Écrits fantômes est le fruit des travaux entrepris par Vincent Platini pour sa thèse d’habilitation à diriger les recherches. Après plus de quatre ans d’enquête dans différents fonds d’archives judiciaires en France, il en a tiré un corpus de centaines de lettres de suicides écrites entre 1700 et 1948. C’est un ouvrage pionnier, sans équivalent en France ou à l’international. L’auteur présente chaque message posthume par un résumé des circonstances ayant précédé le passage à l’acte, faisant valoir la qualité formelle et littéraire des courriers, des exercices de style funèbres permettant des coups de force et suscitant par leur urgence des émotions diverses. Ce recueil illustré de photos, organisé en dix cercles et une postface, ouvre un nouvel horizon au champ épistolaire, autant du côté des historiens (la mort volontaire ayant été peu étudiée) que des amateurs d’art brut scriptural. Objets d’un art de soi funèbre, elles méritaient d’entrer en littérature.
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"Les 220 lettres ici retranscrites ne sont pas fictionnelles. Elles proviennent des archives judiciaires et policières, plus rarement des journaux d'époque, et furent écrites entre 1700 et 1948. Si elles présentent un intérêt historique et sociologique indéniable, elles sont avant tout considérées comme des textes littéraires par lesquels leurs scripteurs purent se réinventer in extremis. Leurs qualités formelles, leur polysémie et la tension qu'elles instillent dans le discours ont présidé aux choix du recueil. Une attention particulière a été accordée à leur matérialité. La graphie, les biffures, l'agencement ont été conservés. Une soixantaine de reproductions accompagnent les textes. Les circonstances de la mort sont retracées avant chaque lettre et l'ensemble est organisé en 10 cercles thématiques. Une postface formule quelques remarques sur l'histoire, les transformations et le fonctionnement de ces objets thanato-épistolaire." — V. Platini.
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Extrait :
« Vers 6 h 30 du matin, on frappe à la porte d’une chambre de l’hôtel de Biron. François Emmanuel, chasseur au service du duc de Biron, vient ouvrir. C’est un dénommé Joly Coeur, cavalier de la maréchaussée, qui vient rendre visite à un ami : Brem, dit Birner, jeune brigadier du régiment des hussards de Lauzun, occupe une chambre au premier étage en sa qualité de sous-secrétaire du duc. Joly Coeur est inquiet. Il a trouvé sur la porte de Brem un écriteau lugubre. Les deux hommes montent. Une demi-feuille de grand papier est accrochée à l’entrée. On peut y lire ces mots, écrits en travers et ornés d’une accolade :
Ne vous effraiés point en entrant
car vous me trouverrés
Parti pour l’autre monde.
Envoiés tout de suite la lettre à Mr Mis
qui est sur la table et ne toucher à Rien
et n’envoiés rien quil ne soit venu.
[Papier à lettres, 31 × 20 cm, encre noire.] »
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On peut lire sur en-attendant-nadeau.fr un article sur cet ouvrage :
"Ultimes missives des proscrits", par Philippe Artières (en ligne le 5 décembre 2023).
Les écrits de suicidés sont des missives, avouons-le, que l’on préfère ne pas avoir à lire. À partir d’un imposant recueil de ces écrits ultimes, Vincent Platini parvient à faire de ce triste corpus, fruit d’une patiente collecte dans les archives, un texte polyphonique, qui restitue autant des parcours de vies ordinaires que l’histoire de ce que ce chercheur en littérature comparée nomme des « écritures de soi ».