Acta fabula
ISSN 2115-8037

2009
Août-Septembre 2009 (volume 10, numéro 7)
Giusy De Luca

Calvino et Queneau frères littéraires

Sergio Cappello, Les années parisiennes d'Italo Calvino (1964-1980) Sous le signe de Raymond Queneau, Paris : Presses de l'Université Paris-Sorbonne, 2007, 363 p., ISBN : 978-2-84050-525-9

1Ce livre est tiré de la thèse soutenue par Sergio Cappello à la Sorbonne en 2005. Le titre est alléchant et fait attendre quelques détails biographiques. Cappello dans son introduction dit qu'une approche biographique des “années parisiennes” de Calvino lui semblait “abusive” (p.9), mais cela aurait rendu le texte plus léger. Notre critique ne diminue pas la qualité du travail de Cappello qui réalise une étude attentive et précise de l'œuvre de Calvino et de celle de Queneau. “L'approche resserrée des textes” (p.9) est exceptionnelle et le chercheur ne cesse de citer ses sources avec des notes exhaustives et beaucoup de traductions de l'italien. Le lecteur curieux de l'œuvre de Calvino découvre le laboratoire d'écriture du romancier italien et ses rapports profonds avec le monde parisien des avant-gardes littéraires et artistiques du XXe siècle. En particulier son lien fondamental avec Raymond Queneau, comme l'indique le sous-titre. L'étude est aussi enrichissante pour ceux qui étudient la production de Calvino que pour ceux qui s'occupent de l'œuvre du créateur de l'Oulipo.

2Le texte est divisé en trois parties. La première partie est intitulée “Le Cosmicomiche”et comprend les premiers cinq chapitres. Elle est consacrée à l'étude du rapport qui existe entre le recueil de récits des Cosmicomiche de Calvino et la Petite Cosmogonie portative de Queneau. La deuxième partie intitulée “I fiori blu” analyse la traduction faite par Calvino en 1967 du roman de Queneau Les Fleurs Bleues. Cette partie est composée de quatre chapitres. La troisième et dernière partie, “Palomar et la trilogie de Queneau”, comprend les trois derniers chapitres et étudie les rapports existant entre la trilogie poétique de Queneau, Courir les rues, Battre la campagne et Fendre les flots et le dernier roman de Calvino, Palomar.

3Dans le premier chapitre “La naissance du projet” Cappello observe l'évolution de la production calvienne de la fin de l'année 1960 jusqu'au moment où Calvino se met à l'écriture des Cosmicomiche (les premiers récits de ce recueil paraissent en 1965 mais Calvino en ajoute d'autres pendant une vingtaine d'années). Entre 1960  et 1961 Italo Calvino traverse une crise créative et l'annonce à ses amis parmi lesquels figure Natalia Ginzburg. C'est la fin d'une phase créative qui avait été marquée par la publication de trois romans “invraisemblables”: Il visconte dimezzato publié en 1953, Il barone rampante publié en 1957 et Il cavaliere inesistente publié en 1959. À partir de 1960 Calvino commence à s'intéresser à l'anthropologie de Mircea Eliade et il réalise le recueil des Fiabe italiane. L'anthropologie et l'ethnologie lui fournissent des modèles de lecture d'un monde qui devient de plus en plus difficile à déchiffrer. Calvino est à la recherche d'une nouvelle voie expressive qui puisse traduire en littérature les transformations rapides et profondes de la société : “À cet égard, la démarche expérimentale de la science, opérant une critique préalable des habitudes perceptives, linguistiques et conceptuelles, offrait à l'écrivain le meilleur modèle de ce qu'il convenait faire en littérature, d'autant plus que sa relecture très personnelle de l'histoire des avant-gardes artistiques du XXe siècle l'encourageait à s'engager dans cette direction” (p. 29). En effet les Cosmicomiche représentent un nouveau genre romanesque censé traduire la complexité contemporaine. Avant d'en entamer la construction Calvino fait une déclaration de poétique dans sa nouvelle La giornata d'uno scrutatore écrite entre 1961 et 1962. Le protagoniste de cette nouvelle, Amerigo Ormea, est scrutateur dans une institution qui accueille des personnes souffrant d'infirmités très graves. Cette expérience lui révèle “l'inanité de toute idéologie” et sa prise de conscience correspond à celle de Calvino qui, dès la fin des années cinquante, avait commencé un chemin de libération de toute idéologie. En août 1957 il avait  démissionné du parti communiste et  finalement  en 1963 il tourne une page de son histoire personnelle et  renonce “à écrire des oeuvres à teneur idéologique forte” (p.35).

