Actualité
Appels à contributions

"Son influence ne se manifeste plus que médiatement". L’inspiration protestante dans le récit et la critique en France (XIXe-XXe s.)

Publié le par Marc Escola (Source : Magalie Myoupo)

« Son influence ne se manifeste plus que médiatement[1] » ?

L’inspiration protestante dans le récit et la critique en France

(XIXe-XXe siècle)

(Université de Lorraine, site de Metz, 26-27 septembre 2024)

 Le XIXe siècle s’ouvre sur un manifeste littéraire et spirituel incontournable : Génie du Christianisme de Chateaubriand, publié en 1802. Cet essai est une première étape dans l’entreprise de réactivation d’une littérature catholique tout au long du siècle. Il sera également, pour les adversaires laïques un appui, une référence a contrario pour bâtir leur réquisitoire, politique ou esthétique. À cause de cette influence et des réactions – positives ou négatives – qu’elle a provoquées, la critique universitaire s’est principalement intéressée à une pensée catholique de la littérature, et même spécifiquement du roman. Ces grands représentants, surtout à la fin du siècle, ont leurs études, et de nombreux collectifs ont pu aborder les liens qu’ils établissent entre édification, catholicisme et genres du récit.

Or il est un texte, publié au début du siècle, qui pourrait donner une autre teneur spirituelle à la période : il s’agit bien entendu du De l’Allemagne (1813) de Madame de Staël, qui établit, à côté du catholicisme, le protestantisme comme puissance morale à considérer dans le grand tableau qu’il reste à peindre de la modernité[2]. Il est vrai que ce dernier n’est en aucun cas comparable au premier en termes de présence au sein de la société française : d’un christianisme dominant à un christianisme de minorité ; d’un regard tourné vers Rome à une main tendue aux nations du Nord[3] ; d’une tradition en partie fastueuse à une revendication de sobriété. Cette influence n’a pas pour elle le poids du quantitatif mais certains écrivains ne cessent pourtant de s’y référer et d’en faire un élément du débat qui porte sur les pouvoirs[4] de la littérature, et plus spécifiquement sur son rapport au sujet (introspection, édification, etc.). Par ailleurs, dans l’attachement romantique à la dissidence et aux hérésies, le protestantisme et ses multiples avatars et rejetons (vaudois, taborites, baptistes, etc.) ont pu constituer des modèles pour une pensée de l’émancipation, politique[5] ou littéraire au XIXe siècle.

Pour ces raisons, ce projet de colloque veut se donner la chance de suivre le fil de cette influence dans l’espace français, influence qui, dès la Révolution française, montre l’étendue de sa qualité littéraire à travers des figures comme celles de Necker ou de Rabaut Saint-Etienne. Réactivée par le Réveil des années 1830 puis par la place grandissante prise par certains protestants dans les luttes laïques (qu’on pense, par exemple, à Ferdinand Buisson) et républicaines dans la deuxième partie du siècle, l’influence protestante se maintient en elle-même ou par alliance et par recomposition.

Nous souhaiterions interroger la part protestante de la littérature et de la critique littéraire dans cette période en France, en nous écartant des genres traditionnellement associés à cette pensée (notamment à la poésie en lien avec l’hymnologie protestante). Les autres genres, et notamment ceux du récit qu’on privilégiera, ont également été le lieu d’une dispersion de cette pensée que nous voulons examiner. Cette dispersion nous paraît intéressante car elle semble être le lieu d’un jeu de voilement et de dévoilement de la référence protestante, d’une poétique qui relève souvent de l’ambiguïté.

