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Lire Lanson (Sorbonne Université)

Lire Lanson (Sorbonne Université)

Publié le par Vincent Ferré (Source : Sarah Al-Matary)

Lire Lanson

Sorbonne Université, jeudi 3 et vendredi 4 octobre 2024

Colloque organisé par

Sarah Al-Matary (université Lumière Lyon 2, IUF, UMR 5317 IHRIM),

Alexandre de Vitry (Sorbonne université, UMR 8599 CELLF)

et Stéphane Zékian (CNRS, UMR 5317 IHRIM).

 Qu’il soit fétichisé ou exécré, le nom de Gustave Lanson (1857-1934) ne laisse pas indifférent. Mais derrière les mythologies et les étiquettes commodes - « père de l’histoire littéraire », « fondateur des études littéraires comme discipline » - peut-on mesurer l’empreinte que cette figure du moment 1900 laissa sur les études littéraires ? Depuis l’ouvrage fondateur d’Antoine Compagnon sur l’ascension institutionnelle de Lanson paru il y a tout juste 40 ans[1], de nouveaux travaux ont permis d’inscrire la codification de la discipline littéraire dans la perspective de pratiques antérieures irréductibles au seul régime républicain[2]. Centré sur une période allant du vivant de Lanson jusqu’à nos jours, ce colloque interdisciplinaire explorera la suite de l’histoire en rouvrant le dossier des appropriations contrastées dont fit l’objet une œuvre abondante et polymorphe, aussi influente que controversée. Comment et par qui Lanson, dont on oublie parfois qu’il fut l’un des premiers théoriciens de la réception, a-t-il été lu ? Mieux, dans quelle mesure a-t-il effectivement été lu ? Car s’il « est juste de dire que Lanson n’a jamais eu bonne presse, même de son vivant[3] », il ne le serait guère moins d’ajouter qu’il fut souvent plus jugé que véritablement lu. Le paradoxe est que le constat ne vaut pas moins pour ses héritiers supposés que pour ses adversaires déclarés. Selon Alain Vaillant, « c’est finalement aujourd’hui, peut-être, que le programme de Lanson connaît un début de réalisation, après quelques errements et surtout un long assoupissement[4]. » Mais quels furent les motifs de ces errements et que peut-on légitimement attendre d’un hypothétique réveil de l’histoire littéraire ?

Pour rendre compte des critiques essuyées par cette œuvre, c’est peut-être « toute l’histoire des rapports entre l’université et les autres agents du champ intellectuel qu’il faudrait retracer de la fin du XIXe siècle à nos jours[5] ». Sans prétendre à une telle exhaustivité, on tentera néanmoins de varier les points de vue et les terrains d’enquête, de manière à saisir ce dont Lanson fut le nom au cours d’un long XXe siècle. Nous ferons notamment la part entre la réception des textes et conférences de Lanson lui-même (le professeur ayant eu des auditeurs autant que des lecteurs) et l’héritage communément et peut-être hâtivement désigné sous le nom de lansonisme. En effet, si Lanson « soulève encore, parmi les universitaires, passions et controverses[6] », n’est-ce pas en raison d’approches souvent partielles ou biaisées de son œuvre ? Il convient sans doute de distinguer plusieurs phases de sa réception, et l’on se gardera d’unifier à toute force la trajectoire d’une production multiforme, irréductible à la célèbre Histoire de la littérature française (1894). Autant qu’aux évolutions diachroniques, l’analyse sera donc attentive aux multiples visages d’une œuvre appelant des analyses différenciées selon les lieux et les supports considérés : conférences, cours publiés, manuels de l’enseignement secondaire, comptes rendus, articles de circonstance et chroniques médiatiques ne supposent en effet ni le même régime d’écriture, ni le même lectorat. Que sait-on par exemple, au-delà des sarcasmes de Charles Péguy, de l’écho rencontré par la chronique littéraire que Lanson, à la veille de la Grande Guerre, tenait dans Le Matin et où, sous le titre « Mouvement littéraire. Les idées d’hier et de demain », il rendait compte des parutions du jour dans une forme éloignée des pesanteurs académiques ?