4Le deuxième chapitre de l'étude de Sergio Cappello, “Le Cosmicomiche”, illustre le procédé d'écriture suivi par Calvino pour la réalisation de son oeuvre. En 1964 les quatre premiers récits des Cosmicomiche – La distanza dalla luna, Sul fare del giorno, Un segno nello spazio, Tutto in un punto - sont publiés dans Il caffé politico e letterario. Calvino écrit une brève “note de l'auteur” dans laquelle il explicite son procédé d'écriture : “un prototexte, représenté par un énoncé scientifique, suivi d'un texte narratif qui lui sert de commentaire” (p.39). Il dit avoir lu des livres de vulgarisation scientifique et d'avoir écrit à partir d'une phrase qui a réveillé en lui une image. Le romancier dévoile aussi  les sources de ses récits : les écrits de Leopardi, les bandes dessinées de Popeye, les œuvres de Samuel Beckett, de Giordano Bruno, de Lewis Carroll, la peinture de Matta, l'œuvre de Landolfi, la philosophie d'Emmanuel Kant, la pensée e Borges, les gravures de Grandville (p.38).

5Le Cosmicomiche  parait en volume chez l'éditeur Einaudi à l'automne 1965 et en 1967 Calvino y ajoute un autre recueil Ti con zero. Pendant une vingtaine d'années Calvino écrits des récits du même genre et c'est en 1984 que l'éditeur Garzanti publie le volume Cosmicomiche vecchie e nuove. La plupart des récits écrits pendant les années soixante ont comme protagoniste un héros-narrateur qui guide le lecteur: Qfwfq. Sur cette “instance narrative” s'arrête l'attention de Cappello. En effet tout lecteur se demande comment lire ce nom, comment en déchiffrer la signification. Cappello souligne l'importance de ce personnage qui, comme dans les romans de science-fiction, aide le lecteur à comprendre ce qui arrive dans les récits. Ce nom est un palindrome et ce n'est pas un hasard si les récits de Calvino sont construits sur un principe de réversibilité et de symétrie. Les thèses sont toujours mises en discussion par Qfwfq qui renverse systématiquement les données initiales et qui vit dans une sorte de métamorphose continuelle (p. 49). Les discours de Qfwfq semblent imiter les nombreux discours fragmentaires de la science moderne. Derrière ces discours scientifiques Calvino se retrouve à imiter d'une façon ironique le discours mythique. Les mythes essaient d'expliquer le monde et le romancier donne, à travers son écriture “scientifique”, l'image de la réalité complexe et mystérieuse dans laquelle il vit.

6Dans le troisième chapitre de son livre Cappello examine l'intertextualité littéraire et philosophique des Cosmicomiche. “La philosophie qui nourrit les cosmicomics est tout d'abord une philosophie traduite en images et intégrée à l'ensemble des relations (infra- et inter-) textuelles dans un espace à la fois bien balisé et ouvert à de multiples lectures.” (p.56). Par exemple, la conception philosophique de Giordano Bruno, selon laquelle l'homme n'est qu'une réalisation des possibilités de l'infini, se retrouve dans les récits qui présentent un cosmos où les êtres sont dans une métamorphose constante et font partie d'une âme universelle. Le lien avec Giacomo Leopardi est évident pas seulement à cause de récits “sur la lune” (Leopardi est le chanteur italien de la lune) mais aussi parce que “Calvino emprunte aux Operette morali l'idée d'organiser le récit à partir de conjectures cosmologiques” (p.60). Il emprunte aussi le procédé de l'ironie qui était fondamental chez Leopardi. Une ironie qui se révèle partout et déjà dans le néologisme “cosmicomics [...] un mot hybride, associant la représentation de l'univers, traditionnellement entourée d'un halo de sublime, d'un part au comique, bas et familier, et d'autre part à une sous-littérature populaire et enfantine telle que la bande dessinée” (p. 62). Tommaso Landolfi, auteur que Calvino étudie en qualité d'éditeur et qui le fascine avec ses récits, lui suggère le contraste entre le hasard et la nécessité. Cette l'admiration de Calvino pour Landolfi s'associe à celle pour Borges qui a en commun avec Landolfi la capacité de présenter des récits imaginaires parfaits et qui capturent le lecteur dans une toile mathématique et compliquée. La littérature permet de créer des mondes et des possiblités imaginaires et ces univers ne sont qu'une représentation de ce qui pourrait arriver dans la réalité. Calvino admire aussi Lewis Carroll “un écrivain qui a su impliquer le lecteur dans le mécanisme de la production textuelle” (p.77). Carroll allie la fantaisie et la tradition du conte philosophique et les Cosmicomiche  s'inscrivent dans la même lignée.

