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Immigré·es, clivé·es, parvenu·es ? Réflexions éthiques, esthétiques et politiques autour des écritures de la mobilité sociale (Montréal)

Immigré·es, clivé·es, parvenu·es ? Réflexions éthiques, esthétiques et politiques autour des écritures de la mobilité sociale (Montréal)

Publié le par Marc Escola (Source : Michel Lacroix)

Immigré·es, clivé·es, parvenu·es ?

Réflexions éthiques, esthétiques et politiques autour des écritures de la mobilité sociale

 29 et 30 mai 2025

Depuis quelques années, on observe dans la francophonie une recrudescence d’ouvrages qui permettent de renouveler l’écriture de la mobilité sociale. Si les médias ont beaucoup parlé du « phénomène Édouard Louis1 », c’est sans doute le prix Nobel obtenu par Annie Ernaux, en 2022, qui semble avoir « canonisé le récit des transfuges de classe2 ». Ce que Richard Hoggart nomme « L’autobiographie d’un intellectuel issu des classes populaires anglaises » montre toutefois que le « projet méritocratique visant à assurer l’intégration des classes populaires […], et dont l’École était la clé de voûte3 », prend racine dès la fin du XIXe siècle en Angleterre et en France. Le récit de cette transformation peut se faire sur le modèle d’une Esquisse pour une auto-analyse (Bourdieu, 2004) ou par un récit autobiographique doublé d’une analyse du monde social (Éribon, 2011), mais doit-on pour autant en déduire que tous les récits de la mobilité relatent une ascension sociale ?

Qu’en est-il des écrivain·es français·es comme Nicolas Mathieu (Leurs enfants après eux, 2018) ou Fatima Daas (La petite dernière, 2020) qui se réclament d’une « position intercalaire4 » et refusent l’étiquette « transfuge de classes » sous prétexte qu’elle comprend une « trahison5 » avec la banlieue ou la « France périphérique » ? Est-ce que le déclassement volontaire d’une Constance Debré, qui fait dans Nom (2022) une critique acerbe de son milieu familial aristocratique, peut être inclus dans l’appellation « transfuge » ? Est-il plus judicieux, comme le soutient Chantal Jacquet, d’utiliser le terme « transclasse » pour traiter du « double sens possible de la translation6 » et ainsi évacuer tout ce que le terme « transfuge » charrie de négativité ? Selon Jacquet, le néologisme « transclasse » permet également d’insister sur le transit ou le passage entre deux classes que suggère le terme anglais « class passing », puisque le « mouvement des transclasses peut être assimilé à une forme de passing 7», laquelle désigne la capacité d’une personne à être assimilée à une catégorie sociale (de genre, de race, de classe, d’orientation sexuelle ou de religion) autre que celle qui lui a été assignée8. Dans cette perspective, il serait donc opportun de croiser les écritures transclasses avec les expériences transgenres et transfrontalières qui façonnent et cartographient le corps social, sans confondre les unes avec les autres, mais dans ce qu’elles esquissent elles-mêmes comme tensions et articulations. De même, on pourrait examiner les tensions entre traversée des catégories et volonté de les abolir ou de les configurer autrement.

 Dans Se ressaisir. Enquête autobiographique d’une transfuge de classe féministe (2021) Rose- Marie Lagrave fait l’état des lieux des récits de transclasses en France en soulignant que la majorité est écrite par des auteurs masculins. Or, au Québec, plusieurs femmes appartenant à une même génération (comme Denise Bombardier, Lise Payette, France Théoret, pour ne nommer que celles- là) ont produit des récits autobiographiques qui relatent leur enfance dans des quartiers montréalais défavorisés où « la classe sociale s’allie à d’autres facteurs […] comme le fait d’être une fille dans une culture où les rôles sexuels sont rigidement définis et maintenus9 ». Alors que certain·es chercheur·es se demandent si en littérature, les récits de transclasses sont en voie de devenir « un nouveau canon10 », peut-on traiter de ces récits de la même façon sur le territoire nord-américain, et plus précisément au Québec, où la mobilité sociale est souvent un « parti pris » des romans de la Révolution tranquille ? Qu’elle soit faite sur le mode du « récit d’une émigration11 » ou d’une « désobéissance familiale12 » qui pousse l’écrivain vers la culture lettrée, il est en effet possible d’entrevoir une réalité sociale partagée… Comment aborder ces récits sans tomber dans la « fausse équivalence entre la France et le Québec13 » ?

Cette journée d’étude se veut donc le lieu pour aborder la réception des récits de transclasses dans la pluralité des perspectives (critiques, esthétiques, historiques, politiques ou philosophiques).

