Colloques en ligne

Nicole Savy, CERILAC et université Paris-Diderot- Paris 7

Se déprendre de la doxa, ou la genèse de « l’intellectuel engagé » : Victor Hugo et les Juifs, histoire d’une désymbolisation

1Je remercie les organisatrices du colloque de me donner l’occasion d’intervenir. Je le ferai sur un exemple particulier, celui des rapports de Victor Hugo avec ce qu’on appelle, d’une formule très problématique, la « question juive » : angle peu exploré, récit possible du  siècle du romantisme, lequel ne meurt pas en 1848 comme on le prétend trop souvent ; et examen d’un choix progressif, celui de la place que choisit de prendre l’écrivain dans l’histoire.

2  De la préface de Cromwell à William Shakespeare, près de quarante ans plus tard, Victor Hugo défend l’art pour le progrès contre l’art pour l’art. C’est aux villes et non aux forêts que s’adresse le poète ; le génie « est fait pour l’homme. » (W. Sh., II, VI, 1). C’est dans la tension entre l’idéal de l’artiste, l’humanité, et les hommes réels pour lesquels il écrit, que le grand poète peut, selon Hugo, contribuer au progrès. Et ce n’est pas parce qu’elle guide la barque que l’étoile est moins belle. « Tel poème, tel drame, tel roman fait plus de besogne que toutes les cours d’Europe réunies. » (W. Sh., conclusion, III, 4). Si la littérature peut être utile et contribuer à forger l’avenir, c’est aussi qu’elle est dans l’histoire : il définit la littérature du XIXe siècle comme fille de la Révolution française, chargée de l’accomplir. L’acte d’écrire est acte politique ; poésie et politique sont inséparables. Si bien qu’à partir des années d’exil le poète fait acte de parole : discours et appels sont des textes littéraires, et même parfois poétiques, et grâce à son immense notoriété et à la presse de puissants déclencheurs de l’opinion publique. Dire, ou écrire, devient alors faire.

3Il faut préciser, pour commencer, que les Juifs dont il sera question ici ne sont pas abordés dans une perspective religieuse. C’est de leur image qu’il s’agit, telle que représentée par la littérature : un ensemble de stéréotypes, une doxa commune à leurs contemporains que les écrivains romantiques commencent par reproduire au début du siècle, critiquent, puis finalement, en la personne de Victor Hugo, mènent au bout d’un processus de désymbolisation. Cette évolution accompagne l’entrée progressive des Juifs dans la société, à partir de l’émancipation et de l’affirmation de l’égalité de leurs droits de citoyens. On ne compte que quelques centaines de Juifs présents à Paris au début de la Révolution ; autant dire qu’on ne sait pas ce qu’est un Juif. Dans le premier tiers du siècle, une bourgeoisie juive ambitieuse  commence à se développer, de la banque au commerce et bientôt à l’édition, au théâtre et à l’opéra ; elle se sécularise et revendique son intégration dans la nation. Ce qui donne à l’antijudaïsme l’occasion de prospérer et de prendre, sans renier ses formes antérieures, des formes nouvelles : de l’image du Juif déicide et cupide, venue du Moyen Âge, on passe à celle du banquier, honni par les socialistes anticapitalistes1 ; puis les nationalistes agitent la menace du complot international. Enfin le scientisme, acharné à classer les hommes comme les espèces animales au siècle précédent, fabrique une théorie des races humaines qui mène, de Gobineau à Drumont, à l’invention du racisme biologique et de l’antisémitisme moderne, et pour commencer en France à l’affaire Dreyfus.

4Les écrivains romantiques font au cours du siècle un chemin à peu près inverse. Si George Sand reste relativement indifférente2 et Gautier ou surtout Vigny nettement hostiles, Chateaubriand dans ses œuvres de jeunesse ne  connaît guère les Juifs que comme les Hébreux de la Bible ; Lamartine les déclare égaux par principe républicain ; Balzac, ami de James de Rothschild, les montre présents, nombreux et divers dans la Comédie humaine, les problématise et les naturalise, enregistrant avec curiosité l’évolution de son temps ; Dumas, que la question des races touche de près, en fait des héros positifs de ses romans.3 Un seul est allé jusqu’au bout de la destruction des mythes, c’est Victor Hugo. Accordons-lui qu’il a eu plus de temps que les autres pour y penser : il meurt en 1885, neuf ans seulement avant qu’éclate l’affaire Dreyfus. Il a connu deux monarchies, deux empires, deux républiques et trois révolutions, en même temps que les transformations sociales profondes d’une France méconnaissable d’un bout du siècle à l’autre. Jeune royaliste, proche du parti ultra et catholique dans sa jeunesse, puis très vite libéral, opposant à la peine de mort et à l’assujettissement des femmes, socialiste avant de devenir républicain, il s’éloigne radicalement du conformisme social dans tous les domaines, finissant par se battre pendant dix ans pour l’amnistie aux Communards. Et à propos des Juifs il entame un cheminement qui le conduit là où personne parmi ses pairs n’était allé avant lui.

