Vincent Ferré, Tolkien. Sur les rivages de la terre du milieu, Paris, Christian Bourgois, 2001, 354 p.
vient de paraître en format poche dans la collection "Agora" (Pocket)
Présentation
"Quarante-cinq ans après sa publication en 1954-1955, Le Seigneur des Anneaux possède une place particulière dans la littérature contemporaine : il sest vendu à plus de cinquante millions dexemplaires dans le monde entier, tandis que Bilbo le Hobbit, qui fit connaître John Ronald Reuel Tolkien au grand public en 1937, approche des quarante millions de livres publiés, ces textes ayant été traduits en plus de trente langues ; mais surtout, Le Seigneur des Anneaux est souvent considéré comme une des uvres marquantes de notre époque. Un classement effectué par les clients de la librairie anglaise Waterstone le plaçait récemment au premier rang des cent livres les plus importants du siècle, et il est devenu un mythe littéraire en soi, entretenu par des lecteurs passionnés et une « littérature » hétéroclite (livres critiques, magazines, sites web et forums de discussion). Est-ce dû à la fascination quéprouve le lecteur face à un univers dépaysant, la Terre du Milieu, ou à la qualité de lintrigue qui allie épopée et aventure « chevaleresque »? Quoi quil en soit, quel meilleur démenti à certaines attaques virulentes contre Tolkien, qui le vouaient à tomber rapidement dans loubli ?
Pourtant, peu de livres sont disponibles en français pour aider le lecteur qui veut découvrir Le Seigneur des Anneaux ou mieux le comprendre, et les textes critiques anglais ou américains sont parfois difficiles à trouver, ou décourageants lorsquils se limitent aux questions du merveilleux et des « sources » du récit, et quils véhiculent des clichés - ce serait un texte puéril, qui dailleurs « manquerait de femmes » - qui semblent incontestables à force dêtre répétés mais déforment considérablement notre perception du Seigneur des Anneaux. Par conséquent, ceux qui nont pas lu Tolkien ne voient souvent en lui quun auteur pour enfants ou réservé aux initiés.
Le but de la présente étude, qui na bien entendu pas la prétention dexpliquer luvre de Tolkien dans sa globalité, est dexaminer quelques-unes des grandes questions que soulève Le Seigneur des Anneaux, en revenant au texte afin de dépasser les lieux communs et les préjugés, comme appelait à le faire un des pionniers en ce domaine, Neil Isaacs : dune part pour aider ses nombreux lecteurs à mieux appréhender ce livre parfois difficile, à se repérer dans une uvre monumentale et à apprécier son originalité, et dautre part pour le présenter à un public peu attiré a priori par une lecture aussi longue (mille trois cents pages dans la version française) et lui permettre de juger par lui-même si ce texte est intéressant, agréable, lisible.
Notre objectif avoué est de guider le lecteur dans ce « monstre [...] immensément long, complexe, plutôt amer et très terrifiant, qui ne convient pas du tout aux enfants », pour lui donner envie de lire ou de relire ce récit, qui ne nous semble ni démodé ni destiné à un public de jeunes lecteurs - même si lon voit mal ce quil y aurait là dinfamant -, mais qui cherche à procurer un vrai plaisir de lecture, à « distraire », tout en étant « sérieux ». Tolkien a en effet consacré une grande partie de sa vie à la création dun monde, de langues, de légendes et dintrigues qui méritent quon leur accorde de lattention : ne confiait-il pas quil avait écrit Le Seigneur des Anneaux avec son sang et quil lui semblait exposer son cur en le publiant ?
Notre fil directeur est un aspect négligé par la critique, celui de la mort et de limmortalité, que Tolkien désignait comme la clef de son uvre :
Je ne pense pas que même le Pouvoir ou la Domination soit le vrai centre de mon histoire [...]. Le vrai thème, pour moi, est quelque chose de beaucoup plus intemporel et difficile : la Mort et lImmortalité : le mystère de lamour de ce monde dans le cur dune race condamnée à le quitter et à le perdre - apparemment - ; langoisse dans le cur dune race condamnée à ne pas le quitter tant que toute son histoire engendrée par le Mal ne sera pas achevée.
Nous partirons de ce qui frappe immédiatement le lecteur, à savoir létrangeté des personnages et de lunivers dans lequel ils vivent : on verra quil existe une réelle opposition entre les protagonistes qui se trouvent du côté de la mort - quils la représentent ou la personnifient - et ceux qui luttent contre elle, de même quentre les différents espaces du récit, qui sont inscrits dans le mouvement de la quête de lAnneau, qui est un « aller et retour ».
Pour lauteur, le succès de son livre sexpliquait par la fascination suscitée par la construction très élaborée dune géographie, dune Histoire et de langues: cest ce quessaiera de montrer le chapitre suivant, qui examinera la question de linvention dun monde cohérent, empreint de merveilleux, ce qui nous amènera à envisager le genre du Seigneur des Anneaux et son appartenance à la Fantasy. Ce dernier point nous conduira alors à étudier la tradition dans laquelle il se situe, ses sources, ainsi que la genèse du texte, qui entretient de forts liens avec Le Silmarillion et le Hobbit, rapports que nous essaierons de dégager.
Ces repères étant posés - dans les cinq premiers chapitres -, nous pourrons en venir à lanalyse de lomniprésence de la mort dans cette uvre (autour des questions de la quête, du danger, des signes de la mort), de la confrontation des personnages avec elle au cours de laventure (celle-ci est-elle solitaire ou collective ? Quel espoir ont-ils de triompher ? Quelles armes utiliser ?), confrontation qui provoque lévolution des héros mais aussi la disparition dun monde et lavènement dun autre, le remplacement du mythe par lHistoire.
Létude sachève - en appendice, comme il se doit - sur une présentation rapide de la biographie de lauteur, un résumé de luvre (auquel peuvent se reporter dès maintenant les lecteurs peu familiers du récit), la traduction des avant-propos de lédition originale du Seigneur des Anneaux (1954) et de sa seconde édition (1966), textes importants qui ne figurent dans aucune version française, ainsi que sur une bibliographie sélective."