7Le quatrième chapitre est consacré à l'intertextualité et aux arts figuratifs : “Calvino met en avant le pouvoir de l'image, capable de stimuler chez le lecteur des associations mentales plus articulées et plus rapides que le discours verbal” (p.82). Parmi les principaux inspirateurs du projet des Cosmicomiche il y a le dessinateur français Jean Ignace Isidore Gérard dit Grandville. Il existe une analogie entre les aventures de Qfwfq où les règnes (minéral, naturel, humain) se mélangent et les images de Grandville qui dans ses images d' Un autre monde déforme les êtres ou donne un caractère anthropomorphe aux formes naturelles. A côté de Grandville il existe un autre artiste que Calvino admire : Sébastien Matta. Ce peintre chilien exprime une idée de l'art qui est semblable à la poétique calvinienne parce qu'il fait de l'observateur un vrai participant dans la création de l'œuvre. D'ailleurs cette idée est celle exprimée dans plusieurs écrits théoriques de Marcel Duchamp, artiste que Matta considérait son “maître à peindre”. Calvino se rattache aux deux peintres pour sa tentative de représentation totalisante de l'univers: idée impossible à réaliser mais présente à  chaque page.

8Le cinquième et dernier chapitre de la première partie est consacré par Cappello à une étude longue et précise de la Petite Cosmogonie portative de Queneau. Livre fondamental pour la formation de Calvino pendant ses années parisiennes. Ce poème épique, qui trouve sa source dans le De rerum natura de Lucrèce, “met en vers une sorte de somme encyclopédique des connaissances en vigueur dans les sciences de la nature à l'époque de sa rédaction [...] Queneau retrace toute l'histoire de l'univers, de l'atome primitif aux ordinateurs, en passant par l'évolution des formes de la matière et des organismes vivants.” (p. 109). L'écrivain italien s'intéresse à ce poème pendant une vingtaine d'années en  le lisant et en l'étudiant. Finalement il en confie la traduction à Sergio Solmi et le livre paraît en italien en 1982 chez Einaudi précédé d'un commentaire de Calvino “Piccola guida alla Piccola cosmogonia portatile”. Calvino explique qu'il a retrouvé dans le modèle cosmogonique de Queneau un modèle esthétique : la matière ne connaît pas de formes définitives comme le texte littéraire qui change continuellement à travers ses nombreux lecteurs.

9Dans le sixième chapitre “Calvino traducteur de Queneau” Cappello décrit la méthode suivie par Calvino dans sa traduction des Fleurs Bleues. Le livre de Queneau paraît chez Gallimard en 1965 et sa traduction en italien en 1967 chez Einaudi. Calvino donne beaucoup d'importance aux traductions et il définit la traduction d'une manière générale “non seulement un complément essentiel de l'écriture, mais la véritable clé de voûte de la création littéraire” (p.164).  Lorsque Calvino se met à la traduction de Queneau il doit faire face  à une langue très expressive et riche de phrases empruntées au parlé. Même le lecteur français a quelques difficultés lorsqu'il lit ce roman et pour Calvino se pose le problème de transmettre la variété et la richesse des Fleurs Bleues aux lecteurs italiens. Sergio Cappello décrit comment Calvino résout beaucoup de  difficultés. Par exemple pour traduire “le ton familier et populaire  évoqué dans l'original par la déformation de l'orthographe [Calvino introduit] quelques termes peu orthodoxes, par exemple parcheggiamento au lieu de parcheggio” (p.176). Il arrive à traduire les différents codes mis en place par Queneau en faisant des réductions ou des annexions mais sans alourdir le texte,

10Le septième chapitre “Une prosodie généralisée” est une analyse de tous les procèdés de traduction mis en place par Calvino. Cappello souligne comment quelques jeux de mots et calembours du roman original se perdent dans la traduction calvinienne. Le romancier italien arrive à bien traduire les rimes et il utilise des codes linguistiques variés pour surmonter des difficultés. La  phrase “la valeur faciale des mots” traduite avec “l'aspetto significante delle parole” (p.192) est le résultat de l'utilisation du code lexical de la linguistique.

