Colloques en ligne

Hélène Védrine

Saboter l’enquête
« Enquête sur le roman illustré par la photographie » par André Ibels (Mercure de France, janvier 1898)

1L’« Enquête sur le roman illustré par la photographie1 » a été publiée dans le Mercure de France à l’occasion du lancement de la « Collection Excelsior » de Nilsson et Per Lamm. Celle‑ci est inaugurée par deux ouvrages illustrés par les photographies « d’après nature » de Paul Sescau : Amoureuse trinité de Pierre Guédy et Totote de Gyp (fig. 1 et 2)2.

2Cette collection, qui comporte vingt‑deux titres et en inspira d’autres3, réunit des romans contemporains illustrés chacun par une centaine de photographies reproduites par similigravure sur papier couché. De format 14,5 x 19 cm, la collection affecte une dimension bibliophilique, proposant des tirages sur papiers de Chine ou Japon impérial.

3Réagissant ainsi à une actualité éditoriale propre à bouleverser le marché du livre illustré, et réunissant les réponses de vingt‑six romanciers et romancières, poètes, peintres et journalistes4, cette enquête a souvent été exploitée pour définir la position fin‑de‑siècle sur le livre illustré en général, aussi bien que les opinions particulières d’un écrivain.

4Cependant, le contexte dans lequel cette enquête a été réalisée et publiée a souvent été négligé5, passant sous silence une mise en scène fictionnelle qui sabote d’emblée le cadre de l’enquête, sa nature, ses objets et objectifs, voire les réponses elles‑mêmes.

Saboter l’enquête de l’« endehors »

5L’enquête fut menée par André Ibels (1872‑1932), journaliste, mais aussi poète, romancier et dramaturge6. Au moment où il publie cette enquête, plusieurs de ses œuvres ont déjà connu une réception très favorable, notamment Les Chansons colorées, plaquette de 50 pages parue à la Bibliothèque de La Plume (Les Chansons colorées. Vers, couverture lithographie de H.‑G. Ibels, Bibliothèque de La Plume, 1894) où les dédicaces de chaque poème dessinent une constellation littéraire, anarchiste et idéaliste — Emmanuel Signoret, Stéphane Mallarmé, Maurice Beaubourg, Adolphe Retté, Paul Adam, Stuart Merrill, Jean Grave — et un singulier recueil épique, Les Cités futures (préface de Paul Adam, Bibliothèque de l’Association, 1896), salué par Rodenbach dans Le Figaro comme un ouvrage qui « place son auteur au premier rang des jeunes7 ». Ce dernier recueil est publié à la Bibliothèque de l’Association, lieu de convergence de la jeune génération littéraire et artistique. La Bibliothèque de l’Association et de la France scolaire est adossée à L’Association, à laquelle adhérèrent plus de deux cents artistes et écrivains, créée le 23 mai 1895 par Fernand Clerget, poète et militant libertaire. Il adopte en cela un modèle courant à la fin du siècle, qui lie intimement associations artistiques, revues, maisons d’édition mais aussi galeries d’art, Clerget ouvrant une salle d’exposition permanente dans les locaux du 17 rue Guénégaud. C’est là qu’exposèrent de nombreux artistes comme Eugène Carrière ou encore Henri‑Gabriel Ibels8. Parmi le catalogue de Clerget, l’ouvrage de F.‑A. Cazals sur Verlaine est sans doute le plus rare et le plus célèbre (F.‑A. Cazals, Paul Verlaine, ses portraits. Iconographies de certains poètes présents, préface de J.‑K. Huysmans, Bibliothèque de l’Association, 1896).

6André est en effet le jeune frère du peintre et dessinateur (1867‑1936), auteur des couvertures lithographiées des Chansons colorées et des Cités futures. George‑Michel, dans une rubrique de La Plume dont le titre, « Masques parisiens », fait écho à la mode générique du portrait et du « masque » dans la petite presse9, donne une vision singulière des deux frères. Le court article est orné d’un médaillon qui les représente comme deux frères siamois soudés l’un à l’autre par le crâne, tandis que lettrine et cul‑de‑lampe (fig. 3 a et b) complètent de manière grotesque ce double portrait de personnalités opposées. L’un, André, prompt à l’invective et au coup de poing, l’autre, Henri‑Gabriel, placide et résigné :

Les deux Frères Siamois, mais deux Siamois qui se tournent le dos, de sorte qu’ils s’envoient souvent quelques ruades.

André Ibels, avec un point sur le grand I et H. G. (prononcez Mercure) Ibels.

L’un démasque les parades et l’autre les dessine.

Il [André] frappe la table et se lève… Où court‑il ?

Parfaitement, casser la g… à un tel ; on se lève aussi, on le calme ; son frère, qui est habitué, sourit de sa bonne face rasée de nurse anglaise et ne le suit qu’à cause de la membrane10.

7La « membrane » qui les relie solidement, quoique parfois distendue, est leur engagement pour la cause anarchiste. Prenant le relais de L’Endehors de Zo d’Axa interdit de publication, André Ibels fonde de La Revue anarchiste. Science et art (août‑décembre 1893), qu’il co‑dirige avec Charles Chatel jusqu’au n° 3 seulement. Pour l’exposition des Portraits du prochain siècle, de juillet à septembre 1893 à la galerie Le Barc de Boutteville, c’est bien au titre de rédacteur de cette revue que Georges d’Espagnat le portraitura, avec Chatel11. Ibels collabora très ponctuellement à La Revue libertaire (décembre 1893‑mars 1894), qui succéda à La Revue anarchiste, avant de diriger Le Courrier social illustré (novembre-décembre 1894) pour lequel Henri‑Gabriel fournit des couvertures illustrées. Directeur ou collaborateur, André Ibels suivit les aléas de la presse anarchiste durant la vague d’attentats, entre 1892 et 1894, et les plumes qui signent à ses côtés, comme Laurent Tailhade ou Félix Fénéon, sont aussi celles qui décrièrent la chronique lors du procès des Trente. Ce procès est la cause de la distance que prit André vis‑à‑vis de la cause anarchiste, comme il le confie dans un article de 1897. Revenant, à l’occasion de la parution des Porteurs de torches de Bernard Lazare, sur sa collaboration avec l’écrivain anarchiste, Ibels évoque son rôle de directeur et fondateur du Courrier social illustré :

Quelques mois après la mort d’Émile Henry [auteur d’attentats anarchistes guillotiné en mai 1894], je tentai follement de relever le drapeau de la Révolte en fondant le Courrier social illustré avec lequel j’espérais tenter la délivrance de quelques libres cerveaux égarés dans le troupeau des hommes. […] Mon audacieuse tentative porta de suite ses fruits. Comme je ne faisais pas partie du Procès des Trente, où mon nom à chaque instant était prononcé, je fus accusé d’être de la police. […] J’abandonnais donc l’hebdomadaire après quelques numéros, bien décidé cette fois à ne plus jamais m’occuper d’un meilleur devenir social, puisque l’on payait si mal mes efforts. […] Je ne suis pas de ceux qui se disculpent. Je laissais courir les calomnies, bien décidé à châtier les paroles hautes puisque je ne pouvais bâtonner les murmures12.

8Déçu par la cause elle‑même, Ibels restera néanmoins fidèle à certaines amitiés anarchistes, dont Bernard Lazare, mais plus encore à ses admirations littéraires. En prise constante avec l’actualité politique et artistique, André Ibels ne cessera de publier, comme ses contemporains, dans les nombreuses revues de la fin du siècle13. Han Ryner rapporte que le dramaturge et chansonnier Louis Marsolleau, chroniquant le roman La Page blanche dans L’Éclair, dira d’Ibels :

C’est une générosité sans cesse en bataille contre toutes les injustices et toutes les sottises consacrées. C’est un apôtre rageur. André Ibels, isolé et un peu farouche, est un indépendant, un véritable « en dehors » […]14.

9Cette indépendance et cette imprévisibilité expliquent en partie certaines prises de position, comme celle qui l’amena, en 1895, à prendre la défense de Stéphane Mallarmé contre Adolphe Retté qu’Ibels avait pourtant accueilli dans les colonnes du Courrier social illustré et à qui il avait dédié un poème des Cités futures15.

10Cependant, contrairement aux artistes que Camille Mauclair décrit en 1898 dans Le Soleil des morts16, autour d’un Mallarmé à peine dissimulé sous le nom de Calixte Armel, et dont la sensibilité anarchiste est plus esthétique que politique, Ibels est un des rares écrivains qui tenta « de mêler engagement poétique et engagement social17 ». Poète, mais aussi auteur de comédies et de chansons, genres particulièrement prisés pour la diffusion des idées anarchistes18, grand connaisseur du milieu du cirque et des cabarets comme en atteste Demi-cabots19, Ibels est représentatif des liens nombreux qui rattachent les anarchistes aux lieux non institutionnels, cafés‑théâtres mais aussi théâtres d’avant‑garde20, et d’un usage de la littérature comme arme de guerre provoquant parfois des dégâts dans les rangs mêmes des sympathisants, comme l’attentat du restaurant Foyot le 4 avril 1894, attribué à Fénéon et dans lequel Tailhade perdit un œil. Les ballades satiriques des Talentiers21 ou les pages des Demi‑cabots égrènent ainsi des allusions cryptées, et désormais obscures, aux personnalités qui ont défrayé l’actualité politique ou artistique, depuis le scandale de Panama jusqu’aux critiques théâtrales d’Henry Bauer, dans une sorte de jeu de massacre généralisé.

11Or, c’est aussi dans un cadre crypté qu’il faut lire cette enquête, qui déroute par son dispositif et sa genèse.