5On le suivra au fil de l’œuvre et du découpage ternaire canonique de la vie de Victor Hugo.

Avant l’exil : les limbes

6 Née autour de 1800, la grande génération romantique baigne dans les préjugés antijuifs historiques. Simultanément, ces jeunes gens reçoivent en héritage les préjugés plus puissants que leur offrent leurs lectures : l’empreinte idéologique de Voltaire, anticlérical qui reproche moins aux Juifs d’avoir tué Jésus que de l’avoir fait naître ; les deux figures inoubliables de Shylock, le marchand de Venise de Shakespeare, père de Jessica, et de la séduisante Rébecca, fille d’Isaac dans Ivanhoé, qui fut leur roman culte dans les années 1820.Avec son entreprise apologétique du Génie du christianisme, en 1802, Chateaubriand affirme la supériorité de la religion et de l’art chrétiens. Victor Hugo n’a pas reçu le baptême à la naissance et abandonne rapidement son projet de devenir catholique,4 mais l’influence de Chateaubriand est intacte, via la littérature et l’engagement dans le Conservateur littéraire, de 1819 à 1821, à l’ombre alors ultra-royaliste du grand aîné. Chez les écrivains qui comptent le plus pour le jeune poète, même s’il est plus royaliste que chrétien, la doxa avec ses composantes est solidement ancrée.

7Il donne un compte-rendu enthousiaste d’Ivanhoé dans le Conservateur littéraire, en 1822. Il juge comique l’aversion qu’inspire Isaac aux commensaux de Cédric le Saxon, qui lui font très méchant accueil lorsqu’il arrive au château, et s’attendrit sur la belle Rébecca.5 Autres belles Juives dans les Orientales, en 1829, grande entreprise de libération poétique, en soutien à la cause grecque contre l’oppression ottomane. Le recueil met en scène de nombreux personnages féminins appartenant à tout l’Orient romantique, Espagne comprise : parmi elles la Sultane favorite, « perfide comme l’onde6 », qui dépeuple le sérail du sultan et joint l’érotisme à la cruauté :

« Tu n’es point blanche ni cuivrée
Mais il semble qu’on t’a dorée
Avec un rayon du soleil.7 »

8C’est sur le mode fantaisiste et poétique que Victor Hugo exalte le mythe de la Juive, avatar de Bérénice, d’Esther, de Jessica et de Rebecca ; aussi arabe que juive, à dire vrai. La Bible inspire également le poète dans cette mise en scène de la favorite, fille de Judith et de Salomé. Mais il n’y reviendra guère, à la différence de Balzac fasciné, réinventant à plusieurs reprises dans la Comédie humaine la même figure d’amour, de beauté et de souffrance.

9Symétriquement, il emprunte à la tradition la figure du Juif voleur. Dans Notre-Dame de Paris, Gringoire fait son entrée dans la Cour des Miracles en compagnie, parmi d’autres, d’un faux mendiant aveugle, juif hongrois, dont la présence inspire au roi Clopin Trouillefou, qui confond le latin et l’hébreu, une tirade pittoresque : « Pour être bandit on n’est pas juif. Je ne vole même plus, je suis au-dessus de cela, je tue.8 » La hiérarchie échafaudée par Clopin, comme le fait que tous les présents auxquels s’adresse cette belle moralité, sont des truands, reprend le stéréotype sur le mode burlesque.

10Le Journal d’un jeune jacobite, revu et publié par fragments en 1834 dans  Littérature et Philosophie mêlées, contient parmi différents écrits de jeunesse un texte sur l’histoire des Juifs très inspiré de Voltaire. Il commence ainsi, sur un ton qui évoque l’allégresse leste et brillante des armées bulgares sous les yeux de Candide : « Il y aurait un livre curieux à faire sur la condition des Juifs au Moyen Âge. Ils étaient bien haïs, mais ils étaient bien odieux ; ils étaient bien méprisés, mais ils étaient bien vils. Le peuple déicide était aussi un peuple voleur.9 » Suivent différents échantillons de massacres de chrétiens par les Juifs et de Juifs par les croisés, d’où la haine ; quant au mépris, c’est celui de la reine d’Aragon qui après une dispute fort savante entre un rabbin et un dominicain, demande pourquoi les Juifs puent. La dénonciation de la bêtise royale reste dans le registre voltairien. Une conclusion rapide nous apprend que ces antagonismes se sont apaisés, mais pour de mauvaises raisons : « Aujourd’hui, il y a fort peu de Juifs qui soient juifs, fort peu de chrétiens qui soient chrétiens. On ne méprise plus, on ne hait plus, parce qu’on ne croit plus. Immense malheur !...10 » Regrette-t-il vraiment que l’irréligion ait remplacé l’antijudaïsme ? On peut noter aussi la symétrie Juifs/chrétiens qui structure le texte en leur conférant une apparence d’égalité, et l’effet d’ironie que produit son décalage par rapport à la réalité. Ainsi les controverses « dans lesquelles le rabbin présente des objections au très-illustre et très-savant chrétien, et où le chrétien réfute les assertions du très-savant et très-illustre Juif » : Hugo reproduit la même symétrie, presque les mêmes termes, dans une lettre dont on parlera un peu plus loin. Il ne prend pas, dans ces années de jeunesse, la « question juive » au sérieux. Pas plus d’ailleurs que la tradition catholique.

