La réception dans la presse juive des Eaux mêlées et du Dernier des Justes
1En novembre 1955, le prix Goncourt est attribué aux Eaux mêlées de Roger Ikor. L’œuvre fait suite à La Greffe de printemps, paru en janvier de la même année ; les deux textes constituent la première et la deuxième partie d’un volume intitulé Les Fils d’Avrom. Les revues de presse mentionnent souvent les deux ouvrages ensemble.
2Empruntant au paradigme naturaliste de la saga familiale, les deux épisodes des Fils d’Avrom1 racontent l’installation sur le sol français d’un juif lituanien et de sa parentèle entre le début du XXe siècle et le commencement des années 50. La presse juive réserve un accueil contrasté à ce premier Goncourt juif. Avant même l’attribution du prix, un compte rendu favorable à La Greffe de printemps paraît dans L’Information juive d’Alger (avril 1955) ; Les Cahiers de l’AIU consacrent aux deux volumes des Fils d’Avrom un article relativement élogieux (juin-juillet 1955). Mais des réactions hostiles, parfois violentes se manifestent, surtout après le prix. Les premières attaques sont portées dans la revue Évidences en novembre 1955, par Arnold Mandel et Maurice Fuchs. Ils reprochent à Ikor son ignorance du judaïsme, ses caricatures et son parti-pris assimilationniste. Un an plus tard, en décembre 1956, dans la Revue du FSJU, à l’occasion d’un panorama de la littérature juive (« Lettres juives, domaine français ») Rabi (nom de plume de Wladimir Rabinovitch) juge que le Goncourt 1955 a traité son sujet avec « tant d’incompétence » qu’il laisse à son lecteur le sentiment d’« une dissolution sans honneur » (p. 47).
3La polémique produit des effets et pousse les uns et les autres à prendre position ou à réviser leurs positions antérieures. L’Information juive qui, sous la plume de Marguerite Benichou, avait trouvé des mérites à La Greffe de Printemps (« nul dessein de nous nuire, nulle intention malveillante »), déclare désormais dans un bref entrefilet que le roman d’Ikor (il s’agit cette fois des deux tomes du Fils d’Avrom) « glorifie les mariages mixtes et l’assimilation totale2 ».
4En mai 1956, au sein d’un numéro consacré au problème de l’assimilation, la revue Targoum réunit deux articles sur le « dernier prix Goncourt ». L’un des deux articles, « Limites du réalisme juif » porte la signature de Renée Neher-Bernheim et autant que sur Fils d’Avrom, se penche sur La Statue de sel d’Albert Memmi, paru trois ans plus tôt. Aux deux romanciers, l’historienne reproche de nourrir l’antisémitisme en réduisant le judaïsme à un mélange de croyances archaïques, de coutumes barbares et de superstitions : « il y a manière et manière d’être un romancier juif réaliste » (p. 153). L’autre article est rédigé par André Schwarz-Bart qui n’a pas encore modifié l’orthographe de son nom et signe donc A. Szwarcbart. Cette contribution nous intéresse à double titre. Elle montre que Schwarz-Bart a participé à la réception critique du premier Goncourt juif. Elle permet d’imaginer que le livre d’Ikor et son accueil critique ont servi d’avertissement et de repoussoir au futur auteur du Dernier des Justes.
5L’article de Schwarz-Bart est une charge féroce contre Ikor. Il semble s’inspirer de celui de Mandel dans Évidences dont il partage l’ironie mordante, le persiflage voltairien, et reprend le procédé de l’imitation parodique pour résumer l’intrigue de La Greffe de printemps et des Eaux mêlées.
Une fois à Paris, la grande affaire pour Yankel c’est de s’éloigner de la rue des Rosiers. Il aurait sans doute pu commencer par ne pas y aller, mais alors comment s’en éloignerait-il ? Or c’est bien d’éloignement qu’il s’agit. Ce déplacement réussit assez bien et, au bout d’un certain nombre de pages, nous trouvons Yankel en province3.
