Ci-dessous un appel lancé hier par des médaillés du CNRS (médailles d'or, d'argent, de bronze, Cristal) contre le démantèlement et dépeçage du CNRS engagé par le gouvernement, et qui en une seule journée a déjà rallié plus d'une centaine des (pourtant peu nombreux, par définition) médaillés. À faire connaître aux médaillés que vous fréquentez!
Les médaillés du CNRS : fiers mais très inquiets
11 juin 2008
Nous, enseignants-chercheurs chercheurs ou ingénieurs des universités ou des organismes de recherche, sommes fiers de faire de la recherche. D’autant plus fiers que nous avons été distingués parmi les « Talents » français : une Médaille – d’or, d’argent, de bronze – ou un Cristal du CNRS est venu récompenser notre travail. Ce sont nos pairs – un large groupe de collègues, élus ou nommés au Comité national du CNRS – qui nous ont ainsi reconnus sur la base de nos travaux, et nous l’apprécions. D’autres parmi nous ont reçu des distinctions similaires, non moins prestigieuses, des grandes sociétés savantes.
La Médaille de bronze, décernée à des chercheurs en début de carrière, « représente un encouragement du CNRS à poursuivre des recherches bien engagées et déjà fécondes ». La Médaille d’argent récompense ceux, « déjà reconnus sur le plan national et international pour l’originalité, la qualité et l’importance de leurs travaux », qui font école, qui dirigent des thèses, des équipes, des laboratoires. La Médaille d’or est la plus haute distinction scientifique française, décernée depuis 1954. Enfin, le Cristal du CNRS distingue des personnels ingénieurs, techniciens ou administratifs (ITA) qui « par leur créativité, leur maîtrise technique et leur esprit innovant contribuent aux côtés des chercheurs à l’avancée des savoirs et des découvertes scientifiques ».
Pourtant, nous sommes inquiets. À l’heure où l’on ne nous propose plus que des financements de quelques années pour des projets très ciblés, où les formations scientifiques à l’Université se dépeuplent, où l’on ne peut souvent promettre à un brillant thésard, au terme d’un travail achevé au niveau bac + 8, que des années au SMIC, voire au RMI, à l’heure où les ITA sont menacés d’être regroupés en « pools » affectés selon les besoins aux tâches les plus urgentes, comment apprécier pleinement ces récompenses ? Le système d’enseignement et de recherche qui nous a formés est en train de péricliter.
Comment se déprendre de l’impression, nous qui sommes en poste, au CNRS, dans un autre organisme de recherche ou à l’Université, qui prenons plaisir à chercher, à transmettre, et qui avons été reconnus pour cela par nos pairs, que nous serons les derniers de notre espèce, que nous n’aurons, bientôt, qu’à éteindre la lumière et fermer la porte derrière nous ? Comment apprécier notre médaille du CNRS, au moment même où cet organisme mondialement reconnu paraît être en voie de démantèlement ?
Ce sont nos trajectoires individuelles qui sont récompensées. Pourtant, nous savons tous que la science ne se fait pas dans l’isolement et que, si nos parcours ont été jalonnés de concours sélectifs (que nous soyons chercheurs, enseignants-chercheurs ou personnels ITA), ce n’est pas seulement, ce n’est pas avant tout la compétition qui a produit nos avancées, mais la coopération avec nos collègues. Une recherche qui ne compterait que des médaillés comme nous, même s’ils étaient bien rémunérés et disposaient de tous les moyens souhaités, serait une recherche morte. Chacun de nous n’est pas un « génie » isolé : nous travaillons en équipes, et nous travaillons pour tous. Nous n’avons pas fait que déposer des brevets, écrire des livres ou des articles dans des revues bien cotées ; nous avons aussi enseigné, diffusé le savoir auprès d’un large public ; nous avons encore développé des outils, des logiciels, inventé des instruments, publié des documents, édité et animé des revues, construit des sites web, organisé des colloques et congrès pour que d’autres puissent après nous faire avancer la science.