11 L’épisode de l’arrestation de la duchesse de Berry, sous la monarchie de Juillet, en 1832, le montre beaucoup plus vindicatif. Partie soulever la Vendée pour le compte des légitimistes, la duchesse est livrée à la police de Thiers par son homme de confiance, qui se trouve être le fils, converti au catholicisme, du grand rabbin Deutz. Les services du mouchard sont très largement récompensés. L’affaire défraye la chronique. Elle inspire à Hugo un poème vengeur contre ce nouveau Judas :

« Ce n’est pas même un juif ! C’est un payen immonde,
Un renégat, l’opprobre et le rebut du monde,
Un fétide apostat, un oblique étranger…11 »

12La violence de la charge est à mettre au compte du point d’honneur, du mépris pour un homme qui livre une femme, plus qu’à la judéité dont Deutz est même déclaré indigne. Mais c’est cette judéité qui permet d’invoquer la figure sombre de Judas, donnant à l’accusation la garantie solennelle du destin.

13C’est dans le théâtre de Victor Hugo qu’on trouve des personnages de Juifs plus intéressants.En 1827 Cromwell, qui porte l’empreinte profonde de la Bible dont le poète est déjà grand lecteur, met en scène un Juif totalement ambivalent. Manassé-Ben-Israël12 superpose deux figures. C’est un espion usurier, traître perfide et intéressé, enchanté de tromper les chrétiens – « Je leur revends l’argent que je leur ai volé13 » – et de les voir s’entre-égorger au profit de son peuple. Mais c’est aussi l’astrologue élu de Dieu, l’herméneute qui déchiffre le langage des rêves, du ciel et des étoiles et dont le pouvoir quasiment divin épouvante Cromwell quand il lui confie :

« Et j’ai presque entrevu l’être aux splendeurs profondes

Qui sur l’orbe du ciel, comme aux plis du linceul,

Inscrit son nom fatal et connu de lui seul.14 »

14Pour la première fois apparaît un rapprochement avec la figure même du poète romantique, nouveau Moïse et mage plus proche du mystère divin que le commun des hommes.

15 Six ans plus tard, dans Marie Tudor, Hugo accouple curieusement Fabiani, amant de la reine, coupeur de têtes et « misérable aventurier qui n’est même pas de ce pays15 », et un mendiant juif anonyme coiffé d’un bonnet jaune, venu démasquer ses perfidies à son propre profit financier.  Il apparaît et disparaît aussi vite, poignardé par Fabiani qui déclare : « Juif qui parle, bouche qui ment.16 » Mais Fabiani est outré : non d’avoir tué le Juif, mais de l’avoir tué pour rien car celui-ci a juste eu le temps de jeter les papiers qu’il convoitait. Or précisément la fonction de ce Juif est de dire la vérité. Il est celui qui connaît les secrets ; certes il entendait les monnayer, mais dans les règles. Il prévient du danger le bon ouvrier Gilbert et lui confie la vérité avant de mourir. Le menteur n’est pas le Juif : c’est Fabiani, amant de la reine et de Jane, traître et séducteur par intérêt. « Ah çà, drôle, tu n’es pas un homme ; tu es ma conscience habillée en juif ! 17», accuse Fabiani. L’auteur remet clairement le discours antijuif à un personnage crapuleux et confère au Juif la dignité de celui qui détient la vérité et qui va, par là même, déclencher le drame. La dialectique du théâtre dédouble les personnages, répartit les discours et complexifie les rôles.

