Michel Houellebecq, christianisme, Islam, et cetera.
Journée d’études interdisciplinaire, deuxième volet du cycle « Michel Houellebecq ou misère de l’homme sans Dieu ? », organisée par l’IPRA (Institut du Pluralisme religieux et de l’athéisme), avec le soutien du laboratoire 3LAM (Université du Maine-Le Mans), 17 Juin 2016.
L’œuvre de Michel Houellebecq est surtout connue pour décrire avec une déprimante acuité les rapports économiques et sociaux, et, plus généralement, le quotidien du mâle moderne ; on a moins souvent souligné son rapport au religieux, dont le polémique Soumission (2015) démontre avec éclat la place centrale, mais jusqu’ici en grande partie souterraine. C’est ce rapport au religieux, en particulier dans ses implications politiques que nous souhaitons interroger ici.
Il est vrai que l’auteur des Particules élémentaires a multiplié les déclarations de mépris vis-à-vis des monothéismes, et affirmé l’inexistence de Dieu comme « l’une des seules certitudes qui ne [l’ait] jamais quitté » (Ennemis publics, p. 47) ; mais il est tout aussi vrai que son intérêt pour les religions, qu’il reconnaît facilement par ailleurs, est patent, et ne peut se limiter à un simple attrait ethnologique ou culturel. L’évidence de l’athéisme semble en effet coïncider chez lui avec le constat d’un désarroi de l’individu moderne face à une totale perte de repères aussi bien sociaux que moraux. Dieu n’existe pas, certes ; tout est permis, d’accord ; mais que faire de cette liberté si l’on est incapable de se créer soi-même de nouvelles valeurs positives, un nouveau sens à la vie ? « Il n’y a pas de solution dans mes romans », déclare Houellebecq dans une interview à la sortie de La Possibilité d’une île. C’est un véritable épuisement métaphysique qui ne dit pas son nom que recouvre le cynisme de ses personnages ; mais sans pour autant qu’on puisse véritablement espérer que la foi religieuse nous en sauve, comme elle pouvait le faire dans les siècles qui nous ont précédés.
Les romans de Michel Houellebecq nous semblent explorer une voie inédite, qui ne peut se réduire ni à l’athéisme triomphant d’un Nietzsche, ni à l’indifférence, ni à une nostalgie de l’ère religieuse. Le monde décrit par Houellebecq prend acte de la mort de Dieu (ou de son inexistence), et décline par le menu toutes les conséquences de la perte de la foi : disparition de sens dans les relations humaines, et en particulier, incapacité à aimer, disparition de sens dans la sphère politique, hantise de la mort que toute l’énergie vitale concentrée dans les relations sexuelles ne fait que raviver, etc. Mais la question qui se pose est alors celle d’un salut possible – hors du religieux, ou dans une nouvelle forme de métaphysique ?
La Journée d’études « Houellebecq, christianisme, Islam, et cetera » (17 Juin 2016), qui fera suite à une première journée d’études, organisée le 14 octobre 2015, et centrée sur la question de l’athéisme et de la conversion (« Michel Houellebecq, athéisme et foi », appel à communication publié sur Fabula), a pour ambition de ne pas en rester aux réactions viscérales que provoquent l’œuvre et les déclarations fracassantes de l’auteur (Cf par exemple ses propos dans Lire, 1er Septembre 2001 : « Je me suis dit que le fait de croire à un seul Dieu était le fait d’un crétin, je ne voyais pas d’autre mot »), et de porter un regard critique permettant d’évaluer la pertinence de la perception que développe l’auteur vis-à-vis de chacune des grandes religions monothéistes. Dans cette optique, sont particulièrement bienvenues, outre les propositions émanant de collègues littéraires, celles de chercheurs spécialistes de chaque religion (théologiens, sociologues, anthropologues ou historiens des religions) susceptibles de définir précisément ce qui, dans la représentation qu’en donne Houellebecq, relève du fantasme, de la caricature, ou, au contraire, d’une perception fine et d’une bonne connaissance des croyances concernées. Islam et catholicisme en particulier, nous paraissent les cibles ou objets d’attention les plus récurrentes de l’auteur. Sa vision du christianisme, qui a déjà retenu l’attention de chercheurs comme Pawel Hladki (« le christianisme de M. Houellebecq », in Unité de Michel Houellebecq, 2014), mériterait d’être approfondie en tenant notamment compte des belles pages que l’auteur consacre dans Soumission à la conversion de Huysmans ; quant à l’Islam, il s’agira de définir si la vision qu’il en donne, en particulier dans son dernier roman, peut se réduire à l’islamophobie primaire qu’on lui a à grands cris reprochée ? Il serait également intéressant d’étudier dans cette optique sa perception des phénomènes spirituels ou pseudo-spirituels plus récents, tels le new age (secte raëlienne, néo-bouddhisme) ou le transhumanisme.
D’autre part, au-delà de cette élucidation, nous chercherons aussi, en parallèle, à élargir l’analyse et à comprendre le plus précisément possible de quoi l’auteur se fait l’écho lorsqu’il parle d’un fait religieux particulier. À travers le prisme du religieux, c’est en effet tout un rapport existentiel, social, et politique de l’être au monde qui se joue, comme autant d’alternatives authentiques ou en trompe l’œil au monde décevant qui nous entoure. Autrement dit, pour parler comme Alain Badiou, de quoi, chez Houellebecq, les religions sont-elles vraiment le nom ?
Les propositions, d’une longueur de 1500 signes environ, sont à envoyer accompagnées d’un court CV de l’auteur, au plus tard le 31 Janvier 2016 aux adresses suivantes : caroline.julliot@univ-lemans.fr ou sylvie.servoise@univ-lemans.fr