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Le style : de l'individuel au collectif, XIXe-XXIe s. (Rouen & Beyrouth)

Le style : de l'individuel au collectif, XIXe-XXIe s. (Rouen & Beyrouth)

Publié le par Marc Escola (Source : Laetitia Gonon)

Appel à contributions pour deux journées d’étude

24 mars 2025 (Université de Rouen Normandie) & 17 juin 2025 (Université Saint-Joseph de Beyrouth)

Souvent perçu comme la marque de l’individualité de l’auteur, le style serait ce à travers quoi s’exprime sa subjectivité, ce par quoi s’affirme son originalité, dans l’écart par rapport à une norme établie. C’est ainsi qu’a souvent été comprise la célèbre formule de Buffon : « Le style est l’homme même[1] », prononcée lors de son discours de réception à l’Académie française en 1753[2]. On peut penser aussi au concept d’« étymon spirituel » de Leo Spitzer, particulièrement centré sur la singularité d’un style et sur l’analyse interne d’une œuvre, coupée de toute dimension psychologisante.

Le style d’une œuvre peut néanmoins être aussi étudié, et il l’est de plus en plus, dans sa dimension collective, dans les rapports qu’il entretient avec – liste non exhaustive – une langue, une époque, un genre ou un courant littéraire. C’est dans ce sens que vont par exemple les travaux de Gilles Philippe, qui examine le style dans son évolution historique : le concept de « moment », défini comme « la congruence nécessairement incomplète et temporaire des sensibilités langagières, des exigences esthétiques et des pratiques stylistiques[3] », permet de mettre en relation un style individuel avec une tendance plus globale. Dans cette perspective, il s’agit de trouver dans les œuvres particulières les traces d’un contexte discursif contemporain. Se pose alors la difficile question des rapports entre individuel et collectif dans une œuvre donnée. Anne Herschberg Pierrot le souligne dans un article de Littérature, où elle porte un regard critique sur le livre de Gilles Philippe, Pourquoi le style change-t-il ? : « L’une des difficultés que traverse le livre, et qui est une question massive, concerne […] les modalités de rencontre entre l’individuel et le collectif, entre la prose singulière et les normes stylistiques, les changements stylistiques et les changements esthétiques, qui n’est pas élucidée et qui est effectivement complexe[4] ». Cette remarque résume bien la question centrale de ces journées d’étude. 

Les rapports entre style individuel et style collectif peuvent en effet être pensés de diverses manières. On peut ainsi s’interroger sur le processus de création d’un style individuel, sur ce qui le caractérise, dans l’écart par rapport à une norme, que celle-ci se situe dans la langue, dans un courant littéraire, dans le genre, etc., ou dans l’écart par rapport à un imaginaire du style[5]. Il s’agirait aussi d’étudier le processus de stylisation, tel que le théorise Anna Jaubert, processus dynamique qui va de la langue au discours, en conservant donc l’idée d’une continuité de l’une à l’autre. Étudier les rapports entre style individuel et collectif, c’est donc étudier les rapports qu’ils entretiennent, de continuité, d’exemplarité ou de tension, non d’ailleurs qu’il existe un style entièrement personnel – le lien entre individuel et collectif relevant davantage d’une circularité peut-être inextricable.