16 En 1843, Les Burgraves font apparaître la vieille judéophobie religieuse et économique. Barberousse déplorant la ruine de l’Allemagne s’écrie :

« Par qui fait-on porter la bannière des villes ?
Par des juifs enrichis dans les guerres civiles.
Abjection !... 18»

17Il évoque le châtiment qui consiste à marcher « une lieue en portant un juif entre [ses]bras 19» – la peine consistait en fait à porter un chien. Mais le texte convoque aussi la légende des meurtres rituels. Le vieux Job, l’ancêtre de la famille, déclare :

« Mais la nuit du sabbat, tu le sais, on égorge
Un enfant. C’est ainsi qu’on a tué mon Georges.
Des juifs. J’en eus la preuve…20 »

18 Ces évocations de meurtres rituels provoquent une polémique avec les Archives israélites, dirigées par le savant Samuel Cahen, traducteur de la Bible de l’hébreu en français.21 Aux protestations de la revue, Hugo répond par un premier billet très bref le 8 avril 1843, disant que la lecture de la presse suffira à apaiser toute inquiétude. Les Archives publient le billet en mai et réitèrent, déclarant qu’il est injuste de propager des légendes populaires fausses.22 Le 11 juin 1843, Hugo répond cette fois longuement, estimant que la personnalité de Cahen, l’amitié d’Adolphe Crémieux, lié à la revue, ou simplement la question elle-même méritent considération. « Vous m’avez mal compris, monsieur, et je le regrette vivement, car ce serait un vrai chagrin pour moi d’avoir affligé un homme comme vous, plein de mérite, de savoir et de caractère. Le poète dramatique est historien et n’est pas plus maître de faire l’histoire que l’humanité ; or, le treizième siècle est une époque crépusculaire…23 » La faute est donc à la barbarie médiévale : barbarie des Juifs comme des chrétiens, mais sans symétrie ; oppression des Juifs par les chrétiens et réaction des Juifs à l’oppression. « Les Juifs se vengeaient donc dans l’ombre […] Maintenant, on en croyait plus qu’il n’y en avait ; la rumeur populaire grossissait les faits ; la haine inventait et calomniait, ce qu’elle fait toujours… » Il refuse donc de dire positivement que les meurtres rituels n’ont pas existé. Aujourd’hui tout est différent, « les juifs comme vous sont pleins de science et de lumière, et les chrétiens comme moi sont pleins d’estime et de considération pour les juifs comme vous. » La lettre se termine par une demande d’« amnistie » pour Les Burgraves.

19 L’argument principal est celui de la vérité historique à laquelle le poète se doit d’être fidèle : il prétend l’être – on ne débattra pas du réalisme historique des Burgraves – et de fait les légendes aussi appartiennent à l’histoire. Il ne répond pas sur le danger qu’il y a à les reprendre. Il avait pourtant à sa disposition une réponse entièrement convaincante et qu’il n’utilise pas : le discours du vieux Job s’adresse à Osbert, qui est en réalité son fils Georges qu’il croyait disparu, preuve même qu’il ne s’est commis aucun crime.

20 Samuel Cahen insère une note répétant son insatisfaction : « … leur réaction ne s’est jamais manifestée par des enlèvements d’enfants, ni par leur meurtre, et c’est de ces crimes que les accusait la haine populaire. »

21 Il faut noter que Victor Hugo, dans Les Burgraves, a donné à l’ancêtre de cette lignée de Teutons le nom de Job : celui du Juif qui dans la Bible incarne le malheur, la déshérence non plus seulement des siens mais de l’humanité tout entière. Grande figure qui hante déjà le poète, Job va bientôt devenir son moi d’infortune.

22 Sa première rencontre véritable avec le monde juif contemporain figure dans Le Rhin, en 1842. La lettre XXIV commence par la description du ghetto de Francfort, un jour de sabbat. Ce texte présente un double intérêt historique et poétique. Le voyageur observe attentivement l’urbanisme et l’architecture des anciens ghettos qui, comme à Venise, se caractérisent par la hauteur inhabituelle des maisons. L’enfermement des communautés dans des espaces urbains limités et leur expansion démographique entraînent la suppression de tout espace inhabité, l’addition d’étages aux immeubles et l’assombrissement des rues, donnant à ces quartiers des villes un caractère particulier et oppressant. À ces traits généraux s’ajoute le silence du samedi, jour de sabbat, et une impression générale de misère que Victor Hugo juge plus affectée que réelle, comme si les Juifs apeurés dissimulaient tout signe de richesse. Le quartier ressemble à une prison : fenêtres grillagées, « judas grillés », volets et barreaux de fer. Terreur, angoisse, crainte, effarement, défiance, sinistre, lugubre ; singulier, bizarre, exorbitant, les mots dessinent un double paradigme de peur et d’étrangeté dans ce paysage couleur de ténèbres et de cendres.

23 Ce décor saisissant est le produit des vieilles haines inter-communautaires. « À Francfort il y a encore des juifs et des chrétiens ; de vrais chrétiens qui méprisent les juifs, de vrais juifs qui haïssent les chrétiens. Des deux parts on s’exècre et on se fuit. Notre civilisation, qui tient toutes les idées en équilibre et qui cherche à ôter de tout la colère, ne comprend plus rien à ces regards d’abomination qu’on se jette réciproquement entre inconnus. Les juifs de Francfort vivent dans leurs lugubres maisons, retirés dans des arrière-cours pour éviter l’haleine des chrétiens. Il y a douze ans, […] on les verrouillait en dehors comme des pestiférés, et ils se barricadaient en dedans comme des assiégés. 24» Malgré ces progrès récents, ce que voit le poète est un judaïsme archaïque, étranger au voyageur issu du monde moderne, de la France qu’il décrit comme raisonnable et pacifiée de la monarchie de Juillet. Il en conçoit plus de curiosité ethnographique que de pitié. La posture de Balzac n’est pas éloignée, mais il s’intéresse aux juifs parisiens au point d’en faire des héros de romans, ce que Victor Hugo ne fera jamais.

