Les migrations du personnage
Colloque international, 7-8 février 2014
Ce colloque s’inscrit à la suite des deux rencontres entre chercheurs internationaux précédemment organisés par ERIBIA sur les fins heureuses (2009) et l’inachevé (2011)1: il s’agit de s’attacher maintenant aux personnages qui vont au delà de la fin écrite par leur auteur, qui dépassent les limites de l’ouvrage dans lequel ils ont été créés.
“Les personnages migrent”, remarque Umberto Eco: “il arrive à certains personnages littéraires --pas à tous-- de sortir du texte où ils sont nés pour migrer dans une zone de l’univers que l’on réussit très difficilement à délimiter” (« Sur quelques fonctions de la littérature »). Eco explique que des personnages comme Le Petit Chaperon Rouge, d'Artagnan ou Alice ont une existence en dehors des “partitions originales” et existent même pour qui n'a jamais lu le texte de départ: “ils sont devenus collectivement vrais parce que la communauté à fait, sur eux.... des investissements passionnels” (20). Une rigidité certaine est de mise pour le personnage-migrant qui peut nous servir de "modèles de vie". Dans le roman postmoderne étudié par Brian McHale, l'emprunt d'un personnage sert à rompre l'illusion réaliste pour souligner la dimension intertextuelle d'un texte.
Pour Eco et McHale cette migration n'infléchit donc pas les personnages puisque ce sont justement leurs caractéristiques connues de tous qui influent sur le texte et/ou sur le lecteur et l'on pourra s'interroger sur cette transposition comme stratégie d'écriture.
Ce colloque s'intéressera aussi aux personnages qui évoluent en migrant d'un texte à l'autre et on s'interrogera sur les enjeux de la reprise ou réécriture d'un personnage de fiction. Les communications porteront ainsi sur les enjeux des diverses transformations ou non transformations de ces personnages-migrants. Ces personnages peuvent réapparaître dans un autre texte du même auteur à une autre étape de leur vie de personnage, comme de Federica Potter dans l'univers créé par A.S. Byatt dans son quartet (The Virgin in the Garden, Still Life, Babel Tower, A Whistling Woman) mais aussi de Juliet, la protagoniste de trois nouvelles d'Alice Munro dans sa collection Runaway. Tout en participant du même univers narratif, des personnages peuvent passer du premier au second plan: c'est le cas de Philip Swallow et Morris Zapp, protagonistes de Changing Places qui réapparaissent dans Small World, a Romance et dans Nice Work du même David Lodge. A l'inverse de Lodge, Jane Gardam quant à elle reprend l'un de ses propres personnages secondaires dans Old Filth pour lui donner une place au premier plan dans The Man in the Wooden Hat.
Les personnages peuvent aussi continuer d'évoluer dans leurs univers narratifs propres dans des textes allographes. Ainsi les suites -genre qui selon Genette a en général pour fonction « d'exploiter le succès d'une œuvre, souvent considérée en son temps comme achevée, en la faisoant rebondir sur de nouvelles péripéties » (Palimpsestes, 223) – données aux aventures d'un personnage célèbre occupent de nombreuses pages du roman contemporain. : on pense aux nombreux romans d'Emma Tennant mais aussi aux récents Peter Pan in Scarlet Geraldine McCaughrean et Death in Pemberley de PD James. De même, de nouvelles interprétations et éclairages donnés sur des personnages canoniques abondent : le père des jeunes filles March dans March de Geraldine Brooks, l'élève de Jane Eyre est au centre d'Adèle d'Emma Tennant, Havisham par Ronald Frame s'intéresse à la plus célèbre fiancée victorienne. La migration vers un texte allographe peut aussi être l'occasion d'une “trans-contextualization” (Hutcheon, A Theory of Parody , 12) quand réapparaît un personnage dans un autre contexte, une autre époque, comme le Dorian de Will Self, un autre lieu ou même un autre sous-genre comme l'Elizabeth Bennett chasseuse de zombies dans le Pride and Prejudice and Zombies de Seth Grahame-Smith.
Les migrations de personnages pourront également être étudiées dans le cadre des adaptations cinématographiques et de leurs « remakes » successifs. Dans cette pratique intermédiale, comme le déclarait la réalisatrice Patricia Rozema à propos de son film Mansfield Park, « interpretation is impossible to avoid. It must be openly declared by the filmmaker (writer and director) but 'imposing meaning' is impossible to avoid” (in Literature/Film Quarterly, vol. 32, n°4, 2004,). Ainsi le choix délibéré de faire interpréter Heathcliff par des acteurs de couleur dans le plus récent Wuthering Heights de Andrea Arnold est-il un bon exemple de cette ré-interprétation assez radicale du personnage du roman d'Emily Brontë quand il migre dans un autre media.
Les propositions de communications portant sur l'un des personnages cités ci-dessus ou d'autres « personnages-migrants » de la littérature anglophone contemporaine seront examinées avec une attention particulière ainsi que celles portant sur les thèmes qui suivent:
- le personnage d'un cycle, d'une série, d'un ensemble
- le personnage dans une suite/continuation
- le personnage dans une transposition/réécriture
- le personnage dans une adaptation cinématographique
Les propositions d'une longueur d'environ 300 mots et de préférence en anglais sont à envoyer à armelle.parey@unicaen.fr et à isabelle.roblin@univ-littoral.fr pour le 1er septembre.
1A. Parey, I. Roblin et D. Sipière (dir.), Happy Endings and Films, Paris: Houdiard, 2010; A. Parey et I. Roblin (dir.), Literary Happy Endings, Closure for Sunny Imaginations, Aachen: Shaker Verlag, 2012; F. Gallix, A. Parey et I. Roblin (dir.), L'Inachevé ou l'ère des possibles dans la littérature anglophone, récits ouverts et incomplets, à paraître aux Presses Universitaires de Caen en 2014.