Introduction. Analogies, métaphores et explorations des limites : les autres mondes de la fiction
1Les mondes fictionnels sont des récits d’autres mondes – « autres », par rapport au monde réel. D’ailleurs, la métaphore du voyage a souvent été utilisée pour évoquer le fait d’y accéder, surtout depuis l’essor des théories de la fiction1. Pour qualifier et mesurer ce que l’on appelle désormais couramment l’immersion fictionnelle, des psychologues ont même mis au point « une échelle de transport2 » ! C’est même ce qui différencie les mondes possibles littéraires des mondes possibles des mathématiques et de la logique formelle : lecteurs, spectateurs ou joueurs, théoriciens de la littérature, du cinéma ou des jeux vidéos ne peuvent s’empêcher de les considérer comme des environnements habitables et possédant leurs lois propres : d’autres mondes, dans le sens le plus usuel dans la langue naturelle, et sans égard pour le langage de la logique formelle3.
2Cependant, les mondes imaginaires que sont les fictions représentent souvent d’autres mondes imaginaires : le désir, la peur, les entreprises, la découverte et parfois la déception qu’ils suscitent chez les personnages ont fourni le sujet d’innombrables romans et œuvres cinématographiques. Passer d’un monde à l’autre – ce monde second étant d’une qualité ontologique différente de celle du monde premier, ou monde de départ – est un topos que la féérie et la fantasy contemporaine ont porté à son plus haut degré d’exploitation. Ce topos a cependant une histoire aussi longue que celle de la fiction : Ulysse et Énée visitent le monde des morts, le héros de l’Histoire véritable de Lucien de Samosate va de la terre à la lune et pénètre dans le ventre d’une baleine. Cette propension de la fiction à narrer l’accès à d’autres mondes n’a rien d’étonnant. Si la fiction se donne, de façon plus ou moins plausible (dans le cas de Lucien de Samosate, le moins sérieusement du monde) comme un monde actuel, elle ne peut que s’approprier une des caractéristiques du monde actuel : la possibilité de nous introduire, par le sommeil ou par la mort, dans deux autres mondes produits par l’imagination, ceux du rêve et de l’au‑delà. Le monde réel nous donne aussi accès aux mondes produits par les œuvres de fiction ; mais il y a tout lieu de croire que le rêve et l’au-delà, l’un et l’autre inaccessibles au sujet conscient, inspirent et modèlent les mondes imaginaires de la fiction. C’est bien la différence la plus évidente et la plus fondamentale entre la fiction et le monde réel : la première donne accès, et figure l’accès, à une myriade de mondes imaginaires, tandis que cette entrée, dans le monde réel, est irrémédiablement barrée – si ce n’est pour les vivants endormis, ou, selon les univers de croyance, les morts, ainsi que pour quelques êtres d’exception comme Orphée, Proserpine ou Jésus : mais ceux-ci appartiennent précisément au registre indécis du mythe, de la légende et du religieux. Dans les fictions, c’est tout un chacun, comme Alice ou Dorothy4, qui peut basculer dans un autre monde, et en revenir sans dommage, sans même être nimbé d’une aura surnaturelle particulière. Ajoutons que lorsqu’on parle, dans la vie réelle, de voyage vers l’au-delà, il ne s’agit que d’une métaphore, alors que c’est dans un vrai bateau fictionnel que les protagonistes de l’Utopia de Thomas More, par exemple, voguent vers une île qui n’existe pas. On ne court pas grand risque à supposer qu’anthropologiquement, un des attraits majeurs de la fiction réside précisément dans la banalisation et la naturalisation de l’accès aux autres mondes. Mais cette différence ne concerne-t-elle que l’accès, ou bien conditionne-t-elle aussi la nature des mondes imaginaires de la fiction ?
3Les textes réunis dans ce volume et la riche panoplie d’études de cas qu’ils fournissent donnent l’occasion d’essayer de répondre à cette question.
