Le maquis camerounais. Écriture romanesque de la mémoire vivante dans Confidences de Max Lobe
1En examinant la littérature francophone d’Afrique noire de ces cinq dernières décennies, on est frappé par le fait que, contrairement à ce qu’on constate en Algérie1 où « la guerre de libération [a] habité, d’une manière ou d’une autre, l’imaginaire de tous »2 et, dans une certaine mesure, à Madagascar, très peu d’écrivains francophones font de la guerre d’indépendance du Cameroun, de son histoire et de sa mémoire leur principale source d’inspiration3. De décembre 1956, date de l’annonce de la mise en place de la branche armée de l’UPC (Union des Populations du Cameroun4) au 13 septembre 1958, date de la mort de Ruben Um Nyobé, le Cameroun fut le théâtre d’une violente guerre d’indépendance dirigée contre des hommes et des femmes que le pouvoir colonial accusait de rébellion5. Si la répression coloniale frappa d’abord les membres et les sympathisants de l’UPC retranchés dans les différents maquis, elle s’étendit ensuite à la quasi-totalité des populations habitant les forêts du pays Basaà. De ce chapitre tragique de l’histoire de l’Afrique contemporaine, Max Lobe a tiré Confidences, un roman qui fait revivre les moments importants de ce conflit que l’auteur a pris le soin d’insérer dans un contexte plus récent6. Confidences véhicule ainsi le souci de réhabiliter un mouvement de résistance et son leader, victimes d’une forme de damnatio memoriae7, tout en s’inscrivant résolument dans un propos en inadéquation complète avec le discours et l’histoire officiels. Il faut dire que de nombreuses voix s’accordent aujourd’hui pour dénoncer le défaut de vraisemblance de certains témoignages, le manque de vérité des discours officiels et surtout l’absence d’une véritable politique mémorielle qui intégrerait aussi bien la commémoration et l’hommage aux victimes, un travail de deuil collectif et individuel qu’un travail scientifique sur les faits et leurs interprétations objectives. À ce propos, Achille Mbembe regrette à juste titre qu’« écrits, colloques, débats, discussions même, susceptibles de faire surgir une pensée différente, n’ont pu éclore, du fait de l’autocensure et surtout des conditionnements politiques de divers ordres »8. À bien des égards, la guerre d’indépendance du Cameroun se présente encore aujourd’hui comme un événement interdit qui, d’une certaine manière, n’a pas cessé d’embarrasser l’ancienne puissance coloniale9 et le pouvoir postcolonial10. Le seul fait de publier cette œuvre et la forme qu’emprunte le récit participe ainsi d’une bataille pour le devoir de mémoire contre le silence de l’État11. Notre intérêt pour cette question ne porte pas uniquement sur ce qui s’est effectivement passé. Nous ne poserons pas la question de la vérité des faits et des événements. Nous voulons surtout interroger les représentations des populations qui ont vécu ces évènements tragiques, et étudier la manière dont ce passé structure la trame romanesque.
2Max Lobe a donné à son roman le titre Confidences, une dénomination particulière qui dévoile l’intention de l’auteur en même temps qu’elle précise la forme de ce qui est rapporté et le contexte de l’échange. Le plus souvent transmise de façon orale, les confidences supposent le secret autour de ce qui est transmis et une relation de confiance entre les interlocuteurs. Or Confidences de Max Lobe développe une triple perspective qui ouvre sur le dévoilement, la médiation entre le passé et le présent et un fort désir d’immortalisation de Ruben Um Nyobè, l’une des figures emblématiques de l’histoire africaine. En effet, le récit de la rencontre entre le jeune narrateur12 originaire du Cameroun et résidant en Suisse, pour enquêter sur le héros de la guerre d’indépendance Ruben Um Nyobè, et Mâ Maliga, une rubeniste survivante de la guerre de décolonisation, porte une attention soutenue aux événements dont le pays Basaà et sa région immédiate ont été le théâtre. Plus qu’une chronique de la guerre d’indépendance, le roman à caractère biographique cherche à exprimer des sentiments, des aspirations d’une génération qui ne semble pas avoir trouvé sa place dans l’histoire postcoloniale du Cameroun. En ce sens, l’idée de confidences permet d’enrichir, d’approfondir et de repréciser notre compréhension des modalités de mise en écriture des violences coloniales. La perspective retenue par l’auteur signifie surtout que l’accent sera mis sur la petite histoire, l’histoire personnelle et le vécu de Mâ Maliga comme moyen d’entrer dans la complexité de la grande Histoire, celle de la décolonisation en Afrique francophone13.
