Appel à contributions :
revue CinétrENS premier numéro
"Le rituel"
Parution courant mars 2016
Présentation de la revue
La revue CinétrENS est née à l'École Normale Supérieure de Lyon d'une initiative étudiante. Son ambition est d’ouvrir le champ cinématographique à une approche transdisciplinaire, c’est la raison pour laquelle nos appels à contributions s’adressent tout autant à des écrivains de cinéma – théoriciens, critiques ou auteurs – qu’à des cinéphiles d’autres horizons, désireux d’éprouver leur champ de spécialisation sur le territoire du cinéma. Chaque numéro propose ainsi un objet susceptible d’intéresser le cinéma, qui le travaille de l’intérieur et participe à sa définition ou à celle des pratiques des réalisateurs et des spectateurs.
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Le rituel : cadrage conceptuel
Dans l'héritage du concept de « ciné-transe » développé par la pratique documentaire de Jean Rouch, CinétrENS s’est tout naturellement tournée vers l’objet « rituel » pour son premier numéro. Le concept de « rituel » offre en effet diverses prises à la réflexion, au gré de ses différentes acceptions et des champs disciplinaires dans lequel il est mobilisé : rites religieux, ritualité du quotidien, habitudes sociales récurrentes. Il semble pourtant que l’on puisse dégager trois traits définitoires complémentaires :
· Le rituel se distingue fondamentalement du ponctuel : il repose sur une pratique qui relève de l’habitude, de la répétition de certains gestes nécessaires dont la récurrence est imposée dans le temps. Il présente ainsi une forme d’obligation ;
· Par conséquent, le rituel est une célébration organisée, qui peut être saisie par certains traits de codification stricts, énonçables et transmissibles, quand bien même à un seul cercle d’initiés (tout rituel est à la fois inclusif et exclusif) ;
· Du fait de ces raisons formelles, le rituel se définit enfin par son rapport à une forme de sacralité (au sens où il délimite un espace et une temporalité distincts du profane), il est une voie d’accès à une communauté symbolique ou concrète.
En définitive, le rituel se construit dans une relation paradoxale au temps quotidien : si son caractère répétitif l’ancre irrémédiablement dans notre expérience profane de la quotidienneté, il n’en cherche pas moins à construire une temporalité qui excède cette expérience pour toucher à une certaine forme de sacré. De fait, l’adhésion au rituel est un rapport qui engage un individu dans une communauté à travers un moment sensible (codifié et esthétique) de partage.
Réflexions préliminaires
Une ritualisation de la pratique du film
Si le concept de rituel est prédominant dans le champ de l’anthropologie, Rouch a su en montrer la pertinence dans le domaine cinématographique, allant même jusqu’à en proposer une redéfinition par sa pratique documentaire. En parlant de « caméra participante » pour caractériser les relations qu’il entretient en tant que filmeur avec les acteurs du rituel qu’il filme, Rouch réinterroge le dispositif usuel du cinéma et redistribue les places figées du filmeur et des filmés : «Au lieu d’utiliser le zoom, écrit Rouch, le cameraman réalisateur pénètre réellement dans son sujet, précède ou suit le danseur, le prêtre, l’artisan, il n’est plus lui-même mais un œil mécanique. » Chez Rouch apparaît peut-être avec le plus de force l’idée d’une magie rituelle propre au cinéma et à la caméra.
De fait, un des angles d’approche privilégiés pour aborder cette question semble être celui de la performance : quelle est la place ménagée pour la présentation d’un geste rituel au sein du dispositif filmique ? Cette question de la performance du corps au cinéma, si importante dans la réflexion rouchienne, trouve sa source dans un regard porté sur le théâtre, la mise en scène du corps et de la présence. Dès lors, quelle distinction faut-il opérer entre le spectateur de la salle de cinéma et celui du spectacle vivant ? En effet, si l’on considère que la spécificité d’un geste rituel réside dans sa performativité, dans sa capacité à inaugurer une action symbolique grâce à l’autorité de celui qui l’accomplit (à la manière des « rituels de magie sociale » dont parle Pierre Bourdieu), comment attribuer au cinéma, qui absente les corps et ne reflète des rituels magiques qu’une copie vidée de leur corps agissant, un véritable pouvoir rituel ?
Aujourd'hui, l’héritage de Rouch peut également être interrogé à travers la notion de « dispositif », qui questionne les modalités participatives des réalisateurs, des acteurs, mais aussi des spectateurs à l’intérieur du film. On considérerait alors un « effet de ritualisation » propre au cinéma, qui serait susceptible d’éclairer toute une pratique de spectateur, « participant » à part entière du rituel. Il convient par conséquent de considérer dans quelle mesure l’acte même « d’aller au cinéma », de faire partie de la communauté éphémère de la salle obscure, de penser la projection à la fois comme une expérience individuelle et comme un dispositif collectif de présentation, constitue en lui-même un « rituel de cinéma ». Dès lors, il serait possible de questionner, avec Jacques Rancière dans Le Spectateur émancipé ou Raymond Bellour dans La Querelle des dispositifs, la signification propre de la salle obscure en tant qu’espace-temps autre, ou bien au contraire de réfléchir sur les différentes modalités de recréation de cette « altérité rituelle » par le biais de nouveaux écrans et de nouvelles interfaces de l’image ancrées dans le quotidien. Cette notion anglo-saxonne d’expanded cinema, introduite dans les années 1970 par Gene Youngblood, trouve alors un écho au-delà des frontières habituelles du cinéma comme les arts plastiques et les arts visuels.
