"Voie négative" (Cahiers ERTA, n° 33)
Etudes réunies par Lydie Parisse et Tomasz Swoboda
Sous la responsabilité éditoriale de Ewa M. Wierzbowska
Parution en ligne le 31 mars 2023
https://www.ejournals.eu/CahiersERTA/2023/Numero-33
Ce numéro 33 de la revue Cahiers ERTA s’inscrit dans les activités du séminaire international transdiciplinaire en recherche-création “Processus créateur et voies négatives”, initié à Toulouse en mars 2022 par Lydie Parisse et Tomasz Swoboda. Il réunit des communications portant essentiellement sur les arts de la représentation (théâtre, arts plastiques), recoupant le domaine occidental et oriental, de la période poststructuraliste à nos jours.
Il fait suite à la parution de l’ouvrage de Lydie Parisse, Les Voies négatives de l’écriture dans le théâtre moderne et contemporain (Classiques Garnier 2019)[1] et à divers événements scientifiques qui ont remis au goût du jour, dans une perspective en recherche-création, la notion de voie négative appliquée aux choix artistiques d’un certain nombre de créateurs : le colloque international « Processus créateur et voies négatives », organisé par Lydie Parisse et Tomasz Swoboda à l’université de Toulouse 2 en mars 2022 : le séminaire du réseau international de chercheurs Théorias - dont Lydie Parisse est l’un des membres fondateurs – qui fut organisé par Claude Le Fustec au LARCA à l’université de Paris-Diderot en mai 2022 ; enfin le séminaire doctoral de l’école doctorale Allph@ à l’université de Toulouse 2 « Voies négatives et processus d’écriture : pour des outils théoriques en recherche-création ». Ce volume est aussi un avant-goût du volume à paraître dans la nouvelle collection « Processus créateurs » dirigée par Lydie Parisse dans le cadre de la Revue des Lettres Modernes (Paris, Classiques Garnier).
Les communications de ce numéro ouvrent diverses pistes concernant la voie négative, en tant qu’elle est réactivée en contexte post-séculier, par des écrivain-e-s et artistes qui s’en inspirent, et cela depuis la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle, ayant déjà donné lieu à de grands mouvements esthétiques avérés dans le domaine du théâtre et des arts plastiques. Depuis deux siècles, des artistes engagés dans une recherche esthétique radicale, où la création est vue comme un acte qui engage l’être entier, lisent en effet les textes des mystiques de la tradition, où ils trouvent, dans la tension vers les limites du langage et de la pensée, une inspiration précieuse pour penser l’engagement artistique, la question de la singularité, la question du processus créateur envisagé comme un acte paradoxal de création-décréation et d’affirmation-retrait de soi, pour ne citer ici que quelques aspects.
Qu’est-ce que la voie négative ? C’est une méthode qui a eu un certain succès à l’époque médiévale, qui constate les limites du savoir humain et pose l’inconnaissable comme une notion que l’on ne peut ni nommer, ni décrire, ni approcher de quelque manière que ce soit : cette méthode, dite apophatique, s’oppose à la voie cataphatique, qui est celle des religions instituées, qui toutes ont quelque chose à dire de positif sur le divin. Cette distinction, présente chez Pseudo-Denys Aréopagite au Ve siècle, sera développée par la suite par Jacob Böhme et d’autres penseurs et penseuses, dont Nicolas de Cues, qui, dix siècles plus tard, montrera que l’être humain ne peut connaître que par la raison (ratio) et non par l’intellect (intellectus) qui est la connaissance intuitive supérieure. Une pensée qui a eu un impact profond non seulement sur la philosophie occidentale, mais aussi sur les arts, le théâtre et la littérature, et nous touche, plus près de nous à travers la pensée engagée de la philosophe et mystique Simone Weil.
Il ne s’agit ici en aucun cas de théologiser la littérature, le théâtre et l’art, mais de comprendre comment, dans un contexte post-séculier, et en particulier à l’aube du XXe siècle, a pu avoir lieu une réappropriation des écrivaines et écrivains de la voie négative à la fois par les créateurs et par les chercheurs, de manière à ouvrir de nouvelles voies pour penser les sciences humaines et également l’écriture et les arts[2]. C’est pourquoi le travail sur la voie négative est un chantier de recherche ouvert, notamment en recherche-création, car il nous amène à une relecture des auteurs et artistes que nous connaissons à l’aune de l’épistémologie du processus créateur. Or, créer c’est lire, c’est se lire, c’est à la fois se créer et décréer.
Les études de ce numéro (dont le volume en version papier paraîtra début 2024), menées par des chercheurs d'aires géographiques et disciplinaires variées, portent à la fois sur le théâtre – Beckett, Novarina, Artaud – et sur les arts plastiques – Klossowski, Ad. Rheinhard, Kim Tschang-Yeul -, mêlant des approches à la fois occidentales et orientales de la voie négative.
Les varia proposent des notes de Tomasz Swoboda sur sa traduction de Proust, et sont suivis d’un compte-rendu par Adrien Chapel des Voies négatives de l’écriture dans le théâtre moderne et contemporain.
SOMMAIRE
Introduction par Ewa M. Wierzbowska et Lydie Parisse.
1. Etudes.
Lydie Parisse
« Les voies négatives de Samuel Beckett ».
Inhye Hong.
« Voie négative, vue négative : le théâtre de l’appel de Valère Novarina ».
Sergi Castella-Martinez.
« La purification ardente et l’échec. Antonin Artaud lu par Josep Palau i Fabre ».
Diego Scalco.
« Apophatisme et non-dualité dans le Vedānta et chez Ad Reinhardt ».
Sébastien Galland.
« Kim Tschang-Yeul : La voie de l’eau ».
Cornelia Klettke.
« Pierre Klossowski. L’acte créateur de l’écrivain-peintre ».
2. Varia.
Tomasz Swoboda.
« Un testament dans les tiroirs. En marge d’une nouvelle traduction de Sodome et Gomorrhe »
3. Compte-rendu.
Adrien Chapel.
« Lydie Parisse, Les Voies négatives de l’écriture dans le théâtre moderne et contemporain, Paris, Lettres Modernes Minard, 2019. »
[1] https://www.fabula.org/actualites/94452/lydie-parisse-les-voies-negatives-de-l-ecriture-dans-le-the-tre-moderne-et-contemporain.html. Voir également Lydie Parisse (dir.), Le Discours mystique dans la littérature et les arts de la fin du XIXe siècle à nos jours, Paris, Classiques Garnier, 2019 ; Lydie Parisse, La parole trouée : Tardieu, Beckett, Novarina, Paris, Minard, [2008] 2019 ; Mystique et littérature. L’autre de Léon Bloy, Paris, Minard, [2006] 2019.
[2] Nous vous renvoyons essentiellement aux ouvrages de Michel de Certeau, La Fable mystique I. XVIe-XVIIe siècles, Paris, Gallimard, « Tel », 1995 ; La Fable mystique II. XVIe - XVIIe siècles, Luce Giard (éd.), Paris, Gallimard, NRF, 2013. Voir un résumé dans Lydie Parisse, « « Penser l’historicité des discours critiques sur la mystique », Expériences mystiques : énonciations, représentations, réécritures, F. Arama, G. Jouanneau-Damance, R. Raimondo (éd.), Paris, Classiques Garnier, 2021, p. 29 à 40.