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Aveugler l'œil du cyclope. Réflexions autour de l’imposture (Chicoutimi)

Aveugler l'œil du cyclope. Réflexions autour de l’imposture (Chicoutimi)

Publié le par Marc Escola (Source : Samuele Ellena)

 APPEL À COMMUNICATIONS

COLLOQUE ÉTUDIANT DU CELAT 2024

Université du Québec à Chicoutimi

1er octobre 2024 

Aveugler l'œil du cyclope

Réflexions autour de l’imposture

Comité organisateur : Marion Bibeau (UQAC), Ibrahima Cisse (UQÀM), Samuele Ellena (UdeM) et Glenda Ferbeyre Rodriguez (UdeM)

Comité scientifique :  Ibrahima Cisse (UQÀM), Samuele Ellena (UdeM), Glenda Ferbeyre Rodriguez (UdeM), Louis Fritz-Gerald (UQÀM) et Émile Laplante (ULaval)

Hors de l’effritement des grands discours émancipateurs et de ses finalités universelles, hors d’un nouvel autoritarisme de la pratique dont la légitimation s’effectue au nom de la préservation de la liberté des approches. L’impossible (im)postures que nous tentons de prendre vient aussi de l’obligation sans cesse envasée d’affronter le défi de la complexité que pose la société post-moderne.  

Lynda Portugais, Premier article du premier numéro de la revue Imposture

 

Traditionnellement, l’imposture est considérée comme un acte éthiquement douteux, consistant à tromper une personne dans le but d'en tirer des avantages. Cependant, nous soutenons que l’imposture est toute une question de perspectives et de miroirs. Rousseau, dans le bien connu essai sur l’inégalité qui structure la société moderne, affirme : « Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. […] Gardez-vous d’écouter cet imposteur ; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n’est à personne. » (1981 : 73). Considérant les inégalités au sein de nos sociétés respectives, où les droits à la parole politique et poétique, à l’instruction et à la mobilité continuent à être octroyés selon des principes économiques, raciaux et de genre, réfléchir sur l’imposture comme une stratégie de renversement n’est-il pas légitime, voire nécessaire ? 

Le colloque étudiant du CELAT prévu le 1er octobre 2024 à l’Université du Québec à Chicoutimi aborde la notion de l’imposture sous différents angles pour mieux la conceptualiser. 

Notre comité des jeunes chercheurs.euses invite non seulement les membres étudiant.es du CELAT mais également toutes les personnes intéressées par ces thématiques, à soumettre des propositions en recherche ou en recherche-création qui pourront alimenter ou inspirer la communauté scientifique dans les axes ci-dessous : 

Axe n° 1 : La représentation de l’imposture dans les arts

De l’évasion d’Ulysse du Cyclope aux prisonniers du gouverneur De Ritis dans Le Menzogne della notte (Bufalino 1988), en passant par le personnage de L’étrange destin de Wangrin (Bâ 1973), voué à Gongoloma Soké, dieu de la ruse, et jusqu'à Kilpatrick, le héros-traître du génie de Borges (1956 : 137-141), la figure de l’imposteur fascine l’imaginaire des auteurs et autrices des quatre coins du monde. 

Dans ce premier axe, nous invitons à rendre compte de la représentation de l’imposture dans la littérature et d’autres formes d’art. Comment ce thème se transforme-t-il selon le lieu et l'époque ? Quelle fonction peut-il remplir dans la construction narrative ou, de manière plus générale, dans la constitution d'un champ culturel spécifique ? 

Une analyse est également proposée de la disparité entre la représentation des imposteurs féminins et masculins. L’absence de la forme féminine du nom « imposteur » dans la langue française relève-t-elle un manque de représentations ou une mise en ombre des artisanes de l’imposture, par une historiographie culturelle encore largement dominée par le monopole masculin ? 

Axe n° 2 : Des agents de l’imposture 

Dans l’avant-propos de L’imposture dans la littérature, Arlette Bouloumié écrit : « L’imposture est une forme de tromperie qui consiste à se faire passer pour ce qu’on n’est pas. Il s’agit d’usurper un nom, une qualité ou une apparence qui ne nous appartient pas. » (2011 : 13). Pourtant, l’imposture n’est pas uniquement l’apanage de la littérature. De nombreux créateurs dans divers domaines y ont recours pour des motivations variées.  Il leur est souvent reproché de ne pas être les véritables auteurs ou de ne pas respecter la norme établie. Dans tous les cas, les accusations d’imposture fournissent des indications précieuses sur la structure du champ culturel en vigueur.

