Édition
Nouvelle parution
C. F. Ramuz, Le Feu à Cheyseron (dir. Daniel Maggetti et Stéphane Pétermann)

C. F. Ramuz, Le Feu à Cheyseron (dir. Daniel Maggetti et Stéphane Pétermann)

Publié le par Faculté des lettres - Université de Lausanne

Publié en revue en 1912, Le Feu à Cheseyron constitue une première version de La Séparation des races. Mêlant intrigue amoureuse et réflexion sur le destin des communautés, Ramuz livre là une histoire tragique, aux accents de légende montagnarde, qui a inspiré le cinéma expressioniste (Rapt de Dimitri Kirsanoff en 1934, avec une musique d'Arthur Honegger).

Introduction d'Océane Guillemin

Extrait : 

Ils étaient assis les six devant le chalet, dont Firmin Lhotellier, André Lutte et Pierre Porte, outre le maître Jean Sauget, qui était d’un autre village, mais eux, les cinq, de Cheyseron. Ils se tenaient assis devant le chalet, non sur un banc, car il n’y en avait point, mais par terre, contre le mur, et le dos appuyé au mur. Et ils parlaient et plaisantaient, étant de bonne humeur, parce qu’ils devaient redescendre le surlendemain au village.

Alors ce poids de la solitude vous est ôté, qui finit par vous peser lourdement aux épaules, depuis trois mois qu’on est isolé du reste des hommes et perdu au-dessus des hommes, à six ainsi ; et c’est un dur métier. Guère que du pain sec, du sérac et du vieux fromage ; point de lit, on dort sur la paille ; on se lève le matin avec l’épine du dos écorchée, la nuque qui vous fait mal. Et on soupire après le vin d’en bas et après les plaisirs d’en bas.

Il y avait derrière eux le haut mur rocheux de l’arête ; et de ce côté-ci c’est le bon pays, mais de l’autre c’est l’Allemagne. Une arête qui va tout droit et est pâle dans le soleil ; haute au ciel et luisante au ciel, avec des dents comme une scie. Dans l’intervalle de ces dents, par-ci par-là, se trouve un col ; ailleurs elle est infranchissable, qui fait suite directement aux pâturages, qui est plantée dedans comme une lame de couteau et qui tombe là en hautes parois lisses où retentit seulement, avec le cri des choucas, le sourd fracas des pierres qui dégringolent des couloirs.

Parce que le soleil se couchait, elle était maintenant devenue toute rose, et comme une robe de douceur lui avait été mise, par là moins redoutable à voir. Les six hommes ne lui en tournaient pas moins le dos. Ils regardaient au-dessous d’eux, vers le grand trou de la vallée. De l’autre côté de la vallée, d’autres montagnes tout en glaciers et en neiges se levaient, elles aussi brillantes, elles aussi tout allumées et en flammes parmi le ciel. Mais ils n’y faisaient pas attention non plus. Ils regardaient devant eux parce que c’est là que leurs yeux allaient naturellement et ils se tenaient les bras croisés autour de leurs genoux, avec cette seule idée en tête qu’ils redescendraient le surlendemain, et c’était de quoi ils s’entretenaient.