4Les mondes imaginaires de la fiction ressortissent, sur des bases sémantiques et génériques, à deux, peut-être à trois catégories, qui ne sont d’ailleurs nullement étanches : bien des mondes appartiennent aux unes et aux autres. La première, sans doute la plus fournie, est celle des mondes seconds qui se présentent comme des versions du monde premier. La relation entre les mondes repose sur l’analogie. Les mondes contrefactuels (ceux qui dépeignent le monde, par exemple, si Hitler avait gagné la guerre), les satires, les utopies, les mondes à l’envers relèvent de cette catégorie. L’interprétation de la nature du voyage et des mondes imaginaires est toujours étroitement conditionnée par la relation de ces derniers avec le monde réel (non seulement avec le monde réel-dans-la-fiction, mais avec le monde réel, actuel et historique). Comme l’a très bien montré Lubomír Doležel5, la frontière entre les mondes n’est nullement effacée par ces dispositifs, elle est au contraire soulignée : pour apprécier le statut ontologique et générique de contrefactuel, ou de satire, il faut admettre qu’il existe un monde réel par rapport auquel l’état de fait décrit ressemble et dont il s’écarte.
5La lune fournit un terrain privilégié pour ces « jeux de reflets ». De Lucien de Samosate à Calvino, on ne compte pas les auteurs de fictions décrivant des mondes imaginaires qui ont fait faire à leurs personnages une escale sur la lune – il est piquant, comme le rappelle Patrick Désile, qu’une des mystifications contemporaines les plus intéressantes, questionnant les limites de la communication documentaire et les conditions de sa réception concerne justement les premiers pas des hommes sur la lune6. Patrick Désile explore surtout un riche panorama d’exemples empruntés au xixe siècle, dont beaucoup sont peu connus. Ils donnent l’impression d’un engouement intarissable pour le royaume lunaire. La lune n’est pas encore un lieu d’exploration, ni un lieu radicalement autre (même si Flammarion esquisse un pas dans cette direction, qui est celle de la science-fiction), mais « le lieu des contraires, le miroir de la terre, son histoire et son futur, une terre inversée, sauvage ou idéale, tantôt plus folle et tantôt plus sage ». La lune est aussi la destination d’un des voyages des personnages de Jules Verne, comme le rappelle Jean-Michel Gouvard ; de façon intéressante, dans le roman de Jules Verne (De la Terre à la Lune, 1865) le statut de cette planète est source de débat. Elle n’est plus seulement l’observatoire privilégié de la terre, comme le pense un des personnage du roman (« quand nous aurons atteint la Lune, nous aurons le temps, pendant les longues nuits lunaires, de considérer à loisir ce globe où fourmillent nos semblables », cité par J.–M. Gouvard). Il s’agit d’un espace autre, d’un microcosme qui fait signe vers l’utopie et la robinsonnade et au-delà duquel « l’humanité finit ». Les planètes, mondes souterrains et îles flottantes de Jules Verne ont ainsi (à mon avis), des affinités avec l’imaginaire post-apocalyptique contemporain. Mais dans la mesure, où les autres mondes et les moyens de transport qui y mènent sont, dans les romans de Jules Verne, des « utopies […] bourgeoises » qui reflètent l’idéologie de leurs temps, ils n’échappent pas au registre de l’analogie, qui favorise les jeux de miroir avec le monde réel. Jean-Michel Gouvard met aussi en valeur la dimension visuelle des autres mondes de Jules Verne, en particulier de l’île mystérieuse. L’imaginaire du voyage vers des lieux imaginaires est nourri par les dispositifs optiques de l’époque, les kaléidoscopes, les dioramas et les panoramas. Cette qualité spectaculaire, le caractère hyper visuel des mondes de Verne me suggère trois remarques. Elle souligne tout d’abord la différence entre les mondes imaginaires actualisés par les fictions artistiques et ceux auxquels nous avons accès dans la vie réelle. C’est bien une caractéristique du rêve de ne pouvoir être capté par les dispositifs d’imagerie par résonnance magnétique, et de perdre ses couleurs au réveil. Toute visualisation de l’au-delà est impossible et relève de la spéculation et de l’imagination. On peut alors penser que si les mondes imaginaires de la fiction se donnent superlativement à voir, c’est peut-être pour compenser l’invisibilité des autres mondes du monde réel. Ma seconde remarque concerne les affinités des médias audiovisuels et des mondes imaginaires. Un des attraits majeurs des mondes en ligne, qu’il s’agisse de plateformes sociales comme Second Life ou de jeux vidéos, est justement d’offrir, en perfectionnant toujours les qualités immersives de l’image, la jouissance (vision, pénétration, interaction) de mondes de synthèse. L’hypothèse de J.