24 En 1849, les Archives israélites félicitent Hugo pour son beau discours sur les affaires de Rome, dans lequel il a parlé des « juifs parqués et enfermés tous les soirs, comme au quinzième siècle. » Indignation à rapprocher du souvenir du ghetto de Francfort. Il répond le 22 octobre : « … j’ai une sympathie profonde pour votre malheureux peuple qui a tant souffert et qui est une lumière du passé. 25» Réponse étonnante, qui à la fois déclare amitié et périme la judéité. Hommage aux Hébreux de la Bible ; aujourd’hui, pour Hugo, ils sont des hommes et des femmes comme les autres. La désymbolisation est en marche.

Pendant l’exil

25 Même si le rapport de Victor Hugo aux Juifs et à leur image a changé, il continue, ici et là, à utiliser des stéréotypes. Soit sous forme de personnages, comme dans Les Misérables le changeur de la rue Beautreillis, « juif ingénieux qui avait pour profession de changer un gredin en honnête homme26 » en lui prêtant un costume pour trente sous par jour ; au demeurant pas plus filou que ses clients, comme Thénardier. Soit dans la langue, qui inscrit le vieil antijudaïsme dans l’usage en réduisant le mot Juif à un nom commun à connotation négative. On le trouve par exemple en 1853 dans Châtiments, employé dans son double sens courant, fonctionnel et insultant (« Personne qui prête à usure, qui vend extrêmement cher ; personne qui gagne de l'argent par des moyens injustes et sordides », selon le Grand Dictionnaire universel), parfois accompagné de « grec » au sens de « tricheur » : « Grecs, juifs, quiconque a mis sa conscience en vente…27 » Ce livre de fureur contre Louis-Napoléon Bonaparte enveloppe tout le personnel impérial dans l’anathème. Il évoque à plusieurs reprises Fould, le banquier juif de Napoléon III, mais son nom est généralement cité en compagnie de ceux de Morny, Saint-Arnaud, Troplong ou Mgr Sibour, tous donnés pour corrompus et certains pour bien plus criminels que Fould. Quant au thème du peuple déicide, il disparaît complètement : ce sont les Jésuites, ou l’Empereur et ses séides, qui sont les nouveaux Judas, accusés de vendre Jésus.28Un fragment datant sans certitude des années 1860 s’interroge sur l’usage des mots : « Quelles plus grandes nations que les juifs, les romains et les grecs ! Eh bien, juif signifie usurier, romain signifie claqueur, et grec signifie escroc.29 »

26 À propos du Marchand de Venise, Hugo se livre dans William Shakespeare (1864) à une analyse de ce qu’il appelle le « type ». « Un type n’abrège pas, il condense. Il n’est pas un, il est tous. […] Prenez les usuriers en masse, vous aurez Shylock. […] Shylock est la juiverie, il est aussi le judaïsme ; c’est-à-dire toute sa nation, le haut comme le bas, la foi comme la fraude, et c’est parce qu’il résume ainsi toute une race, telle que l’oppression l’a faite, que Shylock est grand.30 » Le type est donc un outil littéraire, qui vaut par l’universalité de sa vérité. Shylock est en effet le type de l’usurier. Mais peut-on condenser les Juifs en Shylock comme l’avarice en Harpagon ? Peut-on résumer un peuple en un type ? Non, car ce que le type devient instantanément, c’est un stéréotype. Avec l’excuse du génie shakespearien, et dans un but littéraire, Victor Hugo n’échappe pas entièrement à la pensée raciale de son siècle, classificatrice et simplificatrice. Ayant concentré à l’extrême le cliché, il va le quitter.

27 C’est sur la question historique des « grandes nations » que la pensée et le discours hugoliens se déplacent : grande nation juive moins comme inventrice du monothéisme que comme peuple du Livre, cette lecture désormais quotidienne du poète, à la fois pour sa poésie fécondante et comme apanage de l’humanité. « Et tout homme est un livre où Dieu lui-même écrit31 », nous dit le poème La Vie aux champs, où le poète parle ainsi aux enfants :

« Je leur raconte aussi l’histoire ; la misère
Du peuple juif, maudit qu’il faut enfin bénir… 32»

28 On s’arrêtera sur cet « enfin » qui articule la malédiction et la bénédiction dans un moment à la fois tardif et nécessaire, quasiment messianique. Que s’est-il passé ? Dans l’histoire du peuple juif au milieu du siècle, pas grand-chose, c’est-à-dire justement une pause pacifique et intégratrice. Dans la vie du poète, le double séisme de la mort de sa fille Léopoldine et de l’exil qui sépare « autrefois » et « aujourd’hui ». La temporalité intime vient coïncider avec la nécessité morale, ou plutôt la détermine. Le temps est venu du pardon et de la bonté, produits de la grande souffrance. À travers le Livre et le symbole, Hugo commence à construire une autre vision du peuple juif, en même temps que du destin de l’humanité.