La recherche s’appuie sur la diversité des personnes, de leurs qualités individuelles – les brillants et les laborieux, les rapides et les perfectionnistes ; sur les rencontres parfois inattendues entre disciplines, entre cultures nationales, entre savoir-faire. L’évaluation, c’est notre quotidien, depuis que la science moderne existe : nous savons que les résultats de notre travail sont attentivement regardés par nos pairs, et nous n’en avons pas peur. En revanche, dépenser une énergie et un temps infinis à évaluer à tout va, à sur-sélectionner, à trier les meilleurs des meilleurs, qui plus est de manière de plus en plus bureaucratique, est vain et stérile ; cela ne peut qu’appauvrir le potentiel collectif de la communauté scientifique.
La recherche a besoin de la confiance de la Nation et du gouvernement : une confiance non pas aveugle, mais suffisante pour laisser aux projets le temps de mûrir, pour permettre, dans le cadre des priorités générales fixées par les élus, aux chercheurs de mener les programmes qu’ils ont élaborés et d’évaluer les résultats de leurs pairs. Pour que le système français soit capable de se reconfigurer face aux défis de l’avenir, il lui faut aussi une masse critique suffisante en termes de nombre de personnels statutaires, une diversité suffisante en termes de disciplines.
C’est pour cela que nos récompenses ont, dans le contexte actuel, un goût un peu amer : depuis quatre ans, mais plus encore depuis un an, un ensemble de décisions, parfois d’apparence très technique, parfois ponctuelles, d’autres fois même présentées comme permettant d’injecter plus d’argent dans la recherche, expriment au fond une profonde défiance par rapport à nos activités, à leur qualité et à notre manière de les accomplir, et une profonde ignorance des modalités spécifiques de fonctionnement de la recherche. Il est pourtant encore temps de faire d’autres choix, qui permettront au système français de recherche, déjà largement envié de par le monde – on compte 30 % d’étrangers parmi les candidats au CNRS, malgré les conditions matérielles proposées... –, de faire encore mieux à l’avenir.
Nous ne pouvons donc que demander :
le respect des missions de service public pour l’Enseignement supérieur et la Recherche, avec un financement adapté à la réussite de ces missions ;
un plan pluriannuel de recrutement d’enseignants-chercheurs, de chercheurs et d’ITA titulaires, pour résorber la précarité et pour développer la recherche en même temps que la réussite des étudiants ;
le maintien, à côté des Universités et des organismes de recherche appliquée, d’un CNRS national et généraliste, doté de réels moyens, ayant pour mission d’explorer tous les domaines de la connaissance, mettant en œuvre de façon autonome une politique scientifique cohérente, qui favorise l’interdisciplinarité et les projets à long terme ;
une politique d’ensemble encourageant la coopération plutôt que la compétition entre organismes de recherche et Universités (et entre ces dernières), ce qui passe notamment par la sauvegarde d’un statut national des chercheurs et des ITA permettant une mobilité géographique et thématique, assorti de possibilités d’échanges et de coopération beaucoup plus importantes qu’aujourd’hui avec l’enseignement supérieur ;
des financements sur projets courts qui complètent les financements de plus longue haleine (notamment pour le lancement de nouvelles pistes) plutôt que de les remplacer, et qui soient majoritairement attribués à des « projets blancs » (sur des thématiques proposées par les chercheurs eux-mêmes), avec des procédures d’expertise transparentes ;
une évaluation des personnels, des laboratoires et des projets, à tous les niveaux, qui soit essentiellement réalisée par des chercheurs et enseignants-chercheurs, et non pas confiée à des personnalités extérieures au monde de la recherche ; et qui ne soit pas automatisée sur la base unique d’indicateurs chiffrés, au détriment de l’analyse du contenu des travaux menés.
Si vous avez reçu une médaille vous-même et souhaitez signer cet appel, merci de contacter Claire Lemercier.
Premiers signataires :
Olivier Alard, médaille de bronze 2008, Terre et planètes telluriques (géochimie).
Solveig Albrand, prix Cristal 2008, informatique.
Yacine Amarouchene, médaille de bronze 2008, physique (matière condensée, organisation et dynamique).
Irène Bellier, médaille de bronze 1997, anthropologie.
Frédéric Berger, médaille de bronze 2005, biologie.
Jean-François Berger, médaille de bronze 2000, archéologie.
Katell Berthelot, médaille de bronze 2007, histoire.
Jean-Pierre Bertoglio, médaille de bronze 1988, sciences pour l’ingénieur.
François Biraben, médaille d’argent 1996, physique.
François Bon, médaille de bronze 2007, archéologie.