Ici s’ouvre un chapitre épineux. Nous sommes seulement à la deux centième page ; décemment, nous ne pouvons faire s’assimiler Yankel Mikhanowitzki [sic], car les Juifs heureux n’ont pas d’histoire et là prendrait fin notre roman. Par ailleurs, le lecteur français serait en droit d’exiger que Yankel s’assimilât4.
6Les accusations formulées par Schwarz-Bart rejoignent en partie celle des autres détracteurs du prix Goncourt 55. Lui aussi dénonce chez Ikor (à tort ou à raison, d’ailleurs) un plaidoyer en faveur de l’assimilation (« le Juif supérieur aspire à devenir un Français moyen ») et une représentation caricaturale du monde juif. Ses formules sont violentes : « Juifs exécutés du dedans » (p. 146), « veulerie petite bourgeoise » (p. 151). Le texte se termine sur le mot « abjection ». Lorsqu’il évoquait le mariage à l’église de Simon, le petit-fils d’Avrom, Raymond Fuchs utilisait le mot « trahison » (Évidences, décembre 1955, p. 28). Rabi parlera de « déshonneur5 ».
7Malgré ces similitudes, Schwarz-Bart développe une analyse originale. Il est le seul parmi les chroniqueurs de la presse juive à avoir lu un autre roman de Ikor, À travers nos déserts (1950) ; le seul par conséquent à réfléchir en termes de stratégie littéraire puisque selon lui Ikor aurait décidé d’exploiter le filon juif en raison de l’échec de son premier roman (« Et c’est ici, précisément, que M. Ikor se souvînt [sic] d’être Juif6 »). Seul aussi Schwarz-Bart se préoccupe et se scandalise du silence d’Ikor sur l’extermination des Juifs.
Mais le tour de force commence avec l’occupation...
La difficulté s’énonçait ainsi : comment rendre supportable au lecteur l’extermination des Juifs en Europe ?
8Ni dans la presse juive ni dans la presse nationale, ce silence n’est perçu. C’est que le génocide et sa mémoire sont encore à la périphérie de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. Ce n’est pas un détail, mais un chapitre. La mémoire du génocide juif est une mémoire réservée.
9Schwarz-Bart annonce un changement de paradigme. Avec lui, le génocide devient central dans la définition de l’identité juive. Ignorer cette centralité, c’est s’exposer à l’« abjection ». Avant la fin du siècle, la Shoah aura acquis une place centrale dans l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, puis dans celle de l’humanité.
10En filigrane de l’article de Schwarz-Bart, se dessine un questionnement sur ce que pourrait être, sur ce que devrait être un écrivain juif. Pourquoi écrire un roman juif ? Qui a la légitimité de le faire ? Quels sont les signes publics de cette légitimité ?
11Pour Mandel, Fuchs ou Rabi, la légitimité de l’écrivain juif se mesure surtout à sa connaissance du judaïsme. La disqualification d’Ikor tient grandement à son inculture : « cocasse ignorance des choses juives » (Mandel7), « erreurs grossières » (Fuchs8), « incompétence » (Rabi9), signalent les commentateurs. Raymond Fuchs comptabilise les bévues du romancier : « M. Ikor confond tout. La communauté juive de Russie, le Shtetl, est un ghetto, le Bund un syndicat. Quant à l’école juive, c’est une école rabbinique ! » (p. 27). Fuchs note aussi que le Goncourt 55 méconnaît tellement les règles de la cacherout qu’il fait introduire des huîtres (portugaises, d’abord, Marennes d’Oléron, ensuite) dans une maison où par ailleurs on conserve, conformément aux prescriptions alimentaires du judaïsme, une double vaisselle, l’une pour les mets lactés, l’autre pour les mets carnés (p. 28)10. La liste d’errata s’allonge. Mandel ironise : ce n’est pas sept fois, contrairement à ce que pense l’auteur, mais dix fois qu’au repas pascal on trempe son doigt dans un verre de vin ; Ikor « nous fait un rabais de 30 p. cent sur les plaies d’Égypte […] » ! (p. 47). Pas étonnant, semble lui répondre Fuchs, il confond les dix plaies d’Égypte avec les sept merveilles du monde (p. 28). À ce procès en incompétence, Schwarz-Bart ne participe pas. Il y a sans nul doute prêté attention. Peut-être a-t-il lu également la réponse d’Ikor dans le numéro 54 de la revue Évidences (janvier-février 1956) où celui-ci se défend des accusations d’ignorance en matière religieuse en leur opposant des preuves non pas scolastiques mais empiriques : son récit est véridique car fondé sur un vécu familial dont le témoignage lui a été directement transmis.
