A. Berman, L'Âge de la traduction. "La tâche du traducteur" de Walter Benjamin, un commentaire.
Ce livre a fait l'objet d'un compte rendu dans Acta fabula: "L'acte de traduction", par M. Dosse.
Antoine Berman, L'Âge de la traduction. "La tâche du traducteur" de Walter Benjamin, un commentaire.
Textes rassemblés par Isabelle Berman avec la collaboration de Valentina Sommella.
Presses Universitaires de Vincennes, coll. Intempestives, décembre 2008.
Prix: 20EUR
188 pages.
EAN: 9782842922221
Présentation - Extraits
"Le commentaire « donne à penser », comme dit Heidegger. Et donnant à penser, il nous permet de nous éloigner de lui pour penser tous seuls. Loin d'être une « explication de texte » servile et paraphrasante, le commentaire est la meilleure manière, non seulement de penser un texte, mais de penser à partir de lui. Éventuellement contre lui. (p. 66)
Comme nous, Benjamin percevait que la « demeure » du langage était menacée, et plus radicalement à notre époque qu'à aucune autre ; comme nous, il voyait dans la traduction l'une des formes de préservation de sa « demeure ». (p. 24)
Assurément, historiquement, les langues se contaminent, se mélangent, entrent en contact. […] Arrachant l'oeuvre et sa langue à la sphère de la communication, la traduction libère la pure essence de la langue, qu'est la lettre. (p. 178)"
L'auteur
Antoine Berman dispensa pendant plusieurs années au Collège International de Philosophie un enseignement sur les problèmes de la traduction. Le séminaire que nous publions ici est un commentaire de l'article de Walter Benjamin « La Tâche du traducteur », un travail sur la lettre, proche lui-même de l'acte de traduire. Il souligne la puissance théorique de ce texte, en analyse le détail et montre les conséquences de cette pensée pour toute pratique de la traduction. L'oeuvre d'Antoine Berman est aujourd'hui l'une des références majeures pour tous ceux – philosophes, linguistes, littéraires – que préoccupe le rapport entre les langues.
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Lire le compte rendu de l'ouvrage sur le site nonfiction.fr:
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Dans Libération du 22/1, on pouvait lire un article sur cet ouvrage:
La pure langue décryptée
Critique
Traductologie. Quand Antoine Berman étudie Walter Benjamin.
ROBERT MAGGIORI
Antoine Berman L'Age de la traduction. «La Tâche du traducteur» de Walter Benjamin, un commentaireTexte établi par Isabelle Berman, avec la collaboration de ValentinaSommella, Presses universitaires de Vincennes, 186 pp., 20 euros.
Si on se demandait ce qu'est une «pure langue»,sans doute attendrait-on longtemps la réponse, ne voyant pas d'embléede quelles impuretés - son histoire, son étymologie, son usage ou sonmésusage ? - la langue pourrait se défaire pour être pure. Dans la Tâche du traducteur, un court texte de 1921 conçu comme prologue à sa traduction des Tableaux parisiens de Baudelaire, Walter Benjamin définit la «pure langue», die reine Sprache,comme ce que chaque langue veut dire mais que seule la totalité desvouloir-dire de toutes les langues atteint, ou encore comme «prose du monde messianique». Etrangères, les langues s'excluent, mais, à un autre niveau, s'additionnent, se «complètent mutuellement» : lorsque, dans leur totalité, elles le font, apparaît la «pure langue».Dans la mesure où elle est à chaque fois union de langues, transportbijectif d'une langue à l'autre, accueil, «mariage», c'est donc latraduction qui, à terme, en est la représentation, ou, pour reprendreune métaphore benjaminienne, reconstitue le «grand vase brisé» de la pure langue. Si pour Mallarmé la langue pure de la poésie «rachète» le «défaut des langues» (leur multiplicité), pour Benjamin, la pure langue issue de la traduction est la «résolution» de ce défaut.
Arbre. La Tâche du traducteur est un texte aussi fascinant qu'énigmatique, une sorte de «crypte» dans laquelle «l'essence de la traduction se trouve à la fois montrée et cachée». Impossible à résumer ou à citer, «car aucune de ses affirmations ne peut être détachée sans aussitôt devenir gratuite et sans fondement», il semble fait pour être commenté et «cette "commentabilité" constitue l'une de ses dimensions essentielles».A son commentaire, Antoine Berman a consacré tout le séminaire qu'il atenu au Collège international de philosophie en l'hiver 1984-85. Ilvient d'être publié sous le titre l'Age de la traduction.
Le texte de Benjamin a déjà suscité d'innombrables études, etintrigué des penseurs tels que Gadamer, Agamben, Cacciari, Derrida ouRicoeur. Mais il y a au moins deux raisons de surligner celle quepropose Antoine Berman dans l'Age de la traduction. La premièretient à sa qualité intrinsèque : une lecture d'une précision sans égal.La seconde à la figure même de l'auteur, rien de moins que le plusimportant théoricien de la traduction, ou l'un des artisans de latransformation du «problème de la traduction», qui, longtemps rivé àune branche de la linguistique, de la philologie, de la critique ou del'herméneutique, est devenu, avec le développement des translations studies ou de la traductologie,un «arbre», producteur d'un savoir spécifique, dont les fruitsretombent sur la philosophie, le droit, la science, la littérature…Aussi doit-on souhaiter que ce séminaire, qui aide à éclairer la «métaphysique du langage» de Benjamin, ou comprendre les raisons pour lesquelles la traduction serait préservation de la «demeure» menacée de la langue, aidât aussi à remettre au premier plan l'oeuvre de Berman.
«Espaces».Né en 1942, Antoine Berman a été emporté par lamaladie à 49 ans. Traducteur (espagnol, allemand), directeur du CentreJacques-Amyot, il n'a pas eu de grande chaire universitaire et a assuréune direction de programme au Collège international de philosophie dèssa fondation en 1984. Par des articles et un seul (1) ouvrage, l'Epreuve de l'étranger. Culture et traduction dans l'Allemagne romantique (Gallimard, 1984), il a acquis le statut international de «référence», conforté par la publication posthume de Pour une critique des traductions : John Donne (Gallimard, 1995). De nombreuses thèses lui sont consacrées, relatives à sa conception de la traduction comme «travail sur la lettre», à la «critique des traductions» ou au «tournant éthique» qu'il a imposé à la traductologie.
La traduction, disait-il, a un grand potentiel créatif, et, de moyende reproduction-copie, déformation ou trahison de l'Altérité, peutdevenir le lieu d'accueil de l'Etranger en tant que tel, et réaliserainsi cette finalité morale qu'avec Ricoeur et Derrida il appelle hospitalité. Les logiques d'annexion et d'appropriation des «autres espaces de langue»qui ont caractérisé l'Occident n'ont pas eu cette visée. Raison de pluspour (ré)découvrir un théoricien du nom d'Antoine Berman qui donnait àla traduction la tâche de miner la «logique du Même».
(1) A. Berman a aussi dirigé les Tours de Babel (Trans-Europ-Represss, Mauvezin 1985), où figure son étude «La traduction et la lettre ou l'auberge du lointain».