Saboter l’enquête : un dispositif fictionnel

12L’enquête est composée de deux parties. La seconde, intitulée « II. Réponses à l’enquête », est précédée, comme l’exige le format de l’enquête, par ce qui tient lieu de présentation du contexte et des motivations de l’entreprise. Ce préliminaire est curieusement intitulé « I. Les Idées de M. Van Pusch ». Ibels y fait le récit drolatique de sa rencontre avec un certain Monsieur Van Pusch, photographe. Les premiers mots du texte blasonnent l’enquête à eux seuls : « Ubu‑photographe ». Ami de Jarry, Ibels utilise dans son œuvre, par exemple dans Les Talentiers, de constantes références au personnage de la pièce représentée en décembre 1896 pour emblématiser les aberrations politiques, sociales ou esthétiques contre lesquelles il s’érige.

13De fait, avant de développer les idées de Van Pusch, Ibels se livre à une attaque en règle contre Nadar et surtout les « petits Nadars », photographes amateurs qui prolifèrent en cette fin de siècle. Le sujet de l’enquête annoncé dans le titre se déporte ainsi dès les premières lignes, évoquant non pas le roman illustré par la photographie mais dressant une typologie du photographe contemporain, qualifié de « monstre » :

Ubu‑photographe est légion. Callot oublia de rêver ce monstre, Daumier de l’esquisser, Flaubert ou Villiers de l’Isle‑Adam ne purent le créer, M. Nadar s’étant, un matin, présenté lui-même à l’Humanité (p. 97).

14Modèles et contre‑modèles alternent : quatre figures tutélaires de la gravure et de la littérature contrebalancent par l’ironie et la caricature le portrait du photographe contemporain dressé en pied, qu’incarne Félix Nadar. Dans la continuité du registre du monstre de foire, Nadar est défini comme un « phénomène » qui « écrivit ses Mémoires », mais une note évoque incidemment deux autres ouvrages, qui n’ont aucun rapport avec la photographie : « À ce livre, il sied d’ajouter deux Opuscules : La symphonie héroïque des punaises (en vers) et la Passion de N. S. Gambetta ». La Grande Symphonie héroïque des Punaises, paroles de MM. Nadar et Charles Bataille, est une courte fantaisie rimée parodiant l’opéra-bouffe, d’abord publiée par Poulet-Malassis en 1864 puis rééditée par le même éditeur en 1877. Elle met en scène une offensive de punaises menée dans le lit d’un infortuné voyageur par le sournois Thunder‑ten‑Tronckh et l’héroïque Cocoricouski. Les consonnances germaniques du premier patronyme, emprunté à Voltaire, et françaises du second, inspiré du cri de l’emblème gaulois, sont un écho du récent conflit franco‑prussien. Quant à La Passion illustrée sinon illustre de N.-S. Gambetta, selon l’Évangile de St (Charles) Laurent, suivie d’une Note par l’Auteur des Dicts et Faicts de chier Cyre Gambette le Hutin en sa Court, elle fut publiée dans le journal conservateur La Lanterne en janvier 1882 au moment de la chute du gouvernement de Gambetta, puis éditée en plaquette en mars de la même année par Poulet‑Malassis. Son titre trahit à lui seul la dimension pamphlétaire de l’ouvrage dirigé contre Gambetta et ses appuis comme Charles Laurent, rédacteur en chef de Paris.

15Cette note en bas de page dévoile donc le soubassement de cette enquête : celle-ci repose sur un terrain miné à la fois par les allusions politiques et par la Blague héritée de la culture bohème.

16Tout le début du texte, d’un point de vue esthétique et politique, remet en cause la possibilité même de l’existence d’un monstre qui conjuguerait des termes jugés irréconciliables : « artiste‑photographe », voire « artiste‑amateur » (p. 97). Aux écrivains ou artistes capables de « rêver » ou « créer », s’opposent les avortons que Nadar s’est « avisé de procréer » par parthénogénèse :

Des milliers de petits Nadars courent les rues, les bois, les villages, les routes qui sur tricycle, qui sur automobile. Ils envahissent tout, les lieux sinistrés, les monuments, la morgue, les ruines, les plages ; l’appareil enregistreur braqué, menaçant, sur les petits châteaux, les petits pays ombragés et les petites femmes (p. 97‑98).

17La photographie est assimilée, voire réduite au photo‑tourisme, auquel est associé l’autre symbole de l’émergence d’une culture liée au déplacement de masse, l’automobile et surtout la bicyclette ou le tricycle (fig. 4)22. Dans Totote, une scène montre un personnage « en train de photographier des bicyclistes23 ». Le photo‑tourisme est mis en scène dans la couverture du supplément de La Revue blanche, NIB, où Toulouse‑Lautrec campe un photographe amateur à l’œil égrillard, braquant sa caméra sur un hors champ que l’on suppose peuplé de baigneuses (fig. 5). La mention de la morgue, dans ce contexte, pourrait presque passer inaperçue, si l’on ne se souvenait de la mode, sous la Troisième République, des portraits photographiques de morts, célèbres ou non24.

18Le photographe‑amateur croqué par Ibels est lui aussi défini ironiquement d’après le contexte politique des années 1890, comme Nadar l’est par celui des années 1870‑1880. Accusé de terroriser femmes, bonnes et enfants, en les obligeant à poser pour lui, le photographe vit dans une maison qui « risque de s’évaporer brusquement dans l’air, parce qu’à tout moment Monsieur Nadar fils manipule, et plus mal que nos modernes anarchistes », des produits chimiques dangereux (p. 98, nous soulignons). L’inversion et l’ironie sont patentes, caractéristiques de la rhétorique anarchiste, présentant la photographie comme plus dangereuse pour la cohésion sociale et esthétique que l’anarchie elle‑même.

19Cette toile de fond sociale et politique prépare le portrait à la Daumier d’« un de ces petits Nadars », Monsieur Van Pusch. Tandis qu’il s’érige en détracteur de la photographie, Ibels expose les opinions de celui qu’il présente comme le photo-illustrateur des ouvrages de Gyp et Guédy :

Il n’avait pas dormi. Il avait songé. J’aurais dû fuir.

– Que diriez‑vous, me dit‑il, d’un roman qu’on illustrerait par la photographie ?

Je frémis.

– Y pensez‑vous ?

– N’est‑ce pas, reprit M. Van Pusch, sardonique, vous n’aimez toujours pas la Photographie ?

– Je la hais !

[…]

– Eh bien, ça y est, cria triomphalement M. Van Pusch allant à sa bibliothèque et en m’exhibant deux volumes. Ceci est mon œuvre.

Je voulus corriger :

– Ne vous trompez‑vous pas ? C’est un livre de M. Guédy et un livre de Gyp.

Dédaigneusement, M. Van Pusch ouvrit un des deux livres :

– Ils n’ont fait qu’écrire ; moi, j’ai créé, j’ai donné à leurs écrits de la vie ! Voyez, de la vraie vie empruntée, une minute, à la réalité… et ce n’est qu’un essai (p. 99).

20À ce stade, si le ton ironique et satirique du récit ne suffisait pas, et dans la mesure où Ibels affecte de découvrir l’existence des ouvrages de la collection « Excelsior » dont le véritable illustrateur est Paul Sescau, on aura compris que cette rencontre et le personnage de Van Pusch sont une pure invention. Ce dispositif fictionnel est parachevé à la fin de la première partie, lorsqu’Ibels prétend que l’enquête a été commanditée par Van Pusch lui‑même :

Vous devriez, Monsieur, continua‑t‑il sérieusement, faire une enquête auprès de vos confrères sur le roman illustré par la photographie. […] Au reste, je vous enverrai un petit questionnaire…

Il a tenu parole, j’ai reçu le « petit questionnaire » et j’ai tenté l’interview pour faire plaisir à M. Van Pusch et aux 250.000 petites Nadars français (p. 104).

21Cette préface, au lieu de présenter les objectifs de l’enquête et la synthèse des réponses, en retravaille les termes comme un matériau fictionnel. Ibels prend en charge les arguments des contempteurs du photobook littéraire, tandis que ceux des partisans de l’illustration photographique sont placés dans la bouche du grotesque Van Pusch pour être ainsi tournés en dérision. En vérité, comme un monologue fin-de-siècle, Ibels joue tous les rôles de cette scénette burlesque.

22Qui pourrait être cependant le redoutable Van Pusch ? Présenté comme l’auteur des photographies illustrant les deux volumes, faut‑il pour autant l’assimiler au véritable photo‑illustrateur, Paul Sescau, ami de Toulouse‑Lautrec ? Le photographe réalisa de nombreuses photographies du peintre et de son œuvre. À son tour, Lautrec immortalisa Sescau dans un portrait en pied en 1891 (fig. 6) et réalisa une affiche pour promouvoir l’ouverture, en 1897, de l’atelier photographique de la place Pigalle, au‑dessus du café de la Nouvelle‑Athènes (fig. 7). Sa silhouette mince, ses moustaches et sa chevelure noires apparaissent dans plusieurs tableaux : au premier plan à gauche avec son haut‑de‑forme dans La Baraque de la Goulue : la Goulue en almée (fig. 8), personnage au col blanc à l’arrière‑plan et au centre du Dressage des nouvelles (Moulin Rouge) (1890, fig. 9), assis enfin et toujours au centre avec son col blanc, dans Au Moulin rouge (1892-1895, fig. 10). Impossible de penser que Sescau soit représenté sous les traits d’un Van Pusch « tout gras, tout blond, tout de chair, coléreux, rageur » (p. 98), qui plus est de nationalité néerlandaise, sommé en fin d’enquête de retourner chez lui : « vous n’avez plus qu’à vous… dénaturaliser et à retourner à Amsterdam » (p. 115).