11Dans le huitième chapitre Cappello illustre “Les interprétations” du texte de Queneau que Calvino avait résumé dans sa “note du traducteur”. Il existe une interprétation psychanalytique, faite par Anne Clancier, qui lit Les Fleurs Bleues comme “une illustration romanesque, d'ailleurs très réussie, de la métapsychologie freudienne” (p. 205). Une interprétation philosophique hégélo-kojevienne qui lit l'histoire du duc d'Auge  comme la représentation d'une Histoire qui révèle toute sa signification au moment de son accomplissement. L'individu ou l'être naturel, selon Hegel, “ne recouvre la plénitude de sa signification qu'au cours de l'Histoire [et ...Les Fleurs bleues sont] un conte fantastico-philosophique dont la cohérence spatio-temporelle nous est donnée par le rêve, le lieu du souvenir ” (p.217).

12Le neuvième chapitre “Littérature et utopie” étudie l'approche de l'histoire de la part de Queneau et son influence dans l'œuvre de Calvino. Le romancier italien avait étudié un petit essai de Queneau intitulé Une histoire modèle publié en 1962 mais écrit en 1942.  Dans cet essai Calvino remarque que “Queneau oppose à l'entropie désespérée de l'histoire, l'ordre – conjectural- des modèles mathématiques et il essaie de fonder la connaissance de l'histoire sur une approche rationnelle “ (p.227).  Cette approche est celle tentée par Hegel et c'est le critique italien Carlo Ossola qui illustre la fascination de Calvino pour la philosophie de l'histoire hégélo-kojevienne méditée par Queneau. Le romancier toutefois ne trouve pas la réponse absolue dans la philosophie de Hegel et il s'intéresse à un autre philosophe: Charles Fourier. Là encore c'est à travers sa vie parisienne que Calvino découvre le philosophe de l'Harmonie. A Paris dans les années soixante-dix il y a une vague d'intérêt pour ce penseur : Roland Barthes, en 1970, publie un essai intitulé “Vivre avec Fourier” où il analyse le système social inventé par le philosophe. Mais “la véritable redécouverte de Fourier” (p.234) est  liée à André Breton qui étudie les écrits du philosophe, à New York, dans les années 1944-46. Les romans de Calvino écrits après 1967 (Il castello dei destini incrociati de 1969, Le città invisibili de 1973, Se una notte d'inverno un viaggiatore de 1979) sortent de la réflexion de l'écrivain sur l'œuvre de Fourier. Ils représentent des mondes possibles et leur construction est presque mathématique. Leur complexité paradoxalement est une alternative à la réalité et une représentation des multiples aspects du réel. Calvino est tellement fasciné par les idées fouriéristes que, en 1974, publie un texte intitulé “Quale utopia?” en illustrant la parenté de l'utopie avec les langages de l'art et de la littérature. L'utopie de Fourier se rapproche des machines logico-fantastiques qu'il crée parce qu' il y a  un “monde pensé dans tous ses détails selon d'autres valeurs et d'autres rapports” (p.243). Au moment-même où Calvino exalte l'utopie de Fourier il s'en détache. C'est en 1975 qu' il commence la publication, sur le quotidien national Il Corriere della sera, d'une rubrique intitulée “L'observatoire de monsieur Palomar” qui “inaugure une écriture nouvelle, d'inspiration minimaliste, fondée sur l'intelligence du détail, et sur l'observation méticuleuse de nos gestes quotidiens” (p. 244).

13Dans les deux derniers chapitres de son étude Cappello s'occupe d'abord des trois recueils poétiques de Queneau (Courir les rues 1967, Battre la campagne 1968, Fendre les flots 1969) et ensuite du roman de Calvino, Palomar. Le chercheur montre que la trilogie de Queneau suit une évolution: de la description de Courir les rues on passe à une contemplation des cycles naturels dans Battre la campagne pour conclure avec une méditation et la découverte d'un océan où tout se transforme perpétuellement dans Fendre les flots. Cappello, en utilisant une expression de Claude Débon, parle d'une poétique minimaliste : Queneau parle de “petites choses, petits animaux, petits faits, petites gens” (p.287).

