
Poétique du stade. Banderoles, chants et cris de supporters
Université de Namur, 12 juin 2025
De Madame Ex d’Hervé Bazin à Dans la foule de Laurent Mauvignier et du Martyre d’un supporter de Maurice Carême aux Malchanceux de Brian Stanley Johnson, en passant par une foule de récits signés par des auteurs et autrices tels que Yamina Benahmed Daho, Péter Esterházy et David Peace, le stade de football a souvent fait l’objet de représentations romanesques disant tantôt la passion et les travers suscités par le sport, actualisant tantôt son chronotope spécifique par des jeux d’antithèse (entre les clans de supporters, entre les marques d’adhésion et celles d’hostilité, entre les moments de ferveur et ceux d’abattement silencieux, etc.) pour conférer une dimension épique à l’action qui se passe sur le terrain.
Au-delà de la prise en charge fictionnelle du stade, cette journée d’étude de l’Observatoire des Littératures Sauvages (OLSa, UNamur) sera consacrée à ce que le stade, lui-même, raconte, aux discours qu’il abrite et fait germer, aux formes et imaginaires qui se développent en son sein et accompagnent le jeu. Ceux-ci sont avant tout le fait des supporters, qui, loin de l’image du consommateur aliéné ou du spectateur passif battue en brèche par les cultural studies et les fans studies, s’engagent dans une énonciation collective en s’appuyant sur une encyclopédie d’initiés impliquant codes, techniques et savoir-faire. Oralement, ces discours se concrétisent par des cris et des chants, lancés dans des conditions spécifiques et à des rythmes bien définis par des représentants choisis au sein des collectifs d’ultras. Par écrit, ils sont accueillis sur des bâches, banderoles, drapeaux, écharpes et, parfois, dans des fanzines. Parce qu’ils marquent les esprits et sortent parfois du stade pour faire les gros titres de l’actualité, les discours de supporters les plus célèbres sont ceux qui misent sur l’affrontement : ceux qui activent cette rhétorique agonistique misent souvent sur l’injure et l’excès (qu’on pense à l’exemple célèbre de la banderole déployée par le kop des Boulogne Boys durant la finale de Coupe de la ligue opposant Lens au PSG, en mars 2008 — « « Pédophiles, chômeurs, consanguins : Bienvenue chez les Ch'tis » —, mais aussi aux saillies qui émaillent chaque derby), tout en ayant beau jeu de se dédouaner des accusations de violence, de sexisme ou d’homophobie en invoquant le folklore et l’humour. Au stade est aussi lié un répertoire de chants, plus ou moins stable et plus moins identifiable (ainsi du You’ll Never Walk Alone à Liverpool ou des Corons à Lens) qui, au sein de chaque club, peut se nourrir d’apports extérieurs (on ne compte plus les reprises et adaptations du Horto Magiko, hypotexte né au Panathinaikos et qui a engendré une vaste filiation) et de réactions à des circonstances ponctuelles (« We lose every week, you’re nothing special ! » entonnent parfois, avec autodérision, les supporters d’équipes anglaises vivant une saison difficile pour tempérer l’enthousiasme de leurs adversaires).
Si ces formes d’expression sont le plus souvent consacrées à encourager une équipe et dédaigner son adversaire, elles peuvent prendre parfois un tour plus politique, en dépit de la culture apolitique du sport souvent revendiquée par ses acteurs. Elles ciblent alors volontiers les dirigeants du club et leur gestion, les autorités sportives ou les dispositifs répressifs et sécuritaires mis en place pour contenir ces manifestations. C’est sans doute que supporters et militants se ressemblent plus qu’ils ne le pensent et se nourrissent de nombreux emprunts mutuels, qui explique que le stade soit, depuis plus d’un siècle, un lieu de contestation politique important, bien au-delà des enjeux sportifs, comme l’a montré Mickaël Correia dans son Histoire populaire du football en s’intéressant notamment au rôle des ultras égyptiens durant les Printemps arabes ou à la lutte contre le Franquisme chez les supporters du FC Barcelone, et comme le confirment encore aujourd’hui les témoignages de soutien à Gaza venues de différentes tribunes du monde entier. Le stade dessine ainsi un espace énonciatif ambivalent, un lieu d’expression collectif à la fois libre, potentiellement transgressif et fortement contraint, un exutoire sous triple surveillance, à la fois sportive (en Belgique comme en France, un arbitre peut arrêter un match en cas de manifestation raciste ou homophobe dans les tribunes), policière et médiatique. S’y produit alors une littérature doublement sauvage, par ses formes et ses supports (matériaux de fortune, fabrication artisanale, objets éphémères), mais aussi par ses contenus et ses manifestations, perçus comme incontrôlables, pulsionnels et grégaires, et donc souvent disqualifiés et délégitimés.