‑M. Gouvard, mettant en relation les mondes de Jules Verne et les dispositifs optiques de son temps s’en trouve confirmée. L’Utopia de Thomas More, dès le xvie siècle, a été mise en image par Holbein le jeune : la propension à mettre en image les fictions de l’inexistant est ancienne. Enfin, et c’est ma dernière remarque, cette dimension scopique excède sans nul doute la signification ; elle se situe sur un autre plan, qui est celui du plaisir, éventuellement esthétique. Aussi, même si les mondes imaginaires de Jules Verne reflètent, d’une façon ou d’une autre, le monde réel, leur spectacularité, promesse de jouissance scopique (enracinée dans l’impossibilité de voir les autres mondes du monde réel), leur confère une altérité et une autonomie. Notons, avec Maria-Pia Mischitelli et Melinda Palombi, que l’œuvre d’Italo Calvino (Villes invisibles, 1965), contient une « Ville du regard » qui se reflète en tout point (les bâtiments, les choses et les actes de tous les habitants) dans un lac7. Le paradoxe d’un monde invisible superlativement visible illustre assez bien la condition des mondes imaginaires, selon qu’il existent, ou sont censés exister dans la réalité, ou dans la fiction.
6Les autres mondes relèvent souvent d’un autre type de relation sémantique avec leur monde de départ. Il s’agit d’une dimension métafictionnelle, qui exploite non plus une relation de similitude (critique, ironique, ou magnifiante) avec le monde réel, mais une relation d’ordre métaphorique avec l’œuvre elle-même. Les autres mondes sont ainsi bien souvent l’occasion, pour la fiction, d’émettre, ou de suggérer des propositions ayant une portée théorique sur la fiction (c’est ce que Richard Saint‑Gelais appelle les « théories autochtones de la fictions », comme le rappelle dans ce volume Simon Bréan) ou sur l’œuvre elle-même. Cela n’est pas très étonnant, puisque, comme je l’ai rappelé d’emblée, les fictions sont-elles même des mondes imaginaires : une forme de redoublement a lieu lorsqu’elles ont pour objet des voyages vers d’autres mondes tout aussi, et plus explicitement, imaginaires. Les mondes imaginaires de Balzac (qui ne sont pas des mondes vers lesquels les personnages voyagent, mais des mondes dont ils rêvent ou dont ils parlent) sont de cette nature. Comme le montre Thomas Conrad dans ce volume, la théorie de la pluralité des mondes, telle que Balzac a pu l’élaborer à partir, notamment, de Swedenborg, modèle la structure de La Comédie Humaine. C’est la séparation, la coupure entre les mondes (autant sur le plan métaphysique, qu’historique, politique et générique), qui caractérise l’œuvre et la pensée de Balzac. La dimension métafictionnelle est peut‑être liée à une moindre accessibilité, ou même à une impossibilité absolue d’accéder aux mondes imaginaires, ce qui renforce la différence entre les mondes de la première catégorie (les mondes alternatifs, ou mondes fondés sur l’analogie avec le monde réel8). Isabelle Pantin montre comment l’« Autre monde », au fur et à mesure que Tolkien progresse dans l’élaboration de son œuvre, devient « de plus en plus introuvable ». La voix d’accès à ce monde, souligne-t-elle, est « entre la métaphore et la fiction » (ibidem). Or, chez Tolkien, l’Autre monde est identifié au monde de la féérie : monde perdu, il renvoie à l’inspiration et au processus de création poétique dans l’optique néo‑platonicienne et proche de celle de Coleridge qui est celle de l’auteur. L’accès à cet autre monde métaphysique et métaphorique est bel et bien barré, ce qui est thématisé par les catastrophes qui détruisent le monde de la fiction quand s’ouvre une brèche temporelle qui pourrait constituer une porte vers l’ailleurs.
