les réparties de Nina », « La maline », « Tête de faune » etc.28 ; et pas encore celui d’une Saison en en enfer ou des Illuminations. Et, bien sûr, on sentira aussi toute la distance qui nous sépare du Devoir de violence.
Ouologuem et les contre-littératures
27Après la publication du Devoir de violence en 1968, Ouologuem, dans un premier temps au moins, semble s’être conformé à la clause du « droit de préférence » figurant dans le contrat qu’il avait signé, puisqu’il présente au Seuil plusieurs manuscrits de romans : Le secret des orchidées, Les mille et une bibles du sexe, Les moissons de l’amour et Les pèlerins du Capharnaüm. A vrai dire, seul ce dernier roman a fait l’objet d’une lecture par Paul-André Lesort qui en fait état dans une lettre à l’auteur, lui reprochant notamment un manque de contextualisation dans son évocation des légendes africaines29. En revanche, pour les trois autres titres, rien ne prouve qu’ils aient fait l’objet de notes de lectures. Nous ne connaissons l’appréciation de l’éditeur qu’à travers une lettre de Ouologuem à Paul Flamand, du 14 septembre 1971, dans laquelle l’écrivain rappelle à son correspondant le peu de cas – c’est le moins qu’on puisse dire – qu’il a fait des ouvrages en question :
« Vous m’avez précisé que vous aimeriez que je ne gâche pas ma plume quand je vous ai proposé un roman “le secret des orchidées” ; vous l’avez refusé catégoriquement en disant que cela ne vous intéressait pas. Et c’est alors seulement que j’ai porté le dit roman ailleurs. […] Vous m’avez refusé “Les moissons de l’amour”- Qu’est-ce que c’est ? un roman genre Le Matrimoine d’Hervé Bazin, à cela près que les personnages aiment un Berbère aux yeux clairs. Vous avez dit non. Et après votre refus, Bastide, que j’ai eu à déjeuner avec Matthieu Galley m’a dit […] que je ne pourrais plus écrire de meilleurs livre que mon premier, que je sombrais dans le gongorisme, et que je ne pouvais plus faire que de la littérature populaire, du Delly. Or, Les moissons de l’amour ont paru ailleurs. […] Monsieur Montigny30 m’a fait part de vos inquiétudes devant le fait que j’écrivais du roman populaire. Je précise ceci pour bien vous rappeler que l’existence desdits romans vous inquiétaient [sic] quant à mes réelles possibilités futures d’écrivain ; aussi refusiez-vous de les publier, car en fait, vous souhaitiez que je n’eusse jamais eu l’idée de les écrire. Enfin, vous m’avez, en public, […] dit non à mon roman érotique, “Les bibles du sexe”, qui vous ont inspiré la réflexion suivante : “C’est moi qui ai écrit Histoire d’O. Je sais aussi être drôle.”31 »
28Cette lettre que Sarah Burnautzki a retrouvée dans les archives de l’IMEC est particulièrement intéressante sur deux points. Nous voyons d’abord comment l’écrivain cherche à écarter le reproche de ne pas avoir respecté la clause de « préférence », puisque, revenant sur chacun des manuscrits, il tient à préciser que l’attitude négative de Paul Flamand l’a rapidement convaincu qu’il n’était plus tenu par cette clause. Parallèlement, cet échange avec Paul Flamand – et d’une certaine façon aussi avec François-Régis Bastide et Mathieu Galley – amorce un débat sur la valeur littéraire de ces trois œuvres, après la réussite du Devoir de violence. Et, sur ce plan, on voit que le désaccord est total entre Ouologuem et Flamand dont l’argumentation au demeurant est assez flottante. En effet, l’éditeur justifie ses décisions tantôt en se fondant sur le simple fait qu’il n’est pas « intéressé » (critère flou, on en conviendra) ; tantôt, en esquissant un discours critique qui essaie de tenir compte du style de ces nouveaux manuscrits et du genre littéraire dont ils sont censés relever : « gongorisme », « littérature populaire, du Delly ».
