Âgisme : construction et déconstruction des représentations liées à l’âge dans la littérature, les arts et les médias (revue Traits-d'union)
Le 12e numéro de la Revue Traits d’Union se propose d’étudier la notion d’âgisme et ses représentations dans la littérature, les arts et les médias. Ce concept permet essentiellement d'identifier et de dénoncer les stéréotypes et les discriminations qui affectent la vieillesse, classe d'âge qui tend à être invisibilisée et stigmatisée dans les représentations et les pratiques. Il est possible cependant de l'étendre à l'ensemble des discriminations fondées sur l'âge, notamment celles qui touchent la jeunesse. Il s’agira ainsi de voir comment la littérature, les arts et les médias participent au renforcement, à la dénonciation ou à la déconstruction des stéréotypes âgistes.
La Revue Traits d’Union publie prioritairement de jeunes chercheur·euse·s, doctorant·e·s et jeunes docteur·e·s, en lettres, arts, médias, sciences humaines et sociales.
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Apparu pour la première fois en 1969 sous la plume de Robert Butler, le terme « âgisme » désigne « une profonde gêne chez les jeunes et les personnes d’âge moyen – une répugnance personnelle et un dégoût envers le vieillissement, la maladie et l’infirmité ;
ainsi que la peur de l’impuissance, de l’inutilité et de la mort1 ». Il prend peu à peu sa place dans le langage courant, faisant émerger l’idée qu’à l’instar d’autres formes de discriminations comme le racisme ou le sexisme2, il existe une ségrégation en fonction de l’âge. D’ailleurs, la pandémie de Covid-19 qui a frappé le monde à partir de 20193 ou encore le débat récurrent sur les retraites4 en France, tout comme celui sur les Ehpad5, ne font que réactualiser les stéréotypes que l’on accole aux personnes âgées. Il n’est qu’à lire La Vieillesse de Simone de Beauvoir6, tout récemment réédité, ou encore Histoire de la vieillesse de Jean-Pierre Bois7 pour s’en rendre compte.
Vieillesses et stéréotypes
Il s’agirait pourtant de clarifier tout d'abord ce que désigne la vieillesse, notion aussi vague que fluctuante. En effet, on ne vieillit pas de manière uniforme suivant sa classe sociale, son activité professionnelle, son parcours de vie, son environnement, etc. De plus, la représentation de la vieillesse varie selon l’époque et la culture. Chaque vieillesse est singulière et pourtant la représentation de la vieillesse donne lieu à un ensemble de stéréotypes qui sont souvent négatifs. Certes, celles-ci présentent aussi la figure bienveillante du grand-parent adoré (Victor Hugo, L’art d’être grand-père, Madame de Grand Air dans la série de bandes-dessinées Bécassine) ou celle du vieux sage (Socrate peint par Jacques-Louis David ou Salvator Rosa, le père Fouras dans l’émission Fort Boyard) dont l’expérience profite à tou·te·s mais cette image est minoritaire, du moins en Occident8. Ici encore, la nuance est de mise et chaque aire géographique et culturelle semble présenter son lot de spécificités.
Qu’en est-il alors des stéréotypes liés à la vieillesse ? Existe-t-il des invariants ? Quel lien y a-t-il entre ces représentations caricaturales et la société qui les produit ? Quelle place l’aire géographique et l’ère temporelle prennent-elles dans leurs constructions ? En termes artistiques et médiatiques, les formes, mouvements et supports jouent-ils un rôle dans la manière dont l’âgisme transparaît ? Les arts et les médias sont-ils des vecteurs efficaces pour déconstruire ces représentations ? Quels chemins, singuliers ou communs, ces déconstructions prennent-elle ? Les circonvolutions langagières pour désigner cet âge de la vie – 3e âge, 4e âge, seniors – ne sont-elles pas déjà une trace de cet âgisme ? Si « gros » ne devrait pas être un gros mot9, n’en serait-il pas de même pour « vieux » ? Ces quelques questionnements ne peuvent qu’être frappés du sceau de l’incomplétude, d’autant que l’aspect intersectionnel a une place prépondérante dans la construction mais aussi dans la déconstruction de ces stéréotypes âgistes.
L’importance de l’intersectionnalité
Créée en 2015 au sein de l'AAFA (Actrices et Acteurs de France Associés), la commission AAFA-Tunnel de la Comédienne de 50 ans s’est donné pour objectif d’étudier l’invisibilisation des personnages féminins de 50 ans et plus sur le grand et petit écran, dans le but de mieux la combattre. Pourtant, quand celles-ci sortent de cette invisibilité, c’est souvent pour mieux revêtir les oripeaux de la sorcière10 ou devenir les « héroïnes » de films d’hagsploitation – un sous-genre horrifique qui met en scène de vieilles femmes rongées par la rancœur et basculant dans la folie (Sunset Boulevard de Billy Wilder, What Ever Happened to Baby Jane ? de Robert Aldrich). L’horloge biologique, qui semble ne tourner que pour les femmes, et en particulier le moment de la ménopause, paraît entraîner inexorablement la décrépitude du corps féminin qui devient alors un objet de dégoût après avoir été un objet de désir11. Les femmes qui voudraient pour autant échapper à cette décrépitude seraient bien mal avisées et subiraient alors l’opprobre de la société de par leur attitude jugée scandaleuse12. Les normes du « bien vieillir » qui consistent à tout faire pour rester jeune13 pourraient, elles aussi, être interrogées.