23Cette antinomie presque terme à terme est‑elle une manière de dresser le portrait en négatif de Sescau25, sans incriminer celui qu’Ibels pourrait avoir fréquenté dans le cercle de Toulouse‑Lautrec ? Le peintre semble en effet avoir financé le périodique anarchiste L’Escarmouche, très belle revue illustrée en fascicules in‑folio dont Mallarmé possédait la collection26, à laquelle collaborèrent Toulouse‑Lautrec, Anquetin, Hermann‑Paul, Bonnard, Vallotton, Willette mais aussi Henri‑Gabriel Ibels pour six gravures hors‑texte et dans laquelle André publia plusieurs textes poétiques. Or, à partir du numéro du 7 janvier 1894, le journal propose à ses lecteurs une prime inédite : « se faire faire », pour 5 francs au lieu de 30, un « portrait, d’un effet absolument artistique, et obtenu par un procédé complètement nouveau27 » dans l’atelier de Sescau, qui exerçait alors au 53 rue Rodier.

24L’enquête d’Ibels fait ainsi miroiter les éclats de la sociabilité montmartroise fin‑de‑siècle et la diversité de la presse libertaire, avec lesquelles Ibels partage les armes rhétoriques : ironie et supercherie. C’est précisément dans L’Escarmouche que Georges Darien, fondateur et rédacteur de la revue, révèle sa conception de l’enquête, qui pourrait s’appliquer à la nôtre :

Toutes les interviews publiées par nous sont de fantaisie.

Vu l’échange continuel des convictions et des caractères, nous ne garantissons pas plus la capacité des colonnes que celle des interviewés28.

25La posture de Darien, écrivain très apprécié des collaborateurs du Mercure de France qui le côtoyèrent au sommaire de L’Endehors29, influença‑t‑elle Ibels ? Ce dernier qualifie lui‑même son enquête d’« interview » (p. 104), terme qu’il utilise dans le billet de relance à Zola30 et que Pierre de Lano reprend entre guillemets (p. 107). Or, stricto sensu, sur le fonds comme dans la forme, la seule interview est celle, fictionnelle, de M. Van Pusch. Même si les réponses elles‑mêmes ne sont pas fictives, l’enquête est dominée par l’esprit mystificateur qui préside au détournement des rubriques traditionnelles par la presse anarchiste — « des faits » divers à la Fénéon31, faux concours, publicités détournées, enquêtes fictives, interviews parodiques —, et par leur force de déflagration ironique.

26Ainsi, il serait vain de chercher à identifier le mystérieux Van Pusch, ou même le narrateur de la préface. M. Van Pusch est une créature de fiction qui, comme le disait Camille Mauclair de ses personnages du roman à clef Le Soleil des morts32, est un mélange et une transposition de modèles divers. Il correspond moins à une personnalité réelle qu’à une typologie du photographe amateur fin‑de‑siècle, qui se professionnalise en créant des « sociétés de photographie » et « ses revues » spécialisées (p. 98‑99), ou qui tente d’acquérir le statut d’artiste, dans l’ombre des peintres de l’époque, comme Nadar l’avait fait en frôlant « des basques de sa redingote les mollets des Victor Hugo et autres célébrités du siècle qui s’éteint » (p. 97). Ainsi, photographes et peintres qui gravitent autour de Lautrec partagent les mêmes tables de cabaret et les mêmes modèles, comme celles du Moulin‑Rouge. Dans les tableaux de Lautrec (voir fig. 8, 9 et 10), on croise souvent Paul Sescau mais aussi François Gauzi ou encore Maurice Guibert, dont la lourde silhouette sur son tricycle (fig. 11) et le visage grotesque, croqué dans À la mie (1891, fig. 12) ou dans le premier hors-texte de Lautrec publié dans L’Escarmouche (fig. 13), feraient un Van Pusch fort convaincant.

Saboter l’enquête : le putsch de Van Pusch

27Si Van Pusch n’existe pas, qui pourrait avoir réellement commandité l’enquête et quels en sont les termes ?

28La manipulation fictionnelle de l’enquête est d’autant plus aisée que les questions ne sont pas reproduites lors de la publication. Les courriers adressés par Ibels à ses différents interlocuteurs n’ont malheureusement pas été retrouvés — à l’exception de la lettre de relance à Zola, en date du 3 juillet 189733, ce qui, avec la réponse de Mallarmé du 30 juin 189734, permet de situer le début de l’enquête d’Ibels au mois de juin 1897, au moment de la parution du livre de Guédy35. Le chercheur actuel ne se trouve donc pas plus informé que le lecteur de 1898, dans l’obligation de reconstituer par lui‑même la trame et les termes du questionnaire, comme l’a tenté Pascal Durand36.

29En raison de sa reformulation fréquente, on devine que la première question était : « Êtes‑vous favorable ou non à l’illustration du roman par la photographie37 ? » Elle était peut‑être plus circonstanciée encore, puisqu’Ibels précise à Zola que son enquête concerne « l’illustration du roman moderne par la photographie38 ». Ibels semble avoir complété cette question générale en proposant des notions dichotomiques : la réalité supposée de la photographie versus l’irréalité du dessin39 ; la photographie conçue comme Art ou comme simple document40 ; l’hypothèse d’une alliance possible entre Science et Art41, termes qui préoccupent d’autant plus Ibels qu’ils sous‑titrent sa propre Revue anarchiste. Ibels aurait‑il proposé de comparer la photographie aux œuvres de dessinateurs comme Daumier ou Doré ? Telle pourrait être la raison de l’apparition de ces noms dans les réponses d’Henri‑Gabriel Ibels et de Léon Riotor (p. 107 et p. 113). La pose et la grime des modèles sont opposées aux vertus de l’instantané42, et la distinction entre les catégories génériques de romans susceptibles d’être illustrés par la photographie semble avoir été suggérée. Jacques Normand évoque l’illustration des romans historiques ou d’aventures « comme vous semblez avoir l’intention de le faire plus tard » (p. 111). D’autres contributeurs envisageront les récits de voyage (Remy de Gourmont et A.‑Ferdinand Hérold), influencés peut‑être par les premiers récits illustrés par la photographie de Maxime du Camp. La valeur documentaire de la photographie est déterminante, même lorsque l’exotisme est prétexte à l’érotisme, comme l’ouvrage cité en contre‑exemple dans l’enquête par Pierre Louÿs, Les Trois Dames de la Kasbah de Pierre Loti43. Le propos de Louÿs résume bien les positions sur la question générique : 

Je crois en principe que l’illustration photographique est praticable, si on l’applique exclusivement aux biographies contemporaines, aux récits de voyage, aux tableaux de mœurs, même au roman réaliste, en un mot à tous les genres littéraires qui ont pour idéal la description exacte de la vie humaine et de l’être humain (p. 109).

30La photographie, qui a valeur de document, doit être naturellement limitée au roman contemporain sur la vie moderne, dont elle est apte à reproduire les aspects, à quoi il faut ajouter les ouvrages scientifiques (R. de Gourmont et A.‑F. Hérold).

31La réponse de Jacques Normand donne un autre indice. Même si, dans la préface, Ibels délègue la paternité du questionnaire à Van Pusch, il a présenté cette enquête comme une initiative personnelle. Jacques Normand lui répond en effet : 

Aussi ne puis‑je approuver votre idée de l’illustration du roman (ou la nouvelle) par la photographie. […] je redoute pour vous d’assez grandes difficultés dans l’application. Laissez‑moi ajouter que votre talent me donne la ferme confiance que vous en triompherez. (p. 110‑11, nous soulignons)

32On peut imaginer la surprise des interviewés lorsque cette initiative sera ridiculisée, Ibels se présentant explicitement comme celui qui hait la photographie, dont l’usage pour l’illustration du livre serait une idée grotesque.

33Enfin, Ibels a joint à son questionnaire des « spécimens » du roman illustré par la photographie, comme le dit L. Riotor (p. 113), à savoir « les volumes de Gyp et M. Pierre Guédy » (p. de Lano, p. 108). En vérité, le roman de Gyp n’est imprimé qu’en novembre 1897 et semble avoir relancé l’intérêt pour le livre photo‑illustré. Ibels a peut‑être procédé en deux temps, sollicitant certains écrivains dès l’été 1897, dont Mallarmé et Zola, ou les personnalités proches du milieu anarchiste comme Séverine et bien entendu son frère Henri‑Gabriel, puis d’autres artistes et écrivains en fin d’année. Les réponses de Rodenbach et de Zola évoquant « le nu » et les « illustrations représentatives d’attitudes et de gestes intimes » (p. 113 et p. 115) semblent découler de l’érotisme des photographies illustrant la triade amoureuse — à dire vrai surtout le couple féminin… — mise en scène par Guédy (voir fig. 18 et 19). Rachilde, qui chroniqua le roman de Gyp dans le même numéro du Mercure de France où l’enquête est publiée44, répond : « Quant à la photographie, elle est, pour la réalisation de la Beauté, ce qu’une bicyclette peut être devant un cheval arabe », comparaison peut‑être inspirée par la scène centrale du livre, où un photographe fait poser l’héroïne devant son cheval, après avoir fait le portrait de bicyclettistes45.