29 Le romantisme a commencé par un retour à la Bible et n’a cessé d’y chercher des motifs poétiques et religieux. Dans les années 1850-1860, Victor Hugo va plus loin : avec la Légende des siècles, Dieu, La Fin de Satan et, en un sens, un roman comme Les Misérables, il continue à écrire la Bible.33 On retrouve Job, ce nom déjà donné au vieux roi des Burgraves et qui figure aux côtés de ceux d’Isaïe et d’Ezéchiel parmi les génies de William Shakespeare. Job, c’est « la grandeur qu’on trouve au fond de l’abîme34», c’est la douleur, c’est la première esquisse de Jésus ; Isaïe, c’est la dénonciation des crimes et l’appel des châtiments ; Ezéchiel, c’est la foi en l’humanité, l’espérance et l’amour. Ce trio symbolique informe le moi du poète, le père orphelin de sa fille, exilé de sa patrie, abandonné de Dieu ; l’auteur de Châtiments et de L’Année terrible ; l’adversaire de la peine de mort, de la misère et de l’injustice. Entre Moïse, le scribe hébraïque de la Loi, et Jésus qui l’accomplit, les prophètes lui offrent une identification possible et une voix, pour parler du moi – et pour parler à Dieu. Or, les prophètes sont juifs.

30 Après Job, Jésus. Le Gibet, dans La Fin de Satan (1859-1860), met en scène l’irruption de Jésus dans l’histoire des Hébreux, quand il entre dans le temple de Salomon où prêche le grand-prêtre, auprès des rouleaux de la Torah. Ce discours est l’occasion pour le poète d’une évocation assez précise des costumes, des rites et des lois religieuses.

« Dieu vient à la prière ; il entre dans le temple
Sitôt la porte ouverte et pourvu qu’on soit dix 35»,

31écrit-il par exemple, invoquant la nécessité du minian, le quorum de dix hommes présents exigé pour un office religieux. Mais au-delà de l’enseignement de la loi, de l’éloge du monothéisme et du respect sacré dû au Livre et à l’étude, le prêtre fait le portrait d’un Dieu impitoyable et appelle son peuple à la guerre contre les impies. Les Hébreux sont le symbole de la violence de l’humanité primitive, opposée à la loi d’amour du nouvel intrus. C’est pour ce blasphème et pour le titre qu’on lui donne, roi des Juifs, que le sanhédrin le condamne à une mort honteuse, par crucifixion. On serait en pleine vulgate antijudaïque : sauf que la fin du Gibet englobe toutes les religions dans l’accusation.

« Partout l’homme est méchant, cœur vil sous un œil fier,
Et mérite la chute immense de l’éclair ;
Toute divinité dans ses mains dégénère
En idole […]
Et le plus blême éclair du gouffre est sur ce lieu
Où la religion, sinistre, tua Dieu. 36»

32 La vraie question pour Victor Hugo, ce n’est pas la question juive – les Juifs n’ont été que les premiers coupables, avant beaucoup d’autres – c’est la question religieuse, ou plus exactement la question de l’usage que font les hommes de la religion, dans ses rapports avec le pouvoir.

33 Il est donc logique qu’on retrouve la même accusation, mais cette fois renversée contre les chrétiens, avec une violence extrême, dans Torquemada, écrit en 1869.37 On y retrouve le thème voltairien des Juifs victimes à la fois de l’Inquisition et des rois très catholiques : « Je ne puis laisser tranquillement / Des hommes être juifs. 38», déclare le roi Ferdinand dont le grand Inquisiteur Torquemada couvre l’Espagne de bûchers. Que Torquemada agisse par amour de l’humanité, convaincu que le supplice est le seul moyen de sauver les âmes des Juifs hérétiques, n’est qu’une effroyable perversion à mettre au compte du fanatisme religieux. Le concept d’ « antisémitisme rédempteur » élaboré par Saül Friedlander, « synthèse de frénésie meurtrière et d’objectif "idéaliste"39 », s’applique fort bien à Torquemada, quoique son auteur le réserve à la mystique chrétienne et raciste  allemande.

34Un chapitre de Quatrevingt-treize (I, II, 4) s’intitule d’ailleurs « Tormentum belli », machine de guerre ; tormentum vient de torquere, tordre. La torsion du mal est la racine même du nom de Torquemada.