Dans ce deuxième volet, nous vous invitons à contextualiser l’imposture. Quelles sont les raisons qui poussent un.e créateur.trice à adopter l’identité d’un.e autre ou à usurper un statut qui ne lui revient pas de droit ? L’imposture peut-elle être vue comme un acte de résistance, de survie ou même d’art ?

Les auteur.e.s dans les arts visuels, la musique, le cinéma, le théâtre, et d’autres disciplines ont parfois utilisé l’imposture comme une stratégie pour contourner des obstacles institutionnels, culturels ou économiques. Par exemple, le fait qu’un écrivain français ait assumé l’identité de Camara Laye pour publier Le regard du roi (1954) suggère qu’à l’époque en France, « on réclamait le Noir, on ne pouvait pas se passer du Noir, on l’exigeait, mais on le voulait assaisonné d’une certaine façon » (Fanon 2017 : 143), tout en indiquant que les conditions étaient mûres pour l'émergence de la littérature africaine d’expression française.

Si le déguisement en « auteur marginal » est une démarche éthiquement douteuse, lorsque le franchissement se produit dans la direction opposée, l’imposture devient une manière de subvertir la position limitée à laquelle les créateurs et créatrices dits mineurs sont relégués. Lorsqu'un.e artiste est entravé.e par des discriminations raciales, classistes ou de genre, « usurper un nom, une qualité ou une apparence qui ne [lui] appartient pas » n’est-il pas une stratégie d’insubordination moralement acceptable ? 

 Axe n° 3 : Imposture et violence symbolique  

Qu’est-ce que cela signifie, dans les contextes académique et politique que d’agir comme un.e imposteur ? S'agit-il d'utiliser maladroitement des concepts issus d'autres disciplines (Sokal, Bricmont : 1997), ou plutôt de s'approprier la parole de ceux.celles qui ne peuvent pas parler ? Cristopher L. Miller a écrit : « Intercultural literary hoaxes are almost always premised on inequality, and most of them, in their creative pretense, cross a boundary from a realm of greater privilege to one of lesser privilege. […] The “essence” of the minority is tapped and extracted, synthesized and faked. » (2018 : 2) Nous soutenons que le constat du professeur américain élaboré par l’observation du phénomène littéraire devrait être généralisée à tout genre d’appropriation culturelle, y compris celle d’une certaine tradition académique colonisatrice. Comment s’intéresser à ce qui n’est pas canonisé sans reproduire un rapport extractiviste ? Comment s’ouvrir au monde, perforer une bulle sémiotique limitée et limitante, sans que cela se traduise forcément en violence symbolique ? 

Cette violence qui se manifeste dans certaines pratiques académiques n’est pas sans conséquences sur la construction des discours politiques et les pratiques de gouvernance. Silvia Rivera Cusicanqui souligne très bien ce lien lorsqu'elle identifie le rôle dissimulant de la parole dans l’entreprise de domination coloniale : « Dans le colonialisme, il y a une fonction très particulière pour les mots : les mots ne désignent pas, mais dissimulent » (Rivera Cusicanqui, 2010 : 6). Nous pouvons identifier ce phénomène également dans des discours politiques contemporains qui déguisent une volonté réactionnaire avec le langage de la justice sociale. Dans ce contexte où « les mots sont devenus un registre fictionnel, plein d'euphémismes qui voilent la réalité au lieu de la désigner », (Rivera Cusicanqui, 2010 : 6) le langage académique et les discours politiques aident à renforcer des agendas multiculturels qui réaffirment les mêmes schémas de domination néocoloniale. N'est-ce pas là une autre forme d’imposture ?

Trente ans après le succès de la révolution zapatiste, le modèle du « rétro-gardisme » enseigné par le peuple Tojolabales nous fournit un possible chemin à parcourir : un « rétro-gardisme » qui va « demandant et écoutant », au lieu de l’« avant-gardisme » qui va « prêchant et convaincant » (Grosfoguel, 2007 : 75).

Axe n° 4 : L’imposture dans le champ de la muséologie

L’imposture dans le champ de la muséologie est moins documentée et débattue par rapport aux cas d’impostures en philosophie, littérature et sciences. Sous ce rapport, ce quatrième axe vous a été proposé pour réfléchir au rôle des musées et lieux patrimoniaux, de la littérature en muséologie dans la construction et/ou déconstruction de l’imposture. Les exemples d'impostures emblématiques en muséologie, sentiments d’imposture dans la relation entre muséologues, professionnel.les du patrimoine et communautés culturelles locales ainsi que les figures majeures de l’imposture en contexte patrimonial et muséal sont aussi les bienvenus. 