3Tout comme Les Maquisards de Hemley Boum, Confidences de Max Lobe construit une trame événementielle autour des principaux moments de cette guerre peu connue des nouvelles générations d’Africains, en dehors des cercles des spécialistes et des familles des victimes, et peu médiatisée. Dans cette perspective on peut aisément considérer que Confidences est l’aboutissement des années de réflexions de l’écrivain sur la mémoire coloniale et sa transmission aux générations qui n’ont pas vécu les événements ; étant entendu que les leaders de l’UPC (Ruben Um Nyobè, Félix Moumié, Ernest Ouandié, Abel Kingué) demeurent les grands absents de l’histoire officielle. Cette démarche prend tout son sens à la lumière de cette interrogation de l’enquêteur-narrateur : « quel est l’intérêt pour un jeune comme moi qui n’a pas vécu les événements de connaître l’histoire de Um Nyobè ? »14. Pour Max Lobe, il y a urgence parce que les survivants de cette tragédie humaine sont de moins en moins nombreux et le régime postcolonial, héritier du pouvoir colonial, empêche un véritable travail de mémoire. Or, comme l’explique Hemley Boum, la guerre de décolonisation du Cameroun a été un choc profond pour les hommes et les femmes de la génération de ses grands-parents15. Endosser, fût-ce le temps de la fiction, le rôle de témoin et de gardien du souvenir de cette guerre devient un devoir de mémoire. À la suite de Mongo Beti16 et d’Achille Mbembe17, Max Lobe s’efforce de démontrer qu’un retour sur le sort de Ruben Um Nyobè résulte d’une prise de conscience historique propre à chaque collectivité humaine. Mbembe, qui a publié l’une des premières études sur cette question, déplorait l’absence de travaux sur cette guerre en ces termes :
Nous ne disposons guère, à l’heure actuelle, d’études sérieuses sur ce qui s’est passé. À ma connaissance, personne n’a, jusqu’à présent, eu accès aux archives militaires françaises. Lors de la rédaction de ma thèse, j’avais à plusieurs reprises sollicité du Ministère de la Défense l’accès à ces documents qui m’a été chaque fois refusé18.
4Une dizaine d’années plus tard, les choses n’ont pas véritablement évolué malgré une prise de conscience de plus en plus forte.
5Confidences s’inscrit dans un processus de production du sens et de construction d’une mémoire collective qui se démarque de l’historiographie en ce qu’il fait le choix de la fiction. Son texte fait la part belle au vécu des protagonistes, à l’anecdote, au fait divers, à l’informel. Pour ce faire, l’enquête du narrateur mobilise le souvenir de Mâ Maliga sur des faits qui se sont produits quelque cinquante ans auparavant, alors qu’elle n’était qu’une jeune femme d’une vingtaine d’années. Mâ Maliga ne partage pas uniquement une expérience de la violence et de l’engagement politique, elle restitue des discours, des sentiments, des manières de voir et de penser le monde. Cette approche de l’écriture de l’histoire, assez classique par ailleurs, fait apparaître de nouveaux enjeux qui ne relèvent pas uniquement de l’intérêt historique. Elle pose la question des médiateurs, de la mise en fiction de l’histoire dans la construction d’une mémoire collective19.
6Notre travail ne posera pas la question de la légitimité ou de la non-légitimité du texte littéraire comme lieu d’élaboration d’un discours historique. En revanche, il se concentrera sur les particularités du discours littéraire comme lieu de construction du sens20. Notre approche consiste à interroger les modalités d’inscription de l’événement historique dans la fiction romanesque et à décrire les conditions d’émergence d’un contre-discours. Plus généralement, nous nous demanderons comment s’accomplit la transmission du savoir historique dans le roman et comment la mise en fiction du récit de vie et de la mémoire participe à la continuation d’une tradition de l’écriture mémorielle dans le champ des littératures francophones.
Un art du dire : le rôle de la parole dans Confidences
7Dans une réflexion sur l’illusion qui consiste à considérer que « les récits de vie seraient la capture d’une parole authentique, non filtrée, brute, alors que la littérature, qu’elle soit réaliste ou post-moderniste, jouerait toujours sur du reconstruit, sur du typique au sens lukacsien du terme, produirait du “mentir vrai” »21, Régine Robin fait le choix de la fiction comme le seul lieu capable de « faire parler les silences de l’Histoire22 » Max Lobe s’inscrit dans cette tradition.
8Avec l’apparente improvisation du témoignage de Mâ Maliga, Max Lobe pose la question de la tradition orale en même temps qu’il permet d’entrevoir le statut ambigu de cette forme et les points de tension des différents modes de transmission de l’histoire. Son roman est en filigrane une réflexion sur les modes d’énonciation et la forme d’une écriture de l’histoire qui a fait le choix de l’anecdote pour « faire parler les silences de l’Histoire » (Robin). Le travail de l’enquêteur-narrateur consiste donc à recueillir le témoignage de Mâ Maliga, près de quatre-vingts ans au moment de l’entretien et âgée d’une vingtaine d’années au moment des faits, et à le consigner par écrit pour la postérité. Il s’agit donc d’un travail de documentation et d’archivage à la manière de l’anthropologue ou de l’historien qui permet de saisir une parole marginale et de la fixer.
