Journée d’étude sur « Voltaire et Mme Denis »
Vendredi 9 juin 2023
Sorbonne Université, amphi Michelet
En 2002, André Magnan incitait la critique à reconsidérer le regard porté sur Mme Denis. En se positionnant « Pour Marie-Louise Denis », il s’agissait d’engager une entreprise de réévaluation du personnage, en particulier par rapport au discours tenu par les biographes de Voltaire : « On a fait de Mme Denis un petit personnage de femme sans cervelle, plus ou moins inapte aux choses de l’esprit, indigne au fond d’avoir partagé la vie du grand écrivain[1]. » L’étude prenait en considération quelques témoignages, les écrits de Voltaire dédiés à Mme Denis, l’iconographie, mais surtout les ressources offertes par la correspondance, dont l’état des lieux indiquait l’acquisition, alors récente, par la Bibliothèque nationale de France, de « nouvelles lettres » situées au « moment tournant de la relation[2] » entre le philosophe et sa nièce.
Une vingtaine d’années plus tard, la publication de ces Lettres inédites à Marie-Louise Denis (1737-1744)[3] invite à rouvrir le « dossier Denis ». On se propose, dans le cadre de cette journée d’étude, non seulement de mettre en évidence l’apport que constitue ce nouveau corpus jusque-là inédit, mais aussi, plus généralement, d’explorer l’ensemble de la correspondance avec Mme Denis, incluant les lettres déjà réunies par Theodore Besterman, voire l’intégralité du corpus des lettres mettant en jeu le personnage de Mme Denis. On s’abstiendra cependant de prendre en compte la cinquantaine de lettres relatives au séjour de Voltaire en Prusse, retravaillées pour constituer la « Paméla »[4].
À l’intérieur de ce vaste ensemble, plusieurs sous-corpus d’étude peuvent être délimités, par exemple en fonction des périodes : des premiers contacts entre le philosophe et sa nièce jusqu’à leur installation à Ferney ; la période de Ferney au sein de laquelle on peut aussi s’intéresser aux transformations des relations épistolaires engendrées par l’éloignement de Mme Denis, en 1758 ou encore en 1768-1769. Indépendamment de ces questions de périodisation, d’autres sous-corpus peuvent être délimités en fonction des structures de destination : si les lettres de Voltaire à sa nièce constituent la part prépondérante du corpus, on peut aussi s’intéresser aux lettres adressées à des tiers qui comportent la double signature de Voltaire et Mme Denis et s’interroger sur la signification de cette rédaction à quatre mains.
Plusieurs pistes d’analyse, qui ne prétendent pas être exhaustives, peuvent être explorées. D’une part, cette correspondance a souvent été appréhendée dans une perspective biographique. Au-delà de la valeur documentaire d’une correspondance qui comporterait des données factuelles de nature à identifier les jalons de l’histoire de la relation amoureuse entre oncle et nièce, toujours délicates à commenter dans des textes qui sont d’abord des constructions de discours, discours paramétré par l’identité des destinataires auquel il s’adresse, on pourrait privilégier l’examen de la facture rhétorique et sensible de ces « fragments d’un discours amoureux » voltairien, voire examiner la mise en œuvre d’une « dramaturgie » de la relation amoureuse entre Voltaire et Mme Denis[5].
Une autre piste pourrait consister à s’interroger sur la distribution, dans le discours, des rôles assignés aux partenaires de la relation épistolaire. Si la mise en scène de soi à laquelle se livre Voltaire a été bien étudiée, y compris dans le cadre de ses échanges avec des femmes, qu’il s’agisse – ou non – de commerce amoureux[6], beaucoup reste à étudier du côté de Mme Denis : on peut songer au rôle de l’amante, mais aussi, pendant la période de Ferney, à celui de la « surintendante » du « dedans », ou encore à celui de la médiatrice face à l’hostilité du pouvoir royal vis-à-vis du philosophe après le séjour en Prusse[7].
Cette question pourrait être approfondie dans une autre direction, qui consisterait à s’intéresser aux rôles de Mme Denis que révèle la lecture de la correspondance de Voltaire au-delà des seules lettres adressées à sa nièce. On sait par exemple que Mme Denis a été actrice sur les théâtres particuliers sur lesquels Voltaire cherche mettre ses pièces à l’épreuve de la scène, d’abord sur le théâtre de la rue Traversière à Paris, vendu en 1754[8], puis sur ceux des Délices, de Lausanne et de Ferney. On peut encore songer à ce que la correspondance permet de comprendre du rôle que Mme Denis joue en tant que lectrice ou relectrice des œuvres de son oncle.
Ces quelques suggestions, à valeur indicative, n’épuisent évidemment pas les possibilités d’études du « dossier Denis ».
Les délais étant brefs avant la tenue des journées, on préconise l’envoi d’un projet d’article qui, après expertise, serait inclus dans la section du numéro 24 de la Revue Voltaire, à paraître en 2024, réunissant les réflexions sur le « dossier Denis », l’échéance étant fixée au 30 septembre 2023.
Les propositions d’une dizaine de lignes peuvent être envoyées à l’adresse suivante : jvdenis2023@gmail.com
[1] André Magnan, « Pour Marie-Louise Denis », Cahiers Voltaire, no 1 (2002), p. 9-36, ici p. 32.
[2] Ibid., p. 10.
[3] Lettres inédites à Marie-Louise Denis (1737-1744). Voltaire et sa chère nièce, éd. N. Cronk, F. Deloffre, J. Hellegouarc’h et N. Fréry, Paris, Classiques Garnier, 2023.
[4] Voir André Magnan, L’Affaire Paméla. Lettres de Monsieur de Voltaire à Madame Denis, de Berlin, Paris, Éditions Paris-Méditerranée, 2004 ; Paméla, éd. J. Mallinson, OCV, t. 45c (2010).
[5] Cf. Christiane Mervaud, Voltaire et Frédéric II : une dramaturgie des Lumières (1736-1778), SVEC, no 234 (1985).
[6] Christophe Cave, « Les philosophes ont-ils un sexe ? Émilie du Châtelet et la marquise du Deffand dans la correspondance de Voltaire », Revue Voltaire, no 14 (2014), p. 167-184.
[7] A. Magnan, « Pour Marie-Louise Denis », art. cité, p. 16.
[8] Ibid., p. 21.