Colloque international
Dire le vrai dans la culture médiatique (XIXe – XXIe siècles)
Paris, 3 et 4 octobre 2024
Organisé par
GRIPIC (CELSA, Sorbonne Université, Paris)
Chaire de journalisme scientifique Bell (Université Laval, Québec)
Médias 19 (Université aval)
L’époque contemporaine est marquée par une inflation des discours, des dispositifs, des polémiques autour des notions de « vrai » et de « faux ». « Fake news », « théories du complot », « post-vérité », « faits alternatifs », « infodémie », mensonges, aveux, fact checking, etc. sont autant de termes qui peuplent la vie sociale, politique et économique des sociétés contemporaines, et leur ampleur est amplifiée par l’intense circulation médiatique et numérique dont ils sont l’objet, au point d’être considérés comme un problème public à l’échelle transnationale (Pereira et Paz García, 2021). À tel point que la « vérité » semble sans cesse se dérober, comme si elle était désormais introuvable. La science elle-même, qui obéit pourtant à des règles et des normes de production du vrai, n’échappe pas au phénomène, en témoignent les nombreuses polémiques autour de la crise sanitaire mondiale de la Covid et des changements climatiques.
Dans plusieurs de ses écrits, Michel Foucault avait ouvert la voie d’une socio-histoire de la vérité. La notion de vérité s’accompagne chez lui de celle de « régime de vérité » qu’il définit comme suit : « Chaque société a son régime de vérité, sa “politique générale” de la vérité : c’est-à-dire les types de discours qu’elle accueille et fait fonctionner comme vrais ; les mécanismes et les instances qui permettent de distinguer les énoncés vrais ou faux, la manière dont on sanctionne les uns et les autres ; les techniques et les procédures qui sont valorisées pour l’obtention de la vérité ; le statut de ceux qui ont la charge de dire ce qui fonctionne comme vrai » (2001, p. 112). En suivant cette piste, sans pour autant se limiter à la posture foucaldienne, le colloque propose de réfléchir aux « modes fondamentaux du dire-vrai » dans la culture médiatique contemporaine, caractérisée d’un côté par l’exigence de source et de transparence, la quête de vérité et le désir de « réalité » (voire d’« hyper-réalité », voir Deuze, 2006), et de l’autre par la dégradation des faits en opinions (Arendt, 1954 ; Revault d’Allonnes, 2018), la « manipulation de la vérité » à des fins diverses (Charaudeau, 2020 ; Colon, 2021), des phénomènes de croyances amplifiés par les réseaux sociaux (Charaudeau, 2011; Evangelista et Bruno, 2019; Ferrara et al., 2020), conduisant à un brouillage des frontières entre le vrai et le faux et à des batailles incessantes et virulentes autour du « vrai » et du « faux ».
La manifestation entend également s’ouvrir aux enquêtes historiques, qui peuvent permettre de comprendre l’évolution de l’écriture et des représentations du vrai depuis les débuts de l’ère médiatique au XIXe siècle. La culture médiatique se caractérise en effet historiquement par une transformation de la relation au monde et par l’invention de formes de représentations qui ont un rapport fondamental avec ce que l’on considère comme « vrai » de l’expérience humaine dans toutes ses facettes.
Le colloque sera ainsi l’occasion d’analyser les systèmes médiatiques, les « pratiques énonciatives », les « configurations discursives particulières (supports, locuteurs, genres, etc.) », les acteurs et les contextes médiatiques dans lesquels ces « modes du dire vrai » se déploient, autrement dit « de considérer la façon dont se combinent la production de vérité dans les discours et la réception et la circulation de celle-ci » (Guerrier, 2020). Enfin, dans des sociétés traversées et constituées par les images, la réflexion pourra être élargie aux opérations qui visent à « montrer » et à « voir » le vrai, conduisant cette fois à porter l’attention sur la production, la circulation et la consommation des images qui prennent part aux processus de véridiction, aux côtés des énoncés et des discours.
Bien sûr, le colloque laissera ouverte la discussion sur la nature de ce « vrai », terme hautement polysémique, qui pourra par exemple être entendu comme un rapport de conformité à des éléments du monde extérieur, à la traduction d’expériences vécues présentées comme sincères par le fait même qu’elles ont engagé un sujet sensible, ou encore à des réalités sociales qui, en obtenant une certaine visibilité médiatique, accèdent à des formes nouvelles d’existence. Ce sont tous ces rapports au vrai, et tous les processus médiatiques de constructions formelles qui lui sont associés et qui lui donnent sens, qui pourront faire l’objet d’une enquête à caractère historique autant que contemporain.