9En explorant soigneusement les traces de la guerre dans la mémoire de Mâ Maliga, Confidences fait émerger une voix qui peut être qualifiée d’originale à de nombreux égards. D’une part, Mâ Maliga n’est pas un héros de la rébellion, elle n’a donc pas été au centre des événements. Contrairement à sa mère qui prenait régulièrement part aux meetings de Ruben Um Nyobè, Mâ Maliga est présentée comme une victime collatérale de la violence coloniale. Elle n’était pas directement engagée dans la rébellion, même si elle a été témoin et victime des pires exactions de la police coloniale. D’autre part, il s’agit d’une jeune femme sans réel bagage intellectuel. Dans une société patriarcale où la parole est confisquée par le père, le mari et les anciens, sa parole, ses sentiments, ses aspirations ne comptent pas. Ici, une chose ne pouvait se faire « qu’avec la volonté de son mari », comme elle l’explique à propos de sa mère23. Enfin, son mode de communication, la parole orale constitue elle-même un moyen d’expression déprécié et dénoncé dans une société où le colonisateur a imposé le diktat du français et de l’écrit. Symboliquement, elle s’oppose à son père présenté pour l’occasion comme un défenseur d’une culture « élitiste » occidentalisée. Elle traduit alors sa révolte virulente contre l’éducation à la française et la stratégie d’acculturation imposée par le père tout en déconstruisant le discours paternel et sa phraséologie se structure sur le mode d’un spasme qui secoue le récit lui-même : « Tu sais, mon père trouvait que tout ou presque tout autour de lui n’était que barbarie. C’était son mot : barbarie ! […] Mal parler français. Mais alors là ! Oh là là ! Mal parler français ? Ou dire du mal des Poulassi ? Ah ça non oh… ce n’était plus de la simple petite barbarie seulement. C’était de la baar-ba-riiieuh ! C’était grave. Très grave même »24.
10L’origine de la protagoniste et son statut de survivante confèrent à son témoignage un poids certain. Au départ, on ne sait que fort peu de chose de Mâ Maliga. Ce sont des confidences insérées dans l’ensemble du texte, qui éclairent les différentes étapes de sa vie, comme l’enfance, la scolarité, les métiers de son père et de sa mère, le mariage, puis la naissance de son fils Makon. Dans son récit, centré sur le point de vue et le regard de la narratrice, tous les événements du quotidien sont mis en parallèle avec les événements sociopolitiques.
11Du point de vue de l’écriture du témoignage, Confidences est une mise en scène de la valeur performative de la mémoire qui repose sur les propriétés de la mémoire communicationnelle telles que présentées par Jan Assmann, à savoir les expériences biographiques, l’interaction quotidienne et les relations interpersonnelles, l’informel et l’éphémère. Jan Assmann précise que la mémoire communicationnelle renvoie au domaine de la communication orale et ne peut se maintenir au-delà de trois ou quatre générations25. Chez Max Lobe, la mise en scène de la dimension performative de la mémoire fait d’autant mieux ressortir l’intérêt d’une approche fondée sur la mémoire communicationnelle qui épouse les formes de l’événement et la culture des victimes que nous avons opté dans un premier temps pour l’étude de la forme du témoignage. Quelle que soit sa valeur historique, le témoignage de Mâ Maliga composé d’anecdotes et de faits réels donne une nouvelle vie aux événements tragiques de la guerre d’indépendance. Elle fait appel à sa mémoire pour faire revivre le passé qu’elle convoque de manière assez singulière, comme nous allons le voir.
12La rencontre entre l’enquêteur et premier narrateur et Mâ Maliga commence par une sorte de rituel. Mâ Maliga propose à son interlocuteur du matango (« vin de palme »26). En réalité, l’entretien est ponctué par des pauses plus ou moins longues où ils dégustent du vin de palme à petites gorgées. Mâ Maliga explique chaque fois que le vin de palme permet d’animer ses émotions27 et « à ses souvenirs de se mettre en ordre »28. Toutefois, ce qui est présenté pour l’occasion comme un stimulant pose la question de la fiabilité de son témoignage même si Mâ Maliga s’empresse toujours de préciser : « Je ne suis pas le genre de femme exagéreuse qui ajoute le sel, le poivre et même le ndjansan à toutes les sauces. Non, non et non. Je dis seulement ce que je sais. […] Ce que je vais te dire ne doit pas être transformé comme un mauvais vin de palme »29. Quelques pages plus loin, elle assure son interlocuteur ne s’en tenir qu’à ce qu’elle a vu : « Je vais te raconter la vraie vérité sur tout ce que je connais dans cette histoire-là. Ni plus ni moins »30. Le rite du matango n’a effectivement aucun sens si on ne le met pas en parallèle avec le terroir où le partage de cette boisson locale relève de la convivialité. Il crée une proximité entre les deux interlocuteurs et facilite les confidences. Tout l’intérêt de ce récit vient du fait que l’auteur a su marquer l’attention par la sincérité absolue des images nées de l’expérience immédiate et de la force originale de son langage.
