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L’humour et le rire dans la littérature et les arts de la Caraïbe

L’humour et le rire dans la littérature et les arts de la Caraïbe

Publié le par Marc Escola (Source : Charline Dossat)

Dans le cadre de ses rencontres annuelles, la prochaine journée d’étude de l’association CARACOL (Observatoire des littératures caribéennes) aura lieu les jeudi 10 et vendredi 11 avril 2025, en présentiel, à l'Université de Poitiers.

Cette 7e rencontre de l’association sera consacrée à l’humour et au rire dans les arts et la littérature caribéenne, un thème souvent absent des travaux critiques et des théories littéraires portant sur la Caraïbe. Au regard de la violence de l’histoire coloniale de l’archipel et des événements récents qui menacent les populations et leur environnement (changement climatique, inégalités croissantes, migration économique, instabilité politique), il n’est pas étonnant que l’humour et le rire aient été quelque peu oubliés au sein des études caribéennes. Pourtant, les quelques ouvrages critiques consacrés à cette question nous rappellent que l’humour occupe une place constitutive dans les cultures de la Caraïbe : depuis les contes animaliers de Compère Lapin et d’Anancy jusqu’au calypso et aux textes contemporains d’Ana Menendez, de Dany Laferrière ou de Jamaica Kincaid, l’ironie, la satire, la farce, le grotesque et autres formes d’humour sont omniprésents dans les productions culturelles de la Caraïbe.

L’ambition de cette journée d’étude n’est pas de mener un travail de classification mais d’étudier et de questionner le rôle spécifique (à la fois esthétique, politique et culturel) de l’humour dans les arts et les littératures de la Caraïbe. Nous nous intéresserons ainsi aussi bien au rire qu’à l’humour, aux blagues, histoires drôles et jeux de mots qu’à la satire, la dérision et l’ironie.

Il s’agira d’interroger l’existence d’une forme d’humour spécifiquement caribéenne : peut-on identifier des traits communs à l’humour dans les différents pays de l’archipel et dans la diaspora caribéenne ? Existe-t-il une “comédie créole” (Gurrieri), un genre littéraire caribéen qui reflète les identités créolisées de l’archipel ? Ou bien peut-on distinguer différentes sortes d’humour, différentes manières de rire en fonction des pays et des aires linguistiques ?

Oralité

L’oralité étant un mode privilégié d’expression dans la Caraïbe (Brathwaite), on étudiera les caractéristiques esthétiques de l’humour comme outil discursif. Il s’agira d’explorer la matérialité de l’oralité, de la musicalité et des sonorités dans le divertissement, et de voir quelles capacités le blagueur ou la blagueuse mobilisent pour provoquer l’hilarité. 

On pourra également envisager la dimension rituelle de l’humour lorsqu’il prend les formes orales du conte ou de la blague, et son rôle dans la création ou l’imagination d’une communauté.

Perspectives transculturelles : circulation et créolisation de l’humour

Cette rencontre sera aussi l’occasion de s’interroger sur la circulation de l’humour caribéen ainsi que sur ses origines. Comment l’humour circule-t-il au sein de la Caraïbe et en dehors de l’archipel ? Sam Vásquez nous rappelle que l’humour caribéen est intrinsèquement diasporique puisque certaines traditions orales africaines ont survécu à la traversée de l’Atlantique et ont continué d’évoluer dans les Amériques (comme la figure du trickster par exemple). L’humour dans la Caraïbe, comme beaucoup d’autres pratiques culturelles, provient de la créolisation. La circulation pose également la question de la traduction : peut-on traduire l’humour d’une langue à une autre ? (comme l’étudie Martine Silber dans l’article du Monde intitulé « La farce amère de Brecht traduite en créole »).

Fonction politique de l’humour

Les communications pourront également porter sur la fonction politique de l’humour dans la Caraïbe puisque ce dernier peut être employé comme outil de contestation de l’autorité (néo)coloniale. Si le rire n’a pas prise sur les événements, il peut cependant créer un espace de liberté pour le sujet dominé qui découvre dans l'exercice du rire sa capacité de tourner un pouvoir autoritaire hégémonique (colonial ou autre) en ridicule. Le rire ouvre ainsi la voie au démantèlement de l'idéologie dominante.

On pourra ainsi étudier la subversion des normes linguistiques par l’humour (par des jeux de mots ou par la transformation phonétique des langues européennes), ainsi que la remise en question des normes sociales, notamment par la mise en exergue subversive de ce que Bhabha nomme mimicry, un mimétisme qui opère une déformation comique des modèles coloniaux. Cette subversion par l’humour s’exprime aussi pleinement dans la tradition du carnaval, l’occasion d’une transgression politique ritualisée où les rôles du dominant et du dominé sont momentanément inversés. 

On pourra aussi, au contraire, s’intéresser à un usage de l'humour et de l'ironie comme des manières de court-circuiter des lectures "sur-politiques" des littératures caribéennes en exposant (ou en feignant) la légèreté face à un esprit de sérieux présenté comme asphyxiant (comme le revendique par exemple Maryse Condé dans ses entretiens avec Françoise Pfaff).