Parmi les questions susceptibles d’être abordées, nous esquissons celles-ci, sur le mode de l’ouverture, plutôt que de la liste close et définitive :

  •  Les questions d’ordre esthétique sur les formes, les genres et les enjeux sémiologiques : quel a été l’apport de (le recours à) la biographie, l’autofiction, la BD, le cinéma, la poésie, le roman ou le théâtre dans l’écriture de la mobilité/migration sociale ? Si, pour reprendre la formule de Jaquet, la non-reproduction sociale est un apprentissage de codes, de signes à interpréter, comment les textes donnent-ils forme à cette sémiologie de la distinction ? Quels topoï ou figures voit-on revenir comme « marques » ou agents de la mobilité sociale (la bibliothèque, le premier repas « bourgeois », la visite de musée, la rencontre avec le « mentor », la mort des parents ou grands- parents).
  • Celles d’ordre historique et comparatiste : peut-on distinguer des périodes, des « courants » dans l’écriture de la mobilité sociale ? Quels liens peut-on tracer, en France, entre autofiction et récits de transfuges ? Est-ce que la période des « hussards noirs » de la Troisième République ne fut pas productrice d’un vaste discours méritocratique fondateur des conceptions de l’École ? Quelle place faire aux textes des « traîtres de classe » issus de la bourgeoisie (Nizan, Sartre, etc.) ? Au Québec, de quelle façon le thème et les figures de la mobilité sociale ont-ils été centraux dans les romans de la Révolution tranquille, les récits et essais féministes, la littérature migrante ? Y a-t-il, ici aussi, l’esquisse d’un « canon » des récits de transclasse ? Est-ce que la force du mythe du « self-made man » permet l’émergence de récits de transfuge dans la littérature états-unienne ?
  • Celles d’ordre politique : quels liens peut-on tracer entre l’écriture de la migration sociale, les luttes politiques et les formes de domination, dans l’histoire ou la situation contemporaine ? Dans quelle mesure l’importance du discours sur les « classes moyennes » infléchit-elle les représentations associées aux classements sociaux et a-t-elle pu contribuer au topos de la migration sociale ? Quels textes mènent, in fine, à la promotion de la méritocratie plutôt que de la contestation des inégalités ? Comment nomme-t-on les différentes classes ou cultures décrites : « populaire », « patriarcale »,« pauvre », « légitime », « de banlieue », « hétéronormative », « bourgeoise », « moyenne », « rurale », « savante », etc.

•       Celles d’ordre éthique : quelles difficultés, dans la théorie comme dans les textes, entre les différentes formes d’identité sociale, de genre ou de race (par exemple en ce qui concerne le « passing ») ? Quelle relation éthique ces textes introduisent-ils dans la lecture ?

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Comité organisateur :

Michel Lacroix (CRILCQ, UQAM) et Karine Rosso (CRILCQ, UQAM)

Les propositions de communication (maximum 250 mots) doivent être envoyées au plus tard le 2 septembre 2024, accompagnées de vos coordonnées complètes et du nom de votre institution d’attache à rosso.karine@uqam.ca et lacroix.michel@uqam.ca

Il est à noter que les propositions en recherche-création sont les bienvenues.

1 Le mot « phénomène » est utilisé à de nombreuses reprises pour parler de l’auteur Édouard Louis, au Québec comme en France. Voir « Edouard Louis, phénomène littéraire à 21 ans », RFI culture, 2014, https://www.rfi.fr/fr/culture/20140313-edouard-louis-eddy-bellegueule-phenomene-litteraire-21-ans

2 C’est sur ce constat que s’ancre l’ouvrage de Karine Abiven et Laélia Véron, Trahir et venger. Paradoxes des récits de transfuges de classe, La découverte, 2023.

3 Claude Grignon, « Présentation » de 33 Newport street. Autobiographie d’un intellectuel issu des classes populaires anglaises, Gallimard, Le seuil, 1991, p. 17.

4 L’expression est de Nicolas Mathieu. En entrevue, Mathieu utilise aussi le terme « intermédiaire ». Voir https://www.france24.com/fr/%C3%A9missions/invit%C3%A9-du-jour/20220323-nicolas-mathieu-je-me-trouve- dans-une-position-interm%C3%A9diaire-entre-deux-mondes

5 Le mot « trahison » est employé par Fatima Daas qui refuse d’utiliser le qualificatif de transfuge de classe dans les médias. Voir https://www.journalventilo.fr/fatima-daas-en-residence-marseille/ 

 6 Chantal Jacquet, Les transclasses ou la non-reproduction, PUF, 2014, p. 21.

7 Ibid., p, 119.

8 Maria C. Sanchez, Passing. Identity and Interpretation in Sexuality, Race, and Religion, NYU Press, 2001.

9 Patricia Smart, De Marie de l’incarnation à Nelly Arcan. Se dire, se faire par l’écriture intime, Éditions Boréal, 2014, p. 310.

10 C’est du moins la question qui ouvre le séminaire proposé par Karine Abiven et Laélia Véron. Voir

https://www.fabula.org/actualites/113859/pour-uneapproche-critique-de-la-notion-de-recit.html

11 Fernand Dumont, Récit d’une émigration, Mémoires, Les éditions du Boréal, 1997.

12 Victor-Lévy Beaulieu, Désobéissez, Éditions Trois-Pistoles, 2013, p. 21.

13 Benoit Jodoin, Pourquoi je n’écris pas. Réflexions sur la culture de la pauvreté. Éditions Triptyque, 2024, p. 73.