13Reprenant à son compte la maxime latine in vino veritas (Dans le vin, la vérité), Max Lobe nous présente un personnage généreux et volubile à l’extrême. Mâ Maliga enchaîne des anecdotes à l’envi avant d’être recadrée par le narrateur. Il arrive aussi qu’elle reprenne le cours de ses idées après une longue digression, montrant par là même qu’elle a la pleine maîtrise de son récit. Elle enchaîne aussi les événements, passe d’un événement à un autre au gré de son humeur et des dispositions de sa mémoire. Elle répond aux questions du narrateur-enquêteur sur le maquis et sur les conditions de la mort de Ruben Um Nyobè. Toutefois, elle ne se sent pas toujours obligée de répondre à telle ou telle autre question ou de suivre le protocole du narrateur. Les affirmations de Mâ Maliga peuvent varier d’un instant à un autre ou d’une situation à une autre, même si elle s’empresse toujours de rassurer son interlocuteur sur la qualité de son témoignage. L’authenticité dépend souvent de son degré d’implication personnelle et de celui des membres de sa famille dans l’événement raconté. Lorsqu’elle a vécu les événements, le ton est assuré et l’émotion forte comme en témoigne sa critique du parti pris de l’église catholique pour le pouvoir colonial :
J’aimais beaucoup le père Saint-François de la Xavière jusqu’au jour où il est venu dire à l’église, en pleine messe du dimanche, que supporter notre grand frère à nous, Um Nyobè, notre Mpodol, c’était pécher devant Dieu. Depuis ce jour-là, moi Maliga qui te parle, je l’ai enlevé de mon cœur avec mes deux mains-ci que tu vois et je l’ai mis loin de moi. Loin-loin31.
14Mâ Maliga fait allusion à une prise de position de l’église catholique en avril 1955 mettant en garde les chrétiens contre l’UPC32. C’est exactement la même tonalité que l’on retrouve lorsqu’elle raconte les événements de Douala souvent cités par les historiens comme l’un des points culminants de la répression coloniale.
15Femme d’un tempérament très marqué, la langue de Mâ Maliga est expressive, hybride, imagée et colorée, composée d’expressions de la culture et de la langue basaà qu’elle mêle au français. Concrètement, le récit fait appel à la fonction émotive du langage, il multiplie les grossissements, les scènes tragicomiques où l’ironie permet d’établir une distance avec les représentations officielles. Ici, l’ironie repose sur une présentation subtile des contradictions, des mensonges et du cynisme du discours officiel comme on le voit dans la dénonciation du code de l’indigénat :
Je te dis que c’est avec leur code-là qu’ils faisaient tout ici comme ils voulaient. Avec ça, ils auraient pu facilement condamner ma mère à toutes sortes de condamnations si elle avait décidé comme ça d’arrêter de travailler chez les Pardieu. Ça aurait pu être des travaux forcés pendant des mois et des mois dans les carrières pour casser la pierre […], ou bien des coups de fouet en public sur la place du marché à Boumnyébel, ou bien…33
16Dans un récit qui vit surtout par l’afflux de la sève populaire, l’auteur laisse Mâ Maliga parler le langage des classes populaires au Cameroun pour coller au plus près de la réalité sociale et culturelle et traduire ses émotions. Le langage expressif de la narratrice devient une des principales ressources d’un art de raconter original, qui vise toujours à dire, par-delà son objet immédiat, quelque chose de plus profond et de plus complexe : le sentiment d’avoir vécu et de vivre encore, plus d’un demi-siècle après la rébellion contre le système colonial, une double injustice. La première injustice concerne le refus des autorités coloniales françaises d’accéder à la demande d’indépendance, principale revendication de l’Union des Populations du Cameroun. La deuxième injustice touche au silence complice des autorités postcoloniales qui ont gommé ce chapitre de l’histoire officielle et interdisent toutes références aux exactions de la police coloniale et au maquis. Pour le narrateur, Mâ Maliga est une source idéale ; orale, rurale appartenant à l’ethnie basaà, éloignée du discours lettré et francophone qui reflète la pensée des élites politiques et administratives. Elle est authentique par ses origines, par sa condition sociale, par sa parole. En réalité, cette prise de parole est le moyen nécessaire, le plus efficace, d’un récit qui mise surtout sur les affects, la profondeur et la subtilité des confidences, et sur la valeur performative de la mémoire.