12Plus jeune que Rabi ou Mandel, Schwarz-Bart est encore un enfant quand la guerre éclate. La mort de ses parents en déportation le prive d’une mémoire et d’une transmission ; il n’a suivi aucun cursus d’études juives. Il n’a pas fréquenté une école rabbinique comme Mandel. Il ne lit pas l’hébreu comme Fuchs. Il n’est pas historien du judaïsme comme Rabi. Il n’a pas étudié le Talmud avec un maître, comme Elie Wiesel.
13En 1955, Schwarz-Bart n’est pas un « juif de savoir », mais plutôt un « juif d’engagement ». Contrairement à Ikor, il investit sa condition juive. Pendant la guerre, il participe à la résistance au sein des FTP-MOI (Francs-tireurs partisans-Main d’œuvre immigrée, qui recrutent largement dans les milieux juifs), puis dans l’armée régulière rejoint une unité de volontaires juifs, la compagnie Julien Zerman. Il rompt avec le communisme au moment de l’affaire Slansky qui, avant le prétendu « complot des blouses blanches », révèle l’antisémitisme des régimes staliniens. Il travaille comme moniteur à l’orphelinat juif de Montmorency, milite à l’UEJF11. Ses premières publications littéraires paraissent dans Kadimah, la revue de l’UEJF.
14Selon Francine Kaufmann12, cependant, au cours des années 50, au moment de ses premières ébauches littéraires, il entreprend de combler ses lacunes dans les matières juives. Aussi, lorsqu’il surgit dans le champ littéraire à la fin des années 50, il réunit les conditions pour apparaître tel un anti-Ikor. Il représente une judéité d’affirmation que Roger Ikor n’incarne pas. Par son histoire familiale – parents déportés –, il personnifie la tragédie juive que Roger Ikor ne reflète pas. Il a les réseaux que Roger Ikor n’a pas. Il a acquis une science du judaïsme qui manque à son aîné. Le Dernier des Justes ne sera pas un héritier des Fils d’Avrom.
15Tout oppose en effet les deux œuvres. Afin de bannir les comparaisons sans raison, nous nous contenterons d’examiner comment le Goncourt 59 a traité les points qui attisèrent les passions à l’encontre du Goncourt 55.
16Le génocide est quasi absent des Eaux mêlées. L’antisémitisme y est réduit aux pogroms lituaniens. À l’inverse, le génocide et les persécutions sont centraux dans Le Dernier des Justes. La Shoah apporte une conclusion et une fin à des siècles d’antisémitisme systémique pratiqué par l’Europe chrétienne.
17La question de l’assimilation avait nourri les rancœurs contre Les Fils d’Avrom. D’une certaine manière, la fin des Justes clôt le dossier. Les Juifs, assimilés ou pas, religieux ou laïques, ont été assassinés en tant que Juifs. La Shoah a opéré une sinistre désassimilation au sein du peuple juif. Même si la tentation de l’assimilation existe dans le roman de Schwarz-Bart, les Lévy ne renient jamais leur judéité.
