Compte rendu publié dans Acta fabula (mars 2014, vol. 15, n° 3) : "Feux sur Proust" par Géraldine Dolléans.
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Le Magazine littéraire, n°535, septembre 2013: "Cent ans de Recherche"
Sous la direction d'Alexandre Gefen et Matthieu Vernet
Prix 6,20EUR
Présentation de l'éditeur :
Cette année magique vit naître également Le Grand Meaulnes d'Alain-Fournier, Alcools d'Apollinaire, La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France de Cendrars, A. O. Barnabooth de Larbaud, Ève et L'Argent de Péguy, Stèles de Segalen. Ce fut encore l'année du Sacre du printemps de Stravinski aux Ballets russes, de la fondation par Copeau du Théâtre du Vieux-Colombier, ou de Roue de bicyclette de Duchamp. 1913 est bien une année matrice, riche de sa diversité et à l'origine de l'entrée de l'art et de la littérature française dans la modernité. Proust, au tout premier chef, se trouve au coeur de ce mouvement, car il contribue à refondre et à repenser le roman moderne et à redéfinir les codes de ce genre.
Depuis les grandes heures du structuralisme et de la Nouvelle Critique, qui interrogeait les dispositifs narratifs de La Recherche et en analysait la machine romanesque, les études proustiennes ont su montrer la richesse, la complexité et la nouveauté d'une oeuvre qui paraît intarissable tant le projet de son créateur et la masse considérable de ses brouillons donnent au lecteur et au chercheur du grain à moudre : des sciences cognitives s'interrogeant sur la mémoire proustienne à la sociologie, des études culturelles s'intéressant au Proust queer aux phénoménologues, des historiens aux rêveurs, des politiciens aux poètes, chacun a inventé son Proust, rendant le lecteur sensible autant aux savoirs du roman qu'aux incertitudes du sens, aux révélations qu'aux secrets.
C'est toute cette diversité que l'année littéraire proustienne nous offre, avec un vivifiant désordre : voulez-vous savoir comment Proust nous permet de penser ? Lisez Pierre Macherey (Proust. Entre littérature et philosophie, éd. Amsterdam) ou Luc Fraisse (L'Éclectisme philosophique de Marcel Proust, éd. PUPS). Voulez-vous un Proust postmoderne ? Prenez celui de François Bon, Proust fiction (éd. du Seuil), dont ce numéro livre quelques pages ? Voulez-vous continuer du côté des écrivains ? Vous avez le numéro spécial de La NRF, que lui consacrent Philippe Forest et Stéphane Audeguy, D'après Proust, où George Steiner croise Régis Jauffret, Matthieu Larnaudie ou encore Pierre Bergounioux. Voulez-vous être du côté des érudits, en pèlerinage aux origines du roman (Proust à Illiers-Combray. L'Éclosion du monde, Christophe Pradeau, éd. Belin), dans le lit où commence Du côté de chez Swann (Chambres de Proust, Olivier Wickers, éd. Flammarion, en extrait dans ce numéro), ou préférez-vous un Proust hors champ (Proust et les Bulgares, Christian Gury, éd. Non Lieu) ? Voici au choix un Proust au travail (Genesis, « Proust 1913 », PUPS), biographié (Michel Erman, éd. La Table ronde), entouré de ses amis (Le Cercle de Marcel Proust, Jean-Yves Tadié (dir.), éd. Champion), en couple avec Cocteau (Proust contre Cocteau, Claude Arnaud, éd. Grasset, essai dont nous reproduisons quelques pages). Vous faut-il un Proust au centre de notre modernité ? 2013 vous a donné la réédition de l'essai d'Antoine Compagnon (éd. du Seuil). Ou au contraire un Proust subjectivé par les listes de Jean-Paul et Raphaël Enthoven (Dictionnaire amoureux de Proust, éd. Plon), de Michel Erman (Les 100 Mots de Proust, éd. PUF), ou de Jacques Géraud (Proustissimots, éd. Champ Vallon) ?
À l'occasion de ce centenaire, nous faisons le choix de montrer un Proust différent, en prise avec notre temps. Il s'agit en effet de souligner tout ce que la lecture de La Recherche peut apporter à notre contemporain. S'il y a dans ce roman bien des inventions techniques (du téléphone à l'avion) qui rendent son univers familier, Proust continue également à nous paraître étrangement actuel par les questions et les enjeux qu'il soulève et qui sont encore ceux de notre époque, tant et si bien qu'un siècle après, guerres mondiales et révolution numérique passées, son oeuvre paraît encore nécessaire et toujours aussi fraîche, alors que la libre consultation des soixante-quinze cahiers de brouillons de La Recherche - disponibles sur le site Gallica de la Bibliothèque nationale de France et desquels Brepols propose de fidèles transcriptions (signalons la parution récente du Cahier 53) - permet au lecteur curieux d'approcher une écriture sans cesse remise sur le métier et rappelle combien une oeuvre, si monumentale fût-elle, peut être instable et aléatoire.
Aussi Proust n'a-t-il jamais été aussi près de son lecteur, jamais aussi ouvert : nous le regardons écrire et travailler, enfermé dans sa chambre ; homme d'un autre siècle, il parle de nous ; auteur d'une somme qui aurait pu clore l'histoire littéraire, il continue à nous faire écrire.