14Cette poétique on la retrouve chez Calvino. Celui-ci, avant d'écrire Palomar, publie dans la revue “Paragone”, en 1977, un texte autobiographique, La poubelle agrée. Dans ce texte Calvino emprunte à Queneau des thèmes que ce dernier avait traité dans ses recueils poétiques: l'éboueur étranger, les rues parisiennes et d'autres images tirées du quotidien.  Ce texte marque le passage au roman Palomar. La rédaction de celui-ci est complexe et Cappello en illustre les différentes phases. On a déjà rappelé qu'à partir du premier août 1975 Calvino publie la rubrique “L'observatoire de monsieur Palomar” sur Il Corriere della sera. Cette rubrique n'est pas quotidienne et l'écrivain en change le titre en 1976 et il l'appelle le “Taccuino di Monsieur Palomar”. Il continue la rubrique sur le quotidien La Repubblica à partir 1980 et en 1982 il rédige le premier index du roman Palomar constitué de 125 titres. La version définitive comprend seulement 27 titres distribués selon un schéma symétrique de trois sections. Le personnage de Palomar ressemble à celui de Qfwfq des Cosmicomiche parce que c'est une instance narrative plus qu'un vrai héros de roman. Il observe et décrit le monde, il est “le protagoniste unique et absolu d'un roman entièrement bâti sur ses observations, ses impressions et ses réflexions” (p.304). Ce roman a un caractère autobiographique mais, comme le précise Calvino lui-même, il ne s'agit pas d'une histoire personnelle mais de quelques-unes de ses aventures mentales. Cappello remarque la ressemblance avec la structure de la trilogie de Queneau: dans la première partie du roman la description est centrale, dans la deuxième partie il y a une attention anthropologique aux événements de la vie quotidienne et dans la troisième partie Palomar médite et contemple le monde. “Chaque récit du roman présente le même schéma narratif. Palomar est attiré par un objet qui l'intrigue et qu'il voudrait mieux connaître. Pour ce faire, il sélectionne et classe rigoureusement les résultats de son observation, en tenant compte à la fois des phénomènes qui se présentent à son esprit et des structures de sa conscience dans l'acte de les connaître.“ (p.345). Par exemple, Palomar observe les vagues, au début du roman, il veut en décrire une d'une manière exhaustive  mais c'est trop difficile: les vagues se mélangent. Palomar découvre l'impossibilité de connaître à fond le monde qui l'entoure. À la fin du roman il semble s'identifier à la vague observée, il fait partie de l'univers qui l'entoure et comme un yogi il commence un chemin qui le conduira à une sagesse profonde. L'individu renonce à se placer au centre de l'explication des choses : c'est l'abandon de l'anthropocentrisme et le retour au silence d'où jaillit le langage.

15Dans ses conclusions Cappello résume son travail et donne une synthèse des études critiques sur lesquelles il a construit sa recherche : de Hélène Leroy qui, en 1980, avait présenté l'article “Calvino 60-70”, à Carlo Ossola qui publie “L'invisibile e il suo dove”, en 1987, jusqu' aux études plus récentes de Jean-Paul Manganaro qui, en 2000, publie une biographie d'Italo Calvino. Sans rien enlever à la qualité de cette thèse, notre lecture s'achève avec le même désir qu’au début et un autre qui ne concerne pas l'auteur : on aurait voulu en savoir un peu plus sur la vie parisienne de Calvino et on aurait voulu lire “un livre” et pas une suite de feuilles qui se détachent dès que l'on tourne les pages. On préfère garder le silence sur cette deuxième observation parce qu’on ne sait pas si c’est le problème de notre livre ou de l’édition. En ce qui concerne la première, on a déjà rappelé que ce livre ne se veut pas une biographie, mais quelques curiosités biographiques, à côté de celles qui sont données lorsque le chercheur étudie le texte de la Poubelle agrée et le roman Palomar, auraient donné à cette excellente thèse une touche de frivolité qui ne nuit jamais à la lecture.