17En même temps l’auteur montre de manière subtile les limites de cette pratique mémorielle notamment lorsqu’il s’agit de se situer dans le temps. Il arrive que Mâ Maliga hésite entre deux dates : « C’était Um Nyobè en personne. Ça devait être en 1951. Ou 1952 ? Verse-moi encore un peu de mon bon vin de palme pour que mes souvenirs se mettent bien en ordre dans ma vieille tête-ci… Je crois que c’était en 1952 »34. Mâ Maliga doit également faire un effort supplémentaire lorsqu’il s’agit des noms : « Je ne me souviens plus bien de tous les noms. Eh mon fils, tu sais, le temps a mangé ma tête ! »35. Pour reconstruire les événements, la narratrice a besoin de repères. Elle fait appel à des cadres socioculturels (aux rituels, aux cérémonies culturelles ou aux activités du quotidien) pour situer les événements dans le temps : « C’était un vendredi… non… un samedi. Uhum, un samedi, parce que nous ne partions ni au champ ni à l’église, le samedi. Le samedi était un peu comme notre journée de repos »36. La mémoire de Mâ Maliga semble s’altérer avec le temps. Même si elle est confrontée à l’oubli au sens où l’entend Ricœur37, la mémoire de la narratrice conserve intacte l’émotion lorsqu’elle évoque les faits eux-mêmes.
18Il faut bien l’admettre, il s’agit bien d’une mise en scène de la lutte contre « l’érosion de la mémoire »38 que livre Mâ Maliga puisque chaque fois, elle se ressaisit et retrouve sa mémoire comme le montre cet exemple : « Je sais juste qu’il y avait un certain Mbida, un fils du pays Béti. Qui encore ? Heeein… oui, uhum, il y avait aussi Soppo Priso. Voooilààà. Oui, Soppo Priso, un fils du pays Douala »39. Au-delà de la dimension performative, cette mise en intrigue rappelle le fonctionnement de la mémoire individuelle et les particularités de la transmission orale40. Selon Assmann la mémoire communicationnelle est une forme de la mémoire collective qui se constitue et se transforme de manière spontanée et sans règles : elle serait « difforme », « arbitraire » et « éphémère »41. C’est parce qu’elle reconnaît les limites de sa mémoire que Mâ Maliga propose à l’enquêteur-narrateur de recourir aux services de celles qui ont vécu les mêmes événements pour compléter son récit42, confirmant ainsi l’une des principales thèses de Maurice Halbwachs à savoir que « […] nos souvenirs s’appuient sur ceux de tous les autres, et sur les grands cadres de la mémoire de la société »43. Le sens de la proposition de Mâ Maliga se comprend aisément si l’on tente de comprendre l’intention de l’auteur. En réalité, Max Lobe pose de manière subtile deux problèmes : le premier concerne l’altération de la mémoire chez un témoin de près de quatre-vingt ans. Le second, fortement liée au premier, renvoie aux mécanismes de transmission de la mémoire propre aux sociétés de l’oralité. Mais au-delà de ces deux considérations, c’est la question du devoir de mémoire que pose Max Lobe.
19D’emblée il faut reconnaître que c’est le déni et la réalité d’une mémoire empêchée44 qui rend urgent, pour de nombreux auteurs45, le retour sur la guerre d’indépendance au Cameroun conduisant à en consigner la mémoire de manière symbolique par écrit pour la postérité. Car, comme le rappelle Philippe Dewitte, « la mémoire n’est pas l’histoire, c’est bien connu, car elle est chargée de subjectivité. Elle met en relief la dimension humaine du passé, mais elle méconnaît les règles de Clio, et on peut à tout moment mettre en doute sa véracité »46.
20Confidences présente l’écrivain au travail. On le voit, comme un spécialiste de l’histoire orale, décrire le contexte de sa recherche, présenter sa démarche et ses interlocuteurs et interroger le passé, avec l’ambition de le ressusciter et de le partager par devoir de mémoire. Comme nous allons le voir, l’auteur-narrateur a su insérer dans son roman des aspects historiques importants malgré une reconstitution pittoresque des événements. En se référant à des événements familiaux (mariage, naissance, décès, etc.), ce n’est pas uniquement l’histoire du maquis qui s’écrit, ce sont des destins particuliers, des lieux, une culture et une époque que l’on découvre.
Les « images-souvenirs »47
21L’enquête de l’auteur-narrateur mobilise donc les souvenirs de la narratrice seconde Mâ Maliga sur des faits qui se sont produits entre 1956 et 1958, soit une soixantaine d’années auparavant. C’est le principe de reconstruction de la mémoire qui fait appel aux éléments de la biographie et de l’expérience personnelle de la guerre de l’indépendance qui oriente le récit de Mâ Maliga. Elle joue ainsi le rôle de médiatrice48 entre les générations comme elle l’annonce sous forme de boutade dès les premières pages du roman : « […] Il ne faut pas que tu ailles salir mon nom partout jusqu’à chez vous là-bas, chez les Blancs, en disant que moi Mâ Maliga je suis une méchante femme, que je refuse de transmettre ce que je sais de notre histoire… »49.
