Portraits phototextuels de pays (XIXe - XXIe siècles). Généalogie d’un genre polymorphe, Université de Louvain
Portraits phototextuels de pays (xixe - xxie siècles)
Généalogie d’un genre polymorphe
Colloque - Université de Louvain / KU Leuven 26-28 avril 2018
s. dir. David Martens (Université de Louvain – MDRN), Marta Caraion (Université de Lausanne) & Jean-Pierre Montier (Université Rennes II - Phlit)
Dépeindre un lieu dans ses différents aspects, en proposer une vue d’ensemble qui en livre les principales caractéristiques, quoi de plus courant ? Le sens même de la littérature de voyage réside dans cette appréhension de l’ailleurs, proche ou lointain, qu’il s’agit de faire connaître et dont il importe de favoriser le souvenir. La pratique est si ancienne que la familiarité qui la caractérise ont pour une large part occulté l’existence d’un genre à part entière, le portrait de pays, dédié à la (re)présentation des lieux. La diversité de ce genre, tant du point de vue de ses formes qu’en ce qui concerne ses finalités, contribue à expliquer qu’il n’ait pendant longtemps pas été identifié en tant que tel. À dire vrai, « portrait de pays » n’a guère été employé par les acteurs, qui ont plutôt fait usage d’une multiplicité d’autres termes pour rendre compte de ce type de publications, des « voyages pittoresques » aux photobooks.
L’apparition de la photographie n’a guère contribué à clarifier la situation. Au contraire, rapidement mise à contribution, et introduisant ses propres contraintes techniques, esthétiques et axiologiques, elle a favorisé la diversification des formes du genre, des volumes de voyage de Du Camp à nos jours. Eu égard à l’importance cardinale du voyage et de la représentation des lieux dans l’histoire de la photographie, rien d’étonnant à ce qu’elle ait été mobilisée au sein de ce type de publications. L’on peut même avancer que le portrait de pays constitue l’un des genres majeurs de la photolittérature, dans la mesure où un nombre considérable d’écrivains, et non des moindres (Cendrars, Cocteau, Giono, Malraux, Morand…), s’y sont adonnés, qui au travers d’une préface de quelques pages, qui en proposant des textes consistants s’étendant à l’ensemble d’un livre et, éventuellement, commentant les images.
À travers des agencements de textes et de photographies de différents types, ces réalisations, hétérogènes dans leurs formes, leurs finalités et leurs publics cibles, donnent à voir, selon des modalités et des formes diverses, non seulement les territoires proprement dits de ces pays, mais aussi leur histoire, leur actualité, leur population, ses us et coutumes, ainsi que le patrimoine, matériel et immatériel, témoignant de ces différents ordres de réalités. Susceptibles d’une grande variété dans les sujets qu’ils abordent pour rendre compte des lieux qu’ils présentent, ces portraits appartiennent simultanément à plusieurs domaines. À vocation tantôt esthétique, tantôt documentaire ou de vulgarisation, ils participent corollairement, selon des valences variables, de la géographie, de l’histoire, de la sociologie et de l’ethnologie, de l’histoire de l’art.
Si la plupart de ces portraits se donnent pour but de présenter les beautés et richesses de territoires particuliers, d’autres se focalisent plutôt sur un aspect spécifique, ou se donnent une finalité critique. Parmi ces portraits, certains donnent parfois volontiers dans l’esthétique de la carte postale, tandis que d’autres se concentrent sur des aspects moins attendus, au point d’inventer une véritable poétique photo-textuelle. Rapidement périmés, ils prennent le pouls de leur temps et leur côté rapidement vintage donne à voir en filigrane les préoccupations d’une période (son imaginaire touristique, sa cartographie du monde…). S’ils ne sont pas des instruments du voyage, comme le guide, ou des comptes rendus de voyage, comme les récits, ils contribuent à façonner ce que Jean-Didier Urbain a appelé « l’envie du monde ».
Présentant quelques chefs-d’œuvre reconnus tels que Paris de nuit de Brassaï (et Morand), La France de Profil de Paul Strand et Claude Roy, ou plus récemment La France de Raymond Depardon, le genre participe fondamentalement d’une production de masse, attenante pour une large part au façonnement du désir touristique en même temps qu’à la mise en valeur du patrimoine. L’entre-deux-guerres est particulièrement prolifique, avec des entreprises telles que « Le Visage de la France » (Horizons de France) ou une collection comme « Les beaux pays » (Arthaud). Les Trente glorieuses le sont plus encore et constituent une sorte d’âge d’or du genre, avec les très beaux volumes de La Guilde du livre, et un nombre considérable de collections comme les « Albums des guides bleus » (Hachette, 1954-1965), « Petite planète » (Le Seuil, 1954-1981), « Que j’aime » (Sun, 1960-1980), ou encore « L’Atlas des voyages » (Rencontre, 1962-1969).
