Compte rendu publié dans Acta fabula (Mars 2017, vol. 18, n° 3) : Prise de notes & littérature : le carnet de lecture comme zone de transition par Victor Toubert
Carnets de lecture
Généalogie d’une pratique littéraire
Andrei Minzetanu
Coll. : Manuscrits Modernes
384 pages - 137 x 220 mm
25 € - Février 2016
EAN : 9782842925260
ISBN : 978-2-84292-526-0
L'ouvrage
Ce livre propose une généalogie du carnet de lecture. Il s’intéresse à la note-citation, la phrase recopiée fidèlement dans un carnet dédié à cet effet, sans être accompagnée d’aucun commentaire.
Il considère le carnet de lecture comme objet théorique, comme geste et pratique, dans une histoire qui le rattache à la littérature de compilation et à l’art de l’extrait. L’analyse se fonde sur les Cahiers de Paul Valéry, les fiches de lecture de José Ortega y Gasset, le journal de lecture de Constantin Noica, les Cahiers d’Emil Cioran, le journal intime de Mihail Sebastian et le carnet d’Enrique Vila-Matas.
Situé au croisement de la littérature comparée, de la génétique textuelle, de l’histoire de l’éducation, et de la sociologie de la culture et de la vie lettrée, ce livre s’attache à des traits singuliers de la passion de la littérature.
L'auteur
Andrei Minzetanu, ancien élève de l’École normale supérieure et docteur en littérature comparée, est pensionnaire de la Fondation Thiers (CNRS, EHESS)
Table des matières
Première partie
Le carnet : objet matériel, objet épistémologique
Chapitre 1.
Le carnet de lecture
Chapitre 2.
La note-citation
Deuxième partie
Petite histoire du carnet de lecture
Chapitre 1.
L’âge d’or d’une pratique
Chapitre 2.
Survivance d’un art et d’une méthode
Chapitre 3.
La lecture citationnelle ou l’ars legendi comme ars excerpendi
Chapitre 4.
La critique des beautés
Chapitre 5.
Le triomphe de la fiche
Chapitre 6.
Histoire du carnet, histoire du livre
Troisième partie
Pratiques modernes du carnet de lecture : de Paul Valéry à Enrique Vila-Matas
Introduction
Chapitre 1.
Penser par soi-même (Paul Valéry)
Chapitre 2.
Lire avec patriotisme (José Ortega y Gasset et Constantin Noica)
Chapitre 3.
« Tomber sur une phrase » (Emil Cioran)
Chapitre 4.
« Lire comme une concierge » (Emil Cioran)
Chapitre 5.
Lire et vivre (Mihail Sebastian)
Chapitre 6.
Être malade de littérature (Enrique Vila-Matas)
Conclusion
Extrait de l'introduction
Dans un livre récent, L’Ordre matériel du savoir. Comment les savants travaillent, Françoise Waquet se propose de rendre visibles les techniques intellectuelles très complexes dont disposent les chercheurs, les lettrés et les savants dans leur travail (plus concrètement, « les outils employés pour repérer et traiter l’information, pour produire et transmettre le savoir, outils qui réfèrent à l’écrit, à l’imprimé, à l’image, au numérique ») et de contribuer ainsi à une « histoire matérielle de la culture savante » et à une « archéologie des techniques intellectuelles ». Mon objectif est similaire puisque je souhaiterais proposer ici une théorie de la lecture qui, contrairement à la plupart des théories proposées depuis les années 1970, repose davantage sur les traces concrètes et matérielles de la lecture ; cette théorie correspond plus exactement à une analyse historique et littéraire du carnet de lecture. Tout au long de ce livre le carnet sera envisagé simultanément ou alternativement : comme un objet très important dans la vie des lettrés, comme un support de la lecture qui peut prendre la forme concrète d’un cahier ou d’une fiche, comme une trace ou une note de lecture, comme un geste (un geste particulier de lecture : celui qu’effectue le lecteur qui lit un texte et qui s’arrête, à un moment donné, parce qu’une certaine phrase l’intéresse ou le bouleverse, et qu’il a envie de la prélever et de la recopier dans un carnet ; c’est le geste de l’extrait), comme une disposition qui insiste plus particulièrement sur le rôle que joue l’institution scolaire dans l’utilisation et la transmission de cet objet intellectuel, comme une pratique qui renvoie à un ensemble de gestes de lecture et, plus généralement, à un comportement de lecteur, comme une représentation parce que les lettrés travaillent également avec l’image qu’ils se font du travail et des oeuvres de leurs confères, soit enfin comme une posture puisque le carnet, surtout quand il est écrit en vue de la publication, est un instrument essentiel de la construction d’une image auctoriale et d’une autobiographique intellectuelle. Le carnet est donc envisagé ici tantôt comme un objet matériel, tantôt comme un objet mental ou comme l’effet d’une construction littéraire très complexe qui peut être le résultat de l’écrivain lui-même (quand celui-ci écrit le carnet comme une oeuvre lisible et publiable) ou de l’éditeur (qui choisit et construit un objet « littéraire » publiable à partir de l’objet matériel).