Lectures de Poussin
1L’ouvrage de Martine Créac’h propose quelques lectures et interprétations de l’œuvre de Poussin dans la littérature du XXe siècle. L’ensemble est constitué de trois chapitres, qui permettent la confrontation des textes autour d’une même œuvre ou d’un même sujet. Les textes cités sont analysés et mis en perspective dans une démarche qui témoigne de la force de l’écrit, mais sans esprit de concurrence avec les représentations visuelles. Si les mots de ces auteurs font surgir paysages et personnages de Poussin, leurs textes ne sont pas des descriptions : ils ne s’adonnent pas à l’ekphrasis. Dans l’introduction, « Légendes de Poussin », le mot « lecture » est justifié : le terme renvoie davantage à l’écrit qu’aux arts visuels. Mais la justification se trouve aisément dans les propos mêmes de Poussin qui, dans une célèbre lettre, incitait Chantelou à lire sa peinture. C’est bien l’emploi d’un vocabulaire de l’écrit qui a affirmé les liens entre texte et représentation visuelle dans l’œuvre de Poussin. Le peintre a montré qu’il maniait tout à la fois la plume et le pinceau, considérant ces deux modes d’expression comme autonomes et complémentaires. En outre, les tableaux du maître ont fait l’objet de commentaires nourris dès le XVIIe siècle. Une fois ces faits rappelés, le sujet du livre est posé : « Il s’agira donc dans cette étude, de comprendre comment des écritures contemporaines sont parvenues à exprimer leur singularité à travers une peinture du passé ». Les textes retenus sont de diverses natures : commentaires, analyses, textes poétiques… qui tous témoignent non seulement de la place de Poussin, mais aussi de celle du spectateur. Dans un travail qui présente des similitudes avec celui du peintre, les auteurs se sont appropriés Poussin, soit pour un ensemble, soit pour un détail de tableau. Martine Créac’h fait le lien avec le passé au travers de différents textes tels le Laocoon de Lessing ou le Chef-d’œuvre inconnu de Balzac. De tes rappels restent succincts puisque l’objet du livre est ailleurs, mais ils sont essentiels.
2« De plusieurs déchirements dans les parages de la peinture », le premier chapitre reprend le titre d’un texte d’André du Bouchet à propos de l’aveuglement qui résulte de la contemplation des toiles. Les textes étudiés permettent de déchiffrer le jeu de l’écriture dans son rapport à l’image. La place du spectateur, l’interprétation et la connaissance sont au cœur de ce chapitre qui autorise un échange entre la représentation visuelle et le texte écrit à son propos. En prenant pour exemple les Bergers d’Arcadie, Martine Créac’h donne à lire des textes qui tous proposent une approche différente, comme autant de regards. La toile fait aisément le lien entre les deux modes d’expression en raison de sa célèbre inscription.
3« Écrire au présent », le second chapitre développe la problématique de la temporalité. Martine Créac’h démontre de quelle manière textes et représentations visuelles s’inscrivent dans le temps, comment poètes et peintres utilisent cette temporalité.
4« La naissance d’un peintre », ce dernier chapitre montre comment, depuis les biographies de Bellori ou de Félibien, les auteurs ont perçu le peintre. Il permet de s’interroger sur les rencontres multiples avec Poussin. Les auteurs n’ont pas hésité à donner parfois leur version ou leur interprétation d’un mythe. Le chapitre s’achève sur les liens qui unissent Yves Bonnefoy au peintre, sur la force des images et la présence du maître, grâce notamment à l’autoportrait du Louvre.
5« Réserves de Poussin », la conclusion sert de justification iconographique. En effet, l’ouvrage est illustré de quelques dessins attribués à Poussin ou d’une autre main, comme autant d’interprétations de l’œuvre du peintre. Ces choix iconographiques ne sont pas des illustrations aux textes étudiés, mais bien des prolongements. Cependant, on peut regretter pour le lecteur l’absence d’une liste des œuvres de Poussin mentionnées dans l’ouvrage. Elle serait apparue comme un autre prolongement, une invitation supplémentaire à regarder la peinture du maître.
6L’ouvrage de Martine Créac’h, par ses analyses fines, par ses références aux sources écrites, aux théories de l’art ou à la peinture du XXe siècle offre des lectures de Poussin très stimulantes.
7Pour conclure, nous pouvons citer les propos de Poussin rapportés par Félibien : « En parlant de la peinture, [il] dit que de même que les 24 lettres de l’alphabet servent à former nos paroles et exprimer nos pensées, de même les linéaments du corps humain servent à exprimer les diverses passions de l’âme pour faire paraître au dehors ce que l’on a dans l’esprit »1. En établissant un parallèle entre l’alphabet et le corps humain, Poussin témoigne non seulement de la force d’expression de chacun des deux arts mais aussi de leurs liens ténus, nous ramenant aux vers d’Horace.