Caroline Bonafos, médaille de bronze 2004, nano-matériaux.
Jean-Patrice Boudet, médaille de bronze 1997, histoire.
Patricia Bouyer, médaille de bronze 2007, informatique.
Fabien Bretenaker, médaille de bronze 1996, physique.
Michel Bureau, prix Cristal 2007, chimie.
Florent Calvo, médaille de bronze 2004, physique.
Bruno Cauli, médaille de bronze 2007, neurobiologie.
Myriam Cayre, médaille de bronze 2000, neurobiologie.
Didier Chatenay, médaille d’argent 1999, physique.
Jean-Michel Claverie, médaille d’argent 2003, biologie.
Étienne Challet, médaille de bronze 2003, physiologie moléculaire et intégrative.
Christophe Charle, médaille d’argent 2001, histoire.
Marie-Christine Chivallon, médaille de bronze 2000, géographie.
Jean-Marc Chomaz, médaille d’argent 2007, mécanique-physique, fellow de l’American Physics Society.
Laurent Cognet, médaille de bronze 2005, physique.
Rosa Cossart, médaille de bronze 2005, santé-médecine.
Karine Costuas, médaille de bronze 2006, chimie.
Bernard Croset, médaille de bronze 1984, physique.
David Dauvillée, médaille de bronze 2008, sciences du vivant.
Patrice David, médaille de bronze 2001, écologie.
Julie Déchanet-Merville, médaille de bronze 2002, biologie.
Benoit Derijard, médaille de bronze 1997, biologie.
Robert Descimon, médaille d’argent 2006, histoire.
Abdelhak Djouadi, médaille d’argent 2007 physique théorique.
Anne Dolbecq, médaille de bronze 2000, chimie.
Jean-Marie Donegani, médaille de bronze 1991, science politique.
Vincent Dubois, médaille de bronze 2001, sociologie et science politique.
Jean-Michel Dubuisson, prix Cristal 2003, synchrotron Soleil.
Sophie Duchesne, médaille de bronze 2000, science politique.
Stefan Enoch, médaille de bronze 2006, physique.
Marc Flandreau, médaille de bronze 2002, économie.
Alexandre François, médaille de bronze 2004, linguistique.
Dominique Gagliardi, médaille de bronze 2007, sciences du vivant.
Thibault Gajdos, médaille de bronze 2008, économie.
Jean-Marc Galan, médaille de bronze 2002, biologie cellulaire.
Armel Gallet, médaille de bronze 2004, sciences du vivant.
Nicolas Galtier, médaille de bronze 2004, biologie.
Valérie Gelézeau, médaille de bronze 2005, géographie.
Tatiana Giraud, médaille de bronze 2006, écologie.
François Gonon, prix Cristal 1998, sciences du vivant (interactions cellulaires).
Yacine Graba, médaille de bronze 1999, biologie.
Joseph Gril, médaille d’argent 2003, sciences pour l’ingénieur.
Jean-Michel Grisoni, prix Cristal 2007, océanographie.
Joel Guiot, médaille d’argent 2005, sciences de l’univers.
Christophe Hazard, médaille de bronze 1997, sciences pour l’ingénieur.
Marie-Angèle Hermitte, médaille d’argent 1997, sciences juridiques.
Dominique Iogna-Prat, médaille d’argent 2008, histoire.
Catherine Jeandel, médaille de bronze 1992, océanographie.
Vincent Jomelli, médaille de bronze 2004, géographie, prix La Recherche 2006.
Christophe Josserand, médaille de bronze 2007, sciences pour l’ingénieur.
Frédéric Kanoufi, médaille de bronze 2006, chimie.
Hamid Kellay, médaille de bronze 1999, physique.
Roland Le Borgne, médaille de bronze 2003, biologie.
Jacques Le Goff, médaille d’or 1991, histoire.
Stéphanie Latte Abdallah, médaille de bronze 2008, science politique.
Pierre Leboucher, prix Cristal 2001, sciences du vivant.
Sébastien Lecommandoux, médaille de bronze 2004, chimie.
Jacques Lecoq, prix Cristal 2000, micro-électronique.
Claire Lemercier, médaille de bronze 2008, histoire.
Philippe Lesot, médaille de bronze 2001, chimie.
Philippe Mailly, prix Cristal 2004, neurobiologie.