22La mémoire de Mâ Maliga fonctionne à partir de ce que Maurice Halbwachs a appelé les « images-souvenirs »50 c’est-à-dire des images d’événements, de personnes ou de lieux qui portent en eux une signification pour une communauté. Comme le rappelle très justement Halbwachs « [l]e plus souvent, si je me souviens, c’est que les autres m’incitent à me souvenir, que leur mémoire vient au secours de la mienne, que la mienne s’appuie sur la leur. … C’est en ce sens qu’il existerait une mémoire collective et des cadres sociaux de la mémoire, et c’est dans la mesure où notre pensée individuelle se replace dans ces cadres et participe à cette mémoire qu’elle serait capable de se souvenir »51. Le roman de Max Lobe peut se lire à partir des « images-souvenirs » telles qu’elles ont été décrites par Maurice Halbwachs. Nous avons retenu trois « images-souvenirs » qui permettent à Mâ Maliga de reconstruire et de structurer son expérience des événements de la guerre d’indépendance : 1°) les émeutes de mai 1955 qu’elle a vécues à Douala avec sa tante Pierrette Ngo Bayiha ; 2°) l’internement de Mâ Maliga dans un camp ; et 3°) l’annonce de la mort de Ruben Um Nyobè.
23Max Lobe procède par sélection dans un récit qui ne se soucie pas de l’enchaînement des événements mais qui met en avant les impressions et la perception des événements par les populations victimes des violences52. De tous ces événements, les émeutes de mai 195553, qui correspondent avec l’arrivée de Roland Pré comme Haut commissaire de la République française au Cameroun de (1954-1957)54, ont fortement marqué la mémoire de Mâ Maliga comme elle l’explique à son interlocuteur : « Je garde jusqu’aujourd’hui un très mauvais souvenir de ma première visite en ville... il y avait la guerre là-bas »55. Le projet de Roland Pré56, surnommé dans le roman « Roland des Poulassi », est double : premièrement, il s’agit d’initier des réformes sur le plan législatif et administratif, améliorer les conditions de vie et de travail des « indigènes » et mieux intégrer les populations rurales dans la gestion du pays. Deuxièmement, il fallait appliquer une politique de fermeté et mettre fin à l’activisme de l’UPC et des autres mouvements indépendantistes. Ce sont justement ces initiatives de Roland Pré pour présenter son plan d’action aux populations et, ainsi affaiblir l’UPC et Um Nyobè qui sont largement commentées par les passagers du taxi-brousse qui emmène Mâ Maliga et sa tante à Douala57 : « Le monsieur Roland des Poulassi est devenu vraiment bête de colère. Pour cela, il a dit qu’il ne veut plus entendre parler ni des meetings de l’UPC, ni de notre frère Um »58. Mais, ce n’est qu’à son arrivée à Douala New-Bell qu’elle constate que ce qui, jusque-là, n’était que discours et menaces s’est très vite mué en violences physiques ; les forces coloniales réprimaient dans le sang un mouvement de contestation : « Je te jure qu’il y avait une vraie-vraie guerre que je n’avais jamais vue de mes yeux. Je l’ai vue ce jour-là, en direct, en tête-à-tête, cachée dans un caniveau avec ma tantie »59. Dans toute cette explosion de violence, c’est surtout l’image d’une jeune femme à l’avant-bras gauche amputé qui va marquer Mâ Maliga pour le reste de sa vie au point de lui inspirer une comparaison plutôt singulière :
Près de nous, dans notre cachette, nous avons découvert, pleine de peurs, une jeune femme, peut-être de mon âge. Elle avait le bras gauche coupé au niveau du coude. Une partie dansait comme ça à l’air libre comme une mangue trop mûre qui va bientôt se détacher de sa branche. Elle perdait tout son sang. Ce sang dans lequel nous avions plongé pour nous cacher60.
24Sans le vouloir, sa tante et elle se retrouvent au cœur de l’un des épisodes les plus sanglants de la guerre d’indépendance. Pour échapper à la mort, sa tante est obligée de décapiter une jeune femme agonisante :
Je sais seulement qu’à un moment donné, ma tantie Ngo Bayiha a pris son couteau qu’elle avait dans son sac, celui-là même qui lui servait à couper ses plus gros tubercules de manioc pour en montrer les qualités à ses clientes, et elle a coupé, comme ça, d’un seul mouvement net, tac, le cou de la jeune femme blessée […]61.
25Il est d’ailleurs significatif que Mâ Maliga évoque plusieurs fois cette image traumatisante au cours de l’entretien62 ; elle restera toujours obsédée par le corps de cette jeune femme gisant dans un caniveau de Douala.