D’autres pistes peuvent également être explorées d’un point de vue intersectionnel. Ainsi, que peut-on dire des représentations des personnes âgées LGBTQI+ ? Sont-elles condamnées à l’invisibilisation ou aux stéréotypes, et si oui, lesquels ? Qu’en est-il de la représentation de la sexualité, et de quelle sexualité ? Si Deux de Filippo Meneghetti met en scène un couple de femmes âgées, ce choix est-il exceptionnel et résolument novateur dans l’histoire des arts ? La littérature, les arts et les médias peuvent-ils représenter d’autres genres et d’autres sexualités chez les personnes âgées ? La scène artistique contemporaine est-elle le lieu principal de ces explorations et de ces représentations non binaires et non hétéronormées ou peut-on trouver ce genre d’expérimentations représentationnelles à d’autres époques? Et sont-ce d’ailleurs nécessairement des expérimentations ?
Par ailleurs, la vieillesse est-elle représentée de la même manière en fonction des différentes classes sociales ? Peut-on faire un lien entre capitalisme et images de la vieillesse qui, quand elle n’est plus ni productive – y compris pour des activités bénévoles – ni consommatrice, est alors représentée comme un poids pour la société ? Est-ce l'origine – ou l’explication – des différences entre une vieillesse montrée de manière méliorative et une autre associée à l’idée de la perte, de la déchéance, de la maladie et/ou de la dépendance (Les Vieux de Jacques Brel, « Je ne suis pas sortie de ma nuit » d’Annie Ernaux, The Father de Florian Zeller) ?
En ce qui concerne la racisation, quelle influence a-t-elle (« ont-elles » devrait-on d’ailleurs dire car elles sont diverses) dans les représentations de la vieillesse ? On peut ainsi interroger l’image stéréotypée du « vieux sage chinois » que l’on retrouve dans un certain nombre d’œuvres (Maître Po dans la série télévisée Kung Fu, Pai Mei dans Kill Bill de Quentin Tarantino) mais aussi, dans une autre catégorie d’âge, celle des jeunes gens racisés représentés comme des délinquants (Les Kaïras de Franck Gastambide, clip « It was a good day » d’Ice Cube). Cette criminalisation des jeunes montrés comme désœuvrés et en perte de repères, met non seulement en scène des stéréotypes intersectionnels âge/racisation mais aussi âge/classe14. Les « jeunes de banlieue » ou issus de milieux ruraux populaires sont eux aussi en proie à des caricatures (dans la manière de parler, de s’habiller, de s’occuper, etc, qui leur serait propre) qui semblent encore largement ancrés dans nos représentations même si certains s’essaient à déconstruire ces images discriminantes (Bande de filles de Céline Sciamma, Ceux qui restent de Benoît Coquard, Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu).
La jeunesse, elle aussi, victime d’âgisme ?
En effet, si l’âgisme est associé à la vieillesse dans sa première acception, il est étendu à tous les âges dans le champ institutionnel (loi du 16 novembre 2001, relative à la lutte contre les discriminations) et la jeunesse n’échappe pas, elle non plus, à certaines formes de stigmatisation. Caroline Fourest, dans son livre Génération offensée dresse ainsi le portrait d’une jeunesse qui serait, affirme-t-elle, fragile, narcissique et qui adopterait systématiquement une position victimaire.
Cette génération « snowflake » qui ne supporterait plus rien n’est-elle pas, au même titre que les « boomers », en proie à des représentations caricaturales ? Ainsi, quand ils·elles ne sont pas décrit·e·s comme fragiles, les jeunes seraient alors naïf·ve·s et inexpérimenté·e·s (Siegfried, acte III, scène 3 dans l’opéra éponyme de Richard Wagner, Candide ou l’Optimisme de Voltaire). Mais ces stéréotypes accolés à ceux qu’on appelle également les millenials leur sont-ils propres ou représentent-ils le dernier avatar d’un conflit générationnel sans cesse réactualisé ? Qu’en est-il alors de ce rapport entre générations lorsque la dernière génération est souvent une « génération sacrifiée » – à différentes périodes de notre histoire ?
À quel âge devrait s’arrêter la période de transition que devrait représenter la « jeunesse », alors que les crises économiques, diplomatiques ou sanitaires l'en empêchent (Les Affamés, livre et film de Léa Frédeval) ? Les jeunes devraient-ils se révolter, prendre les armes comme dans Rien ne nous survivra de Maïa Mazaurette où tout·e·s ceux.celles qui ont plus de 25 ans doivent mourir ou bien lorsque les enfants de Melmoth Furieux de Sabrina Calvo partent à l'assaut d’Eurodisney ? Cette confrontation des âges et la violence révolutionnaire, parfois dans un élan utopiste qu’elle peut induire, s’incarne aussi parfois dans la figure de l'étudiant·e révolté·e et pourrait être une piste à explorer. Des catégories telles que «talents de demain», «jeune création», «artiste émergent» ou «jeune chercheur » sont-ils des « tremplins » ou ont-ils pour effet de maintenir à l’écart une génération montante perçue comme menaçante ? En termes de réception, ces différentes appellations jouent-elles un rôle dans la manière dont les productions et les œuvres peuvent être perçues par leurs destinataires ? Pourtant la jeunesse, à l’instar de la vieillesse, n’est-elle pas qu’un mot15 ? Comment alors tenter de déconstruire ces stéréotypes âgistes au sens large du terme ?