À partir de ces constats, le colloque pourra se structurer autour de trois grands axes, qu’il ne faut pas concevoir comme des cloisons mais des points de départ et des zones conceptuelles qui peuvent s’entrecroiser :
· Supports médiatiques et construction du vrai : quels rôles les différentes pratiques et technologies médiatiques (journalisme imprimé, radio, télévision, communication numérique…) jouent-elles (ou ont-elles joué) dans la construction du vrai ? En quoi la matérialité des supports, l’évolution des technologies ou encore les contraintes (politiques, sociales, économiques) qui les accompagnent ont-elles joué un rôle fondamental dans les modes de présentation et de perception du vrai ? Comment certaines formes de revendications et de « puissances » de convictions se sont-elles établies autour des différents médias dans leur manière de dire le vrai, et perceptibles dans leur matérialité même ? On se demandera, selon les époques et la prédominance historique de certains médias, comment s’élaborent des formes hégémoniques du « vrai médiatique », ou bien au contraire comment s’orchestrent des dynamiques de transitions et de concurrences, comme on le voit actuellement dans les tensions entre médias et réseaux sociaux, par exemple. Des explorations en direction des liens entre journalisme et intelligence artificielle pourront également être effectuées, notamment dans la capacité de l’IA à générer des discours qui sont souvent considérés à travers les catégories du vrai et du faux.
· Dispositifs énonciatifs et autorité du vrai : on s’intéressera ici, d’une part aux enjeux de légitimité des producteurs médiatiques (rédactions et journalistes au premier chef, mais aussi les communicants et lobbyistes, et enfin tout un chacun - jusqu’aux influenceurs - appelé à produire du « contenu médiatique ») ; et d’autres part, aux figures d’autorité souvent convoquées dans les médias (scientifiques, politiques, témoins, observateurs, experts…). Qui a autorité à dire le vrai en contexte médiatique ? Comment la notion de la vérité est-elle appropriée dans la construction d’un discours identitaire, d’une idéologie par des différents groupes sociaux/professionnels (les journalistes, les documentaristes, les relationnistes, etc.) ? Quels sont les modes de contestation, d’opposition et de remise en question de ces figures d’autorité ? C’est également au contenu même et à sa production qu’on s’intéressera : comment le document, la citation, l’usage de données ou encore des résultats de recherche sont-ils insérés dans les dispositifs médiatiques pour contribuer au vrai ? On se demandera également quels rôles jouent les genres médiatiques dans les formes de l’attestation et de l’exactitude : pensons aux manières de décrire et de raconter le réel en régime médiatique depuis l’invention du reportage, au XIXe siècle, qui s’élabore sur une sorte d’équivalence entre le vrai et la vraisemblance ; aux liens entre textes (ou la parole) et images ; aux effets de montages dans les actualités filmées, à la télévision ou encore dans vidéos disponibles sur les diverses plateformes ; à la poétique de la parole et de l’expérience vécue (récolte de témoignages, modes d’immersion, enquêtes et collectes de données…) ; ou encore aux formes rhétoriques de la sincérité, de l’empathie et de l’émotion médiatique, en ce qu’elles contiennent souvent une visée de persuasion fondée sur une expérience présentée comme véridique. Autrement dit, dans quelle mesure les formes énonciatives et esthétiques comptent-elles dans la production du vrai?
· Réception et consommation du vrai : ce sont ici enfin les enjeux du public, les usages et les modes d’appropriation du vrai qui seront considérés. Au-delà des baromètres qui mesurent la « confiance » et la « fiabilité » des médias en passant par les procédés de décodage, de « débunkage » et de « fact checking » qui visent à contrer la « désinformation », comment les citoyens et/ou consommateurs de médias accueillent-il les documents médiatiques et comment diverses institutions (tribunaux, Conseil de presse au Québec, Arcom en France, Conseil de déontologie journalistique en Belgique, etc.) traitent-elles le respect du « fait » et de la vérité ? Comment la notion de « vrai » médiatique est-elle mobilisée par les publics dans la vie quotidienne et comment est-elle inscrite dans les « usages ordinaires des informations » (Goulet, 2010)? Comment la production de la vérité peut-elle aussi reposer sur des procédures d’interdiction ou d’exclusion ? Comment dire ou montrer le vrai impliquerait de ne pas dire ou de ne pas montrer certaines choses, voire de fabriquer de l’ignorance ? Que sait-on des publics qui considèrent comme radicalement « faux » le discours médiatique ? Comment, enfin, la production du vrai sur les réseaux sociaux obéit-elle parfois à des processus qui visent à fragiliser ou attaquer l'autorité ou la réputation des personnes impliquées dans les échanges ? On pourra donc se demander comment se construisent certains débats, controverses et polémiques autour du vrai et du faux dans les espaces médiatiques, ou encore étudier des phénomènes connexes qui se sont souvent réincarnés à travers le temps (naissance et propagation de rumeurs, manipulations de l’information, soupçons de dissimulation et de corruption de la presse, etc.).