18Enfin, alors que Roger Ikor, adoptant la posture du témoin informé, donnait prise au soupçon d’incompétence, André Schwarz-Bart opte pour une autre scène générique qui est celle de la fiction documentée, voie frayée dès 1950 par l’écrivain américain John Hersey avec son roman The Wall. Il n’a pas vécu en Pologne, n’a pas grandi dans un milieu hassidique, n’a pas été scolarisé en Allemagne sous le régime nazi, n’a pas été déporté, n’est pas mort dans une chambre à gaz. Il a pu évidemment recueillir des témoignages auprès d’amis ou de relations (tel Erni Levy, ce jeune juif allemand rencontré dans la compagnie Julien Zerman13) sur telle ou telle réalité, ou sonder sa mémoire à propos de telle autre. Mais en fait, la plupart des situations imaginées par Schwarz-Bart sont étayées par la documentation qu’il a compilée. Son texte est « un tissu de citations », pour reprendre et détourner la définition de l’intertextualité par Barthes14. On y trouve, venus directement ou indirectement de Simon Doubnov, Edmond Fleg, Martin Buber, Léon Poliakov, Jules Isaac, Georges Wellers, Michel Borwicz, Olga Wormser, des informations relatives à la vie et aux croyances des communautés hassidiques, aux controverses, procès et persécutions du Moyen Age, à la politique raciale du IIIe Reich, la vie à Drancy ou la mort à Auschwitz. On y trouve, parfois recopiés à la lettre, des emprunts aux ouvrages compulsés. Francine Kaufmann fournit dans sa thèse un relevé des emprunts et une analyse des modalités d’insertion du texte emprunté dans le récit de Schwarz-Bart15.
19Ce qu’il faut retenir, c’est que la fiction documentée permet d’inclure la Shoah dans un pacte romanesque. En multipliant les garanties documentaires, en captant l’autorité de la parole d’autrui, Le Dernier des Justes fraye la voie, après Hersey et quelques autres, à la fictionnalisation de la Shoah. Il marque une étape capitale dans la littérature génocidaire. La Nuit d’Elie Wiesel, paru en France une année auparavant, s’appuyait encore, en raison de son socle autobiographique, sur l’autorité de la chose vue et vécue. L’heure est venue d’un nouveau pacte narratif dans la littérature génocidaire.
20Las ! Le Dernier des Justes soulève parmi les commentateurs juifs autant d’objections, et des objections du même ordre que Les Eaux mêlées. Si le Goncourt 59 suscite plus d’éloges et soulève globalement plus d’enthousiasme que son devancier, force est de constater que souvent, cet enthousiasme est tempéré par des restrictions et que les éloges, comme les eaux d’Ikor, sont mêlés. « N’allez pas, Schwarz-Bart, sur les traces de Roger Ikor » prévient justement Mandel dans L’Arche16. Car il a détecté dans le premier opus, par ailleurs admirable, de ce jeune écrivain des confusions de mauvais aloi. « Non, la “Hatikva” n’est pas davantage un “chant millénaire” que la “Madelon”17 », « “Selihoth” est un pluriel féminin et il ne faut pas écrire “une Slihoth” » « Vous êtes des nôtres, conclut Mandel, et vous n’aurez pas davantage le “Goncourt ” que votre Dernier des Justes le Prix Monthyon ».
21Or, précisément, le Goncourt est promis, puis donné au Dernier des Justes. À mesure que son succès grandit, la polémique enfle, les attaques se durcissent, les adhésions se font plus enthousiastes, l’affaire atteint une dimension nationale à laquelle Les Eaux mêlées n’avaient jamais accédé. André Parinaud consigne dans un article de la revue Arts, outre l’accusation de plagiat dont il a été question plus haut, un relevé des erreurs commises par Schwarz-Bart. Yohanan ben Zacaï n’a pas vécu au Moyen Age mais au 1er siècle de notre ère. Les Justes ne forment pas une dynastie et ne sont pas nécessairement souffrants. Aucune juive au Moyen Age n’aurait pu s’appeler Rachel Goldmann18. On parle des Pâques chrétiennes mais de la pâque juive. La Hatikvah n’est pas plus un chant millénaire que la Madelon. Bref, Schwarz-Bart a puisé « ses connaissances dans l’à-peu-près et le bric-à-brac19 », il a commis « des confusions énormes » qui le disqualifient. Schwarz-Bart reçoit sa liste d’errata, comme Ikor avait reçu la sienne. On imagine que Parinaud, qui n’a aucune lumière particulière en matière de judaïsme20, a pris ses informations auprès de sources juives autorisées. On remarque que deux arguments (la modernité de la Hatikvah comparée à celle de la Madelon ; la faute de grammaire concernant le pluriel de selihoth) se trouvent déjà, à l’identique, dans l’article de Mandel. L’affaire rebondit avec un nouvel article de Mandel dans L’Arche de novembre 1959 (n° 35, p. 45-46). Celui-ci nie toute participation au « complot » contre Le Dernier des Justes et revient sur son premier jugement : en fait, le livre de Schwarz-Bart nous change de la « trivialité » d’Ikor. Dans les faits, cette concession débouche sur une sévérité accrue. L’authenticité que le roman réussit à atteindre sur le « plan affectif » se paie d’une « extrême confusion » ; le jeune romancier « s’est improvisé le messager d’une culture et d’une civilisation dont il ignore les sources et même les termes » (p. 45).
