Modernités littéraires d’Albert Camus
Colloque international
11 et 12 novembre 2022
Université de Sfax, Faculté des Lettres et Sciences Humaines
Laboratoire de Recherche Interdisciplinaire en Discours, Art, Musique et Economie (LARIDIAME, LR18ES23)
« Je ne suis pas moderne » affirmait Albert Camus dans ses Carnets. Pourtant, face à tout abus de pouvoir ou d’atteinte aux libertés, c’est L’Homme révolté ou L’Etat de siège qu’on cite. On imagine entendre la voix de Camus s’élever face à la guerre, en Irak, en Syrie, en Ukraine. La Peste s’est imposée comme le livre de chevet des confinés durant la crise sanitaire du printemps 2020. A l’heure où certains politiques, certains médias, en commentant les horreurs du monde moderne, versent souvent dans la manipulation et dans le mensonge, on peut rappeler l’amour et la revendication de vérité dont témoignait Camus, celle du cœur comme celle, objective, de l’histoire : « Là où le mensonge prolifère, la tyrannie s’annonce ou se perpétue » (Actuelles II). Ainsi le personnage principal de L’Etranger « refuse de mentir ». L’œuvre de Camus révèle à la fois la grandeur et la faiblesse de l’homme et conclut qu’il y a dans les hommes plus de choses à admirer qu’à mépriser. Dans cette perspective, ardent défenseur de la démocratie, il soulignait la valeur vitale de la modestie et d’une médiocrité positive, de la démocratie contre les autoritarismes, les dogmes et les absolutismes…
Mais ce n’est pas seulement cette attitude éthique et humaniste qui a poussé un écrivain comme Philippe Forest à affirmer qu’Albert Camus est « un écrivain de la modernité ». Même si certains critiques pensent que Camus est un « écrivain daté » ou un « classique attardé », sa langue continue à nous parler et nous séduire. Elle chante à Tipasa et Djemila les traces extatiques des dieux dans Noces, Elle devient sobre et précise quand il s’agit de raconter le rythme de vie de Meursault et se fait affectueuse et attendrissante dans Le Premier Homme. A chaque parole romanesque ou dramatique sa vérité.
En quoi est-on donc vraiment justifié, malgré sa dénégation, à le qualifier de « moderne » ? Il faut sans doute s’entendre sur le sens qu’on donne à ce terme ainsi qu’à ses connotations et ses usages. Il y a toujours eu des débats opposant modernes et anciens en littérature comme au sujet des conceptions du monde, donc des ruptures variables selon leur émergence en fonction des domaines d’application et de leur contexte. Sans entrer dans les détails, dès l’Antiquité Cicéron fut considéré comme un ancien par Quintilien et au Vème siècle le christianisme en fit de même avec le monde païen. De fait les modernes sont toujours démodés ou, si l’on s’autorise le néologisme, « démodernisés » par rapport aux nouveaux modernes (gardons en mémoire l’étymologie de ces termes, modo en latin signifiant récemment). Baudelaire, par exemple, demandait au peintre d’être « peintre de la vie moderne » et Rimbaud voulait être « absolument moderne », car le moderne interroge le caractère propre de son temps, différent du contemporain qui ne fait que constater le lien que les vivants entretiennent nécessairement avec le présent.
Octavio Paz a écrit : « Le moderne est autosuffisant : chaque fois qu’il apparaît, il fonde sa propre tradition » (Point de convergence). Autodéfinition, capacité réflexive, métacritique caractérisent la modernité de la modernité depuis le XIXème, mais aussi la révolte qu’elle engendre précisément contre sa propre fondation d’une tradition.
Camus, nous le voyons dans sa réception, dans les traductions, les adaptations qu’on fait de son œuvre, dans la nostalgie et l’espérance que sa voix suscite, est profondément actuel pour les contemporains. Cela suffit-il à le déclarer moderne ? Après tout, Barthes fut déclaré antimoderne (lui qui revendiquait aussi d’« écrire classique ») quand d’autres comme Derrida furent qualifiés de postmodernes, désireux d’effacer les frontières entre la fiction et la pensée, entre la prose et la poésie et entre le dramaturgique et le narratif. Une telle circulation générique et discursive n’est-elle pas un signe de modernité ?