Une approche inverse consisterait à étudier l’effacement du style individuel au profit de la recherche d’une universalité idéale. Dans le discours déjà cité qu’il prononce à l’Académie française, Buffon écrit aussi : « Un beau style n’est tel en effet que par le nombre infini des vérités qu’il présente ». Le style a ici partie liée avec ce qui semble, de premier abord, étranger au style, relevant d’une autre sphère, celle de la vérité – ce pour quoi les questions stylistiques peuvent être aussi au cœur de la réflexion philosophique. C’est dans le même ordre d’idées qu’il faut comprendre la recherche chez Flaubert d’un idéal stylistique : « J’ai en moi, et très net, il me semble, un idéal (pardon du mot), un idéal de style, dont la poursuite me fait haleter sans trêve[6] », idéal lié d’une part à une volonté de précision scientifique, dans un style « rythmé comme le vers, précis comme le langage des sciences[7] » et d’autre part à une volonté de se conformer à une norme qui serait universelle du bien écrire ». Il ne s’agit pas ici d’une ambition absolutiste de mettre en place un unique modèle de perfection stylistique. L’écriture de Flaubert évolue. Mais c’est au fil de la recherche d’un idéal stylistique. Dans son analyse du Dictionnaire des idées reçues, Anne Herschberg Pierrot souligne la dimension universelle à laquelle Flaubert s’efforce d’atteindre selon elle dans cette œuvre : « L’une des forces stylistiques de ce Dictionnaire est […] d’effacer son historicité – l’historicité de sa genèse, de ses références, de sa construction – mimant par là-même l’aspect détaché d’évidence naturelle de la doxa[8] ». 

Une autre manière d’aborder les questions de style en lien avec le collectif consiste à étudier les rapports entre le style et ses effets possibles en-dehors du strict champ de la littérature. De quelle manière la stylistique peut-elle aborder les fluctuations des sensibilités, la modification des points de vue et des valeurs qu’impliquent les œuvres ? On fait l’hypothèse que le style d’une œuvre, comme d’ailleurs celui d’une époque ou d’un courant donné, selon des modalités qui sont encore difficiles à saisir, agit sur la collectivité : il aurait une valeur performative. On trouve cette idée chez Platon, dans La République : « On ne peut toucher aux formes de la musique sans ébranler les plus grandes lois des cités » (La République, IV). Elle est reprise au XXe siècle par Ginsberg : « When the modes of the music change, the walls of the city shake » – qui lui donne néanmoins une inflexion plus résolument révolutionnaire. On peut penser aussi à cette formule de Jacques Roubaud, dans La Vieillesse d’Alexandre, qui établit un lien très clair entre un élément stylistique et une structure sociale, extérieure à la littérature : alexandrin = ordre social. Il en donne un exemple notamment dans son analyse du poème de Rimbaud, « Qu’est-ce pour nous mon cœur ? », où est pratiquée une destruction systématique de l’alexandrin, dans un poème appelant à la révolution, écrit à la suite des événements de la Commune. Il ne s’agit pas seulement ici d’étudier le style personnel de Rimbaud, mais d’examiner la manière dont un élément stylistique donné dans son œuvre – commun d’ailleurs à d’autres œuvres – peut être en lien avec des transformations d’ordre social. Le style littéraire peut donc renvoyer à quelque chose d’extérieur à la littérature, à un imaginaire collectif qu’il contribue à créer, à une structure sociale qu’il subvertit, à une sensibilité d’époque qu’il institue. Dans cette perspective, le style peut aussi être analysé dans son rapport aux sciences humaines, dans son effet sur ce qui se trouve hors des strictes limites de la langue et de la littérature, « afin de réinscrire avec force la réflexion esthétique au cœur des sciences humaines[9] ». Ainsi, le texte littéraire est détenteur d’un pouvoir que nous appellerons « performatif », dans la mesure où les différentes formes stylistiques sont aptes à modifier les sensibilités, les points de vue, ainsi que les valeurs véhiculées par une société et une époque donnée. 

La réflexion pourrait s’appuyer sur les axes suivants : 

  • Les modalités de rencontre entre style individuel et style collectif.
  • Les rapports de continuité ou de discontinuité entre individuel et collectif, mais aussi entre « langue littéraire » et « langue commune ».
  • La philosophie du style flaubertien et son inscription dans la modernité stylistique du XIXe siècle.
  • La dimension « performative » du style, sa capacité à transformer les valeurs, son aspect révolutionnaire ou subversif.