Rituel et quotidienneté
A la pensée du rituel comme performance répond celle, presque paradoxale, de la quotidienneté. Une action ritualisée se définit en effet par un caractère d’itération, d’ordinaire, voire de banalité, que n’évacue pas sa dimension exceptionnelle. Des moments codifiés de la vie courante aux gestes corporels répétés les plus insignifiants, le cinéma a pu, par la mise en scène, célébrer le quotidien en lui redonnant forme par la représentation (du cinéma de Yasujiro Ozu au cinéma d’Eric Rohmer). De fait, le film du quotidien, en réinvestissant l’anodin d’une nouvelle importance, fait apparaître des formes de rituels dans lesquelles le spectateur retrouve le monde ordinaire sur grand écran, mais expérimente une distance par rapport à la quotidienneté. On pourrait interroger l’effet de cette réflexivité soudaine permise par le cinéma sur les pratiques rituelles de l’ordinaire, organisée par exemple par Jean Rouch et Edgar Morin à la fin de Chronique d’un été, mais aussi en considérant l’effet de distance culturelle que suscite la mise en scène dans certains types de cinéma où se joue l’idée d’un cérémonial du quotidien, à l’exemple d’une part du cinéma japonais pour des spectateurs occidentaux.
Il faudrait également considérer le rapport actif que joue le cinéma sur notre propre vie. Indubitablement, la caméra et ses dérivés s’invitent comme témoins de premier ordre des biographèmes que nos vies parcourent : les premiers pas de bébé, le mariage, les vacances en famille… Depuis ses origines, le cinéma propose une représentation de la sphère publique et de la sphère privée. Les premiers plans Lumière s’attardent tant sur les événements d’une époque que sur des scènes de l’intime. Le film de famille, ainsi que l’analyse Roger Odin dans Le Cinéma en amateur, est un « jeu collectif », un « opérateur d’interactions euphorisantes », qui ritualise les événements filmés. Cette envie de porter à l'écran son propre quotidien connaît de nouveaux enjeux avec la révolution technique qui a donné à tous la possibilité de devenir l’opérateur de son propre rituel de cinéma. Il s’agit dès lors d'interroger la pratique amateur du cinéma ou de la vidéo, depuis les premières caméras tout public jusqu’aux caméras intégrées dans les téléphones portables : que ces pratiques amateures soient quotidiennes, à la manière d’un journal, ou ponctuelles, la fetichisation du geste de filmer est mise en question.
Pourquoi doubler le vécu ordinaire de sa représentation cinématographique ? Cette réfléxion sur le médium cinématographique transparaît dans les oeuvres de certains cinéastes qui filment et montent leurs propres expériences quotidiennes, que l’on peut regrouper sous la catégorie des home-movies (Jonas Mekas, Johan Van Der Keuken, Olivier Smolders, Boris Lehman...). Parce qu'il apparaît bien souvent nécessaire à ces cinéastes (“Je filme car je vis, je vis car je filme” assure Jonas Mekas dans Walden), ce geste est répété, voire codifié, participant alors à une forme de célébration de l’image du quotidien. Ainsi serait-il intéressant de réfléchir sur cette volonté d’ordonnancement du temps, d’organisation du vécu par la mise en forme du quotidien dans la pratique autobiographique des cinéastes.
Propositions de pistes pour des contributions
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La question de la cinéphilie : y a-t-il un rituel du spectateur et si oui, quelles sont ses fonctions ?
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Répétition et art de la variation comme mise en scène du quotidien dans des oeuvres de cinéastes majeurs (Rohmer, Ozu)
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L’influence de l’oeuvre de Jean Rouch sur l'anthropologie contemporaine
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Le cinéma amateur : rituel de la présentation de soi (le selfie, l’alimentation des blogs, la mise en avant de la sérialisation d’un contenu vidéo)
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Les différences culturelles de la perception des rituels (analyse anthropologique ou sociologique)
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Rituel autobiographique chez des artistes qui ont filmé et retranscrit leur quotidien (Alain Cavalier, Agnès Varda, Jonas Mekas).
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Les formes quotidiennes de littérature (journal, échanges epistolaires, cahier de voyage) et le rapport qu’engage ces formes avec l’acte d’écriture.
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Dans le cinéma expérimental : dimension spectatorielle importante (exemple du flickers film) : rapport de communion d’un certain état avec la salle, avec des destinataires d’un rituel devenu acte.
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Rituel du cinéma et pratique politique : le film politique comme forme de rituel de communion autour de certaines idées.
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Notes aux rédacteurs
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Indiquer en tête de votre article : le titre de votre article, vos prénom et nom, votre courriel, un résumé de 5 à 10 lignes.
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La date limite d'envoi des articles est fixée au 18 janvier 2016.
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L’article devra au minimum comporter 8.000 signes (espaces comprises), et ne pourra excéder 25.000 signes.
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Utiliser des intertitres dans le cours de l’article, pour mieux en montrer les articulations.
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Les articles devront respecter les conventions typographiques usuelles de la rédaction universitaire.
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