34Or, pour être capable de procéder aux envois des ouvrages46, Ibels ne peut qu’avoir été en relation étroite avec l’éditeur. Si l’enquête a été commanditée, ce serait aussi par un Van Pusch éditeur. En effet, l’enquête se justifie moins comme outil de questionnement esthétique qu’instrument de promotion pour une collection naissante, et prétexte pour recruter de futurs auteurs. Paul Alexis a compris l’intention : « l’expérience [du roman photo‑illustré] était à faire. Et si des éditeurs veulent en tenter une nouvelle, ils n’ont qu’à le dire : je connais quelqu’un qui serait tout prêt à la tenter avec eux » (p. 105). Si on ne connaît pas d’ouvrage publié par Alexis dans une des collections de Nilsson et Per Lamm ou d’Offenstadt, ce n’est pas le cas de Paul et Victor Margueritte qui publièrent Le Poste des neiges dès 1899, puis Vers la lumière pour la collection « Parisienne » (1902)47. Léonce de Larmandie, malgré sa posture d’« idéaliste intransigeant [qui ne saurait] approuver la substitution de la photographie au dessin pour l’illustration du roman » (p. 108), publiera Vengé ! en 1901 dans la collection « Orchidée » d’Offenstadt. Dans la même collection et la même année, paraîtra Câline de Georges de Lys, interviewé hésitant (« Du pour et du contre ! » répondit‑il p. 108), auteur à succès et collaborateur prolixe des journaux illustrés de la fin du siècle, qui signera un roman d’art avec Ibels, L’Arantelle (1908). D’autres, comme Pierre de Lano ou Gustave Toudouze, en profitent pour faire la promotion de leurs propres ouvrages. Le premier « s’occupe activement de cette question » et annonce la publication d’un « album sur la femme élégante à la rue, qui est tout entier dû au procédé qui nous occupe48 » ; le second évoque la proposition qu’il a faite à un éditeur de publier des romans illustrés par la photographie, « Romans sur les pêcheurs bretons, dont les types principaux étaient des portraits, dont les épisodes avaient été vus par moi et dont les paysages, marines, monuments ne pouvaient être inventés puisque je les avais faits d’après nature » (p. 114). De fait, en 1898, il publia Le Bateau‑des‑sorcières chez Mame, avec des illustrations d’Ernest Vulliemin qui relèvent d’une esthétique photographique. Paul Chaux, rédacteur en chef du Monde photographique, rappelle : « j’ai pu, il y a déjà quelques années, prêcher dans la faible mesure de mes moyens une initiative que je suis heureux de voir aujourd’hui se répandre » (p. 106). Est-ce le questionnaire qui a donné l’idée à Chaux de lancer un concours d’illustrations photographiques dans sa propre revue (n° 30, 15 octobre 1897) ? Les contributions trop réduites le contraignent à repousser la remise du prix au mois d’août 1898, date à laquelle la revue disparaît…

35Les relations d’Ibels avec les éditeurs mais aussi avec le premier auteur de la collection « Excelsior » sont attestées par le fait qu’il collabore à la revue dirigée par Pierre Guédy et publiée par Nilsson et Per Lamm, L’Aube. Revue artistique, littéraire, mensuelle, internationale (1re année, n° 1‑9, avril‑décembre 1896 ; 2e année, n° 1‑5, janvier‑juillet 1897). Il s’agit d’une singulière revue, qui, durant sa première année au moins, affiche une forte ambition internationale, chroniquant ou publiant les textes de nombreux écrivains étrangers (par exemple Jonas Lie, Emma Gad, Johannes Schlaf, Vincent Kosiakiewicz, aux côtés d’auteurs plus renommés comme Walt Whitman, Gabriele d’Annunzio, et bien entendu les écrivains belges de langue française).

36La revue est inaugurée en avril 1896 par un article de Jacques Saint‑Cère sur le « Mouvement littéraire en Europe ». Étonnante personnalité que celle de Jacques Saint‑Cère, alias Armand Rosenthal, fin connaisseur des lettres germaniques et étrangères, correspondant pour l’étranger de grands quotidiens comme le Figaro ou le New York Herald Tribune, mais aussi, malgré son pseudonyme, mystificateur, escroc, séducteur captivant – il fut ainsi l’amant de la femme de Sacher‑Masoch. Il fut soupçonné d’être un agent bismarkien, accusé de chantage en janvier 1896 dans l’affaire Max Lebaudy, où ses origines juives furent les véritables arguments à charge. Même si l’affaire Lebaudy est moins célèbre que le scandale de Panama et l’affaire Dreyfus, elle fit couler beaucoup d’encre et prépara une polarisation du champ littéraire et artistique, fourbissant les arguments antisémites et nationalistes qui seront pleinement déployés lors de l’Affaire. Lautrec réalisa quelques croquis durant ce procès (fig. 14) et certaines des personnalités interviewées dans l’enquête prirent des positions tranchées : Séverine, la journaliste anarchiste et féministe, accusa la vie dissolue de Lebaudy dans… La Libre Parole de Drumont ; Pierre de Lano et Pierre Louÿs se réjouirent de voir Saint‑Cère évincé de la rubrique étrangère du Figaro. Le soutien des frères Natanson est souvent mis en exergue, mais c’est L’Aube qui publie les premiers articles rédigés par Saint‑Cère à sa sortie de prison, en avril et mai 1896, avant qu’il ne soit accueilli à La Revue blanche et que Natanson ne lui confie la création et la rédaction du Cri de Paris, en janvier 1897 et jusqu’à sa mort en mai 189849. Sous sa direction, la ligne éditoriale du Cri de Paris mêle chroniques de la vie littéraire et artistique, ragots de la vie mondaine, tableaux de mœurs, persiflages et prises de position politiques sur un ton ironique, ce qui n’est pas sans rappeler certaines rubriques publiées sous pseudonyme dans les premiers numéros de L’Aube, jusqu’en décembre 1896.

37La sensibilité politique de la revue de Guédy oscille entre socialisme et anarchisme, comme en témoigne un long article d’Augustin Hamon sur le socialisme en Angleterre, en décembre 1896 puis en février 1897, à la suite du meeting anarchiste tenu le 1er août 1896 à St Martin’s Hall, en marge du Congrès socialiste international du 28 juillet à Londres (fig. 15). Le nom d’Ibels apparaîtra précisément à ce moment : l’estampe d’Henri‑Gabriel Ibels qui composera la couverture des Cités futures (fig. 16) est reproduite dans le n° 4 de juillet 1896 où paraît l’annonce de publication, et un court poème d’André, « La résurrection d’Adonis » est publié dans le n° 5 du mois suivant. C’est surtout la deuxième année, de janvier à juillet 1897, que la présence d’André Ibels s’impose : ses articles sur Ernest La Jeunesse (janvier 1897) ou Bernard Lazare (juin 1897) perpétuent le lien avec certains anarchistes, et, dans chaque numéro de janvier à juillet 1897, il pré‑publie les « Ballades » qui seront recueillies dans Les Talentiers. On pourrait juger surprenant l’intérêt de la revue pour l’occultisme, dont relèvent l’article de Jollivet Castellot sur « Le Temple de l’art et l’occultisme », présent au sommaire d’octobre 1896 aux côtés de fragments de lettres inédites de Bakounine, ou encore l’annonce pour l’Université des Hautes Études de l’Alchimie dans les pages finales de la revue en février 1897 et la recension systématique d’ouvrages ésotériques. Ce serait oublier qu’anarchisme et occultisme sont souvent allés de pair, pour Ibels lui‑même et son ami Paul Adam50, ou au sein du catalogue de la Librairie de l’art indépendant de Bailly. La revue s’interrompt avec le numéro de juillet 1897, sans préavis, au moment même où Ibels lance son enquête.

38On peut dès lors s’interroger. Les éditeurs, voire Guédy lui‑même, auraient‑ils sollicité l’un de leurs collaborateurs pour lui confier une enquête qu’ils espéraient à leur profit ? Est‑ce le Mercure de France qui a pensé à cette enquête, comme l’écrivaient Jean‑Pierre Bertrand et Daniel Grojnowski51 ? Mais pourquoi en confier la réalisation à un Ibels qui n’a guère contribué à la revue52 ?

39La reconstitution du réseau des collaborateurs de L’Aube pourrait offrir un premier élément de réponse. La revue fut gérée par Adolphe Van Bever, ancien secrétaire du théâtre de l’Œuvre, futur auteur, en collaboration avec son ami Paul Léautaud, des Poètes d’aujourd’hui 1880‑1900. Ses Contes de poupées furent publiés en 1897 dans L’Aube puis à la Bibliothèque de l’Association, comme Les Cités futures d’Ibels. Van Bever quittera brutalement L’Aube fin 1896 pour collaborer au Magazine international. Revue mensuelle de littérature et d’art moderne (1894‑1897) aux côtés d’écrivains de sensibilité libertaire comme Léon Bazalgette, Augustin Hamon et Bernard Lazare, puis devint secrétaire du Mercure de France, de 1897 à 1912. L’Aube se fait ironiquement écho de cette rupture, témoignant au passage des interrelations entre revues qui constituent la toile de fond de cette enquête :

Un organe bien renseigné : La Revue blanche nous apprend que M. Van Bever RÉDACTEUR EN CHEF de L’Aube passe au Magazine international.

Une petite rectification. M. Van Bever n’a jamais été RÉDACTEUR EN CHEF à L’Aube. Qu’on se reporte à nos numéros précédents, et l’on verra qu’il était secrétaire à la première page, collaborateur à la 8e, gérant à la fin. M. Van Bever nous dit qu’il passe au Magazine International

— Ainsi que lui, il y a des tas de gens qui sont obligés de nous dire qu’ils passent pour qu’on s’en aperçoive. Nous faisons chorus : M. Van Bever a passé ! —… pour des raisons tout intimes ajoute‑t‑il. Mais oui ! Celles que font naître sept années consécutives de services rendus — presque chaque jour53.