Autour de Lanson

Parmi les publics de Lanson, on aurait tort de négliger la part des femmes. Le professeur, a-t-on pu écrire, était « très attaché à son public de Sévriennes[7] ». Mais a-t-on gardé trace de leur expérience ? Dans quelle mesure adhéraient-elles aux présupposés de celui qui passe, de nos jours, pour « un champion du dénigrement des autrices[8] » et l’un des principaux représentants d’une histoire littéraire misogyne, ce qui lui vaut paradoxalement d’être aujourd’hui souvent mentionné par les féministes ? Par ailleurs, cela fut assez répété, ce professeur inaugura une nouvelle méthode critique : mais qu’entendre exactement par là ? Que dire de ses disciples, adoubés par le maître ou autoproclamés ? Ils forment en effet le noyau d’un groupe qui n’a jamais constitué, au sens strict, une école lansonienne (comme il existe une école durkheimienne – il serait d’ailleurs stimulant de lire en regard L’Année sociologique et la Revue d’histoire littéraire de la France, approfondissant ainsi l’approche comparative mise en œuvre par Remy Ponton[9]), mais qui fut parfois dénoncée pour son esprit de chapelle. En pamphlétaire, Péguy prétend que c’est l’éloge outrancier par son élève Gustave Rudler qui « a rendu M. Lanson si antipathique[10] ». Parmi les disciples, Daniel Mornet (1878-1954) tint longtemps une place centrale. S’il fut sèchement disqualifié par Lucien Febvre pour des raisons en partie stratégiques, le co-fondateur des Annales prit soin d’épargner Lanson qui, lui, savait poser les problèmes, « et parfois excellemment[11]. »

À partir des lectures plus ou moins sélectives faites depuis d’autres disciplines, il serait éclairant d’esquisser un bilan des travaux qui, jusqu’à aujourd’hui, ont accompli une part, fût-elle infime, du programme lansonien : quel champ disciplinaire a entendu l’appel ? Lanson lui-même, on l’a souvent dit, ne réalisa pas le programme qu’il avait esquissé. L’immensité des objectifs affichés les rendait sans doute inatteignables[12]. Mais des raisons relevant de logiques institutionnelles ont aussi pu jouer un rôle. Gravissant les échelons du pouvoir (il dirige notamment l’École normale supérieure à partir de 1919), Lanson se serait cantonné à des travaux plus académiques, voie sur laquelle le suivirent certains épigones. Certains passent pour avoir terni la méthode lansonienne en en revoyant l’ambition à la baisse. En 1965 dans un recueil d’essais republiés pour contrer les lectures de mauvaise foi, Henri Peyre désavouait sans détour « des disciples quelque peu empressés à codifier ses leçons en règles et à oublier que toute méthode ne vaut qu’autant que celui qui l’applique[13] ». Pas toujours inventive, cette descendance a pu faciliter une confusion qui n’est pas restée sans effet sur le statut disciplinaire des lettres vis-à-vis de l’histoire et de la sociologie.