Les communications proposées pourront s’inscrire dans un ou plusieurs des axes suivants :

·       De l’influence par alliance avec d’autres courants de pensée ? La confession fraternelle, l’examen personnel, décisifs dans les traditions protestantes, engagent le sujet dans une introspection qui n’est pas nécessairement guidée par une figure surplombante (qu’on pense aux dispositifs de la confession catholique ou de la direction). Le journal intime de Henri-Frédéric Amiel, commencé en 1839, est une image de ce lien fort qui existe entre les genres de l’intime et la pensée protestante ; Barthélemy Jobert a pu également consacrer quelques pages au journal d’Eugène Devéria, peintre romantique converti au protestantisme[6]. En ce sens, dans les littératures des XIXe et XXe siècles, l’influence protestante peut entrer en écho avec une forme d’augustinisme des écrivains qui vont privilégier les formes de l’intime, ou avec une philosophie sensible du sujet. Peut-on démêler le fil des littératures de l’introspection (romantisme en tête) pour y trouver cette influence protestante ou du moins sa revendication ?

·       Une tradition iconoclaste dispersible dans un siècle de révolte : en lien avec ce premier point, la littérature protestante est-elle une littérature critique ? Y’a-t-il un esprit de la Réforme qui engage des écritures avant tout oppositionnelles ? Si l’identité protestante n’est pas héritée ou affirmée, si elle ne correspond pas à une confession revendiquée, elle est parfois rappelée dans des entreprises ou des discours qui veulent insister sur la nécessité du changement (voir Sand et sa passion des hérétiques). On pourra, avec intérêt, se pencher également sur certaines écritures du savoir (de l’histoire notamment) qui semblent avoir subi cette influence[7]. 

Qui plus est, comme le rappelle Jérôme Cottin, si l’iconoclasme protestant n’a peut-être pas fondé l’art non figuratif, « la démarche, les convictions qui président à la création d’un art sans image […] rejoignant parfaitement la critique calvinienne des images[8]. » Ainsi, outre la possible valeur politique d’une référence protestante, observe-t-on un traitement de la description littéraire qu’on pourrait qualifier de non iconoclaste ?

·       Une tradition minoritaire : en lien avec une identité religieuse mais aussi régionale (cévenole) qui se développe au moment du Réveil, peut-on observer une poétique de romans qu’on pourrait rattacher spécifiquement à l’histoire du Désert (cf. La Cévenne embrasée de Devoluy) ? Loin d’aborder seulement une histoire des protestants, ces récits font-ils montre d’une poétique particulière ? Peut-on encore distinguer certains traits d’une telle poétique dans certains romans du début du XXe siècle ?

·       La trace du protestantisme dans la critique littéraire : de célèbres protestants ou intellectuels issus de familles protestantes ont produit une œuvre de critique littéraire, qu’on pense à Alexandre Vinet pour le XIXe siècle, aux écrivains et critiques liés à la NRF (à commencer par certains de ses fondateurs : André Gide, Jean Schlumberger, mais aussi Denis de Rougemont, André Chamson), à certains universitaires (Roland Barthes[9]) pour le XXe siècle, ou encore à Jacques Ellul et à ses charges réitérées contre le Nouveau Roman et le mouvement surréaliste quelques décennies plus tard. À côté d’une littérature d’influence protestante, observe-t-on également dans la critique des catégories ou des critères de jugement dont l’ascendance peut être rattachée à cette branche du christianisme ? 

·       Le « protestantisme » comme cible idéologique et littéraire : l’anti-protestantisme est très présent au tournant des XIXe et XXe siècle, à un moment où s’affirme le nationalisme français[10]. Dans ce cadre, la catégorie de « protestants » a pu être utilisée par les tenants de ce qu’Anatole Leroy-Beaulieu appelle en 1902 les « doctrines de haine[11] ». La « littérature de pasteur » est dénoncée comme étrangère à la tradition littéraire et à l’esprit français, comme en témoigne notamment le pamphlet d’Henri Béraud, La Croisade des longues figures (1924), dirigé contre le groupe de la NRF. Suivre ce vocabulaire permettrait de cerner l’hypothétique objet « littérature protestante » en tant que catégorie de la critique, notamment au début du XXe siècle.