Il sera également possible, dans la lignée des études de genre, d’analyser l’humour comme outil féministe, permettant l’exploration et la performance d’identités et de sexualités féminines et non-hétéronormatives.

Perspectives génériques et transmédiales

Quelles déclinaisons de l’humour peut-on trouver selon le type de texte (romans ou nouvelles, littérature jeunesse, corpus poétiques et théâtraux) et quelle place la littérature occupe-t-elle dans la construction d’un imaginaire commun autour du rire ? Comment l’humour est-il véhiculé par d’autres supports (graphiques, cinématographiques, musicaux pantomime) ? Quelles sont les productions artistiques choisies pour faire rire ?

Les communications pourront porter sur des genres littéraires et artistiques variés. Elles pourront proposer l’étude d’un corpus textuel ou intermédial pluriel, aussi bien que du travail d’un.e seul.e auteur.ice. Les perspectives comparatistes sont bienvenues, ainsi que le suggèrent les axes de travail, et le dialogue avec d’autres disciplines.

Modalités de soumission des propositions

Les propositions (500 mots max), accompagnées d’une brève bio-bibliographie, sont à envoyer par courriel avant le 15 décembre à l’adresse suivante : caracol.je.2025@gmail.com

Modalités de participation

Les participant.e.s devront s’acquitter d’une cotisation à l’association CARACOL, d’un montant minimum de 10 euros. Les frais de déplacement et d’hébergement sont à la charge des laboratoires de rattachement des participant.e.s, ou, le cas échéant, des participant.e.s eux-mêmes. La journée d’étude se tiendra essentiellement en présentiel, afin de faciliter les rencontres et les échanges.

Bibliographie :

Alston, Gwendolyn, La Mirada ironica: la expresion de la identidad en la novela caribeña contemporanea, Thèse de doctorat, Universidad Complutense de Madrid, 2000.

Bhabha, Homi, The Location of Culture, Londres, New York, Routledge, 1994.

Bergson, Henri, Le Rire. Essai sur la signification du comique, Paris, PUF, 1940.

Brathwaite, Kamau. History of the Voice: The Development of Nation Language in Anglophone Caribbean Poetry, Londres, New Beacon Books, 1984.

Clerfeuille, Laurence, « L’ironie comme arme contre la dictature Duvalier dans Le goût des jeunes filles de Dany Laferrière », dans Valeria Liljesthröm et Yasmina Sévigny-Côté (dir.), Écritures Francophones. Ironie, humour et critique sociale, Laval, Presses de l’Université de Laval, p. 23-35.

Eco, Umberto, « The frames of Comic Freedom », dans Thomas Sebeok (dir.) Carnival!, New York, Mouton Publishers, 1984, p. 1-10. 

Fernández Bencosme, Lourdes, « Parodia y humor en Luis Rafael Sánchez y la literatura puertorriqueña reciente », Diáspora n °12 (2002) : p. 19-25.

Ghosal, Sukriti, « Dismissing with a Smile: Postcolonial Comic Subversion », Postcolonial Interventions. An Interdisciplinary Journal of Postcolonial Studies vol. 3, n° 2 (juin 2018) : p. 12-47. 

Gurrieri, Antonio, « Ironie et désenchantement dans Malemort d’Edouard Glissant », dans Valeria Liljesthröm et Yasmina Sévigny-Côté (dir.), Écritures Francophones. Ironie, humour et critique sociale, Laval, Presses de l’Université de Laval, p. 85-93.

Gurrieri, Antonio, « Case à Chine de Raphaël Confiant : entre tradition orale et écriture », Archipélies [En ligne], 11-12 (2021).

Holoch, Adele Marian, The Serious Work of Humor in Postcolonial Literature, Thèse de doctorat, University of Iowa, 2012. 

Illán Bacca, Ramón, « El humor que se mece en la hamaca del Caribe », Boletín Cultural y Bibliográfico vol. 52, n° 95 (2018) : p. 100-116.

Ludwig, Ralph (dir.), L’Errance et le Rire. Un nouveau souffle de la littérature antillaise, Paris, Gallimard, 2023.

O’Dell, Emily, « Postcolonial Humour: Jokes in Ana Menéndez’s “In Cuba I Was a German Shepherd” », Postcolonial Interventions. An Interdisciplinary Journal of Postcolonial Studies vol. 3, n° 2 (juin 2018): p. 81-101.

Oring, Elliott, « Jokes and the Discourse on Disaster », The Journal of American Folklore vol. 100, n°397 (1987) : p. 276-86. 

Paillat, Sylvie, « Esthétique du rire », Le Philosophoire n°38 (2012) : p.131-153.

Pfaff, Françoise, Nouveaux entretiens avec Maryse Condé, écrivain et témoin de son temps, Paris : Karthala, 2016.

Reichl, Susanne et Stein, Mark (dir.), Cheeky Fictions: Laughter and the Postcolonial, New York, Rodopi, 2005.

Silber, Martine, « La farce amère de Brecht traduite en Créole”, Le Monde, 8 mai 2006. 

Vásquez, Sam, Humor in the Caribbean Literary Canon, New York, Palgrave Macmillan, 2012.