Afin de bien explorer cette problématique à la fois stimulante et complexe qu’est le vrai en régime médiatique, nous invitons les chercheurs et chercheuses d’horizons et de contextes nationaux divers à soumettre des propositions originales afin de croiser les perspectives scientifiques et disciplinaires.
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Soumissions des propositions et modalités pratiques
Le comité acceptera des propositions à dominante théorique et épistémologique comme des propositions articulées autour de l’analyse de cas empiriques ou encore des travaux relevant de démarches de recherche-création. Le colloque se tiendra le jeudi 3 et le vendredi 4 octobre 2024, à Paris (la participation par visio-conférence pourra être étudiée à la demande).
Les propositions de communication en français (nom et prénom, affiliation et statuts universitaires, titre de la communication, et résumé de 500 mots) devront être envoyées avant le 15 mars 2024, à l’adresse suivante : colloque.direlevrai@gmail.com.
La publication des actes de colloque est prévue (les textes seront soumis à expertise scientifique).
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Comité scientifique
Clara Bordier (Sorbonne Université, GRIPIC)
Colette Brin (Université Laval)
Juliette Charbonneaux (Sorbonne Université, GRIPIC)
Emmanuelle Fantin (Sorbonne Université, GRIPIC)
Sophie Corbillé (Sorbonne Université, GRIPIC)
Pascal Froissart (Sorbonne Université, GRIPIC)
Fabio Pereira (Université Laval)
Guillaume Pinson (Université Laval)
Victor Wiard (Université Saint-Louis)
Adeline Wrona (Sorbonne Université, GRIPIC)
Florence Le Cam (ULB)
Juliette de Maeyer (Université de Montréal)
Sandrine Roginsky (Université catholique de Louvain)
Bibliographie indicative
Arendt, Hannah, La crise de la culture, Paris, Gallimard, 1972 (1954).
Bratich, Jack, « Civil Society Must Be Defended: Misinformation, Moral Panics, and Wars of Restoration », Communication, Culture & Critique, vol. 13, no 3, 2010, p. 311-332.
Charaudeau, Patrick, Les médias et l'information. L'impossible transparence du discours, Bruxelles, De Boeck Supérieur, 2011.
Charaudeau, Patrick, La Manipulation de la vérité. Du triomphe de la négation aux brouillages de la post-vérité, Limoges, Lambert-Lucas, 2020.
Colon, David, Les Maîtres de la manipulation. Un siècle de persuasion de masse, Paris, Tallandier, 2021.
Foucault, Michel, Dits et écrits II (1976-1988), Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 2001.
Goulet, Vincent, Médias et classes populaires. Les usages ordinaires des informations, Paris, Ina Éditions, 2010.
Guerrier, Olivier, « Qu’est-ce qu’un "régime de vérité" ? », Les Cahiers de Framespa, no 35 (2020), URL : http://journals.openedition.org/framespa/10067
Deuze, Mark, “What is journalism ? Professional identity and ideology of journalists reconsidered”, Journalism, vol. 6, no4 (novembre 2005), p. 442-464.
Evangelista, Rafael et Bruno, Fernanda, “WhatsApp and political instability in Brazil: targeted messages and political radicalization”, Internet Policy Review, vol. 8, no 4 (2019), URL: https://doi.org/10.14763/2019.4.1434
Ferrara, Emilio, Chang, H., Chen, E., Muric, G., et Patel, J., “Characterizing social media manipulation in the 2020 U.S. presidential election”, First Monday, vol. 25, no 11 (2020), URL: https://doi.org/10.5210/fm.v25i11.11431
Pereira, Fabio H., Paz-García, A. P., “Infodemy, media coverage and scientific misinformation in Brazil and Argentina: comparative analysis”, Future of Journalism Conference, Cardiff, 23-24 septembre 2021.
Revault d’Allonnes, Myriam, La Faiblesse du vrai. Ce que la post-vérité fait à notre monde commun, Paris, Seuil, 2018.
Organisation
GRIPIC (Celsa / Sorbonne Université)
Médias 19 (Université Laval)
Chaire de journalisme scientifique Bell (Université Laval)