35Hugo place la véritable religion et le véritable amour de l’humanité de l’autre côté, chez le grand rabbin Moïse-ben-Habib, qui vient, suivi de son peuple misérable, apporter au roi une rançon et le supplier d’épargner aux Juifs le bûcher ou l’exil.

« Ayez pitié. Nos cœurs sont fidèles et doux ;
Nous vivons enfermés dans nos maisons étroites,
Humbles, seuls ; nos lois sont très simples et très droites,
Tellement qu’un enfant les mettrait par écrit. […]
Laissez-nous la patrie et laissez-nous le ciel !
Le pain sur qui l’on pleure en mangeant est du fiel.
Ne soyez pas le vent si nous sommes la cendre…40 »

36 La dignité du personnage et l’éloquence de sa plainte imposent un long silence au roi et à la cour41. Le poète tenait particulièrement à ces vers : ce sont ceux que les critiques de théâtre reproduisent quand ils rendent compte de Torquemada lors de sa publication, en 1882.

37Le peuple juif s’y place sous le signe de l’innocence et de l’amour de la vie, condamné à perpétuité à l’errance et à l’exil quand il n’est pas condamné à mort : sous le double signe de l’enfance et du Juif errant. Le grand rabbin parle par la voix même du poète, l’exilé de Guernesey, dont la tête avait été mise à prix par Louis-Napoléon Bonaparte. À ce moment-là Hugo devient juif, comme ailleurs il lui arrive d’être, il le dit lui-même, femme ou misérable : les opprimés s’emparent du moi, qui s’identifie à eux. D’autant que dans le cas des Hébreux, l’opprimé est le prophète : il parle, au-delà du roi, à tous et seul contre tous, et cette posture est celle du poète.

38 Il en résulte une conséquence essentielle. Seul ce passage par l’identification permet de penser que le droit est individuel, donc que les droits de l’individu sont universels et égaux pour tous. La survenue du moi permet de révoquer toute pensée non universaliste. Cette fois, Victor Hugo tire de manière définitive les leçons de 1789, comme quand il parle de la nécessité de se sentir « flagellé dans le Christ et fustigé dans le nègre » (W. Sh., II, VI, 5)

39 Quand il préface Paris-Guide, le guide des visiteurs de l’Exposition universelle de 1867, l’exilé dans son île lointaine récrit l’histoire de la ville et des cruautés médiévales. « Au centre de ce qu’on appelait alors la Ville, distincte de la Cité, est la Maubuée (mauvaise fumée), lieu où l’on a rôti, dans le goudron et les fagots verts, tant de juifs, pour punir "leur anthropomance", et, dit le conseiller de l’Ancre, cité par Hugo, "les admirables cruautés dont ils ont toujours usé envers les chrétiens, leur forme de vie, leur synagogue déplaisante à Dieu, leur immondicité et puanteur." » Sans autre commentaire que cette dernière phrase, après le récit de tant de turpitudes : « et il s’est trouvé un jour que toute cette ombre avait un total : 1789.42 » Le passage par le moi a rejoint le sens de l’histoire.

Après l’exil

40 Après son retour à Paris, retrouvant le monde des lettres et la bourgeoisie parisienne, Victor Hugo est en relations étroites avec des Juifs comme Michel Lévy, l’éditeur des Contemplations (1856), ou la comédienne Sarah Bernhardt ; il retrouve de vieilles connaissances, comme le député Alfred Naquet ou Adolphe Crémieux, ami de la famille, politiquement très proche, emprisonné à Mazas lors du coup d’État et revu à Bruxelles au début de l’exil ; Crémieux a été l’avocat du poète en 1857, dans l’affaire de Rigoletto.43 Il note régulièrement, dans ses carnets, de mars 1872 aux dernières années, ses affaires avec la banque Rothschild, les achats de consolidés auxquels la banque procède pour son compte et les dépôts d’argent qu’il effectue rue Laffitte. Il jouit alors d’une fortune considérable. M. de Rothschild lui fait dire qu’il rémunère tous ses dépôts à hauteur de 2,5%, à partir de mai 187244. En 1877,Hugo raconte qu’il a assisté au mariage de la fille de l’éditeur Calmann-Lévy, à la grande synagogue de la rue de la Victoire. « Mariage juif très ressemblant au mariage chrétien45 », écrit le poète qui sympathise avec le grand rabbin et observe avec curiosité les lieux – la synagogue neuve46 – et les coutumes – garder son chapeau sur la tête. Seule la musique (« un admirable chant hébraïque très sauvage et presque barbare, invocation à Elohim sur les hauts-lieux ») le dépayse vraiment. Bref, l’intégration sociale des Juifs est pour lui un acquis. Sur l’échiquier politique, il est évidemment à l’opposé des Veuillot, Ségur et autres tenants de ce qui va devenir, à droite, avec Drumont, un véritable programme politique, l’antisémitisme.