— 

Les propositions de communication seront à envoyer avant le 5 novembre à :

Jean-Michel Wittmann (jean-michel.wittmann@univ-lorraine.fr) et Magalie Myoupo (magalie.myoupo@univ-lorraine.fr). 

Le colloque donnera lieu à une publication.


 Notes :


[1] Charles Villers, Essai sur l’esprit et l’influence de la réformation de Luther, ouvrage qui a remporté le prix sur cette question proposée dans la séance publique du 15 germinal an X, par l’Institut national de France : « Quelle a été l’influence de la réformation de Luther sur la situation politique des différens États de l’Europe, et sur le progrès des lumières ? ». Jean Baubérot rappelle que « [c]et ouvrage, de nombreuses fois réédité au cours du xixe siècle et encore en 1905 au moment de la Séparation des Églises et de l’État, a donné une certaine philosophie de l’histoire aux historiens libéraux et à pas mal d’adeptes de la pensée libérale du xixe siècle. » Jean Baubérot, Le Protestantisme doit-il mourir ?, Paris, Seuil, 1988.
[2] Bernard Reymond, dans le livre qu’il consacre au protestantisme en littérature (dont l’empan s’ouvre avec la littérature de la Réforme), insiste là-dessus : « Le romantisme que De l’Allemagne va contribuer à introduire en France est donc de frappe nettement protestante, avec une forte insistance sur le sentiment et les libertés de l’individu. » Bernard Reymond, Le Protestantisme et la littérature. Portraits croisés d’un horizon partagé, Genève, Labor et Fides, 2008, p. 69.
[3] Pour explorer ce lien, voir notamment le numéro 56 de la revue Nord’ consacré en décembre 2010 aux liens entre protestantisme et littérature. Ce numéro aborde principalement les écrits de pasteurs pour la période qui nous occupe et ne recoupe donc pas les ambitions de notre colloque.
[4] Les liens entre protestantisme et genres du récit (plus précisément roman gothique pour le XIXe siècle) ont déjà bien été étudiés pour l’aire anglophone.
[5] On retrouve d’ailleurs des pasteurs – tel Elie Gounelle – au début du XXe siècle dans les mouvements d’influence travailliste et au sein des fraternités ouvrières.
[6] Barthélemy Jobert, « Eugène Devéria. Protestant romantique », dans Alain Joblin et Jacques Sys (dir.), Les Protestants et la création artistique et littéraire : des réformateurs aux romantiques, Arras, Artois presses université, « Lettres et civilisations étrangères », 2008, p. 67-76.
[7] On peut penser à Michelet dont l’extraction protestante n’est peut-être pas sans lien avec la mise en valeur du concept de justice contre celui de grâce dans sa pensée de l’histoire, ou encore à Élisée Reclus, fils de pasteur, et à l’approche sensible de la géographie et plus largement de la nature qu’il développe dans ses textes.
[8] Jérôme Cottin, « L’Iconoclasme des réformateurs comme modèles de nouvelles formes esthétiques » dans Alain Joblin et Jacques Sys (dir.), Les Protestants et la création artistique et littéraire : des réformateurs aux romantiques, ibid., p. 11-26., p. 19.
[9] Bertrand Gibert, « Protestantisme de Roland Barthes (1915-1980) », Bulletin de La Société de l’Histoire Du Protestantisme Français (1903-2015), vol. 161, 2015, p. 61–95.
[10] Jean Baubérot, « L’anti protestantisme politique à la fin du XIXe siècle », Revue d’histoire et de philosophie religieuse, 1972, n°4.
[11] Anatole Leroy-Beaulieu, Les Doctrines de haine. L’antisémitisme, l’antiprotestantisme et l’anticléricalisme [1902], préface de Valentine Zuber et Géraldine Vaughan, Paris, Éditions Payot & Rivages, Coll. « Petite biblio Payot », 2022.