M. Froger, Le cinéma à l'épreuve de la communauté. Le cinéma francophone de l'Office national du film 1960-1985
Marion Froger, Le cinéma à l'épreuve de la communauté. Le cinéma francophone de l'Office national du film 1960-1985
Montréal : Presses de l'Université de Montréal, coll. « Socius », 2010.
EAN 9782760621541
296 p.
34,95 $ • 31 euros
Présentation de l'éditeur :
Du tournant des années 1960 jusqu'au début des années 1980, une génération de cinéastes a oeuvré au sein de l'Office national du film pour jeter les bases du cinéma québécois. L'auteure met l'accent sur la dimension communautaire du travail de ces cinéastes et sur le désir de communauté du public de cette époque. Grâce à une approche interdisciplinaire, elle dévoile les fondations d'une cinématographie de proximité qui fait une large place à la production de lien social. À l'issue de son enquête, elle fait ressortir l'inscription décisive de la socialité du don dans l'esthétique des films de cette période déterminante de l'histoire du cinéma québécois, et tout particulièrement dans ceux de Pierre Perrault.
L'étude de la cinématographie québécoise permet de comprendre la fabrication du film et sa réception comme une épreuve de la communauté que vivent les filmeurs, les filmés et les spectateurs. C'est toute l'expérience relationnelle à la base du documentaire qui est ici repensée comme composante esthétique du film.
Marion Froger est professeure adjointe au Département d'histoire de l'art et d'études cinématographiques de l'Université de Montréal. Elle a codirigé deux ouvrages collectifs sur l'intermédialité, elle a publié des articles dans les revues Cinémas, Intermédialités, Visio et Possibles, et elle a contribué à plusieurs ouvrages collectifs sur le cinéma documentaire. Le cinéma à l'épreuve de la communauté est son premier livre.
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Claire Hennequet (UniversitéParis XIII – Nord) propose à Fabula cette note de lecture à propos de ce livre :
Ledocumentaire a-t-il une capacité propre à créer ou à nourrir le liensocial ? La question est ambitieuse et elle s'inscrit dans une tendancecontemporaine de la recherche en sciences sociales qui s'intéresse à lasédimentation des liens entre les membres d'une société, et aux moyens de lescréer ou de les maintenir.
C'est àpartir de la réalisation et de la diffusion de documentaires pendant lesgrandes années de l'ONF que Marion Froger aborde le problème. L'auteur nousrappelle l'acuité avec laquelle la question de la communauté s'est posée auCanada dans les années 60. Elle dépeint la complexité des changementséconomiques et sociaux, et la perte des repères traditionnels qu'incarnaientl'Église et la communauté rurale. M. Froger retrace par ailleurs lesévolutions de la politique culturelle fédérale au cours de la période étudiée.L'ONF est né d'une volonté politique qui plaçait ses espoirs dans une actionculturelle au niveau fédéral pour réunir la société canadienne. Dans un premiertemps l'institution se vit assigner la tâche de présenter les projets demodernisation entrepris par l'État. Des films à visée éducative devaientpermettre de fédérer les citoyens autour de ces projets. M. Froger analysel'ambigüité du rôle dévolu à l'institution : l'ONF fut considéré à la foiscomme médium d'État et instrument d'expression démocratique. Le conflit de cesconceptions contradictoires, celle de la direction de l'institution et celledes réalisateurs, permit le développement d'une réflexion sur l'idéologie del'objectivité. L'évolution se fit finalement dans le sens d'un effacement del'ONF en tant qu'institution, au profit des réalisateurs qui furent alors pleinementconsidérés comme auteurs. Dans une seconde période, c'est le multiculturalismequi s'est trouvé au coeur des préoccupations politiques. Face au déferlement dela culture de masse états-unienne, l'ONF fut chargé de représenter lesmultiples visages de la société canadienne afin d'oeuvrer au renforcement del'identité des différents groupes ethniques, religieux et linguistiques.
Le coeurde cette recherche est fondé sur l'idée que les réalisateurs de l'ONF auraientmis en oeuvre une pratique originale du documentaire, productrice de relationssociales spécifiques. M. Froger les analyse comme un mode collectif etparticipatif de création exigeant des rapports interpersonnels riches, dedialogue, de confrontation et de collaboration entre toutes les personnesimpliquées dans le film (équipe technique aussi bien que personnes filmées).Elle décrit ces relations comme horizontales et fondées sur le don plutôt quesur un échange marchand. Un monde à part se crée durant ces expériences ets'exhibe dans les films, perdurant ainsi au-delà du tournage, sur la pellicule,et s'offrant aux spectateurs comme possible modèle. Qui plus est, l'auteurdéveloppe l'idée que le moment de la réception est lui-même propice à laformation de nouveaux liens, cette fois entre les spectateurs invités àdialoguer autour des animateurs sociaux itinérants. Le lien social autour dufilm se construit donc à une échelle locale, d'individu à individu, en écho auxfilms eux-mêmes qui abordent des thématiques sociales nationales à travers desproblématiques régionales. M. Froger interroge pour finir la capacité dudocumentaire à nourrir le lien social au-delà de sa sphère d'influence directe.Elle s'appuie pour ce faire sur une lecture de Deleuze et Derrida ainsi que surune approche anthropologique de la relation de don.