Cette question n’est pas qu’une affaire de représentations mais bien aussi d’égalité et de traitement social : les représentations influencent et sont le produit de discriminations concrètes, vécues au quotidien et c’est cet échange permanent qui nourrit les expériences comme les images et les discours.
Ce numéro de la Revue Traits d’Union souhaite accueillir des contributions de toutes disciplines des lettres et sciences humaines et sociales qui interrogent la place de l’âgisme dans les arts, la littérature et les médias et le rôle de ceux-ci dans le processus de construction ou de déconstruction des stéréotypes liés à l’âge.
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Contributions
Les propositions de contributions, rédigées en français en 500 mots maximum, doivent être adressées au plus tard le 3 septembre 2021 à l’adresse contact@revuetraitsdunion.org en format .doc. Le colloque aura lieu en format hybride (visioconférences et présentiel) à la Maison de la Recherche de l’Université Sorbonne Nouvelle (4 rue des Irlandais, Paris) le 22 et 23 octobre 2021. Les articles seront attendus pour le 19 novembre 2021.
Merci d’y joindre une courte bio-bibliographie (avec notamment votre université et votre laboratoire de rattachement), ainsi que de préciser si vous souhaitez participer à la journée d’étude et/ou contribuer à la publication.
Bibliographie ci-dessous.
Nos remerciements vont à Héloïse Van Appelghem (Université Sorbonne Nouvelle) pour l'aide apporté dans la prépation de cet appel à contributions.
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1 Robert BUTLER, « Ageism : Another Form of Bigotry » dans Frank NUESSEL, The Semiotics of Ageism. University of Toronto : Toronto Semiotic Circle. 1992.
2 Juliette RENNES, « Conceptualiser l’âgisme à partir du sexisme et du racisme. Le caractère heuristique d’un cadre d’analyse commun et ses limites », Revue française de science politique, juin 2020 ; Mathilde ROYET « Penser la domination : rôles et limites de l’analogie sexisme-racisme-spécisme dans le discours antispéciste », Revue Traits- d’Union, n°10, à paraître.
3 Frédéric BALARD, Aline CORVOL, « Covid et personnes âgées : liaisons dangereuses », Gérontologie et société, 2020, disponible en-ligne : https://www.cairn.info/revue-gerontologie-et-societe-2020-2-page-9.htm; Isabelle ROULEAU, « Confinement des aînés : protection ou âgisme ? », Revue de Neuropsychologie, 2020, disponible en- ligne : https://www.cairn.info/revue-de-neuropsychologie-2020-2-page-164.html
4 Michel BILLÉ, « Retraite ou retraitement ? », Nouvelle revue de psychosociologie, 2017.
5 Cathy DISSLER, « Le récit de l’institutionnalisation d’un parent : le lien après la honte », Revue Traits-d’Union, n°10, à paraître.
6 Simone de BEAUVOIR, La Vieillesse, Paris, Gallimard, 1970.
7 Jean-Pierre BOIS, Histoire de la vieillesse, Paris, Presses Universitaires de France, 1994.
8 « La vieillesse en Chine et en France vue à travers les discours et le langage littéraire et cinématographique », Appel à contribution, Calenda, publié le mardi 01 juin 2021, https://calenda.org/881900.
9 Eva PEREZ-BELLO et Daria MARX, « Gros » n'est pas un gros mot. Chroniques d'une discrimination ordinaire, Paris, Éditions Flammarion, 2018.
10 Mona CHOLLET, Sorcières - La puissance invaincue des femmes, Paris, Éditions Zones - La Découverte, 2018.
11 Martine BEUGNET, « Screening the Old : Feminity as Old Age in Contemporary French Cinema », Studies in the Literary Imagination, n°2, 2006 ; Susan SONTAG, « The Double Standard of Ageing », The Saturday Review, 23 septembre 1972.
12 Mary RUSSO, « Aging and the Scandal of Anachronism » dans Kathleen WOODWARD, Figuring Age : Women, Bodies, Generations, Bloomington and Indianapolis, Indiana University Press, 1999.
13 Michel BILLÉ et Didier MARTZ, La Tyrannie du « Bienvieillir ». Vieillir et rester jeune, Toulouse, Éditions Érès, 2018.
14 Mohammed MARWAN (dir.), Les Bandes de jeunes, Paris, La Découverte, 2007.
15 Pierre BOURDIEU, « La “jeunesse” n’est qu’un mot », Questions de sociologie, Paris, Éditions de Minuit, 1984 (1992), pp.143-154.
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Bibliographie indicative
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