Atelier de théorie littéraire
Impossible de parler de polyphonie sans aborder l'intertextualité. En effet, Julia Kristeva, dans l'article où elle présente la théorie bakhtinienne de la polyphonie (« Le mot, le dialogue, le roman »), introduit le terme (dans un paragraphe intitulé « le mot dans l'espace de textes ») et la définition restée célèbre d'une notion présentée comme « une découverte que Bakhtine est le premier à introduire dans la théorie littéraire : tout texte se construit comme mosaïque de citations, tout texte est absorption et transformation d'un autre texte. A la place de la notion d'intersubjectivité [entre le sujet de l'écriture et le destinataire] s'installe celle d'intertextualité, et le langage poétique se lit, au moins, comme double.[ ] Le mot [au sens de bakhtinien de discours] est mis en espace : il fonctionne dans trois dimensions (sujet-destinataire-contexte) comme un ensemble d'éléments sémiques en dialogue ou comme un ensemble d'éléments ambivalents. Partant, la tâche de la sémiotique littéraire sera de trouver les formalismes correspondant aux différents modes de jonction des mots (des séquences) dans l'espace dialogique des textes. » (J. Kristeva, Sémiotikè, recherches pour une sémanalyse, Seuil, 1969, p. 85). Cette notion est à mettre en relation dans la théorie de J. Kristeva avec celle de texte : « nous définissons le texte comme un appareil translinguistique qui redistribue l'ordre de la langue, en mettant en relation une parole communicative visant l'information directe avec divers types d'énoncés antérieurs ou synchroniques. Le texte est donc une productivité, ce qui veut dire : 1- son rapport à la langue dans laquelle il se situe est distributif (destructivo-constructif), par conséquent il est abordable à travers des catégories logiques plutôt que purement linguistiques ; 2- il est une permutation de textes, une intertextualité : dans l'espace d'un texte plusieurs énoncés, pris à d'autres textes, se croisent et se neutralisent. » (« Le texte clos », in Sémiotikè, recherches pour une sémanalyse, Seuil, 1969, p. 52) Bakhtine est en fait « récupéré » par Kristeva et les membres du groupe Tel Quel, car sa théorie du dialogisme et d'une altérité permanente traversant le discours correspond aux attendus de la théorie littéraire défendue par les amis de Ph. Sollers : non-unicité du sujet, rejet de l'histoire littéraire traditionnelle et de l'étude des sources au profit d'un texte littéraire conçu comme unité close (idée héritée du formalisme russe), mais travaillé par tous les autres textes, passés, présents, et, comme le montrera en particulier Riffaterre, à venir. Contrairement à la perspective historique traditionnelle qui fige le texte comme résultat d'une somme d'influences, l'intertextualité l'envisage comme un perpétuel devenir (la « productivité » du texte), toujours renouvelé par le dialogisme avec d'autres textes.
Claire Stolz
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