Jérôme Laubner, Vénus malade. Représentations de la vérole et des vérolés dans les discours littéraires et médicaux en France (1495-1633)
À la fin du xve siècle, l’Europe voit surgir une maladie nouvelle, la vérole, et avec elle son lot de questions. Mal français, italien ou américain, comment nommer un fléau mondial qui fait fi des frontières géographiques ? Comment traiter une affection inconnue des Anciens ? Comment prendre en charge des malades honteux et rebutants ? Si la vérole a suscité la panique et la condamnation morale, la confrontation des discours littéraires et médicaux produits entre 1495 et 1633 fait apparaître des réactions affectives complexes voire contradictoires à l’égard des victimes de la première épidémie vénérienne de l’âge moderne. À côté des plaintes et des admonitions sur les dangers du coït, bien des textes font résonner un rire servant tour à tour d’outil parodique, d’arme polémique et d’étendard obscène à opposer au bon goût. Illustrant la plasticité du stigmate vénérien, les auteurs interrogent les fonctions de l’écriture lorsque la sexualité, notamment masculine, se trouve mise en péril.
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Extrait : "Penser l’incidence de la maladie sur le plan du genre invite à débusquer les implications épistémologiques, morales et esthétiques des discours misogynes générés par la vérole. Comment la vérole informe-t-elle les représentations du corps féminin ? De quelles ressources les auteurs disposent-ils pour créer des images efficaces, susceptibles de toucher le lecteur et de le rallier à la panique morale et aux grandes entreprises prophylactiques ? La hargne avec laquelle plusieurs hommes attribuent systématiquement la vérole au corps féminin peut-elle être conçue comme une stratégie de déresponsabilisation masculine ? S’inscrit-elle dans une « inculcation de la masculinité » ? Les bons mots et les poèmes qui se multiplient autour de la vérole construisent une homosocialité amusée, faisant du rire un outil mis au service des hommes. L’irruption de la vérole dans la France de la Renaissance n’a sûrement pas renversé les rapports de force entre les sexes, mais elle a contribué à une ré-énonciation vigoureuse de la domination masculine. À l’échelle des textes, l’obscénité, l’invective et l’humiliation apparaissent comme les ressources d’une agressivité masculine décuplée face à une nocuité féminine fantasmée."
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Sommaire
TABLE DES MATIÈRES
REMERCIEMENTS
LISTE DES ABRÉVIATIONS
NOTES SUR L’ORTHOGRAPHE ET LES TRADUCTIONS
INTRODUCTION
État de la recherche
Enjeux Le cas français Pour une histoire de la sexualité vérolée Mal vénérien et mâle Renaissance Chronotopes troublés
Corpus et périodisation
Parcours
PREMIÈRE PARTIE FAÇONNER LA VÉROLE, CONSTRUIRE UNE TOPIQUE AU CARREFOUR DES DISCOURS
Chapitre premier. LE DICTIONNAIRE DE LA VÉROLE
Des baptêmes et des passions Incriminations internationales Stratégie française I Stratégie française II
Maux nouveaux, mots d’hier : risques d’équivoque La vérole en vernaculaire Dénominations sérieuses, dénominations plaisantes
Les images en partage Voyage thérapeutique
Marchandise vérolée
Conclusion
Chapitre II. LE CHOC DE LA NOUVEAUTÉ
Face aux Anciens : (ir)révérences savantes Assimiler Rapprocher : lèpre et vérole Différencier : maladie nouvelle, médecine nouvelle Émerveiller : vérole et modernité
Construire son autorité dans un champ médical troublé Efficacité diagnostique et labyrinthe symptomatologique Thérapeutes et thérapeutiques à l’essai Faut-il préserver du mal ?
Conclusion
Chapitre III. VISAGES ET FIGURES DES VÉROLÉS
Le procès des vérolés Paillards et vérolés : visages d’une menace sociale Le salut est-il dans le mariage ? Corps féminins, corps contagieux ? Des vérolés innocents
Écrire l’expérience des malades Les coûts de la maladie Figurations de la défiguration Une voix poétique nouvelle : le « je » vérolé
Conclusion
DEUXIÈME PARTIE USAGES ET APPROPRIATIONS DE LA VÉROLE
Chapitre IV. JOYEUSETÉS VÉROLIQUES Vérole et vers joyeux Un corpus varié Vérole en contre-textes Des tréteaux aux défilés Le vérolé entre Héraclite et Démocrite La vérole comme force parodique Poèmes préventifs et/ou jeux masculins Narrations vérolées : Rabelais et ses épigones Rabelais et ses vérolés très précieux Reprises et variations facétieuses Conclusion : Le devenir-satirique de la vérole
Chapitre V. VÉROLE POLÉMIQUE
Vérole et stratégie polémique réformée Une maladie endémique de la catholicité Inspecter le corps catholique : l’oeil expert comme ressource polémique. Une vérole iconoclaste Inventivité polémique : Pierre Viret et la vérole Circulations vérolées et identité huguenote
Ripostes et reprises catholiques Une vérole discrète dans le camp catholique Le cas Ronsard, poète et prêtre vérolé Infléchissements politiques : royautés et noblesses vérolées
Conclusion
Chapitre VI. VÉROLE HÉTÉRODOXE
Une matière joyeuse, pérenne et féconde Fariboles de grosse vérole Épanouissements facétieux
La vérole entre essor satirique et Eros satyrique Sanction physiologique Sous légide de Priape et d’Esculape : l’écriture satyrique Splendeurs et misères d’une masculinité satyrique
Conclusion
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
SOURCES Sources manuscrites Sources imprimées
ÉTUDES
INDEX DES NOMS
TABLE DES FIGURES