Lanson après Lanson

La postérité de Lanson change-t-elle de physionomie après sa mort en 1934 ? Dans les années 1960, la querelle Barthes-Picard[14], passée à la postérité comme moment de bascule vers une approche structuraliste des textes, tourna pour l’essentiel autour de l’héritage lansonien. Barthes fustige en Picard un épigone tardif de Lanson, un représentant attardé de la vieille critique académique, voire « sorbonnarde », dépassée sur sa gauche par la « nouvelle critique[15] », dans un moment où l’institution universitaire, telle que la IIIe République l’a établie, vacille sur ses bases. Pourtant, dans les premières versions des articles qui aboutiront au Sur Racine, Barthes avait reconnu la nécessité de proposer, en littéraire, une histoire prenant en compte les milieux (familial, scolaire, professionnel) dans lesquels évoluent les écrivains, le public auquel ils s’adressent, mais aussi les formes au moyen desquelles ils s’expriment[16]. Lorsqu’il engageait à débusquer la socialité dans le style, Lanson disait-il radicalement autre chose ? En identifiant le lansonisme à la monographie, ainsi qu’à une approche des textes excluant la sensibilité, le théoricien de la « mort de l’auteur[17] » n’a-t-il pas forgé un adversaire sur mesure en faisant de Lanson, comme Proust avec Sainte-Beuve, une sorte d’épouvantail ? Au plus fort de la querelle, un critique marxiste pouvait d’ailleurs évoquer non sans vraisemblance le « fantôme commode du ‘‘lansonisme[18]’’ ». Est-il aujourd’hui possible de savoir avec précision, à partir des archives, comment Barthes lisait Lanson ? Il ne pouvait ignorer le « Programme d’études sur l’histoire provinciale de la vie littéraire en France[19] », réédité en 1965 sous une forme abrégée, où Lanson formulait certains principes dont la « nouvelle critique » fera son miel, notamment que l’auteur n’est pas dépositaire du sens de l’œuvre. En se plongeant dans le Grand fichier barthésien exploré par Claude Coste, peut-on à sa suite, sans bien sûr « chercher à combler les abîmes[20] », repérer tout de même des affinités souterraines longtemps insoupçonnables ? Michel Sandras n’est pas le seul à rapprocher Lanson des formalistes modernes, contre les dichotomies un peu usées des années 1960 et 1970, tandis qu’Alain Vaillant évoque entre autres prolongements des pistes lansoniennes les enquêtes les plus récentes sur la littérature internationale menées par Franco Moretti ou Pascale Casanova. Tout récemment, Franc Schuerewegen allait encore plus loin en imaginant une correspondance chaleureuse entre Lanson et… Stanley Fish[21]. Surtout, n’est-ce pas le programme de la sociocritique, conduit par Claude Duchet autour de la revue Littérature depuis 1971, qui aura mis en œuvre de la façon la plus poussée, mais sans toujours l’avouer, le programme lansonien ? 

Réelles ou fantasmées, ces descendances resteraient bien sûr à discuter. Leur grande variété suggère au moins que le mépris par ouï-dire n’est plus de mise, et que le temps semble venu d’un inventaire critique auquel ce colloque aimerait contribuer.  

Les résumés (de 300 à 500 mots) avec proposition de titre sont à envoyer pour le 1er mars 2024 conjointement à :

Sarah Al-Matary (almatary76@hotmail.com), Alexandre de Vitry (adevitry@gmail.com) et Stéphane Zékian (stephane.zekian@gmail.com).