7La destruction du monde, l’arrêt du récit quand s’élabore la possibilité d’un voyage dans le temps dans l’œuvre de Tolkien illustre plus largement la dangerosité des paradoxes, qui souvent surgissent dans la relation entre des mondes de qualités ontologiques distinctes. Ce qui est en jeu, c’est la signification des mondes imaginaires, ou de l’accès à ces mondes. Alors que les mondes imaginaires relevaient, traditionnellement, des catégories précédemment décrites, analogique ou métaphorique, qui assuraient leur intelligibilité, plusieurs œuvres contemporaines s’éloignent de ces voies depuis longtemps tracées et explorent les limites de cette intelligibilité. Se pose alors un problème intéressant. Un « autre monde », dans un monde de fiction, peut‑il totalement échapper à la condition de variante du monde réel ou de métafiction ? Un autre monde de la fiction (contrairement au rêve !) peut‑il exister indépendamment de ces voix traditionnelles de la signification ? Tel est le problème que pose Simon Bréan, avec plusieurs œuvres de science‑fiction dont il montre comment elles compliquent à plaisir l’accès cognitif (pour le lecteur) à ces mondes. Elles n’en reposent pas moins, et de façon superlative, sur un enjeu épistémique : la compréhension du statut de ces mondes devient l’enjeu principal de la fiction. Rendre habitables les mondes paradoxaux, en d’autres termes comprendre leur nature logique, est non seulement le ressort des effets d’attente et de suspens de ces romans (de Michel Jeury, Philippe Curval, Colin Marchinka, ou Roland C. Wagner) mais la condition de possibilité d’existence de ces mondes imaginaires. Selon l’hypothèse de plusieurs théoriciens de la fiction en effet, les paradoxes insolubles détruisent les mondes fictionnels9 (l’exemple de Tolkien va dans ce sens, même si sa tolérance à l’égard des paradoxes paraît, à la lumière de l’étude d’Isabelle Pantin, exceptionnellement basse). Quoique Simon Bréan induise une sorte de leçon morale des dispositifs qu’il décrit (ils nous amèneraient à « un questionnement éthique » concernant notre vision du monde), il semble que ce genre de roman repose surtout sur une hypertrophie de la dimension épistémique. Les nouvelles réunies par Italo Calvino dans Cosmicomics (1965), qu’étudient dans ce volume Maria-Pia Mischitelli et Melinda Palombi reposent aussi sur l’exploration de limites. Les expériences de pensée que proposent les nouvelles de Calvino (être un mollusque à l’aube de la création, être un dinosaure au moment de leur extinction, vivre la formation de l’atmosphère…) mettent à l’épreuve la possibilité même de concevoir un monde imaginaire – parce que c’est l’idée et l’image de l’homme qui sont – relativement10 – affectées. L’humour et une très probable dimension métafictionnelle (en tout cas recherchée et commentée par plusieurs critiques11, même si ce n’est pas la perspective adoptée par les auteurs de l’article consacré dans ce volume à Calvino), sont peut-être les moyens qui rendent les mondes de Cosmicomics un tant soit peu habitables. Il est d’ailleurs significatif que l’ouvrage de Calvino s’ouvre sur une nouvelle (la plus célèbre du recueil) intitulée « La distance de la Lune » : elle décrit un état de choses, situé dans un temps reculé, où la Lune était pour un temps si proche de la terre que l’on pouvait y accéder par une échelle, et s’abreuver de son lait, avant que la planète ne s’éloigne – et ne devienne la lune de la tradition. Personnages aux formes multiples et aux noms imprononçables, espace et temps bouleversés construisent des états de choses invraisemblables mais non incompréhensibles. Les mondes imaginaires qu’explore Simon Bréan (dont un des personnages narrateurs est mort) ainsi que ceux de Calvino approfondissent l’altérité, tendent vers les limites du conceptualisable, mais sans les franchir. Appartiennent‑ils alors à une troisième catégorie par rapport aux deux précédentes ? Même si l’on peut détecter, dans ces œuvres, une dimension métafictionnelle, ou des relations d’analogie avec le monde réel, il semble que l’enjeu de ces mondes imaginaires soit ailleurs : précisément dans l’exploration des limites de la fiction, ou des conditions auxquelles on peut encore parler de monde, et pour le lecteur, de la possibilité d’y accéder cognitivement et imaginairement.
