Du 12 mai au 9 juillet, l'Hôtel de Ville de Paris présente une exposition conçue et réalisée par l'IMEC (Institut Mémoires de l'édition contemporaine, Caen), avec le concours de la Mairie de Paris et le soutien de la Fondation Florence Gould de New York.
Plus de 800 pièces d'archives (lettres, manuscrits, photographies, livres, brochures, tracts, etc.) illustrent la difficile situation des intellectuels qui furent aux avant-postes de la Résistance, comme de la Collaboration.
Quel est le véritable rôle des intellectuels et des écrivains français, depuis la déclaration de la guerre jusqu'aux lendemains de la Libération,? De quels enjeux sont-ils les otages, de quels discours sont-ils les messagers ? Quelles formes donnent-ils à leurs débats politiques et moraux, à leurs errements et à leurs espoirs ?
Bien qu'occulté par les stratégies des hommes politiques et des militaires, leur rôle s'avère vraiment décisif pendant l'Occupation : c'est qu'il s'agit aussi d'une guerre intellectuelle, d'un affrontement des cultures, dont les écrivains, les journalistes, les imprimeurs, les directeurs de revues et les éditeurs sont les premiers relais et les témoins engagés.
Pris dans l'engrenage du « désastre » dont parle Jacques Maritain, entraînés au « fond de l'abîme » qu'évoque Henri Bergson, écrivains et artistes, poètes et philosophes, directeurs de revues, journalistes et imprimeurs sont confrontés à une guerre totale, un véritable « crime contre l'Esprit », selon Aragon. Car les autorités d'Occupation veulent tout maîtriser : les informations, les commentaires, et même ce qui est généralement considéré comme moins menaçant, la littérature et la poésie… « Il y a trois objectifs non militaires à contrôler en priorité, aurait pourtant dit l'ambassadeur d'Allemagne en France, Otto Abetz : le communisme, la haute banque et La Nouvelle Revue française.»
Les intellectuels français se sont alors servis de la première de leurs armes : les mots. En effet, qu'ils aient été collaborateurs, attentistes, déportés, prisonniers, résistants de la première ou de la dernière heure, en exil ou dans la clandestinité, qu'ils aient décidé de ne pas publier, comme Jean Guéhenno, ou au contraire de publier à visage découvert ou sous pseudonyme, « ces voix qui montent du désastre » (Louis Aragon) sont devenues poèmes, tracts, lettres, articles, revues, brochures, romans, essais, et même des maisons d'éditions.
En une période où l'on risquait sa vie si on lisait, imprimait, diffusait des textes interdits, certains de leurs auteurs furent torturés et fusillés, comme Jacques Decour, certains tombèrent les armes à la main comme Jean Prévost, d'autres furent surveillés et menacés comme Emmanuel Mounier et Jean Paulhan, ou longtemps enfermés dans de lointains camps de prisonniers, comme Georges Hyvernaud et Emmanuel Levinas, d'autres surtout ont trouvé une mort atroce en déportation comme Benjamin Crémieux, Irène Némirovsky ou Robert Desnos. Il y eut aussi des intellectuels qui échappèrent au pire, comme Louis Aragon et Paul Éluard, et ceux qui en revinrent, témoins dévastés, comme Robert Antelme.
Sur l'autre rive, il y eut des hommes de lettres qui profitèrent, sans vergogne, du pouvoir que leur donnait la situation. D'autres qui crurent vraiment à l'Europe que prônaient Hitler et ses idéologues. À l'heure de l'Épuration dans les Lettres, le Comité national des Écrivains statua sur le sort de ces intellectuels collaborateurs, qui furent fusillés, condamnés à de lourdes peines, à l'indignité nationale ou à l'interdiction de publication.
Ce qu'il advint de l'« intelligence en guerre » ne cesse, depuis ces années sombres, d'être au coeur de nos questionnements et de nos débats sur cette période…
COMMISSARIAT:
Claire PAULHAN, historienne de la littérature et éditrice, est chargée de mission à l'IMEC. Elle a réalisé plusieurs expositions pour l'IMEC (De Pontigny à Cerisy, 2002 ; Archives des années noires, 2004, etc.). Elle contribue également à la découverte de textes autobiographiques du XXe siècle, notamment à travers la maison d'éditions qui porte son nom. On lui doit ainsi l'édition critique de textes de Catherine Pozzi, Jean Paulhan, Jean Follain, Valery Larbaud, Mireille Havet, ainsi que de Jean Grenier, dont elle a publié, avec Gisèle Sapiro, Sous l'Occupation (1998).
claire.paulhan@imec-archives.com
Robert O. PAXTON, historien de la France et de l'Europe au XXe siècle, est professeur émérite à Columbia University (New York). Ses travaux ont fortement contribué à renouveler l'historiographie de l'entre-deux-guerres et de la Seconde Guerre mondiale. Citons notamment : La France de Vichy, 1940-1944 (Seuil, 1973, 1997), L'Armée de Vichy: le corps des officiers français, 1940-1944 (Tallandier, 2004) et Le Fascisme en action (Seuil, 2004).
Olivier CORPET est le directeur de l'Institut Mémoires de l'Édition contemporaine (IMEC). Fondateur de La Revue des revues, il a participé à de nombreux ouvrages d'histoire littéraire et oeuvré, notamment, à l'édition critique d'oeuvres de Louis Althusser et Alain Robbe-Grillet. Il a récemment dirigé Irène Némirovsky, un destin en images (Denoël, 2010) et collaboré à la publication des Cahiers de la guerre de Marguerite Duras (POL, 2006) et du catalogue Christian Dotremont (IMEC, 2005).
olivier.corpet@imec-archives.com
Nota Bene : Une première version de cette exposition a été présentée sous le titre À travers le désastre, la Vie littéraire française sous l'Occupation au Mémorial de Caen, de novembre 2008 à janvier 2009 (Commissaires : Claire Paulhan, Olivier Corpet & Robert O. Paxton). Une deuxième version a été présentée sous le titre « Between Collaboration and Resistance, French Literary Life under Nazi Occupation, 1939-1945 » à la New York Public Library (NYPL) d'avril à juillet 2009 (Commissaires : Robert O. Paxton, Claire Paulhan et Olivier Corpet).
Pour l'occasion, les éditions Tallandier rééditent Archives de la vie littéraire sous l'Occupation / À travers le désastre, par Robert O. Paxton, Oliver Corpet et Claire Paulhan, paru en 2009 et épuisé.