22Après avoir consacré un dossier au Goncourt 55, la revue Évidences récidive avec la cuvée 59. Il n’y a pas, en vérité, d’éreintement absolu au sein de ce mélange équilibré de louanges et de blâmes. La tonalité de l’éloge semble même dominer, in fine. On prêtera une attention plus particulière aux articles d’Émile Touati (« La légende21 ») et de Léon Poliakov (« Le témoin22 »). Ils tentent d’établir que Schwarz-Bart offre, dans son livre, une vision christianisée du judaïsme. Esprit d’assimilation chez Ikor, christianisation chez Schwarz-Bart, ces deux griefs se superposent et s’équivalent. Pour Émile Touati, l’interprétation de la souffrance juive livrée par Le Dernier des Justes est « plus proche du jansénisme ou du Dialogue des Carmélites que de la vraie doctrine juive23 ». Quant à Poliakov, il avance que si Le Dernier des Justes a plu à beaucoup de Juifs, c’est parce qu’il leur a donné une version christianisée de leur histoire, « la seule qui leur était accessible24 ». Les Lettres nouvelles qui réunissent également un dossier sur Le Dernier des Justes reçoivent un texte d’Arthur Sandauer intitulé « Un judaïsme christianisé » (le 2/12/1959).
23De fait, d’un Goncourt à l’autre, c’est une sorte de routine journalistique qui paraît se déployer. La presse nationale participe autant que la presse juive à cette routinisation de la réception des romans juifs à succès. On notera que les soutiens médiatiques les plus fervents du Goncourt 59 proviennent de personnalités engagées dans des aggiornamenti religieux. Il s’agit, côté chrétien, d’André Rousseaux, chroniqueur littéraire du Figaro, proche de Mauriac, ou encore de Jean-Marie Domenach, chrétien de gauche, directeur de la revue Esprit ; côté juif, on trouve Renée et André Neher, piliers de « l’école de pensée juive de Paris » qui renouvelle profondément la pensée juive au XXe siècle. Tandis que les premiers remettent en cause l’antijudaïsme séculaire de la Chrétienté, les seconds cherchent à mettre en lumière l’universalisme du message judaïque. Ils sont par conséquent ouverts à l’œuvre d’un jeune auteur qui s’écarte des orthodoxies tant littéraires que religieuses. Dans le même numéro d’Esprit, Domenach assure qu’« [u]ne grande œuvre juive vient de paraître » et les Neher que « le roman d’André Schwarz-Bart est dans la ligne droite de la tradition juive25 ». Cette contre-lecture, qui réfute les accusations souvent réitérées (christianisation, inculture), restaure à Schwarz-Bart sa stature d’anti-Ikor. Elle légitime, du même coup, la fiction documentée et son ambition d’imposer une nouvelle espèce de littérature génocidaire, où Drancy, le wagon plombé, Auschwitz, les chambres à gaz, prennent rang de topoï. Peut-être est-ce cette sensibilité aiguë à la nécessité du changement qui la rapproche d’André Schwarz-Bart qui, lui, de son côté, propose dans la littérature de la Shoah un changement de paradigme.