éditoriaux

La Troisième République des Lettres au féminin

La Troisième République des Lettres au féminin

Depuis 2021, la collection L'Imaginaire des éditions Gallimard s’est engagée dans la réédition d’autrices parfois méconnues, à l’instar de la série "Les œuvres du matrimoine" dans la collection Librio chez Flammarion, qui propose des rééditions d’œuvres d’autrices de l’Ancien Régime jusqu’au XIXsiècle. Mais bien d'autres maisons, dont les plus précaires maisons indépendantes comme la variation, et d'autres mains, œuvrent à la revalorisation d'un canon féminisé. À l'initiative de Valentine Bovey, le 91e dossier critique d'Acta fabula se demande ce que signifie "Rééditer la Troisième République des lettres au féminin". Le dernier tiers du XIXe s. et les premières décennies du XXe s. ont vu s'accroître le nombres de titres signés par des femmes, sur fond des premières luttes féministes, et concurremment à l’émergence d’un nouveau discours sur les sexualités — en particulier sur l’homosexualité qui, si elle est toujours très stigmatisée, devient un sujet littéraire à part entière. Le dossier s'intéresse à la réception de certaines de ces œuvres et au discours qui les accompagne, dans un péritexte repensé souvent à partir des clés d’analyse offertes par études genre et queer. Valorisation parfois ambigüe, qui peut confiner ces œuvres dans un contre-canon, au sein de collections qui visent un public militant, en leur refusant le passage du particulier à l’universel que souhaitait Monique Wittig pour la littérature minoritaire.

En langue d'Oc

En langue d'Oc

En 2022, la revue canadienne Voix plurielles publiait une série d’articles sur les "Écritures de femmes d’oc, XIXe-XXIe s.", à l'initiative de Jean-François Courouau et Cécile Noilhan. Une nouvelle livraison supervisée par Cécile Noilhan vient prolonger cette réflexion avec "Femmes d’oc et engagement (XXe-XXIe s.)", un dossier regroupant cinq contributions sur la langue occitane, ses auteures, ses artistes et ses chercheuses.

Jean-François Courouau coordonne de son côté un sommaire de la revue toulousaine Littératures Classiques sur les "Vocalités d'Oc (Théâtre, chansons, poésie)", qui vient rappeler que le XVIIe siècle est un grand siècle de création artistique dans la langue d’oc, alors couramment employée par l’ensemble de la population dans le sud du royaume. Ces œuvres, pour beaucoup oubliées de nos jours, témoignent d’un dynamisme paradoxal – alors que triomphe la littérature de langue française – et d’une étonnante originalité. Une des caractéristiques les plus frappantes réside dans l’usage qui est fait, quel que soit le genre pratiqué, de la vocalité. Les paroles, les voix plurielles de tout un monde se font entendre et, tout en connaissant et en respectant les conventions tacites qui régissent la vie artistique de leur temps, les créateurs de langue occitane jouent sur le décalage, le contrepoint, l’opposition plus ou moins directe. Le théâtre, joué dans la rue, comme à Béziers, ou en Provence temps de carnaval, est le lieu d’élection de ces discordances mais on perçoit également ce primat accordé à la vocalité aussi bien dans la poésie que dans la chanson, religieuse ou profane. Une présence de la voix occitane qui se fait entendre jusque dans le Nouveau Monde. Fabula vous invite à en découvrir le sommaire…, prochainement accessible en ligne via Cairn.

Rappelons la publication un peu en amont d'un numéro de la même revue Littératures classiques conscacré au "théâtre provincial en France", à l'initiative de Bénédicte Louvat et Pierre Pasquier, et que la première a entrepris d'éditer Le Théâtre de Béziers Pièces historiées représentées au jour de l’Ascension (1628-1657) aux éditions Classiques Garnier, un ensemble de vingt-quatre pièces jouées le jeudi de l’Ascension à Béziers, pendant les fêtes dites des Caritats, au cours des années 1610-1650, et publié entre 1628 et 1657 par un imprimeur-libraire local, Jean Martel, sous la forme de trois recueils collectifs et de pièces isolées. On doit aux deux mêmes chercheurs une anthologie de Théâtres de Province au XVIIe s. (Classiques Garnier) qui fait également la part belle au théâtre occitan.