Les deux journées d’étude se proposent de revenir sur ces questions à partir des écrits des XIXe au XXIe siècles :

  • La journée prévue à Rouen serait l’occasion d’étudier, autour de Flaubert mais sans s’y restreindre, les rapports entre style individuel et collectif au XIXe siècle, les mythes d’un style personnel aux grands auteurs et les tensions que ces imaginaires entretiennent aussi avec la langue de l’époque, de plus en plus diffusée par l’imprimé, en particulier journalistique.
  • La journée prévue à Beyrouth permettrait de se pencher sur le devenir de ces questions à l’époque contemporaine, en se penchant par exemple sur l’inscription des discours autres dans un style auctorial qui refuse parfois de se dire « littéraire », ainsi que sur la dimension performative du style, et son inscription dans le domaine des sciences humaines, aux lisières de la « littérature » instituée.

Les propositions de communication (300 à 500 mots) sont à adresser à :

Laetitia Gonon (laetitia.gonon@univ-rouen.fr), Stéphanie Jabre (stephanie.jabre@usj.edu.lb),

Yvonne Saaybi (yvonne.saaybi1@usj.edu.lb) et François Vanoosthuyse (vanoosthuyse.f@gmail.com),

avant le 6 janvier 2025.

Bibliographie indicative

ADAM, Jean-Michel, Le Style dans la langue, Lausanne, Delachaux et Niestlé, 1997.
BALLY, Charles, « Impressionnisme et grammaire », in Mélanges Bernard Bouvier, Genève, Sonor, 1920.
BARTHES, Roland, Le Degré zéro de l’écriture, Paris, Seuil, coll. « Essais », 1972.
BOILEAU-DESPREAUX, Nicolas, L’Art poétique, Cobourg, G. Sendelbach éditeur, 1874.
BORDAS, Éric, Balzac, discours et détours. Pour une stylistique de l’énonciation romanesque, Toulouse, PUM, 1997.
« Style ». Un mot et des discours, Paris, Kimé, 2008.
– « Que serait une sociostylistique ? », COnTEXTES, n° 18, « Sociologie du style littéraire », 2016.
BOUYER, Sylvain, « L’art de l’ambiguïté » Littérature, n° 111, octobre 1977, p. 71-86.
CABANÈS, Jean-Louis, « La psychologie des styles : une traversée des signes », Romantisme, n° 148, Paris, 2010.
CAHNÉ, Pierre, MOLINIÉ, Georges, Qu’est-ce que le style ?, Paris, PUF, 1994.
COMBE, Dominique, La Pensée et le Style, Paris, Éditions Universitaires, coll. « Langage », 1991.
– « La stylistique des genres », Langue française, n° 135, 2002, p. 33-49.
DÜRRENMATT Jacques, Bien coupé mal cousu, Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes, 1998.
– « “Le style est l’homme même”. Destin d'une buffonnerie à l’époque romantique », Romantisme, n° 148, 2010, p. 63-76.
GARDES-TAMINE, Joëlle, La Stylistique, Armand Colin, Paris, 2001.
GENETTE, Gérard, Esthétique et poétique, Paris, Seuil, 1992.
GONON, Laetitia, « Le fait divers dans la fiction contemporaine : approches stylistiques », « Introduction », Recherches & Travaux, n° 92, 2018.
– « Le style pour blâmer le style (1870-1920) », COnTEXTES, n° 18, « Sociologie du style littéraire », 2016.
HAGEGE, Claude, Le Français et les siècles, Paris, Éditions Odile Jacob, 1987.
HERSCHBERG PIERROT Anne, Stylistique de la prose, Paris, Belin, 2003.
– « Stylistique historique et style des œuvres. À propos de Gilles Philippe : Pourquoi le style change-t-il ? », Littérature, n° 204, 2021.
– « Le Dictionnaire des idées reçues, les dictionnaires, et Bouvard et Pécuchet », Revue Flaubert, « Flaubert, le Dictionnaire et les dictionnaires », n° 19, Biagio Magaudda dir., 2021, Centre Flaubert [en ligne].  https://flaubert.univ-rouen.fr/labo-flaubert/archives-de-la-revue-flaubert/revue-flaubert-n19-2021/le-dictionnaire-des-idees-recues/le-dictionnaire-des-idees-recues-les-dictionnaires-et-bouvard-et-pecuchet/
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MACÉ, Marielle (dir.), Critique, n° 752-753, 2010.
MOLINIÉ, Georges, Style, langue et société, Paris, Honoré Champion, 2015.
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PHILIPPE, Gilles, Le Rêve du style parfait, Paris, PUF, 2013.
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Pourquoi le style change-t-il ?, Bruxelles, Les Impressions Nouvelles, coll. « Réflexions faites », 2021.
Une certaine gêne à l’égard du style, Bruxelles, Les Impressions nouvelles, 2024.
PHILIPPE, Gilles, PIAT, Julien, La Langue littéraire, Une histoire de la prose en France de Gustave Flaubert à Claude Simon, Paris, Fayard, 2009. 
POPOVIC, Pierre, Imaginaire Social et folie littéraire, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2008.
SAINT-GERAND, Jacques-Philippe, « Entre nébulosité et évidence, le style d’auteur », Romantisme, n° 148, Dunod, 2010.
SPITZER, Léo, Études de style, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1970.
VÉRON, Laélia, avec ABIVEN, Karine, Trahir et venger. Paradoxes des récits de transfuges de classe, Paris, La Découverte, coll. « Cahiers libres », 2024.
VAILLANT, Alain, « Modernité, subjectivation littéraire et figure auctoriale », Romantisme, n° 148, 2010. 