29Ouologuem, se garde bien de se battre sur ce terrain-là et son argumentation, pour brève qu’elle soit, est subtile. Que dit-il ? D’abord, qu’il n’y a pas de différence fondamentale entre les personnages et le schéma narratif des Moissons de l’amour et ceux qu’on observe dans Le matrimoine d’Hervé Bazin, un auteur-phare dans le catalogue du Seuil et membre de l’Académie Goncourt depuis 1960. Ce rapprochement intempestif entre les deux romans est un insolent défi. Ouologuem souligne ensuite la contradiction entre ces deux catégories : d’un côté, le « gongorisme » ; de l’autre, la chute irrémédiable dans la « littérature populaire » (autre concept flou) dont les romans de Delly constitueraient un des modèles indépassables. Nous retrouvons ici cette aporie qui est au cœur du discours que les catégories lettrées n’ont cessé de tenir sur la production littéraire (ou artistique) des classes populaires et des peuples « exotiques » : cette production se caractérise-t-elle par une prédominance du simple, du concret, de la pureté des temps primitifs ou est-elle au contraire remplie de complications, de détours, de confusions, de surcharges et de lourdeurs ? Et, lorsqu’il aborde dans cette lettre à P. Flamand la publication des Mille et une bibles du sexe, Ouologuem montre l’inanité d’une telle problématique en distinguant deux aspects : d’une part, le nom de son informateur, Utto Rudolf, qui lui a remis les confessions érotiques consignées sur les carnets et dont le nom est celui de l’auteur de ce livre ; d’autre part, la réalité biographique (un peu enjolivée il est vrai puisqu’il se présente comme éditeur au Seuil) qui lui permet de signer une préface sous son propre nom et de rappeler ainsi la genèse de l’ouvrage : « Les bibles du sexe ont bénéficié d’une exceptionnelle publicité et portaient la marque de mon patronage sur la bande-annonce elle-même, le livre étant préfacé par moi, et signé sous pseudonyme32 ».
30En écrivant ces mots, Ouologuem nous invite à circuler entre les différents noms sous lesquels il a signé ses livres ou ses articles – Yambo Ouologuem, Yambo, Nelly Brigitta, Utto Rudolf – et, contrairement à son correspondant qui reste attaché à une conception hiérarchisante des textes et des genres, il affirme l’unité profonde de ses écrits, quelles que soient leur forme et leur thématique. Certes, quand Ouologuem, pour répondre à la clause de « préférence » stipulée par le contrat, propose au Seuil un roman publié plus tard sous le nom d’Utto Rudolf ou de Nelly Brigitta, il faut faire la part de la dérision et ne pas oublier que le Seuil a été l’éditeur principal de la « nouvelle critique », qui a notamment pourfendu les formes « traditionnelles » du roman et prôné une immanence du texte. Mais cette attitude, dont Paul Flamand et la plupart des lecteurs qui ont établi des notes de lecture sur les manuscrits présentés par Ouologuem font les frais, constitue aussi une prise de position théorique sur la valeur de l’œuvre littéraire : il n’existe pas de frontière véritable entre l’œuvre littéraire et l’œuvre non-littéraire. Et, en définitive, tout ce que l’on peut dire avec certitude des textes de Ouologuem concerne le statut conféré à ceux-ci : Le devoir de violence est considéré comme une œuvre littéraire, digne d’être étudiée et transmise, même si ce roman a suscité bien des réserves en raison, d’une part, de l’image négative qu’il donne du passé précolonial de l’Afrique et, d’autre part, des plagiats dont l’auteur se serait rendu coupable33. En revanche, tous les autres textes se trouvent disqualifiés, sans qu’on sache très bien pourquoi, et renvoyés ainsi au champ des « contre-littératures ».
31Ce partage entre les deux champs peut être observé à l’intérieur de la production d’un même écrivain – c’est le cas ici de Ouologuem –, de la production littéraire d’une société globale – littérature « lettrée » vs littérature « populaire » –, de la production littéraire des différentes parties du monde – littératures « centrales » vs littératures « périphériques ». Dans Les contre-littératures, j’avais insisté sur ce processus, qui s’opère à chaque époque, d’intégration et de rejet des œuvres dans l’un ou l’autre des deux champs – « champ littéraire » et « champ des contre-littératures » – et j’avais montré qu’aucun critère solide (d’ordre esthétique, moral, politique, etc.) ne pouvait le fonder en raison, et qu’on en était réduit par conséquent à prendre acte du processus en question et à le décrire dans sa variabilité incessante34, notamment à travers les instances qui le font fonctionner (institution scolaire et universitaire, critique littéraire, édition, etc.).