Dominique Mangelinck, médaille de bronze 2003, matériaux pour la micro-électronique.
Grégor Marchand, médaille de bronze 2006, archéologie.
Claudie Marec, prix Cristal 2008, océanographie.
David Margolis, médaille de bronze 2001, économie.
Dominique Marie, prix Cristal 2003, océanographie.
Nicolas Mariot, médaille de bronze 2007, science politique.
Roland Marquet, médaille de bronze 1998, sciences du vivant.
Agnès Martial, médaille de bronze 2007, anthropologie.
Béatrice Marticorena, médaille de bronze 2000, physico-chimie de l’atmosphère.
Jean Massies, médaille d’argent 2007, physique.
Lilian Mathieu, médaille de bronze 2008, sociologie.
Olivier Mattéoni, médaille de bronze 2000, histoire.
Christian Mauduit, médaille de bronze 1990, mathématiques.
Raphaël Métivier, médaille de bronze 2006, sciences du vivant.
Pierre Meyrand, médaille d’argent 2000, sciences du vivant.
Bénédicte Michel, médaille d’argent 2002, biologie.
Charles de Miramon, médaille de bronze 2002, histoire.
Aminah Mohammad-Arif, médaille de bronze 2003, anthropologie.
Adriano Oliva, médaille de bronze 2008, philosophie médiévale.
François Parcy, médaille de bronze 2002, biologie.
Eduardo Pimentel Cachapuz Rocha, médaille de bronze 2005, biologie.
Laure Pisella-Rosine, médaille de bronze 2006, sciences de la vie-secteur santé.
Laurent Pizzagalli, médaille de bronze 2003, physique.
Olivier Pliez, médaille de bronze 2007, géographie.
Olivier Pouliquen, médaille de bronze 2001, sciences pour l’ingénieur.
Cyril Proust, médaille de bronze 2007, physique.
Joëlle Prunet, médaille de bronze 2002, chimie.
Mireille Raccurt, prix Cristal 2008, sciences du vivant.
Olivier Ragueneau, médaille de bronze 1999, biogéochimie marine.
Marwan Rashed, médaille de bronze 2004, philosophie, sciences de l’Antiquité.
Christine Rendu, médaille de bronze 2004, archéologie.
Patrick Revy, médaille de bronze 2006, sciences du vivant (interactions cellulaires).
Mireille Richard-Plouet, médaille de bronze 2000, chimie.
Frédéric Richardeau, médaille de bronze 2005, génie électrique.
Isabelle Rico-Lattes, médaille d’argent 2006, chimie.
Hervé Rigneault, médaille de bronze 2000, physique.
Philippe Roch, médaille de bronze 1980, prix d’immunologie franco-allemand Behring-Metchnikoff 1982.
Hugues Roest Crollius, médaille de bronze 2007, biologie.
Guillaume Rogez, médaille de bronze 2008, chimie.
Patrick Roudeau, médaille d’argent 2001, physique nucléaire et corpusculaire.
Stéphane Roux, médaille d’argent 2006, mécanique du solide.
Jay Rowell, médaille de bronze 2007, sociologie.
Sandrine Sagan, médaille de bronze 2001, chimie.
Gisèle Sapiro, médaille de bronze 2000, sociologie.
Christian Seassal, médaille de bronze 2002, physique.
Bruno Senger, médaille de bronze 2002, sciences de la vie.
Jean-Baptiste Sibarita, prix Cristal 2006, sciences du vivant (imagerie cellulaire).
Jean-Pierre Simorre, médaille de bronze 2000, chimie.
Jean-Claude Schmitt, médaille d’argent 2003, histoire.
Cécile Tannier, médaille de bronze 2006, géographie.
Sylvie Thénault, médaille de bronze 2005, histoire.
David Troadec, prix Cristal 2008, sciences et technologies de l’information et de l’ingénierie.
Stéphane Van Damme, médaille de bronze 2003, histoire.
Rufin VanRullen, médaille de bronze 2007, neurosciences.
Hervé Vaucheret, medaille d’argent 2005, biologie.
Claire Waelbroeck, médaille de bronze 2003, paléoclimatologie.
Igor Walukiewicz, médaille de bronze 2003, informatique.
Philippe Woloszyn, médaille de bronze 2003, architecture.
Julien Zaccaro, médaille de bronze 2004, chimie.