26La deuxième image correspond à l’arrestation de Mâ Maliga et de sa mère Mâ Tonyè et leur internement dans un camp par la police coloniale. Du point de vue de l’histoire politique de la colonie, cet événement correspond à l’arrivée de Pierre Messmer comme Haut-commissaire de la République au Cameroun (1956-1958). Cette arrivée est d’ailleurs évoquée par Mâ Maliga en ces termes : « Et c’est le Messmer-là qui avait dit qu’il faut que les gens viennent voter pour choisir eux-mêmes ceux qui devaient nous diriger vers le Kundè qu’on voulait tant. […] Um Nyobè disait que le Messmer que les Poulassi avait envoyé n’était pas très différent de leur Roland d’avant-là »63. On ne peut dès lors s’étonner si, avec Messmer64 la confrontation entre dans une nouvelle phase tout aussi violente qu’à l’époque de Roland Pré, comme le confirme le Haut-commissaire dans ses mémoires : « Désormais, ma stratégie sera simple, explique Pierre Messmer, ayant réussi à contenir la révolte de l’UPC dans son berceau du pays bassa, je l’y étoufferai. Et j’y parviendrai, remportant l’un des deux succès français de l’après-guerre contre des insurrections outre-mer (l’autre étant Madagascar) »65. Et comme il le confirme dans le film documentaire66, Pierre Messmer est l’instigateur de la politique de regroupement des populations dans des camps au pays Basaà. C’est ainsi, rapporte Mâ Maliga, qu’un jour, sous une pluie tropicale, son village Ngok-Bassong est pris d’assaut par la police coloniale67. Sa mère et elle, enceinte de son fils Makon, sont ensuite transférées manu militari dans un camp qui regroupait essentiellement des femmes : « Beaucoup de femmes. Elles pleuraient. Leurs enfants aussi. ‘Qu’est-ce que nous leur avons fait de mal ? Qu’est-ce que nous avons fait de mal aux Poulassi ? »68. Dans ces camps toute forme de protestation se termine souvent dans un bain de sang, comme ce jour où raconte Mâ Maliga, « on a entendu des coups de feu. Taratatata ! Taratatata ! La foule s’est éparpillée. Les cris de détresse partout. Des cris de douleur. Des larmes, des pleurs. Je me suis souvenue de ce que j’avais vécu à Douala New-Bell avec ma tantie Ngo Bayiha. Ah mon fils, quelle douleur je n’ai pas dans ma vie »69.
27La dernière « image-souvenir » renvoie à l’annonce de la mort de Ruben Um Nyobè. Mâ Maliga et sa mère sont sorties de leur train-train quotidien « au grand camp de Ngok-Bassong »70 par la nouvelle du décès de Mpodol. Les populations des différents camps sont emmenées à Ndjock-Nkong pour qu’elles constatent d’elles-mêmes que « […] leur Mpodol est mort »71. Mais c’est surtout autour du lieu où étaient exposées les dépouilles d’Um Nyobè, Yem Mback, de Ngambi et de Ngo Kom que se cristallisent les souvenirs de la narratrice :
Il fallait voir leur corps. Méconnaissables. Nous avons appris qu’ils les avaient finis près de la grotte de Libel Li Ngoï, après le village de Bog. […] Ils avaient traîné leurs corps à même le sol jusqu’ici-là. On nous demandait de le reconnaître. Mais est-ce qu’ils étaient reconnaissables ? Un visage enflé. La peau déchirée72.
28Raconté de manière rétrospective, le récit de Mâ Maliga s’organise autour des « images-souvenirs » qui construisent une continuité entre des événements distants de trois ans. En même temps, la narratrice construit une sorte de logique de cause à effet qui donne l’impression d’une progression continue des faits. Ces images sont le reflet d’une violence sans limite où des innocents deviennent par la force des choses des assassins. La violence est omniprésente et se glisse partout, elle touche toutes les couches de la société où l’autodéfense s’impose comme l’unique garantie de survie. Au-delà de la violence elle-même, ce sont les moyens mis en œuvre pour la représenter qui retiennent l’attention. Le récit de Mâ Maliga est spontané, immédiat et brut. Elle sait raconter, créer l’impression de la fatalité, d’un enchaînement de causes ; ses expériences de la violence coloniale, où la précision ferme du détail, et l’imagination forte avec laquelle le récit est conduit, contribuent à la mise en scène, sont assez prenants. Présenter ces événements sans les déformer et sans détour, dans leur dureté, c’est offrir à l’esprit du lecteur les suggestions les plus directes et les plus sûrement efficaces. Le choc même de la violence coloniale nous est ainsi révélé, avec une telle force qu’une adhésion à la cause de Mâ Maliga est assurée. Pour Max Lobe, le roman du maquis doit éviter toute abstraction et rechercher en permanence comment exprimer les sentiments des victimes et comment fixer la réalité : il use donc d’une stricte économie du langage ; et il accorde à la couleur locale toute sa valeur dans l’élaboration de l’effet total. Il rejoint ainsi le plaidoyer de Mbembe, lorsque parlant de Ruben Um Nyobè, il exprime la nécessité de laisser les « couches assujetties racont[er] elles-mêmes l’histoire de la domination qui en vint à peser sur elles et déterminent la signification exacte qu’il convient de donner aux luttes qu’elles mènent. »73 Cette prise de parole « dévoile les logiques qui sous-tendent leurs actions. Elles [les couches assujetties] éclairent le sens de leurs protestations, décrivent les formes de répression dont elles sont victimes, énoncent leurs espoirs et leurs aspirations »74.