La journée d’étude « Poétique du stade : banderoles, chants et cris de supporters » vise ainsi à étudier l’ensemble de ces discours produits dans le stade et à en interroger la poétique, les conditions pratiques de fabrication, de diffusion et de circulation et les enjeux sociaux et politiques qui s’y rattachent : quels registres discursifs sont actualisés par les discours des supporters ? Quelles microfictions esquissent-ils ? Quels sont leurs rythmes ? Comment fabrique-t-on un tifo ? Qui sont ceux qui prennent en charge sa réalisation ? Comment les chants s’enseignent-ils ? Quelles références culturelles mobilisent-ils ? Quelles adhésions politiques traduisent-ils ? Comment circulent-ils ?
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Les propositions de contribution (environ 500 mots, accompagnés d’une biobibliographie) peuvent être adressées à jmarcbaud@gmail.com et denis.saint-amand@unamur.be pour le 15 janvier 2025.
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Bibliographie sélective
Fabien Archambault, Stéphane Beaud et William Gasparin, Le Football des nations. Des terrains de jeu aux communautés imaginées, Paris, Publications de la Sorbonne, 2016
Gary Armstrong, Football Hooligans. Knowing the Score, Oxford, Berg, 1998
Philippe Artières, La Banderole. Histoire d’un objet politique, Paris, Autrement, 2013
Jean-Charles Basson, Ludovic Lestrelin, « Pour une sociologie politique du supportérisme. Penser le militantisme et la partisanerie des supporters de football en Europe », in Thomas Busset, Roger Besson, Christophe Jaccoud (dir.), L’autre visage du supportérisme. Autorégulations, mobilisations collectives et mouvements sociaux, Peter Lang, 2014, p. 21-40
Jean-Marc Baud, Vincent Bierce et Raphaël Luis (dir.), Mythologies sportives d’aujourd’hui. Le football et ses langages, Paris, Hermann, « Échanges littéraires », 2021
Franck Berteau, Le Dictionnaire des supporters, Paris, Stock, 2013
Christian Bromberger, « Sur les gradins, on rit… aussi parfois. Facétie et moquerie dans les stades de football », Le monde alpin et rhodanien, n° 3-4, 1988, p. 137-156. URL : https://www.persee.fr/doc/mar_0758-4431_1988_num_16_3_1390
Mickaël Correia, Une histoire populaire du football, Paris, La Découverte, 2018
Jacques Defrance, « La politique de l’apolitisme. Sur l’autonomisation du champ sportif », Politix, n° 50, p. 13-27. URL : https://www.persee.fr/doc/polix_0295-2319_2000_num_13_50_1084.
Paul Dietschy, Histoire du football, Paris, Perrin, 2010
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Médéric Gasquet- Cyrus,« Le stade Vélodrome de Marseille. Une approche sociolinguistique », Skholê. Cahiers de la recherche et du développement, n° 10, 1999, p. 121-161
Bérangère Ginhoux, Les Ultras. Sociologie de l’affrontement sportif et urbain, thèse de doctorat en sociologie et anthropologie politique, université Jean-Monnet de Saint-Étienne, 2013
Nicolas Hourcade, « Les expressions racistes des supporters de football français depuis les années 1980 », in Claude Boli, Marianne Lassus et Patrick Clastres (dir.), Le Sport en France à l’épreuve du racisme, Paris, Nouveau Monde éditions, 2015
Ludovic Lestrelin, « Par le détour de l’humour. Le rire dans les groupes de supporters de football », Terrain, 2020. URL : http://journals.openedition.org/terrain/20858
Ludovic Lestrelin, Sociologie des supporters, Paris, La Découverte, 2022
Rex Nash, « Contestation in Modern English Professional Football : The Independent Supporters Association Movement », International Review for the Sociology of Sport, vol. 35, n° 4, 2000. URL: https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/101269000035004002
Dino Numerato, Football Fans, Activism and Social Change, Abingdon, Routledge, 2019
Denis Saint-Amand (dir.), Les Écrits sauvages de la contestation, Fabula, Le Fond de l’air, 2023. URL : https://www.fabula.org/colloques/sommaire9277.php