40Est‑ce Ibels qui se tourne vers Van Bever pour continuer fin 1897 une enquête d’abord lancée par les éditeurs de la collection « Excelsior » et de L’Aube, abandonnée en raison de la disparition de la revue après l’été 1897 ? Ibels aurait alors repris l’enquête pour le Mercure de France, complétant le questionnaire grâce aux écrivains proches de la revue, Rachilde, Gourmont, Hérold, Louÿs, mais encore Batilliat, Ghil ou Riotor publiés par la maison d’édition. Il y aurait une terrible ironie à publier dans l’organe du renégat Van Bever le projet promotionnel des éditeurs qui l’ont sans doute commanditée. À moins que l’ingrat Van Bever ne soit aussi le modèle de Van Pusch, que l’on envoie, à la fin de la préface, se faire dénaturaliser à Amsterdam54 dont Van Bever était originaire, comme on l’a envoyé passer au Magazine international.

41Ainsi, le sabotage en règle auquel se livre Ibels aura de quoi surprendre toutes les personnes impliquées, commanditaires et contributeurs, renvoyés dos à dos.

Saboter l’enquête : cacophonie et ventriloquie

42Comment lire les réponses à cette enquête, dont la préface sape non seulement l’objet, le roman illustré par la photographie, mais aussi, par son caractère fictionnel, le dispositif même ?

43Loin de nous l’idée d’affirmer que les réponses à cette enquête soient fictives. Elles existent bel et bien, mais elles sont remodelées par le cadre qui les entoure : le caractère fictionnel de la préface donne une coloration fantaisiste aux réponses, la véracité supposée des réponses accrédite les postures fictionnelles de la préface. L’effet de décontextualisation produit par l’absence des questions posées est dévastateur, dans la mesure où les propos flottent, sans ancrage référentiel. Par ailleurs, le montage des citations vise à exposer, de A[lexis] à Z[ola], une conception de plus en plus dégradée de la photographie et du roman illustré par la photographie.

44Les personnalités sollicitées semblent constituer deux groupes, les naturalistes d’un côté, autour de Zola, que l’on pourrait croire favorables à la photographie comme restitution de la réalité (Paul Alexis, Paul et Victor Margueritte, Jean Reibrach, Gustave Toudouze), et les symbolistes de l’autre, autour de Mallarmé, qui privilégieraient l’irréalité du dessin et l’interprétation singulière de l’artiste (Pierre Louÿs, Remy de Gourmont, Léon Riotor, Octave Uzanne, Georges Rodenbach). En vérité, comme en témoignent Marcel Batilliat nourri de symbolisme et ami de Zola, ou René Ghil dédiant ses Légendes d’âme et de sang (1885) aux deux maîtres, l’époque n’est déjà plus à la distinction radicale entre ces deux groupes qui quittent l’orbite de l’hôte des Mardis ou de celui de Médan, surtout dans le contexte contemporain de l’affaire Dreyfus qui bouleversera les postures esthétiques par des prises de position idéologiques. Or, il est indispensable de lire aussi cette enquête dans une perspective politique, comme un bilan de l’engagement anarchiste des artistes et des réseaux tissés au sein des revues, précédant de peu Le Soleil des morts de Mauclair. On connaît l’intérêt que Remy de Gourmont porta à l’anarchisme, ainsi que celui d’A.‑F. Herold, plus nettement engagé, et, avec eux, l’ensemble du Mercure de France. René Ghil, qui fonde Les Écrits sur l’art en 1887 en rupture avec les symbolistes pour prôner une poésie scientifique, lança une nouvelle revue avec Marcel Batilliat en 1893, L’Idée évolutive, proche du milieu anarchiste. Symbolistes et naturalistes entretiennent ainsi des relations complexes et ambigües avec le milieu anarchiste qui ne les considère souvent qu’avec condescendance55.

45Or, les individus qui devraient être solidaires répondent de manière cacophonique, ceux qui devraient s’opposer parlent d’une voix semblable, comme par ventriloquie. Le caractère général de l’enquête est ce que Georges Darien qualifiait d’« échange continuel des convictions et des caractères56 », chaque argument pouvant servir à soutenir ou au contraire disqualifier l’illustration par la photographie : « C’est la même chose puisque c’est son contraire » disait encore Darien57.

46Ainsi, la photographie restituerait la réalité même, tandis que le dessin maintiendrait dans l’irréalité ? C’est ce qui fait toute la valeur de ce médium pour Paul Alexis, Pierre de Lano ou Jacques Normand. Et c’est précisément ce qui le destitue pour Léonce de Larmandie et Octave Uzanne. La photographie favoriserait l’excitation érotique ? C’est ce que constate et regrette Zola (« on tombera tout de suite dans le nu ») ; c’est ce qui réjouit Rodenbach (« il y aura une secrète excitation à savoir que tels beaux bras, tel visage voluptueux, telle gorge entrevue, existent réellement quelque part… », p. 113 et p. 115).

47Comme on le constate avec la réponse de Rodenbach, que l’on imaginait moins sensible à la sensualité des modèles qu’un Pierre Louÿs, les personnalités sollicitées ne fournissent pas les réponses attendues. Trois réponses ont particulièrement intrigué les commentateurs, celles de Mallarmé, de Rodenbach et de Zola, tant elles semblent en décalage avec leur propre orientation esthétique et surtout avec la réalité de leur production.

48Rodenbach n’évoque pas du tout, telle que la réponse est publiée en tout cas, le fait qu’il fut un précurseur du roman illustré par la photographie, insistant sur la question du modèle alors que les clichés de Lévy & Cie et Neurdein frères publiés en 1892 dans Bruges‑la‑morte ne comportent aucune présence humaine. De même, on aurait pu s’attendre à ce que Zola, passionné de photographie dans la sphère privée58, soutienne un moyen nouveau de restitution du réel, comme le font ses amis Paul Alexis ou Marcel Batilliat, ou bien qu’il ne dévalorise pas la photographie en utilisant l’argument de la pornographie, brandi par la critique contemporaine contre le naturalisme.

49La pirouette rhétorique de Mallarmé constitue l’acmé de cette enquête. Le paradoxe mis en scène typographiquement par le poète a suscité bien des commentaires : « je suis pour — aucune illustration » (p. 110). Comment comprendre une telle proposition, alors que Mallarmé fut illustré par Manet, qu’il espérait l’être par Berthe Morisot, Degas, Khnopff ou Redon, le sera par Renoir, Whistler et Rops59 ? On pourrait croire que le propos ne vise que l’illustration photographique ou l’illustration du roman ou encore celle du livre courant, passé en régime sériel depuis plusieurs années et auquel le livre de peintre, que Mallarmé a inauguré en 1876 avec L’Après‑midi d’un faune orné par Manet, répond par la rareté du tirage et des images. Le texte‑même exclut ces nuances : « tout ce qu’évoque un livre devant se passer dans l’esprit du lecteur ». La suite marque un cran supplémentaire dans le paradoxe : « mais, si vous remplacez [évoquez]60 la photographie, que n’allez‑vous droit au cinématographe, dont le déroulement remplacera, images et texte, maint volume, avantageusement », prophétisant l’avènement d’un nouveau volumen, avec le déroulement de la bobine de pellicule. Pascal Durand a pu montrer à quel point cette assertion est ironique61, le « que n’allez‑vous pas » ayant l’exagération spéculative d’un « si on va par là »… De fait, Mallarmé porte à son comble l’accent ironique donné à l’enquête par Ibels. Cette idée est si absurde qu’elle est replacée dans la bouche de l’Ubu‑photographe de la préface, en ces termes :

Vous parliez tout à l’heure de l’illusion… mais l’illusion nécessaire, loin de s’échapper, de se perdre, de s’évanouir, prendra forme légère, s’agrandira dans le Livre, aura même du relief au stéréoscope si vous voulez du relief.

– Le roman futur sera‑t‑il selon vous le cinématographe ? hasardai‑je.

– Parfaitement, approuva Van Pusch (p. 101).

50Beaucoup de réponses semblent pareillement déplacées, que leurs propos soient démentis par les pratiques passées — par exemple Gourmont qui déclare qu’il n’est pas « bien nécessaire d’illustrer des romans » (p. 107), à l’encontre de ce que prouve son œuvre publiée au Mercure de France — soit par les pratiques futures, comme nous l’avons signalé plus haut. Mme Séverine, qui s’écriait : « Je suis contre et de toutes mes forces, c’est horrible ! » (p. 114, publiera chez Juven en 1903 un ouvrage charmant, Sac à tout. Mémoires d’un petit chien, illustré de 78 photographies prises par elle‑même. Cependant, elle ne réagit peut‑être qu’à la teneur des ouvrages de Gyp et Guédy dont l’érotisme ostentatoire pouvait exaspérer ses opinions féministes.

51Comme l’indique Yoan Vérilhac à propos de l’enquête de Jules Huret, on assiste à l’effondrement et à la déconstruction de l’enquête, dont on a détruit les bases référentielles, devenue « spectacle de polémique creuse62 ». En cela, on pourrait appliquer à cette enquête les analyses d’Émile Lutz, anarchiste et parolier de chansons révolutionnaires. Dans un article de juillet 1897 dans L’Aube, Lutz commente l’enquête de La Revue blanche sur l’influence des lettres scandinaves :

Et sous les yeux du lecteur amusé, défilent, bizarrement habillés d’appréciations dissemblables, des noms, encore des noms ; on dirait une queue au cortège de la mi‑Carème ! 

[…] nous devrions nous plaindre plutôt de toutes ces enquêtes pédantes et superflues à propos d’une soi‑disant direction esthétique à donner au bataillon littéraire !

C’est le triomphe, décidément de la critique et de la cinématographie ! Nous ne nous intéressons plus autant aux ouvrages qu’à l’attitude du public !

