Misère et splendeur de la traduction
José Ortega y Gasset
François Géal (Traducteur)
Traduit en anglais, en allemand, en italien, et même en russe, bulgare, hongrois et serbe, Miseria y esplendor de la traducción, du philosophe espagnol José Ortega y Gasset (1883-1955), n'avait encore jamais été traduit ni publié en France. Il n'était jusqu'ici accessible dans notre langue que dans la version québécoise de Clara Foz (TTR : traduction, terminologie, rédaction, volume 17, numéro 1, 2004, page 13-53).
Ce célèbre essai fut cependant rédigé en 1937 à Paris, où, craignant pour sa vie, Ortega s'était réfugié ; publié la même année dans le journal argentin La Nación, il sera repris en volume en 1940 dans un recueil intitulé El libro de las misiones. Sans être lui-même traducteur, Ortega connaissait fort bien plusieurs langues (outre le latin et le grec : le français, l'italien, l'anglais et surtout l'allemand), et il s'intéressait depuis longtemps aux phénomènes linguistiques.
De plus, il avait joué un rôle moteur dans la traduction de certaines oeuvres étrangères en espagnol dans le but d'ouvrir l'Espagne à l'Europe, notamment par le biais de la Revista de occidente qu'il avait fondée. Dès l'ouverture, Miseria y esplendor de la traducción se présente comme la transcription parfaitement vraisemblable, et sans doute en partie vraie d'une séance savante au Collège de France, parfois houleuse.
Si certains intervenants sont nommés, la plupart restent anonymes : selon l'un des plus prolixes, la traduction n'appartient pas au même genre littéraire que le texte traduit, et elle n'a pas à être belle, mais à être claire : "La traduction n'est pas l'oeuvre, mais un chemin vers l'oeuvre". Ortega n'est ici qu'une voix parmi d'autres, même si c'est lui qui introduit et conclut le dialogue. Du reste, à ce cadre "réaliste", se superpose celui d'un genre prestigieux, le dialogue renaissant d'inspiration platonicienne, auquel Ortega rend hommage par la forme même qu'emprunte son étude.
Dans Misère et splendeur de la traduction, nouveau Socrate, il ouvre un débat sur la traduction plus qu'il ne développe complètement ses idées : le lecteur est incité à approfondir la réflexion par lui-même. Cette dimension dialogique n'est pas indifférente dans un essai qui fait le pari qu'il existe certes un abîme entre les langues et les nations, mais qu'on peut le transcender. Elle l'est encore moins dans le contexte de la guerre civile espagnole, jamais évoquée mais constamment présente à l'arrière-plan.
José Ortega y Gasset (1883-1955) fut professeur de métaphysique à l'université de Madrid. Fondateur et directeur de la célèbre et influente "Revista de occidente" de 1923 à 1936, il est contraint à l'exil de 1936 à 1946 par le déchaînement de violence des deux camps lors de guerre civile espagnole, il a été l'une des figures majeures de l'humanisme libéral européen du XXe siècle, cité et admiré par les plus grands penseurs contemporains dont Raymond Aron.