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Doctoriales de la SERD :

Doctoriales de la SERD : "Espaces et lieux de l’intime au XIXe s." (Paris 7)

Publié le par Marc Escola (Source : Alice de Charentenay)

Journée d'étude des Doctoriales de la SERD :

"Espaces et lieux de l’intime au XIXe s." (Paris)

7 & 8 avril 2016

 

Michelle Perrot, dans son introduction à l’Histoire de la vie privée au XIXe siècle, souligne l’émergence du sujet moderne au sein de la sphère privée aux lendemains des bouleversements révolutionnaires. Après la dictature du « tout public », on assisterait à l’orée du siècle à un repli progressif des valeurs bourgeoises sur un espace d’épanouissement individualisé et privatisé. La constitution d’un appareil législatif très protecteur à l’égard de la famille et de la propriété privée, la mise en place progressive d’une « Wohnkultur » à travers le culte rendu au chez-soi, l’affirmation d’un besoin d’introspection dont témoignent la vogue du « roman intime » (Sainte-Beuve) et le développement de certaines théories hygiénistes impliquant un nouveau rapport au corps, à la toilette, et à la sexualité constituent autant d’aspects différents d’un même processus historique. On comprend bien, dès lors, pourquoi le XIXe siècle apparaît comme le « siècle de l’intime », du moins celui « de son invention et de son sacre comme valeur à la fois existentielle et esthétique » (Brigitte Diaz et José-Luis Diaz, « Le siècle de l’intime », Pour une histoire de l’intime et de ses variations, 2009). Toutefois, l’intime au XIXe siècle aurait « besoin d’un minimum de théâtralité » (ibid.).

            Paradoxalement, le XIXe siècle est aussi celui de la mise en spectacle et en vitrine de la vie sociale et privée. L’intime ne s’élabore-t-il que dans le culte strict de l’introversion et du secret, ou serait-il tributaire du processus même de son extériorisation ? Au croisement de l’intériorité et de l’extériorité, clivage auquel on le réduirait en vain, l’intime au XIXe siècle paraît en effet engager une dynamique spatiale, identifiable avec plus de précision. Dans cette perspective, on serait tenté d’envisager l’intime comme un territoire subjectif, un espace d’expression du sujet dépendant de lieux, imaginaires ou tangibles, où il pourrait se donner à dire, à lire ou à voir et dans lesquels il trouverait éventuellement à s’épanouir.

            La polysémie que gagne le terme au fil du temps, et tout particulièrement au XIXsiècle, témoigne en fait de l’évolution du sème spatial inhérent à la notion. Il semble que l’acception du terme d’« intime » évolue de la notion d’espace intérieur, comme synonyme d’« esprit », de « cœur », de « for intérieur », d’« âme »  au tournant du XVIIIe et du XIXe siècle à la notion d’ « inconscient » dans la seconde moitié du siècle. Le cadre de vie d’un individu, son intérieur, devient le lieu où s’établit un rapport privilégié du sujet à son corps ou à l’intériorité.

            Dès lors, la problématique des lieux de l’intime recouvre la réflexion, propre aux études littéraires, sur le système des genres de la littérature dite « intime » ou « personnelle ». Journaux, autobiographies, correspondances, mémoires et autres confessions bénéficient d’une promotion éditoriale sans précédent au cours de la période. De telles pratiques d’écriture ouvrent un espace propice aussi bien à l’épanchement de la vie intérieure, à l’analyse du moi, qu’à la notation du quotidien, de l’anecdotique. Afin de légitimer cet acte de publicisation du moi, elles se dotent souvent d’une scénographie intimiste qui convoque un imaginaire collectif du rapport à soi, depuis le confessionnal jusqu’à la chambre à coucher et autres architectures et décorations intimes, en passant par le « château de l’âme » (Thérèse d’Avila lue par Verlaine ou Huysmans), autant de lieux communs de l’intime. L’expansion historique de la littérature personnelle répond en cela à un véritable désir d’intime.