Au théâtre, nous nous abstenons volontiers de voir ce qui se passe sur la scène pour prendre des clichés de la physionomie de la salle ; les fauteuils d’orchestre qui ne sommeillent point se retournent pour voir l’effet produit sur les ennemis du parterre, lesquels sont en discussion avec les ouvreuses63 !

52Telle est la réflexivité stérile de l’enquête, qui ne se regarde qu’elle‑même, mettant en scène un monde de littérateurs qui contemplent leur supposées divergences.

53On notera le sens dépréciatif du mot « cinématographe », qui est peut‑être l’usage qu’en fait Mallarmé. Comme l’a rappelé Pascal Durand64, le cinéma, en 1898, n’en est qu’à ses débuts et l’élan qui aurait pu le faire quitter l’univers du spectacle de foire ou le statut documentaire a été brisé par l’incendie du bazar de la Charité le 4 mai 1897. Le cinéma reste encore ce médium spéculaire exhibé lors de la première projection publique du 28 décembre 1895, au programme sans cesse réitéré : arroseurs arrosés ou, filmés lors du débarquement du Congrès des sociétés des photographes à Neuville en 1895, photographes photographiant la caméra qui les photographie65.

54Que regarde le spectateur de ces films ? La réalité saisie sur le vif ou un trucage ? Que lit le lecteur de l’enquête ? La réalité des opinions ou un montage d’avis divers et contradictoires ?

Saboter l’enquête : l’arrière‑plan esthétique et social

55Il est temps de se demander de quoi parle véritablement cette enquête. Nul doute que celui qui s’intéresse au livre illustré et à la photographie y trouvera, condensés, les termes du débat contemporain.

56L’illustration photographique apparaît au moment où le livre illustré adopte un mode de production sériel et industriel. Ainsi, cette enquête permet de dessiner, en creux ou en relief, les alternatives possibles : le livre bibliophilique et le livre de peintre.

57La photographie, comme le remarquent de nombreux interviewés, apparaît comme un substitut moins coûteux à l’illustration de métier, palliant la médiocrité des dessinateurs à la chaîne, dans l’édition courante ou l’édition populaire. Le petit tableau comparatif proposé par Van Pusch, et inspiré des propos de Paul et Victor Margueritte66, est tout à fait éclairant sur les pratiques et les prix (fig. 17).

58De plus, la photographie est perçue comme un médium idéal pour la représentation de la vie moderne. Si l’édition romantique a promu, dans la lignée des Français peints par eux‑mêmes (Curmer, 1840‑1842), une littérature physiologique en publiant « à la plume et le crayon67 » de vastes panoramas des types sociaux, la fin du siècle aspire à la résurgence de livres similaires. Henri Beraldi, Henri Bouchot et surtout Octave Uzanne, interrogé pour l’enquête, sont les promoteurs les plus importants, au sein des sociétés de bibliophiles, de ces études des mœurs du temps68. La réponse d’Uzanne montre qu’il est conscient de la concurrence de la photographie pour ces études de la vie contemporaine : « L’illustration aura à lutter contre son ennemie masquée, la photographie, et l’imagerie directe, et sur nature, à l’aide de procédés chimiques. On tentera un gros effort pour acclimater dans le livre moderne l’exacte fixation des êtres et des choses, mais sans succès, espérons‑le » (p. 114). Il évoque aussi, entre les lignes, le débat qui a lieu à la même époque, tout particulièrement au sein des sociétés de bibliophiles, sur la valeur des procédés photomécaniques et « chimiques » pour l’illustration69.

59Le refus absolu de l’illustration, singulièrement marqué par Mallarmé (« je suis pour — aucune illustration ») mais aussi par les membres du Mercure de France dont la maison d’édition fait pourtant appel à l’image dans le livre70, renvoie à la dévalorisation des termes « illustration » ou « illustrer ». Ce sont désormais les expressions plus générales d’« interprétation », d’« ornementation », qui définissent le rapport non référentiel et transcendant de l’image au texte, comme l’analyse André Mellerio dans un article contemporain de l’enquête71.

60Le texte introductif rappelle que la photographie ne concerne pas seulement le livre et l’Art, mais aussi la Science. L’émergence de l’usage scientifique de la photographie s’inscrit en filigrane dans les propos de Van Pusch. Il évoquera, nous l’avons déjà mentionné, le stéréoscope (p. 101), mais aussi l’invention des rayons X utilisés par la médecine et par la Douane72.

61Quant à la photographie en soi, les concepts de pose et d’instantané utilisés par les personnalités questionnées et par Ibels témoignent des débats en cours, issus des typologies du livre illustré73.

62Cependant, la pose, mais aussi la Grime dont parlent certains interviewés, et qu’évoque aussi Van Pusch, sont des termes issus du théâtre et plus précisément des cafés‑concerts qu’Ibels connaît bien74. La pose des modèles et leur qualité sont à mettre en relation avec la scène et le théâtre. Jacques Normand, dont les comédies sont inscrites au répertoire de l’Odéon et du Gymnase, et Marcel Batilliat évoquent la nécessité pour l’auteur de contrôler la pose et d’agir en véritable scénographe :

C’est lui [l’auteur] qui aura à trouver ses personnages, à les grouper, à combiner le cadre où ils évolueront — à établir en quelque sorte sa mise en scène. En effet, cette vie intense donnée à l’œuvre par la photographie en fera presque une œuvre de théâtre. Où trouver ces types ? Cela me paraît devoir être assez malaisé (Jacques Normand, p. 111).

[…] l’écrivain […] devra, autant que possible, régler lui‑même la disposition des scènes photographiées et non en laisser le soin à l’éditeur (Marcel Batilliat, p. 106).

63Jean Reibrach continue la réflexion de Normand dans une longue réponse, très informée : « Je vois encore une difficulté dans le choix des modèles. L’auteur seul les pourrait choisir convenablement. Puis, pour les scènes à tirer, il faudra expliquer à ces modèles leur rôle, les faire jouer en quelque sorte devant soi, ainsi qu’on répète une pièce dans un théâtre » (p. 111‑113). L’écrivain naturaliste réalisera une telle ambition, mais dans le sens de Mallarmé, devenant scénariste puis réalisateur de films dans les années 1910.

64La question des modèles est un leitmotiv car leur médiocrité, plastique ou expressive, ruine l’illustration photographique. Pierre Louÿs insistait sur la médiocrité des modèles utilisés pour Les Trois Dames de la Kasbah et affirmait que personne « ne saurait poser pour Atala ni pour Clarimonde, mais personne non plus ne sera le lieutenant de Mlle Fifi ni le président du Comice agricole de Mme Bovary » (p. 109), faisant allusion aux grands romanciers du xixe siècle, Chateaubriand, Gautier, Maupassant, Flaubert.

65Lorsqu’il ajoute : « Vous aurez une Manette Salomon, une fille Elisa — vous n’aurez même pas un Octave Mouret », il identifie les modèles utilisés par l’illustration photographique : modèles d’atelier comme Manette et prostituées comme Elisa, ce qui revient parfois au même. Un commentaire manuscrit sur la page de titre d’un exemplaire d’Amoureuse trinité conservé à la Bibliothèque nationale de France (voir fig. 1) dévoile aussi l’origine d’un des modèles : « Le merveilleux modèle, si bien posé, notamment pages 191 et p. 249, était l’un des modèles préférés de Falguière » (voir fig. 18 et fig. 19).

66Louÿs les compare aux acteurs et actrices de théâtre, évoquant deux sociétaires de la Comédie française, Albert Lambert et Zélie Hadamard : « Je sais bien que M. Lambert fils n’est pas semblable à Achille, pas plus que Mme Hadamard à une vierge thébaine, mais au moins les acteurs ont-ils fait, en vue de l’imitation, des études sérieuses qui n’ont pas d’équivalent dans le passé de vos modèles » (p. 109).

67Comme à l’habitude, grossies, déformées, ces idées sur le modèle et l’auteur scénographe sont poussées à l’extrême dans le dialogue comique avec Van Pusch :

– Les modèles, où les dénichez‑vous ?

– Peuh…. Jusqu’ici au Moulin Rouge, à l’Arlequin, mais heureusement c’est fini… j’ai trouvé… Je m’en vais les prendre au théâtre, oui monsieur, au théâtre, à l’Odéon, au Gymnase. Le Théâtre va nous fournir des modèles, des personnages intelligemment comédiens, et je rêve maintenant d’illustrer le Père Goriot… j’ai mes types… Antoine Gémier, Mme Louise France. 

J’insinuai :

– Croyez‑vous que Gémier, Antoine…

– Vous les connaissez : je compte sur vous pour me présenter. Du reste… je les paierai ! les vrais artistes ont toujours besoin d’argent ; j’en profiterai.

Je souris :

– En plaçant une scène vécue, dis‑je, en face d’un texte, ne craignez‑vous point de dénaturer l’illusion, la pensée de l’écrivain ?