Ce colloque entend proposer une généalogie de ce genre aussi méconnu que courant dans sa déclinaison phototextuelle. De l’invention de la photographie à nos jours, quelles sont les grandes étapes de son évolution ? Quels sont les différentes appellations qui lui ont été données, et que disent-elles de ses mutations ? En vertu de quels paramètres se distingue-t-il du récit de voyage ou du guide ? Quels sont les intertextes et les architextes génériques convoqués ? Quelles sont les fonctions (idéologiques, politiques, esthétiques et commerciales) conférées à ces portraits et quelles formes revêtent-elles ? Quelles sont les entités représentées (l’humaine, le politique, l’économique…) et quelle est leur part ? Quelle place est-elle donnée aux écrivains, aux photographes et aux éditeurs dans ces publications composites ? Comment se conjuguent ou s’opposent les finalités patrimonialisantes et documentaires de ces publications selon les périodes et contextes éditoriaux ? Quel est le public de ces livres ? Qui les lit et quels sont leurs modes de diffusion ? Qu’en est-il, enfin, des formes contemporaines du genre ?
Pour répondre à ces questions, des spécialistes de l’histoire du livre, de la littérature et de la photographie seront conviés à un dialogue avec des disciplines telles que la sémiologie, l’analyse du discours et les visual studies. Il s’agira de parvenir à une publication de référence destinée à servir de base à l’étude concertée de ce genre encore méconnu.
Organisé en collaboration par le groupe MDRN (www.mdrn.be), Phlit, le Répertoire de photolittérature ancienne et contemporaine (http://www.phlit.org) et le Centre des Sciences historiques de la culture de l’Université de Lausanne (https://www.unil.ch/shc/fr/home.html), ce colloque constitue la première rencontre d’une recherche collective spécifiquement consacré aux portraits de pays (http://phlit.org/press/?p=2495). Il s’inscrit dans le prolongement des travaux du Pôle d’attraction interuniversitaire Literature and Media Innovations, (http://lmi.arts.kuleuven.be) subventionné par la Politique scientifique fédérale belge (www.belspo.be) ainsi que dans le cadre de l’ANR Littépub (www.littepub.net).
PROGRAMME
Jeudi 26 avril
9h15 – Marta Caraion, David Martens & Jean-Pierre Montier : Introduction. De la généalogie d’un programme de recherche à celle d’un genre. Perspectives et prospective
Ancêtres du genre
10h – Ariane Devanthéry (Université de Lausanne) : Histoire et forme des guides de voyage. Quels moyens pour décrire un pays ?
11h – Pause
11h15 – Alain Guyot (Université de Lorraine) : Aux sources du portrait de pays ? Les Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France de Taylor et Nodier
12h15 – 14h Repas de midi
Apparitions de la photographie
14h – Marta Caraion (Université de Lausanne) : Une prédisposition pour le portrait phototextuel de pays au XIXe siècle
15h – Philippe Antoine (Université de Clermont-Ferrand) : Décrire pour instruire, instruire en décrivant. Sur Le Tour de la France par deux enfants
16h – Pause
Fin de siècle et Belle époque
16h15 – Jean-Pierre Montier (Université Rennes II) : Le Japon de Pierre Loti, ou pourquoi il est impossible de faire un portrait de ce pays
Vendredi 27 avril
Fin de siècle et Belle époque (suite)
9h – Marie-Ève Bouillon (EHESS) : Le Portfolio, support d’imaginaires photographiques à la fin du XIXe siècle
10h – Amélie van Liefferinge (Université Libre de Bruxelles) : La plaque photographique, un outil pour penser le portrait phototextuel de pays à la Belle époque ? Le cas de La Belgique illustrée
11h – Pause
Entre-deux-guerres
11h15 – Anne-Céline Callens (Université Jean Monnet de Saint-Étienne / IUT de Roanne) : L’itinéraire comme portait de pays : la traversée de la France en automobile durant l’entre-deux-guerres
12h15 – 14h Repas de midi
Entre-deux-guerres (suite)
14h – Anne Reverseau (KU Leuven – MDRN) : Le portrait de territoire entre presse et livre : reportages, chroniques, préfaces et légendes de Pierre Mac Orlan
15h – Christian Bougeard (Université de Brest) : La place de la littérature, des arts, du tourisme et de la photographie dans la revue La Bretagne touristique (1922-1939) : les représentations d’une région française durant l’entre-deux-guerres
16h – Pause
Trente Glorieuses
16h15 – David Auberson (Université de Lausanne) : La collection « Espaces ». Lorsque La Baconnière explore le monde
Samedi 28 avril
Trente Glorieuses (suite)
9h – Camilla Tramonti (Université de Lausanne) : Japon de Nicolas Bouvier, ou le portrait phototextuel de pays durant les années soixante
10h – Galia Yanoshevsky (Université Bar-Ilan) : Palimpsestes Israël : portrait d’un pays à mille visages
11h – Pause
Époque contemporaine
11h15 – Danielle Leenaerts (Université libre de Bruxelles & Saint Luc) : Humaine, de Marc Pataut. Visages de la désindustrialisation dans les territoires du Nord de la France
12h15 – 13h45 Repas de midi
Époque contemporaine (suite)
13h45 – Danièle Méaux (Université de Saint-Étienne) : Des livres-enquêtes
14h45 – Ari Blatt (University of Virginia) : Le photobook phototextuel du paysage comme portrait de pays, ou comment la photographie française contemporaine a aujourd'hui force d’art
15h45 – Pause
Conclusions
16h00 – Yves Jeanneret (Université Paris Sorbonne – Celsa) & Jean-Didier Urbain (Université Paris-Descartes)
Groupe MDRN - KULeuven
Faculteit Letteren
Blijde-inkomststraat 21 – Bus 3331
B 3000 Leuven (Belgium)
REMARQUE : locaux à préciser