41Or c’est à ce moment qu’il apprend le drame que vivent les Juifs de l’est de l’Europe. En 1881, succédant à Alexandre II assassiné, le tsar Nicolas II règne en Russie et s’entoure de slavophiles déterminés à russifier l’empire. Des pogromes ont lieu dans de nombreuses villes, à la suite de violentes campagnes de presse antisémites destinées à détourner la colère du peuple en butte à l’insécurité et à la misère ; le pouvoir laisse faire avec complaisance. Vacquerie, un des plus proches de Hugo, écrit dans Le Rappel47 un premier article sur ces persécutions, ironiquement intitulé « Actes de piété » ; il s’en prend aux cléricaux, indifférents envers ce qu’ils considèrent comme une vengeance de Dieu. Victor Hugo, qui jouit d’une notoriété internationale, se décide alors à intervenir. Juliette Drouet, qui défend ardemment auprès de lui la cause des Juifs, dépouille l’avalanche de lettres de supplication que reçoit alors le poète. Il accepte d’abord de présider un comité de secours aux victimes des pogromes, comité lancé par Le Gaulois et repris par Le Rappel. Un appel à souscription est lancé le 3 juin. On y trouve les noms de Deschanel, Gambetta, Lesseps, Renan et Schœlcher, à côté de ceux de futurs dreyfusards comme Reinach, Pressensé ou Scheurer-Kestner, plus bien sûr les grands noms de l’establishment juif parisien.48

42 Il publie enfin, après bien des réflexions dont témoignent les manuscrits, son appel dans Le Gaulois et Le Rappel le 18 et le 19 juin 1882. Il avait commencé par faire le récit des exactions atroces qui avaient été commises, puis jugé qu’elles figuraient déjà dans la presse ; il décide de les supprimer. Il fait appel au monde civilisé, et non pas au tsar ; appel au droit et à la justice, et non plus à la charité comme le faisait l’appel du Comité ; il dénonce les responsabilités non seulement du pouvoir politique, mais aussi des chrétiens. « Les religions qui se meurent ont recours aux derniers moyens. Ce qui se dresse en ce moment, ce n’est plus du crime, c’est de la monstruosité. Un peuple devient monstre […] Le christianisme martyrise le judaïsme ; trente villes (vingt-sept, selon d’autres) sont en ce moment en proie au pillage et à l’extermination ; ce qui se passe en Russie fait horreur ; là un crime immense se commet…» Il refuse que la bestialité de l’Inquisition, de la Saint-Barthélémy, des dragonnades vienne étouffer le XIXe siècle qui, pour lui, incarne le progrès : « La castration de l’homme, le viol de la femme, la mise en cendres de l’enfant, c’est l’avenir supprimé ; le passé ne veut pas cesser d’être ; il tient l’humanité ; le fil de la vie est entre ces doigts de spectre.49  » Il faut donc choisir entre le peuple et la foule, la lumière et les ténèbres. Pour sa part, il a pris toutes ses responsabilités, et dans sa langue de poète.

43 L’appel est largement diffusé par le comité qui l’adresse à toutes les communes ; il est repris par la presse étrangère ; la campagne est relayée et à partir de la fin du mois de juin le pouvoir tsariste commence à réprimer les violences.

44Dans le même temps, Victor Hugo a corrigé les épreuves de Torquemada et la pièce est enfin publiée, avec une dédicace aux Juifs de Russie persécutés. Le moment est fort bien choisi : l’opinion fait immédiatement le rapport entre la pièce et l’engagement du poète. La presse catholique l’insulte et répond par un surcroît d’antisémitisme : les années 1881 et 1882 voient la création de l’école laïque et les tensions entre cléricaux et anticléricaux sont très fortes. Théâtre et action politique ont trouvé une articulation stratégique.

Conclusion

45De l’indifférence à la curiosité, de la sympathie à l’identification, de l’écriture à l’action, Hugo est passé à la politique et au droit, au nom de l’histoire, de l’humanité et du progrès. Il accomplit pour son compte l’universalisme des droits de l’homme de la Révolution française. C’est bien au cœur de sa pensée, l’intime et le politique réunis dans le travail poétique, que ce chemin a été parcouru.

46Il a défendu d’autres causes que celle des Juifs, de l’abolition de la peine de mort à l’égalité des femmes et à la liberté des peuples. Il a inventé un rôle social nouveau en son temps, celui de l’intellectuel, penseur, écrivain ou savant choisissant d’intervenir dans le débat politique, de s’y engager par une prise de position publique, une prise de responsabilité, jusqu’à l’action concrète. Douze ans avant qu’éclate l’affaire Dreyfus, il devient, avant la lettre, le premier des dreyfusards.