– Un peu moins que le dessinateur qui s’en inspire aussi. Je renforce, monsieur. Et, que de lacunes, que d’abîmes comblés par l’épreuve photographique. Plus besoin de ces ennuyeuses descriptions, tout à la vie, à la vie, je suis avec Bauer ; moi, un mot : Chelles, Nogent, X. Y., telle rue, telle maison. L’auteur indiquera son décor lui-même. […] L’auteur deviendra son propre illustrateur, il ajoutera à son roman une réalité d’un moment prise sur le vif de la plaque, à son gré, au petit bonheur… Cela n’est‑il pas merveilleux ? Il composera sa scène… lui‑même (p. 100‑101)

68Puisque Jacques Normand envisageait l’illustration comme « une œuvre de théâtre », voici mentionnés les théâtres de l’Odéon et du Gymnase où l’auteur fit jouer ses pièces. Derrière l’allusion au critique dramatique Henry Bauer se fait entendre le ricanement d’Ibels. Avant d’être journaliste et critique dramatique, Henry Bauer (fig. 20) fut officier de la Commune, condamné au bagne en Nouvelle‑Calédonie où il se lia durablement avec Louise Michel. Ses relations avec le milieu anarchiste, qu’il côtoya par exemple au sommaire de La Revue rouge (1896‑1898)75, son soutien au mouvement naturaliste, au Théâtre libre d’Antoine, mais aussi à celui de Lugné‑Poe, son enthousiasme pour la jeune génération et surtout pour l’Ubu roi de Jarry, tout le déterminait à être apprécié du jeune anarchiste Ibels. C’est le contraire : son rôle de critique influent au sein du très conservateur Écho de Paris le ridiculise aux yeux d’une génération qui refuse les positions institutionnelles, fussent-elles éclairées, et il est l’emblème, honnis par Ibels, des « Bas talentiers, chercheurs de clous/ Dont la chronique sue… halète76… ». Un poème entier des Talentiers, la « Ballade sur la nécessité de rechercher la paternité », est consacré à Bauer, le titre faisant allusion au fait qu’il soit fils naturel de Dumas. Chaque strophe est scandée par une variation sur « Ubu qui dit merdre à Bauer77 ». Une autre ballade du même recueil, « Ballade sur le geste protecteur de certain beau hère et ubuesque masque d’un zoïle moderne », lui reproche cette fausse connivence avec la jeune génération :

Danseur de gigue et de cancans
Beau hère de l’Odéonide ; […]
Ce sire incrédule et fourbu,
Ose nous tendre son égide
Par la panse du Père Ubu78 ? !

69Enfin, Van Pusch récuse les modèles des cafés-concerts ou cabarets comme le Moulin rouge et l’Arlequin, explicitant les allusions de Louÿs, et tire un singulier parti de sa référence à la supériorité des acteurs dramatiques. Il propose ainsi de recruter les modèles parmi les troupes des grands théâtres parisiens, l’Odéon ou le Gymnase, et des théâtres d’avant‑garde. Il mentionne l’acteur et directeur du Théâtre libre, Antoine, mais aussi Gémier et Louise France, qui interprétèrent le Père et la Mère Ubu lors de la première représentation d’Ubu‑roi en décembre 1896 au Nouveau‑Théâtre de Lugné‑Poe. Qui plus est, évoquer Le Père Goriot, mis en scène au Théâtre libre le 24 octobre 1891 avec Antoine dans le rôle‑titre, n’est pas un hasard. Le roman de Balzac a été adapté par Adolphe Tabarant, auteur d’extrême‑gauche proche des anarchistes et d’Henri‑Gabriel Ibels. Van Pusch dit bien à son interlocuteur : « Vous les connaissez, je compte sur vous pour me présenter » (p. 100), achevant de dessiner l’arrière‑plan tant politique qu’esthétique de l’enquête79.

Saboter l’enquête : l’infiltration anarchiste

70Les débats sur le choix des modèles ont ainsi deux significations, l’une qui relève de l’esthétique et l’autre du social et du politique, l’une liée au théâtre fin‑de‑siècle, l’autre liée à la prostitution.

71Un ouvrage tardif d’Ibels sur le statut des actrices de cafés‑concerts dénonce avec virulence les pratiques des agents lyriques, qui transforment leurs agences en maison Tellier, et le proxénétisme auquel se livrent les directeurs des établissements80. Ce réquisitoire s’explique non seulement par une fréquentation ancienne du cirque et des cabarets, mais c’est aussi lors de l’enquête qu’Ibels prend conscience de l’ampleur d’un phénomène dont la corruption s’étend de la scène au livre et à l’art tout entier. Le critique dramatique Auguste Germain, interviewé dans l’enquête, est l’un des premiers à alerter l’opinion sur ces questions81.

72Ainsi, dans la première partie de l’enquête qui reformule et développe les opinions de chacun, le roman illustré par la photographie devient le symbole même de l’exploitation capitaliste. Ibels, par la bouche de Van Pusch, détaille les arrangements commerciaux qui permettent de rentabiliser la production de ce type d’ouvrages. Après avoir explicité les coûts de réalisation (voir fig. 17), Ibels demande : « expliquez‑moi ce que veut dire : transports des accessoires ». « Il y a derrière ce mot une combinaison commerciale qui ne vous intéresse pas », répond Van Pusch, qui finit par préciser :

Il reprit un des deux livres, l’ouvrit à la couverture et je lus :
1° Le papier a été fourni par la maison X.
2° Les meubles qui ont servi pour les illustrations ont été fournis par la maison Y, rue…, Paris.
3° Les costumes et les maillots ont été fournis par la maison Z, rue…, Paris
(p. 103‑104).

73Tels sont en effet les accords promotionnels et commerciaux exposés en guise de colophon dans Amoureuse trinité (fig. 21). Mais Ibels, dans la préface, pousse une nouvelle fois l’idée à son comble :

  • Une idée, Monsieur Van Pusch, ne vous fâchez pas. Pourquoi ne mettriez‑vous pas au‑dessous de vos fournisseurs : Mlles Une Telle, Une Telle, Une Telle se tiennent à la disposition du lecteur, de 10 h à 5 h le jeudi, le vendredi et le samedi, à tel endroit. C’est encore une économie… de modèles, ajoutais‑je, en riant.

Ce serait peut‑être indécent, fit‑il gravement.

M. Pusch y avait songé (p. 104) !

74Ce sont par ces derniers échanges que se termine la première partie de l’enquête, juste avant que Van Pusch ne propose son « petit questionnaire ». Enfin, enchaînant avec la dernière réponse, celle de Zola qui prédit qu’« on tombera tout de suite dans le nu », Ibels conclut définitivement l’enquête par ces mots :

C’est juste. Je crois donc, mon brave Monsieur Van Pusch, que vous n’avez plus qu’à vous… dénaturaliser et à retourner à Amsterdam. On y fabrique de la photographie cantharidée utile, comme importation, aux autres peuples (p. 115).

75Voici la photographie réduite à sa dimension aphrodisiaque et pornographique, ce qui tire du côté éthique et social ce qu’Uzanne concevait d’un point de vue esthétique, lorsqu’il qualifie la photographie de « proxénète » en raison de son rôle d’« intermédiaire entre la nature et l’art » (p. 115). L’affiche de Lautrec pour Sescau (voir fig. 7) dévoilait déjà cette collusion de la photographie et de la pornographie : en arrière-plan, dans le coin supérieur droit, se tient une femme nue portant des bas noirs et tenant un cochon, image célèbre de la Pornocratès de Félicien Rops (fig. 22) que Félicien Champsaur a transposé dans le monde du cirque et du cabaret avec sa Lulu.

76Le photographe est un proxénète et la Photographie la grande Pornocratie. Le roman illustré par la photographie est l’objet commercial par excellence, emblème d’une société corrompue par l’argent, qui ne relève ni de la littérature ni de l’art, mais fait commerce et promotion d’objets : papier, plaques, accessoires de décors, meubles, costumes et maillots, jusqu’aux modèles elles‑mêmes.

77Ce sont là les idées du milieu anarchiste, qui ne peuvent se lire qu’entre les lignes. Cette enquête relève bien de la « mise en scène hermétique de l’entre-soi82 », qui plus est d’un entre‑soi qui illustre les dissensions du milieu anarchiste, au moins depuis le procès des Trente. Le dispositif qui entoure la réponse du frère d’André Ibels est en cela exemplaire :

M. H. G. Ibels
Entre Daunier [sic] et Nadar… Je n’hésite pas ! (1)
(1) ?

78Le point d’interrogation en note renvoie au dispositif des caricatures que l’artiste publie en revue anarchiste, où les légendes sont remplacées ou accompagnées par des points d’interrogation et d’exclamation, comme sur la couverture du premier numéro de L’Escarmouche (fig. 23), celle du Courrier social de novembre 1894 (fig. 24) ou, plus tard, celle du Sifflet (fig. 25).

79Cet entre‑soi anarchiste explique aussi la dédicace de la première partie de l’enquête à Ralph Derechef. Dans l’enquête même, Derechef répond à la question sur le roman illustré par la photographie avec une virulence similaire à celle qu’affecte Ibels : « C’est inepte », décrète‑t‑il (p. 106). En plaçant ce nom en tête de l’article, Ibels oblitère son enquête avec un avis tranché et négatif.

80Qui est Ralph Derechef ? Ibels le définit comme « critique au Daily Chronicle », journal proche du Liberty puis du Labour Party. Ibels l’a-t-il rencontré à l’occasion du Congrès socialiste international du 28 juillet 1896 à Londres ? Ou le connait‑il simplement pour son activité de traducteur ? Il a en effet traduit Gyp83, mais aussi Brunetière84, et surtout Le Péril anarchiste85, ouvrage de Félix Dubois paru chez Flammarion en 1894 et issu d’un article publié dans Le Figaro. Supplément littéraire du dimanche, le 13 janvier 189486.

81Travaillant à L’Illustration, au Temps puis au Figaro, organes de presse bourgeois, Félix Dubois est loin d’être un révolutionnaire. Comme le qualifie la page de titre de la traduction anglaise, il est un « African explorer », spécialiste de l’Afrique sur laquelle il publiera de nombreux ouvrages, globalement favorable à la colonisation87. Ce court essai, qui propose une synthèse historique très bien renseignée, est présenté dans l’en‑tête du Figaro comme une dénonciation des idées, des revues et des images anarchistes :

Propagande par l’image, propagande par les écrits, on pourra se rendre compte de toutes les haines, de tous les blasphèmes que l’on sème au nom d’une humanité meilleure, et aussi de toutes les chimères, de toutes les utopies évoquées pour attiser ces haines88 !