 


 
[1] Georges-Louis Leclerc, Comte de Buffon, « Discours sur le style », Discours prononcé à l’Académie française par M.de Buffon le jour de sa réception le 25 août 1753, consulté sur https://www.academie-francaise.fr/discours-de-reception-du-comte-de-buffon.
[2] Voir à ce sujet l’article de Jacques Dürrenmatt, « “Le style est l'homme même”. Destin d'une buffonnerie à l’époque romantique », Romantisme, n° 148, 2010, p. 63-76. URL : https://www.cairn.info/revue-romantisme-2010-2-page-63.htm
[3] Gilles Philippe, Pourquoi le style change-t-il ?, Bruxelles, Les Impressions Nouvelles, coll. « Réflexions faites », 2021, p. 245.
[4] Anne Herschberg Pierrot, « Stylistique historique et style des œuvres. À propos de Gilles Philippe : Pourquoi le style change-t-il ? », Littérature, n° 204, 2021, p. 114-123. URL : https://www.cairn.info/revue-litterature-2021-4-page-114.htm
[5] Laetitia Gonon, « Le style pour blâmer le style (1870-1920) », COnTEXTES, n° 18, 2016, URL : http://journals.openedition.org/contextes/6257. Voir aussi le gauchissement volontaire de la « langue littéraire » chez un auteur comme Gracq après Le Rivage des Syrtes.
[6] Gustave Flaubert à Ernest Feydeau, Lettre du 6 août 1857, consultée sur https://flaubert.univ-rouen.fr/correspondance/correspondance/6-ao%C3%BBt-1857-de-gustave-flaubert-%C3%A0-ernest-feydeau/?tab=from&year=1857&person_id=106.
[7] Gustave Flaubert à Louise Colet, Lettre du 24 avril 1852, consultée sur https://flaubert.univ-rouen.fr/correspondance/correspondance/24-avril-1852-de-gustave-flaubert-%C3%A0-louise-colet/?year=1852&theme_id=82&person_id=229.
[8] Anne Herschberg Pierrot, « Le Dictionnaire des idées reçues, les dictionnaires, et Bouvard et Pécuchet », Revue Flaubert, « Flaubert, le Dictionnaire et les dictionnaires », n° 19, Biagio Magaudda dir., 2021, Centre Flaubert [en ligne]. https://flaubert.univ-rouen.fr/labo-flaubert/archives-de-la-revue-flaubert/revue-flaubert-n19-2021/le-dictionnaire-des-idees-recues/le-dictionnaire-des-idees-recues-les-dictionnaires-et-bouvard-et-pecuchet/ 
[9] Marielle Macé, « Extension du domaine du style », Critique, n° 752-753, 2010, p. 3-5. URL : https://www.cairn.info/revue-critique-2010-1-page-3.htm.