Albert Camus, comme le dit Forest, parle de la vie, de ses déboires et de ses espoirs, sans recourir aux faux-fuyants de la philosophie, aux facilités de la fiction et aux enseignements commodes de la représentation. Son art et sa révolte affrontent les atrocités du monde, le discours de l’Histoire ou de la Raison, conjure le Mal et les horreurs en romancier, poète et dramaturge. Ce corps à corps avec l’abject et le sordide est « l’affaire de la grande littérature ».
Peut-être « la modernité de Camus » se perçoit-elle dans la complexité subtile et nuancée de son rapport au temps, à l’héritage antique et à son désir de vivre l’histoire et dans l’histoire sans la fiction de l’Histoire, l’actualité dans une pensée et une action inactuelle comme le dirait Nietzsche :
« Petite baie avant Ténès, au pied des chaînes montagneuses. Demi-cercle parfait. Dans le soir tombant, une plénitude glacée plane sur les eaux silencieuses. On comprend alors que, si les Grecs ont formé l’idée du désespoir et de la tragédie, c’est toujours à travers la beauté et ce qu’elle a d’oppressant. C’est une tragédie qui culmine. […] Pour les Grecs, la beauté est au départ. Pour un Européen, elle est un but, rarement atteint. Je ne suis pas moderne. » (Carnets II)
« Bien pauvres sont ceux qui ont besoin de mythes. Ici les dieux servent de lits ou de repères dans la course des journées. Je décris et je dis : « Voici ce qui est rouge, qui est bleu, qui est vert. Ceci est la mer, la montagne, les fleurs. » Et qu’ai-je besoin de parler de Dionysos pour dire que j’aime écraser les boules de lentisques sous mon nez ? […] Voir, et voir sur cette terre, comment oublier la leçon ? » (Noces)
Notre colloque envisage d’examiner la modernité de l’écrivain à l’aube du XXIe siècle autour des thèmes suivants :
· Albert Camus entre l’ancien et le moderne
· La posture de l’écrivain et la modernité
· Style et modernité dans l’œuvre de Camus.
· L’œuvre d’Albert Camus : adaptation, traduction et réception aujourd’hui
· Albert Camus et la pratique du journalisme aujourd’hui
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Les propositions de communication, d’environ une demi page (titre et résumé) accompagnées d'une courte notice biographique sont à envoyer uniquement par voie électronique avant le 30 août 2022 à l’adresse suivante : mutrabelsi@gmail.com.
L’hébergement : la réservation à l’hôtel pour les chercheurs tunisiens et étrangers sera assurée par le comité d’organisation. Mais le payement sera effectué à l’hôtel par les participants tunisiens et étrangers eux-mêmes.
Comité scientifique : Amina Bekkat, Arselène Ben Farhat, Pierre Garrigues, Jeanyves Guérin, Senda Jlidi Souabni, Martine Job, José Lenzini, Mustapha Trabelsi.
Comité d’organisation : Mouna Sassi, Leila Euchi, Hanen Marouani, Fayçal Mezhoudi, Fethi Selmi
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Calendrier
30 août 2022 : réception des propositions de communication
15 septembre 2022 : notification aux auteurs
11 et 12 novembre 2022 : Colloque international
Juin 2023 : publication
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Bibliographie
Antoine Compagnon, Les Cinq Paradoxes de la modernité, Paris, Seuil, 1990.
Antoine Compagnon, Les Antimodernes. De Joseph de Maistre à Roland Barthes, Paris, Gallimard, 2005.
Collectif, "Modernité ?", Krisis, n° 44, 2016.
Jeanyves Guérin, Homme nouveau ou art nouveau. Modernité et progressisme dans la littérature française du vingtième siècle, Honoré Champion, 2002.
Jürgen Habermas, Le Discours philosophique de la modernité, Paris, Gallimard, 1988.
Pierre Le Vigan, Écrire contre la modernité, Independently published, 2017
Jérôme Meizoz, Absolument modernes !, Genève, Zoé, 2019,
Henri Meschonnic, Modernité, modernité, Paris, Gallimard, 1994.
François Noudelmann, Avant-garde et modernité, Paris, Hachette, coll. Contours littéraires, 2000.
Michel Raimond, Éloge et critique de la modernité. De la Première à la Deuxième Guerre mondiale, Paris, Presses universitaires de France, 2000.
Carole Talon-Hugon, La Modernité, PUF, 2016.
Yves Vadé, Avant-garde et modernité, vol. I de Littérature moderne, Genève ; Paris, Champion, Slatkine, 1991.
Yves Vadé (textes réunis et présentés par), Ce que modernité veut dire, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, coll. Modernités, 2 tomes, 1994.