 [1] Antoine Compagnon, La Troisième République des lettres. De Flaubert à Proust, Paris, Le Seuil, 1983. Sur la genèse de l’intérêt pour l’histoire de l’histoire littéraire, voir A. Compagnon, Une question de discipline, Paris, Flammarion, 2013, p. 140 et suiv. Sur la discipline littéraire à l’École républicaine, Martine Jey, La littérature au lycée. Invention d’une discipline, 1880-1925, Metz, Centre d’études linguistiques des textes et des discours, Université de Metz, Klincksieck, 1998.
[2] Voir notamment Luc Fraisse, Les Fondements de l’histoire littéraire de Saint-René Taillandier à Lanson, Paris, Honoré Champion, 2002.
[3] Michel Sandras, « La ‘‘prose d’art’’ selon Gustave Lanson », Littérature, n° 104, 1996, p. 115. L’auteur écrit que la nouvelle critique, « si elle l’avait mieux lu, ou plus exactement si elle l’avait lu, […] lui aurait probablement rendu hommage […]. » (nous soulignons)
[4] Alain Vaillant, « L’héritage lansonien et ses contestations », L’histoire littéraire, Paris, Armand Colin, 2010, p. 79-101.
[5] Remy Ponton, « Le positivisme de Lanson », Scolies, n° 2, 1972, p. 63.
[6] Claude Burgelin, « Gustave Lanson », Encyclopædia universalis, en ligne.
[7] Gustave Lanson. 1857-1934, Paris, Société des amis de l’École normale supérieure, 1958, p. 10.
[8] La formule est de Julien Marsay qui, dans La Revanche des autrices. Enquête sur l’invisibilisation des femmes en littérature (Paris, Payot, 2022), consacre un long développement à Lanson « fossoyeur en chef des autrices », également présenté comme « le roi des exceptions-cautions » et       « le cador de la silenciation […] ». J. Marsay s’appuie sur des travaux universitaires, notamment ceux menés sous la direction de Martine Reid dans Femmes et littérature. Une histoire culturelle, Paris, Gallimard, 2020, t. II, XIXe-XXIe siècle, francophonies, p. 23, p. 31-32, p. 42.
[9] Remy Ponton, « Durkheim et Lanson », in Michel Espagne et Michael Werner (dir.), Philologiques I. Contribution à l’histoire des disciplines littéraires en France et en Allemagne au xixe siècle, Éd. de la Maison des sciences de l’homme, 1990, p. 253-267.
[10] Charles Péguy, L’Argent, Les Cahiers de la Quinzaine, XIV-6, 16 février 1913, repris dans Œuvres en prose complètes, édition de Robert Burac, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. 3, 1992, p. 849.
[11] Lucien Febvre, « Littérature et vie sociale. De Lanson à Daniel Mornet, un renoncement ? », Combats pour l’histoire, Paris, Armand Colin, 1953, p. 264.
[12] Jean-Louis Jeannelle, « Histoire littéraire et genres factuels », LHT, Théorie et histoire littéraire, 2005, §12.[13] Henri Peyre, « Présentation », in Gustave Lanson, Essais de méthode, de critique et d’histoire littéraire, Paris, Hachette, 1965, p. 15.
[14] Sur cette querelle, voir entre autres Noémi Hepp, « Quarante ans après un célèbre duel. Retour à Raymond Picard », in Luc Fraisse (éd.), L’Histoire littéraire. Ses méthodes et ses résultats. Mélanges offerts à Madeleine Bertaud, Genève, Droz, 2001, p. 25-36 ; Christophe Prochasson, « Les espaces de la controverse. Roland Barthes contre Raymond Picard : un prélude à Mai 68 », Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle, n° 25, 2007/1, p. 141-155.
[15] Nous reprenons l’expression de Raymond Picard dans Nouvelle critique ou Nouvelle imposture (Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1965), sans ignorer que Barthes prendra ses distances avec cette étiquette.
[16] Roland Barthes, « Histoire et littérature : à propos de Racine », Annales, mai-juin 1960, p. 524-537.
[17] Roland Barthes, « La mort de l’auteur », Manteia, 1968, repris dans Le Bruissement de la langue, Paris, Le Seuil, 1984, p. 63-69.
[18] La formule est de Roger Fayolle dans sa recension de Nouvelle critique ou nouvelle imposture pour la RHLF (janvier-mars 1967, p. 176). Voir aussi son « Bilan de Lanson », in Roger Fayolle, Comment la littérature nous arrive, Jacques Bersani et alii (éd.), Paris, Presses Sorbonne nouvelle, 2009, p. 151-164.
[19] Gustave Lanson, « Programme d’études sur l’histoire provinciale de la vie littéraire en France » (1903), Essais de méthode, de critique et d’histoire littéraire, éd. Henri Peyre, Paris, Hachette, 1965, p. 81-87.
[20] Claude Coste, « ‘‘Notre littérature’’ : genèse d’un projet de Roland Barthes », Genesis, n° 52, 2021, p. 185-198.
[21] Franc Schuerewegen, « L’intentio auctoris, comment et pourquoi (Lanson in America) », Carnets, deuxième série, n° 25, 2023, consulté le 20 juillet 2023.