Essai
Nouvelle parution
S. Catellin, Sérendipité. Du conte au concept

S. Catellin, Sérendipité. Du conte au concept

Publié le par Laure Depretto

Référence bibliographique : S. Catellin, Sérendipité. Du conte au concept, Editions du Seuil, collection "Science ouverte", 2014.


Sylvie Catellin, Sérendipité. Du conte au concept

Paris, Editions du Seuil, coll. "Science ouverte"

2014, 272 pages

21 euros

 

Présentation de l'éditeur

Quand Walpole invente le mot « sérendipité » en 1754, il évoque la faculté de découvrir, « par hasard et sagacité », ce que l’on ne cherchait pas. Aujourd’hui, le terme connaît une vogue croissante au sens de « découverte par hasard ». Mais si cette focalisation permet d’affirmer la dimension imprévisible et non programmable de la recherche, l’occultation de la sagacité empêche de saisir ce que « sérendipité » désigne véritablement, et qui est au cœur de toute découverte.

Pour comprendre le sens profond du terme, il faut remonter aux contes orientaux qui ont inspiré Walpole et Voltaire (pour la « méthode de Zadig »), et lire les romanciers et les savants qui se sont passionnés pour cette idée. Parmi eux, Balzac et Poe, Freud et Poincaré, Cannon et Wiener. Tous ont cherché à saisir le fonctionnement de l’esprit humain quand il est attentif à ce qui le surprend et en propose une interprétation pertinente, par l’association d’idées, l’imagination, la réflexivité.

L’étonnante histoire du mot révèle de profonds changements dans la conception des processus de création, et dans les rapports entre sciences, littérature et politique. Au terme de l’enquête, ce mot venu d’un conte ancestral acquiert la puissance d’un concept, porteur d’enjeux épistémologiques, politiques et humanistes.

 

Sylvie Catellin est maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université de Versailles St-Quentin-en-Yvelines. Elle étudie les rapports entre sciences et culture dans la création, la médiation et la diffusion des savoirs. Elle a dirigé récemment « L’Imaginaire dans la découverte », Alliage, n° 70, 2012.

Préface de Laurent Loty

 

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Sur liberation.fr, on pouvait lire cet article de R. Maggiori, en date du 22/1/2014:

"Késako, la sérendipité ? Le terme est bizarre, opaque, n’exhibe aucune similitude avec quoi que ce soit d’autre, aucune étymologie - de sorte qu’on se dit qu’on ne le retiendra jamais, et que l’oubli du mot provoquera toujours la méconnaissance de la chose. Pourtant, il n’est personne aujourd’hui qui n’en ait une pratique, n’en joue ou n’en soit le jouet plus ou moins conscient. C’est qu’avec la sérendipité, on fait de la prose comme en faisait M. Jourdain : on cherche quelque chose sur Internet, on navigue de lien en lien, et bientôt on trouve ce qu’on ne cherchait pas et qui s’avère plus intéressant que ce qu’on cherchait. Voilà, dans sa forme très simplifiée, la sérendipité.

Maître de conférence en sciences de l’information et de la communication à l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, Sylvie Catellin s’est toujours intéressée aux processus de découverte, dans les sciences et la culture : avec Sérendipité. Du conte au concept, elle fournit une histoire étonnante, littéraire, scientifique, philosophique, artistique, un récit d’enquête plein de surprises et de personnages inattendus, des princes orientaux, des alchimistes, des navigateurs, Balzac et Voltaire, Edgar Poe, Charles S. Peirce, Pasteur, Freud, Conan Doyle, Umberto Eco…

Dent. Giafer, philosophe-roi de Serendip, ancien nom de l’île de Ceylan, avait trois fils. Pour parfaire leur éducation, il les envoie explorer le monde. Sur les terres de l’empereur Behram, ils rencontrent un chamelier qui leur demande si, «par hasard», ils n’ont pas vu un de ses chameaux égarés. «N’est-il pas borgne et boiteux ? Ne lui manque-t-il pas une dent ? Ne transporte-t-il pas d’un côté du miel et de l’autre du beurre ?» Le chamelier est abasourdi. En réalité les princes n’ont pas vu la bête, mais interprété avec subtilité certains indices et, par raisonnement, conclu que le chameau était le chameau recherché : l’herbe était rongée d’un seul côté du sentier, des bouchées à demi mâchées, de la largeur d’une dent, jonchaient le sol, des fourmis, aimant le gras, s’étaient agglutinées sur le bord droit de la route, alors que, sur le côté gauche, voletaient des mouches, amatrices de miel…

Ce conte oriental, Voyages et aventures des trois princes de Serendip, a été traduit du persan en français par le chevalier de Mailly en 1719. En fait, ce dernier n’a fait que transcrire de l’italien un récit du XVIe siècle, le Peregrinaggio di tre giovani figliuoli del re di Serendippo, que son auteur, Christophe l’Arménien, dit avoir «transporté du persan». Mais là n’est pas non plus l’origine de ce «motif fictionnel millénaire», dont «on trouve plusieurs variantes chez les Hébreux, les Arabes, les Indiens, les Turcs, les Kirghiz, les Hongrois, les Bosniaques, et même chez les Danois» - sans parler du Zadig de Voltaire. Catellin donne des pistes pour poursuivre ce voyage à travers les littératures mais elle doit se fixer sur la sérendipité, et son «acte de naissance» : c’est le 28 janvier 1754 que pour la première fois l’écrivain anglais Horace Walpole, dans une lettre à un lointain cousin, utilise, en faisant référence aux princes de Serendip, le terme «serendipity», pour désigner la faculté de «découvrir, par hasard et sagacité, des choses qu’on ne cherchait pas».

Il faudra attendre longtemps - elle entre dans le vocabulaire scientifique à partir des années 30 aux Etats Unis - avant que la sérendipité ne devienne un concept, d’ailleurs assez ambigu, puisque, coupant la définition de Walpole, tantôt on mettra l’accent sur le hasard et la chance dans la découverte, tantôt sur la seule sagacité, en réduisant dans les deux cas sa force heuristique. «La chance ne sourit qu’aux esprits bien préparés», disait Pasteur. En dressant la plus précise des «cartes» intellectuelles et culturelles de la sérendipité, Sylvie Catellin montre comment, à travers elle, sont débattues «des questions concernant les voies de la création en science et en art, et plus spécifiquement certaines conceptions de la science et de la technique».

«Signes». Autrement dit, la sérendipité ne s’illustre pas seulement par les exemples de Fleming qui, en ne désinfectant pas une éprouvette, découvre la pénicilline, ou de Röntgen, qui découvre casuellement les rayons X. Pas davantage par les cas du Post-it, du Viagra, du Velcro, du micro-ondes, de l’insuline ou du Téflon, trouvés alors qu’on cherchait autre chose. Précisément parce que la découverte «ne peut jamais surgir du seul apprentissage des savoirs disciplinaires», mais implique l’«art de l’interprétation des traces et des signes», la synergie entre humanités, arts et sciences, la disponibilité de l’esprit à accueillir ce qui le surprend et le déroute. La sérendipité n’est donc pas aussi simple que ce qu’en a dit le médecin américain Julius H. Comroe : «Chercher une aiguille dans une botte de foin, et y trouver la fille du fermier.»"