8Proposera-t-on alors une troisième catégorie ? Y a-t-il lieu de regrouper les mondes qui ne sont pas, ou ne sont que de façon très secondaire des alternatives au monde réel ou des métafictions ? Comment définir cet ensemble ?
9La contribution, dans ce volume, d’Anne Besson peut nous aider à formuler des hypothèses à cet égard, grâce à l’analyse qu’elle offre de la situation des mondes imaginaires dans la fantasy contemporaine. En s’appuyant surtout sur l’œuvre de George Martin, elle met en évidence un paradoxe. Les modes d’accès aux mondes de la fantasy sont nombreux et la condition intermédiale de ces fictions implique que ces voies ne cessent de se multiplier : livres, cartes, encyclopédies, blogs, adaptations télévisuelles, fanfictions, jeux… Cependant, la prolifération de ces points d’entrée, associée à l’expansion irrésistible de ces mondes (assurée par l’auteur autant que par ses lecteurs ou ses spectateurs) implique que cet accès, justement, soit compromis : en tout cas, qu’une appréhension globale, holistique, panoramique de ces mondes soit rigoureusement impossible. Anne Besson insiste, de façon intéressante, sur l’inaccessibilité de ces mondes en perpétuelle métamorphose, bien que, dans le contexte de la culture populaire planétaire, il soit presque impossible de ne pas être exposé à eux d’une façon ou d’une autre (la question moqueuse, sur les réseaux sociaux, « Y-a-t-il des gens qui n’ont pas vu Games of Thrones ? », en est un symptôme). Comme le fait remarquer Anne Besson, ce n’est pas que l’accès aux autres mondes soit coupé ; mais le chemin vers eux ne cesse de bifurquer.
10Dans ce contexte d’expansion qui semble inextinguible, et qui implique un gonflement parallèle de la population fictionnelle, les mondes pullulent. Ils peuvent éventuellement être interprétés comme des allégories du monde réel (appartenant donc à la première catégorie) : Daenerys, la blonde héroïne de Trône de Fer / Games of Thrones accueillie en messie par les populations orientales qu’elle a délivrée de tyrans locaux a pu être interprétée comme l’illustration d’une version heureuse de la guerre en Irak12 – et il serait trop long d’énumérer les lectures religieuses et politiques auxquelles a donné lieu une fiction au succès planétaire plus ancien, The Matrix. La dimension métafictionnelle n’est certainement pas non plus absente de beaucoup de ces mondes. Mais on devine que l’essentiel est ailleurs. Ces mondes illustrent la propension à explorer des limites, et celles-ci ont à voir avec des questions de taille, d’échelle, de durée.
11Limites de la vraisemblance avec Calvino, limites de l’intelligibilité avec Michel Jeury ou Roland C. Wagner (mais aussi avec Tolkien, dans les textes qui s’autodétruisent sous l’effet des paradoxes), limites du gigantisme – dans la mesure où l’extension défie la saisie cognitive : il n’est pas certain que les mondes imaginaires du passé, en particulier à la Renaissance, aient ignoré ces tentations13. Mais il est peu douteux que celles‑ci soient une des marques du contemporain. S’il s’agit d’une catégorie, on pourrait la définir come celle des mondes d’accès difficile, ou voués à l’exploration des limites de la fiction.
12Alors, peut-être, à partir du moment où les voies éprouvées de l’intelligibilité quant à la nature des mondes et à la relation entre eux sont délaissées ou passent au second plan (analogie et métaphore), les fictions contemporaines tendent-elles vers l’infini et l’opacité du rêve et de l’au‑delà. Mais elles ne leur ressemblent jamais tout à fait, car leur accès serait alors totalement barré.