Et signalons le compte rendu donné dans Acta fabula par Violaine Giacomotto-Charra du livre de Jean-François Courouau, Et non autrement. Marginalisation et résistance des langues de France (xvie-xviie siècles) : "À ceste heure parle tu naturellement. (Sur)vivre dans l’ombre du français triomphant".

 

Littératures sauvages : le surréalisme hors du livre

Littératures sauvages : le surréalisme hors du livre

Récurrente au fil du temps, l’exploration des alternatives au livre s’intensifie au début du XXe siècle, en devenant une constante des mouvements modernistes et avant-gardistes. Le surréalisme n’y échappe pas, créant même en ce domaine une position originale, mais non dépourvue d’ambiguïtés : porté par le désir d’une poésie exprimée dans la vie même ou, en Belgique, par le refus de toute forme d’institutionnalisation, ce mouvement exploitera assidument les possibilités offertes par les littératures sauvages, ces productions élaborées hors du circuit traditionnel de l’édition, le plus souvent sur des supports de fortune ; mais il apparaîtra également, en France à tout le moins, comme la plus livresque des avant-gardes. La journée d’étude « Le surréalisme hors du livre », qui s’est tenue le 20 juin 2023 à l’université de Namur, déplie les tensions au cœur des usages surréalistes de la littérature hors du livre à partir des surréalismes français et belge, sans exhaustivité mais avec le souci d’interroger les points les plus représentatifs de l’histoire de ce mouvement. Les Colloques en ligne de Fabula en accueille les actes, réunis par Manon Houtart et David Vrydaghs.

Penser queer en français

Penser queer en français

Se faire un prénom

Se faire un prénom

François Cusset l'avait mis sous les feux des projecteurs en 2003 dans un essai consacré à cette French Theory dont il a été l'infatigable promoteur et peut-être même l'inventeur outre-Atlantique comme un peu plus tard des Cultural Studies ; on ne connaissait guère de lui sur le Vieux Continent que trois articles accueillis par la revue Poétique tout au long des années 1970. Mais les Presses du Réel ont (re)donné la parole en 2022 la parole à Sylvère Lotringer, disparu en novembre 2021, dans deux volumes d'entretiens déjà salués par Fabula : le premier édité par François Aubart et François Piron sous le titre Ce que Sylvère Lotringer n'écrivait pas, où l'intéressé raconte l'aventure éditoriale de la revue Semiotext(e) devenue une maison d'édition, encore vivante aujourd'hui, et les manières de faire qu'il a développées pour maintenir pendant 40 ans une ligne politique fidèle en amitiés et attentive aux pulsations du monde contemporain ; et J'étais plus américain que les Américains, des dialogues avec Donatien Grau qui nous donnent accès à la vie de Sylvère Lotringer, ses amitiés, ses choix, son admiration pour certains des plus grands penseurs de notre temps.

François Cusset fait aujourd'hui le roman de ce personnage, en lui laissant son seul prénom Sylvère (Sens & Tonka, 2025) ; la vie agitée d'un presque inconnu pour servir de tombeau à tout le vingtième siècle : "parce qu’il a été enfant caché, habité par la guerre et une judéité refoulée, parce qu’il a pressenti l’éternel retour du fascisme, parce qu’il a importé en Amérique la French Theory et exporté en Europe l’avant-garde US, parce qu’on lui doit une revue culte et des fêtes mémorables, parce qu’il a été l’ami de John Cage et de Félix Guattari, des féministes punks et des artistes en vogue, parce qu’il a été noceur à New York et cinéaste insolite, prof de philo mythique et personnage de série, et qu’il n’a cessé, tout du long, de faire exister plus grand que lui pour se taire et mieux disparaître". 

(Photo: Sylvère Lotringer, par Alejo Duque)

Au courant du monde

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La voie de la science-fiction

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