29Si nous avons choisi de suivre la trajectoire de Mâ Maliga, à différents moments de sa vie, ce n’est pas seulement pour éclairer et comprendre les faits relatés et juger de leur validité historique. L’étude de la parole et de sa mise en écriture a permis de saisir l’arrière-plan sociologique et culturel sur lequel s’appuie le récit de la guerre d’indépendance. Cet effort de recontextualisation est d’autant plus légitime qu’il s’agit dans ce roman de reconstruction d’une mémoire et de transmission d’un héritage. La mémoire du témoin est sollicitée dans le but d’apporter un témoignage authentique et d’édifier les plus jeunes générations. Max Lobe met en scène une mémoire spontanée, aussi peu influencée que possible par le narrateur et par l’environnement immédiat. Dans ses nombreuses digressions, elle restitue des manières de penser, partage des réflexions sur l’opportunité de cette lutte pour l’indépendance, pointe la violence politique, relève le rôle des femmes et dénonce la complicité de l’église. Étudié sous des angles divers dont celui de la méthode biographique qui consiste à mettre en parallèle les événements historiques avec le vécu de la principale protagoniste et celui des « images-souvenirs » développé par Maurice Halbwachs, ce récit nous a permis d’observer les modalités selon lesquelles se construit la mémoire communicationnelle. Cette distinction symbolique marquée par ses origines sociale et culturelles permet de dégager une présentation fondamentalement différente de celle des historiens comme Mbembe75. C’est dans ce permanent va-et-vient entre les faits historiques et la mise en fiction de ces faits, la gravité et l’anecdote, la mémoire individuelle et la mémoire collective, la petite histoire et la grande Histoire que se reconstruit l’histoire de la guerre d’indépendance dans le roman de Max Lobe.
30La forme de l’entretien oral adoptée pour coller au réel comporte néanmoins des inconvénients et des limites : elle porte aux longueurs, aux répétitions, elle n’offre que très rarement aux voix dissidentes la possibilité de s’exprimer, force à éliminer certains détails76, et presque nécessairement à beaucoup trop insister sur d’autres. Le récit paraît parfois artificiel lorsque le ton populaire contraste avec la connaissance et la maîtrise des subtilités de l’histoire et de l’idéologie coloniale. On pense notamment aux commentaires sur la Loi-cadre, à la politique de chaque Haut-Commissaire (Roland Pré, Pierre Messmer), aux différentes positions par rapport à la question de l’indépendance, à l’idéologie coloniale en Algérie et en Indochine, etc. Sur tous ces sujets fort complexes Mâ Maliga a un avis précis. Toutefois, la forme de l’entretien oral favorise une exposition concrète, elle s’allie sans effort avec l’expression des sentiments intérieurs, et laisse voir toujours le récit des faits à travers une plus grande sensibilité. Elle permet la diffusion d’un propos plus flexible, car non fixe par un référent écrit défini comme étant la norme.
31La seule élaboration d’un discours littéraire ne suffira pas à la construction d’une mémoire collective, partagée et assumée par la communauté nationale. Cependant, la littérature comme forme d’expression favorise l’émergence et la présence d’un contre-discours différent de celui habituellement développé dans l’histoire officielle. Mener cette enquête signifie dans un premier temps, participer activement au processus de réappropriation d’un chapitre de l’histoire nationale et, dans un second temps, contribuer à la construction d’une mémoire culturelle77. Le roman de Max Lobe tente ainsi de remédier à l’oubli programmé par le pouvoir post-colonial, qui en occulte jusqu’aujourd’hui de nombreux détails. Le témoignage oral de Mâ Maliga participe de l’élaboration d’une « contre-histoire », une histoire parallèle, opposée à l’histoire officielle. Les États postcoloniaux, entravés par la situation coloniale et le consensus politique issus des accords de coopération avec l’ancienne métropole, ne peuvent prendre en charge un discours dissident qui interroge un passé aussi controversé, questionne les fondements du pouvoir postcolonial et pose la question de sa légitimité. Ce qu’il y a lieu d’appeler ici « le consensus postcolonial » explique pourquoi écrire sur la guerre de décolonisation du Cameroun est perçu comme une entrée en dissidence.