82Cependant, l’ouvrage en lui‑même est plus subtil et modéré. Dubois connaît très bien le milieu anarchiste dont il estime certains acteurs, comme Jean Grave89. Il fournit une analyse fine de cet anarchisme littéraire dont Ibels est représentatif, comme une grande majorité des personnalités sollicitées dans l’enquête :

L’anarchisme littéraire a pris naissance, il y a quelques années, dans ces petites revues qui prêchaient le bouleversement de la langue française.

La presse quotidienne signala en leur temps les articles incendiaires, sous une forme compliquée le plus souvent, publiés par les Écrits pour l’Art, les Entretiens, le Mercure de France, l’Idée libre et tant d’autres.

En 1891, les jeunes écrivains à tendances anarchistes, infime minorité, en somme, parmi les révolutionnaires de la langue, trouvent une occasion de se grouper : Zo d’Axa fonde l’En Dehors, disparu aujourd’hui par suite de la condamnation de son directeur à deux ans de prison, condamnation qui le retient depuis de longs mois à Sainte‑Pélagie90.

83Sur trois pleines pages du Figaro (fig. 26 a-b-c), sont ainsi publiées les violentes caricatures du Père Peinard représentant des bourgeois sous forme de cochons gras, ce qui relèverait presque d’une stratégie d’infiltration visant à dynamiter l’ennemi de l’intérieur..

84À l’occasion de la publication en volume de son article, Dubois sollicita Augustin Hamon, militant anarchiste puis socialiste, qui lui confia un chapitre sur la « Psychologie de l’anarchiste », extrait de sa Psychologie de l’anarchiste‑socialiste91. Ce dernier ouvrage est une sorte d’enquête, à nouveau, pour laquelle furent questionnés de nombreux militants, dont l’ami d’Ibels, Paul Adam, ou encore A.‑F. Herold. Quant à Dubois, son but est moins de dénoncer l’anarchisme que de montrer l’écueil auquel a mené l’action violente :

En frappant des innocents, en dynamitant monuments publics et maisons particulières, en tuant indistinctement, dans la foule, des prolétaires qui n’en peuvent mais, ils ont ameuté contre eux l’opinion publique, et forcé l’État à prendre des mesures exceptionnelles, applicables à tous92.

85Depuis le procès des Trente, André Ibels a lui aussi pris ses distances vis‑à‑vis des idées anarchistes. Dédicacer son enquête, non pas directement à Félix Dubois qui reste de sensibilité conservatrice, mais à un traducteur anglais qui travaille pour un journal de gauche, montre la propre évolution politique d’Ibels.

86Cela invite à porter attention aux effets de réception d’un texte qui, d’abord publié par le Figaro pour dénigrer l’anarchisme, devient un volume qui en explicite les failles mais aussi les valeurs puis, en traduction, s’inscrit définitivement dans le milieu socialiste. La dédicace à Derechef ne sert pas seulement à condamner la photo‑illustration. Elle donne à l’enquête une dimension politique, et rappelle que celle-ci aurait dû être, comme Le Péril anarchiste, un outil de renversement idéologique.

87Cette enquête provoqua‑t‑elle la déflagration escomptée ? Pas à notre connaissance.

88Il est vrai qu’en ce même janvier 1898, c’est une autre bombe qui est lancée, le « J’accuse ! » de Zola, qui, inspiré par la lettre que Bernard Lazare adressa à la famille de Dreyfus en 1895, s’inscrit aussi dans la mouvance anarchiste.

89Le Sifflet (1898‑1899), feuille dreyfusarde créée et rédigée par Henri‑Gabriel Ibels dont les caricatures seront recueillies dans Allons‑y !93, témoigne du soutien du dessinateur à la cause défendue par Zola, sans que l’on puisse en déduire qu’André appartienne au même camp, malgré la « membrane » qui le relie à son frère. D’autant que le peintre, quelques années plus tard, regretta son engagement dreyfusard.

90Volte-face et pirouettes rendent pareillement difficile d’appréhender cette enquête. Dans le cas d’André Ibels, l’entre‑soi endogamique caractéristique de la petite revue symboliste est redoublé par la versatilité structurelle de la presse anarchiste où les conflits internes et les retournements d’opinions sont légion.

91Ibels poursuit une autre cause : il a mené non pas une enquête sur une question esthétique mais sur les questions économiques et sociales relatives à la production du livre et de la photographie. En quelques pages, l’enquête incarne l’évolution du genre même de l’enquête à la fin du xixe siècle94, transformant un objectif esthétique en question politique et sociale.

92Ibels renvoie dos à dos les opinions, dans une enquête pipée qui dévoile non pas des idées neuves sur l’illustration photographique, mais le renversement constant des convictions et la vacuité de leurs confrontations, à la manière des légendes d’Henri‑Gabriel (voir fig. x). Celles‑ci, par la seule complémentarité visuelle et rythmique de la typographie, réduisent à l’essentiel les faux débats d’idées qui, comme dans les enquêtes et interviews pléthoriques de la fin du siècle, ne servent souvent qu’à maintenir l’ordre social et la conformité esthétique :

– … ?... ?...

– !... ! ! !...

Annexes

Figure 1. Page de titre de Pierre Guédy, Amoureuse trinité, orné de cent photographies obtenues d’après nature, dont dix planches hors texte, [par] Paul Sescau, photographe, Paris, Librairie Nilsson et Per Lamm, collection « Excelsior », [juin] 1897, Bnf.

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Figure 2. Page de titre de Gyp, Totote. Roman inédit orné de cent photographies obtenues d’après nature, dont dix planches hors texte, Paris, Librairie Nilsson et Per Lamm, collection « Excelsior », [novembre] 1897, source gallica.bnf.fr / BnF

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Figure 3. George-Michel, « Masques Parisiens. Les Ibels Artistic’s et Littéraires », La Plume, n° 326, 15 novembre 1902, p. 1313-1314, source gallica.bnf.fr / BnF.

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Figure 4. Page publicitaire du Monde photographique. Revue mensuelle illustrée consacrée au développement pratique, artistique et scientifique de la photographie, n° 3, juillet 1895, BnF.

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Figure 5. Page de couverture de NIB, par H. de Toulouse-Lautrec, supplément à La Revue blanche, vol. VIII, 1er janvier 1895.

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Figure 6. Toulouse-Lautrec, Portrait de M. Paul Sescau, c. 1891, New York, Brooklyn Museum.

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Figure 7. Henri Toulouse-Lautrec, affiche publicitaire pour le photographe Paul Sescau,1896

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Figure 8. Henri Toulouse-Lautrec, Décoration pour la baraque de la Goulue. La Goulue en almée, 1895, Paris, musée d’Orsay.

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Figure 9. Henri Toulouse-Lautrec, Dressage des nouvelles par Valentin le Désossé (Moulin-Rouge), 1890, Philadelphie, Philadelphia Museum of Art.

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Figure 10. Henri Toulouse-Lautrec, Au Moulin-Rouge, 1892, Chicago, The Art Institute.

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Figure 11. Photographie anonyme, « Moi [Maurice Guibert] en tricycle », c. 1890.

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Figure 12. Henri Toulouse Lautrec, A la mie, 1891, Boston, musée des beaux-arts.

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Figure 13. Henri-Toulouse-Lautrec, hors-texte dans L’Escarmouche, 1re année, n° 1, 12 novembre 1893, source gallica.bnf.fr / BnF

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Figure 14. Henri Toulouse-Lautrec, Procès Lebaudy : déposition de Mlle Marsy, Paris, INHA, https://bibliotheque-numerique.inha.fr/idurl/1/13205

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Figure 15. Affiche pour le Congrès socialiste international, 28 juillet 1896, Londres.

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Figure 16. Henri-Gabriel Ibels, hors-texte publié dans L’Aube, n° 4, juillet 1896, Paris, Bibliothèque historique de la ville de Paris.

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Figure 17. André Ibels, « Enquête sur le roman illustré par la photographie » [désormais agrégé en Eripho], Mercure de France, vol. XXV, n° 97, janvier 1898, p. 103.

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Figure 18. Pierre Guédy, Amoureuse trinité, Paris, Librairie Nilsson et Per Lamm, collection « Excelsior », [juin] 1897, p. 191.

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Figure 19. Pierre Guédy, Amoureuse trinité, Paris, Librairie Nilsson et Per Lamm, collection « Excelsior », [juin] 1897, p. 249.

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Figure 20. Ernest La Jeunesse, « Henry Bauer », dans Roy Lear [André Ibels], Les Talentiers. Ballades libres, Paris, Bibliothèque d’art de la critique, 1899, p. 34.

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Figure 21. Pierre Guédy, Amoureuse trinité, Paris, Librairie Nilsson et Per Lamm, collection « Excelsior », [juin] 1897, achevé d’imprimé.

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Figure 22. Félicien Rops, Pornokratès, 1878, Namur, musée Félicien Rops.

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Figure 23. Henri-Gabriel Ibels, page de couverture de L’Escarmouche, 1re année, n° 1, 12 novembre 1893, source gallica.bnf.fr / BnF

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Figure 24. Henri-Gabriel Ibels, page de couverture du Courrier social illustré, n° 2, 16-30 novembre 1894, source gallica.bnf.fr / BnF

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Figure 25. Henri-Gabriel Ibels, page de couverture du Sifflet, n° 4, 10 mars 1898, source gallica.bnf.fr / BnF

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Figure 26. Félix Dubois, « Le Péril anarchiste », Le Figaro. Supplément littéraire du dimanche, 13 janvier 1894, p. 1-3 https://fr.wikisource.org/wiki/Le_p%C3%A9ril_anarchiste

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