Essai
Nouvelle parution
Dinah Ribard, Le Menuisier de Nevers. Poésie ouvrière, fait littéraire et classes sociales (XVIIe-XIXe s.)

Dinah Ribard, Le Menuisier de Nevers. Poésie ouvrière, fait littéraire et classes sociales (XVIIe-XIXe s.)

Publié le par Marc Escola (Source : N. Vuckovic)

Le Menuisier de Nevers est un nom d’auteur. C’est même le premier à être devenu célèbre parce que celui qui s’en servait proclamait dans ses livres qu’il était un ouvrier. Tout ici est étonnant : la date d’abord, autour de 1640, bien en amont de l’industrialisation de la France et d’une démocratisation de la culture ; la disparition complète du canon littéraire, ensuite, de ce poète longtemps fameux, réédité, lu et commenté, qui s’appelait en fait Adam Billaut.

La chronologie de la poésie ouvrière pose le problème historique qui se trouve au coeur de ce livre. La littérature n’a pas attendu que les ouvriers deviennent des acteurs de l’histoire, au XIXe siècle, pour consacrer des auteurs issus du peuple laborieux. L’apparition de ce travailleur manuel sur la scène littéraire à l’époque de Louis XIV prouve que la littérature n’enregistre pas le mouvement de l’histoire : elle est une forme d’action qui transforme les voies d’accès à la parole publique et façonne l’histoire des classes sociales.

Au cours des deux siècles suivants, on a trouvé naïve et populaire la poésie très savante de ce « Virgile au rabot ». Exception glorieuse dans une société férocement hiérarchique, sa figure a maintenu hors de la littérature les très nombreux artisans qui ont composé des vers dans cette période. Elle a ensuite été relayée par les ouvriers poètes qui ont intéressé un moment les éditeurs et écrivains progressistes de l’époque industrielle. En retrouvant tout ce peuple d’auteurs, Dinah Ribard montre que la littérature est une contribution essentielle à l’histoire de l’inégalité.

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Dinah Ribard est directrice d'études à l'EHESS. Ses recherches portent sur l'écriture dans le travail et sur le travail et l'action avec l'écrit, avec les mots et avec les livres, entre époque moderne et début de l'époque contemporaine. En 2019, elle a publié chez Honoré Champion 1969 : Michel Foucault et la question de l'auteur, une présentation du fameux "Qu'est-ce qu'un auteur ?" de Foucault. Son premier livre, Raconter Vivre Penser. Histoires de philosophes (Vrin/EHESS, 2003), portait sur la littérature en particulier biographique concernant les philosophes et les auteurs de textes philosophiques entre 1650, date de la mort de Descartes, et 1766, date de la création de l'agrégation de philosophie. Membre, au sein du Centre de recherches historiques, du Groupe de recherches interdisciplinaires sur l'histoire du littéraire (Grihl), elle a participé à l'enquête sur la publication (De la publication. Entre Renaissance et Lumières, Fayard, 2022), à l'élaboration du volume Ecriture et action XVIIe-XIXe siècles. Une enquête collective (EHESS, 2016), et à l'histoire du fait littéraire actuellement en cours de rédaction. Elle est l'autrice, avec Christian Jouhaud et Nicolas Schapira, d'Histoire littérature témoignage. Ecrire les malheurs du temps (Gallimard, 2009) et avec Judith Lyon-Caen, de L'Historien et la littérature (La Découverte, 2010) ; elle a dirigé avec Nicolas Schapira un numéro de la Revue de Synthèse consacré à L'Histoire par le livre (2007), et en 2013 le volume On ne peut pas tout réduire à des stratégies. Pratiques d'écriture et trajectoires sociales (PUF, 2013). Elle a également publié avec la linguiste Marion Carel plusieurs articles issus de leur séminaire "Linguistique et histoire. Agir avec les mots" ; le plus récent s'intitule "Gestes et actions avec les mots" (Linguistique de l'écrit, 3, 2022).

On peut lire sur laviedesidees.fr un article sur cet ouvrage :

"Faire taire le peuple", par Déborah Cohen.