32Mais la notion de statut conféré aux textes littéraires et qui se lit en fonction de leur intégration dans l’un ou l’autre de ces deux champs n’a rien de statique, dans la mesure où ce statut se trouve constamment traversé par un double dynamisme. Le premier réside dans la menace que le champ des contre-littératures fait peser sur le champ littéraire, puisque, par sa seule présence, il montre que ce dernier ne réussit pas à fonder ses choix sur des critères véritablement raisonnables et doit se contenter d’une conception implicite et restrictive du littéraire. Le second apparaît dans les tentatives et les stratégies que déploient les écrivains dans l’espoir d’appartenir, aujourd’hui ou demain, au champ littéraire dominant. Mais, comme ce « désir de monter en grade » a quelque chose d’un peu ridicule et ne garantit nullement le succès, d’autres écrivains, et en grand nombre, préfèreront se livrer à la « joie de descendre35 ».
33Ces deux attitudes ne sont nullement exclusives l’une de l’autre et on ne manquera pas, pour s’en féliciter ou, au contraire, pour le déplorer, de constater qu’elles peuvent coexister à l’intérieur de la production d’un même écrivain. Ainsi, La Bruyère estimait que Marot et Rabelais « étaient inexcusables d’avoir semé l’ordure dans leurs écrits36. » Mais ce qui était pour La Bruyère un manque évident de goût, sera pour Hugo la marque même du génie, lorsqu’il dit de Rabelais dans « Les mages » : « Et son éclat de rire énorme/Est un des gouffres de l’esprit ! » De même, il ne faudra pas plus de trente ans pour que le lyrisme flamboyant des Chants de Maldoror sous la signature de Comte de Lautréamont et la platitude des Poésies I et II, sous la signature d’Isidore Ducasse, deviennent, sans doute pour bien longtemps encore, en raison même de leur coexistence, un des horizons indépassables de la Modernité.
34L’œuvre de Ouologuem s’inscrit dans une logique semblable. En effet, il ne s’est pas contenté de produire des œuvres que la critique a réparties tantôt dans le champ littéraire dominant, tantôt dans le champ des contre-littératures. Il a vu tout le profit qu’un écrivain pouvait tirer de l’intersection et de la combinaison des deux champs. Une telle conception, conçue et désirée par Ouologuem lui-même, ne peut avoir qu’une portée théorique évidente. C’est pourquoi les critiques qui lui ont reproché sa complaisance pour les « mauvais genres », qu’il s’agisse des romans « sentimentaux » parus sous la signature de Nelly Brigitta ou de textes « pornographiques » comme le roman signé Utto Rudolf, sont passés à côté de l’essentiel, à savoir la capacité de cet écrivain à jeter un regard surplombant sur le fait littéraire37. On notera enfin que Ouologuem ne s’est pas contenté de pratiquer ces mauvais genres. Il a tenu aussi à s’analyser comme sujet producteur d’une œuvre qu’il voulut inclassable et, à cet égard, tout ce qu’il dit dans les douze missives de Lettre à la France nègre sur la façon de produire des textes qui vont avoir tel ou tel effet sur le public de la « France nègre » me rappelle étrangement les développements de cet autre grand théoricien des contre-littératures, Raymond Roussel, dans Comment j’ai écrit certains de mes livres. Et cela, sur deux plans : d’un côté, la question de certains procédés techniques de composition exposés dans le premier chapitre ; de l’autre, l’écriture de textes apparemment « sentimentaux » comme, par exemple, la nouvelle qui a pour titre « Nanon » et dont l’incipit et l’explicit sont constitués par une phrase presque identique : « Le repentir de la prise sur les anneaux du serpent à sonnettes s’empara de moi dès les premiers essais » et « Le repentir de la prise sur les anneaux du serpent à sonnets38. »