En se fondant sur la vue d’ensemble de l’évolution des musées, par exemple : celle proposée par Krzysztof Pomian (2020, 2021, 2022), cet axe ouvre un débat nouveau et constructif à travers un certain nombre de questionnements : comment peut-on explorer et questionner la présence de l’imposture dans le monde muséal ? Quelles relations la muséographie ou la scénographie entretient-elle avec la représentation de l’imposture muséale ou muséologique ?  Les approches discursives en muséologie aident-elles à couvrir ou à dévoiler des cas impostures ?

Les propositions peuvent porter, sans devoir s’y limiter, sur les pistes de réflexion suivantes :

  • Représentation de l’imposture dans le cinéma, la littérature, l’art plastique, etc.
  • Histoire de l’imposture ou d’une imposture spécifique.
  • Le caractère subversif de l’imposture et de sa participation à la transformation du sens commun. 
  • Théoriser, contextualiser et réévaluer l’imposture.
  • Genrer l’imposture : comment repenser l’imposture à travers la pensée féministe.
  • Déguisement et échange de personne : l’imposture et les études queer.
  • L’imposture en contexte patrimonial et muséal.
  • Diatribe sur l’imposture muséale, réelle ou supposée, par exemple le cas du Buste de Néfertiti.
  • Imposture, politique et gouvernance
  • Imposture discursive
  • Imposture et décolonisation.

Modalités de soumission : 

Les propositions doivent être soumises avant le 15 juillet 2024 à l'adresse suivante : colloque.celat@gmail.com .  

Nous acceptons des présentations de 20 minutes ainsi que des propositions de formats alternatifs, y compris des formats de recherche-création, des performances et des présentations des projets en 10 minutes.

Votre courriel doit comporter les deux documents suivants :

1) La proposition de communication (300 mots maximum) avec le titre de la proposition et le type de communication que vous souhaitez proposer. Ce document doit être anonyme.

2) Dans le même envoi par courriel, soumettre un second document, qui comprend vos nom et affiliation, le titre de votre communication ainsi qu’une brève notice bio-bibliographique (200 mots maximum). 

Le comité organisateur et scientifique invite chaleureusement les participant.e.s du colloque à y assister en présentiel à l’UQAC le 1er octobre 2024.

Pour faciliter votre présence, les frais de déplacement et d’hébergement seront pris en charge par le CELAT, certaines conditions s’appliquent. Toutefois, si pour des raisons légitimes vous êtes dans l’incapacité de vous déplacer, nous serons ravis de vous accueillir en ligne via Zoom pour suivre vos travaux à distance.

Bibliographie indicative : 

Bâ, Amadou Hampaté. L’étrange destin de Wangrin; ou, Les roueries d’un interprète africain. Paris : 10/18, 1973.

Borges, Jorge Luiz. Ficciones. Buenos Aires : Emecé Editores, 1956. 

Bouloumié, Arlette (sous la direction de). L’imposture dans la littérature. Angers : Presses de l’Université d’Angers, 2011.

Bufalino, Gesualdo. Le menzogne della notte. Milano : Bompiani, 1988. 

Fanon, Frantz. Œuvres. Paris : La découverte, 2017. 

Grosfoguel, Ramón. « Descolonizando los universalismos occidentales : el pluri-versalismo transmoderno decolonial desde Aimé Césaire hasta los zapatistas ». El giro decolonial. Reflexiones para una diversidad epistémica más alla del capitalismo global, édité par Santiago Castro-Gómez, Ramón Grosfoguel, 63-78. Bogotà : Siglo del Hombre Editores, Universdidad Central, Instituto de Estudios Sociales Contemporáneos y Pontificia Universidad Javeriniana, Instituto Pensar, 2007.

Laye, Camara. Le regard du roi. Paris : Plon, 1954. 

Miller, Christopher L. Impostors : Literary Hoaxes and Cultural Authenticity. Chicago : The University of Chicago Press, 2020.

Millet, Anne & Portugais, Lynda (sous la direction de). Imposture. A propos d’art : écrits et images. N. 1, 1988.

Pomian, Krzysztof. Le musée une histoire mondiale. I. Du trésor au musée. Paris : Gallimard, 2020. 

Pomian, Krzysztof. Le musée une histoire mondiale. II. L’ancrage européen, 1789-1850. Paris : Gallimard, 2021.

Pomian, Krzysztof. Le musée une histoire mondiale. III. À la conquête du monde, 1850-2020. Paris : Gallimard, 2022.

Rivera Cusicanqui, Silvia. Ch’ixinakax utxiwa Una reflexión sobre prácticas y discursos descolonizadores. Buenos Aires : Tinta Limón, 2010.

Rousseau, Jean-Jacques. Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes. Paris : Nathan, 1981.

Sokal, Alan & Bricmont, Jean. Impostures intellectuelles. Paris : Éditions Odile Jacob, 1997. 

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