À titre indicatif, les communications pourront aborder les pistes suivantes :

1. Géographies de l’intime dans l’espace urbain :

- quartiers,

- architectures,

- aménagements d’espaces et de lieux dédiés identifiés (bains, maisons closes, salons privatifs et alcôves), lieux de soin (hôpitaux, cliniques, « maisons »), lieux de sociabilité et de rencontre ;

2. Espaces et lieux au sein de la sphère domestique :

- architectures domestiques et aménagements décoratifs de l’intime ; l’intimité comme critère d’aménagement et d’attribution des pièces ; confort, notion de « Gemütlichkeit »…

  • scénographies, objets et accessoires de l’intime dans une mise en espace concertée,
  • dérision et critiques qui s’expriment autour d’une certaine complaisance à exprimer, voire à exposer, l’intimité ;

3. La question des conditions matérielles de l’accès à l’intimité et la construction de l’intimité :

- comment l’intime devient une valeur morale, investie par des valeurs économiques ;

- peut-on penser, hors de ce modèle bourgeois, un « intime » ouvrier ou paysan ?

- la féminisation de l’intime, corrélative à l’assignation de la femme à la sphère domestique.

4. L’intime comme espace intérieur – affectif, intellectuel, psychique – et ses relations avec la notion d’inconscient :

- représentation de l’intime selon une logique topographique et de l’inconscient selon une topique au sens de Freud ;

- espaces tangibles et représentables pour figurer l’intériorité, abstraite : images archétypiques de la « maison », de la « chambre noire », de la « grotte », du « magasin »… et du meuble de Baudelaire (« J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans / Un gros meuble à tiroirs encombrés de bilans ») à Maupassant (« La Chevelure ») ;

5. L’intime comme topique et lieu(x) commun(s) :

- topoi et rhétorique de l’intime dans le discours (littéraire) de l’époque,

- l’intime, un stéréotype de la modernité comme recette biographique et effet d’affiche racoleur,

- le culte de l’intime comme outil d’uniformisation de représentations et des modes de vie (au plan de la standardisation de l’habitation par exemple).

À la fois territoire subjectif, mode de relation et valeur idéologique, la sphère de l’intime est des plus vastes. Nous encourageons les communications qui se confronteront à cette problématique et préfèreront des approches transversales aux études de cas plus limitées, monographiques ou descriptives, de manière à ouvrir au maximum le champ d’expression de la culture intimiste qui s’épanouit au XIXe siècle dans tous les domaines de la vie individuelle et sociale.

Les propositions de communication, d’une page maximum, doivent être envoyées à Nicolas Aude, Alice de Charentenay, Romain Enriquez et Marie-Clémence Régnier à l’adresse lieux-de-lintime@googlegroups.com avant le 20 décembre 2015. Elles devront comporter une bio-bibliographie succincte. Les réponses seront communiquées courant janvier.

 

Bibliographie indicative 

I. Cahn, Pierre Bonnard (1867-1947). Peindre l’Arcadie. Album de l’exposition, Musée d’Orsay/Hazan, 2015.

M. Charpy, « Matières et mémoires : usages des traces de soi et des siens dans une grande famille bourgeoise de la seconde moitié du XIXe siècle », Revue du Nord, 2011.

J.L. Chrétien, L’Espace intérieur, Minuit, 2014.

N. Laneyrie-Dagen, G. Vigarello, La Toilette, Naissance de l’intime, Hazan, 2015.

D. Cohn, La Transparence intérieure. Modes de représentation de la vie psychique dans le roman, Seuil, 1981.

B. Diaz et J.-L. Diaz, « Le siècle de l’intime », Itinéraires, Pour une histoire de l’intime et de ses variations, dir. Anne Coudreuse et Françoise Simonet-Tenant, L’Harmattan, 2009.

E. Emery, En toute intimité. Quand la presse people de la Belle Époque s’invitait chez les célébrités, Parigramme, 2015.

Ph. Hamon, Expositions, littérature et architecture au XIXe siècle, Corti, 1989.

N. Heinich, De la visibilité. Excellence et singularité en régime médiatique, Gallimard, 2012.

L. Jenny, La Fin de l’intériorité. Théorie de l’expression et invention esthétique dans les avant-gardes françaises (1885-1935), Presses universitaires de France, 2002.       

J.-F. Laé, « L’intimité : une histoire longue de la propriété de soi », Sociologie et Sociétés, vol. 35, nº2, 2003.

Ph. Lejeune, « Intime, privé, public », La faute à Rousseau, n° 51, juin 2009.

A. Lilti, Figures publiques. L’invention de la célébrité (1750-1850), Fayard, 2014.

A. Maurel, Le Pays intérieur. Voyage au centre du Moi. Anthologie des penseurs européens (1770-1936), Robert Laffont, 2008.

M. Perrot, Histoire de chambres, Seuil, 2013.

Des documents de travail, constitués au long des deux années du séminaire des Doctoriales, sont également disponibles en ligne : https://doct19serd.hypotheses.org/.