Appel à communication
Journée d’étude « Faire corps avec… les roches »
ECLLA (Etudes du Contemporain en Littératures, Langues, Arts)
Université Jean Monnet, Saint‐Étienne
« Faire corps avec… les roches » est le deuxième volet d’un cycle de journées d’étude interrogeant nos relations aux matériaux de la sculpture dans une perspective empirique et poïétique, ouverte sur d’autres disciplines que les arts plastiques. Suite à « Faire corps avec… la terre » et après avoir étudié ce qui nous lie au sol, à la terre et aux argiles, nous poursuivrons nos recherches en nous concentrant sur les sous-sols et les roches pour comprendre de manière transdisciplinaire les liens que nous entretenons avec le minéral.
Bien souvent peu considérée, la matière lithique compose pourtant le monde qui nous entoure, elle est un matériau ressource qui forme les ciments et les pierres de nos maisons, elle contient des minéraux précieux et rares qui permettent à nos machines de fonctionner mais elle constitue également nos corps - nos os faits de phosphate de calcium, nos cerveaux contenant des cristaux de magnétite. Nous serions donc toutes et tous lié.es au minéral. Comme l’indique le biologiste Thomas Heams (2019), il ne faudrait pas opposer le biologique et le géologique ou continuer à séparer ce qui parait inerte du vivant. D’après le philosophe Olivier Remaud : « La géosphère et la biosphère s’entremêlent. Le monde minéral n'est pas séparable du monde vivant. Sans lui, rien de ce que l’on connaît ne pourrait tenir ensemble. » Laissant ainsi la question en suspens : « Comment pourrions-nous devenir géosolidaires ? » (Remaud, 2023 : 163).
La journée d’étude Faire corps avec… les roches propose d’interroger la manière dont les artistes plasticien·nes, compositeur·rices, chorégraphes, réalisateur·rices et écrivain·nes pensent et mettent en œuvres nos relations aux roches, nos tentatives symbiotiques avec les minéraux. Afin de comprendre les singularités du matériau au travail et d’étudier les imaginaires qui nous traversent lorsque nous faisons corps avec… les roches. L’intitulé de cette journée d’étude permettra de considérer les deux pistes de réflexion que soulève la polysémie de l’expression « faire corps… ». Il s’agira de penser le contact, le toucher en considérant la relation, voire la communion que les artisan·nes et les artistes entretiennent avec le matériau lorsqu’iels érigent un mur et taillent un bloc de pierre, lorsqu’iels sont dans le Faire (Ingold, 2018). Cette intimité avec la matière lithique peut également s’entendre dans les témoignages des géographes, des géologues et explorateur·rices qui gravissent, escaladent des pics rocheux ou fouillent dans les boyaux et les méandres des sous-sols. Que peuvent nous apprendre ces expériences, ces récits d’explorations lorsque l’on sait qu’à l’échelle du temps humain, il parait si difficile de saisir ce que sont, et ce que peuvent devenir des roches ? Comment faire corps avec…si l’humain ne peut vivre au rythme des pierres ? Certain·es ont tenté l’expérience, à l’instar de l’artiste Abraham Poincheval avec la performance Pierre (2017) pour laquelle il s’est enfermé durant une semaine au sein d’une roche afin de ressentir une intimité avec l’élément lithique. Au cœur de la matière, l’artiste décrit le prolongement d’un toucher ainsi qu’une réciprocité minérale lui donnant l’impression de se confondre à la roche. Emmuré dans cette pierre sédimentaire, il ressort hagard mais bien vivant. L’artiste a survécu à ce qui pouvait s’apparenter à un sarcophage c’est-à-dire, si nous nous reportons à la racine grecque, une pierre calcaire qui consomme, qui mange la chair. Mais les roches pourraient-elles avoir ce genre d’appétit ? Faut-il se souvenir que la Sculpture qui mange de Giovanni Anselmo, ne mangeait pas que de la salade ? Une version avec de la viande prise entre les deux blocs de granit avait en effet été présentée en 1968. Toutefois, les humain·es semblent bien plus voraces, puisqu’iels sont capables de dévorer les montagnes. On retrouve ces analogies alimentaires au cœur des carrières de Carrare, avec des expressions lithophages dans la bouche des ouvriers qui mangent du marbre pour gagner leur pain : mangiare o magnare, manger ou prendre sans rien donner en retour.
Mais faire corps avec… les roches, c’est aussi comprendre que nos corps peuvent se transformer, se calcifier. Du métamorphisme des roches aux métamorphoses des corps, nous observerons nos devenirs communs à travers des phénomènes de pétrification mais aussi de fossilisation. L’écrivain et dramaturge David Wahl nous interpelle sur cette minéralisation de l’organique : « te rends-tu compte que les pierres qui t’entourent, loin de provenir seulement des entrailles de la terre, sont des cadavres ? […] En vérité, tu te promènes dans un gigantesque cimetière, un sépulcre blanchi, au beau milieu d’une faune aquatique pétrifiée » (Wahl, 2022 : 32). Faut-il arrêter notre promenade pour percevoir l’action lente de la sédimentation ? À la manière d’Ana Mendieta qui s’allonge nue sous un tas de pierre calcaire pour réaliser la vidéo Burial pyramid (1974) dans laquelle son corps apparaît tel un vestige qui se mêle aux pierres et au paysage. Dans l’histoire de la sculpture, de nombreuses représentations de corps paraissent presque vivantes grâce au travail de polissage, qui lisse et teinte la peau du marbre. Mais il ne s’agit pas ici d’observer le semblant de vie que les sculpteur·rices peuvent insuffler aux blocs de marbre. Notre approche se détourne volontairement du rêve de Pygmalion pour préférer le regard mortifère de Méduse qui fige et pétrifie la chair. Nous nous intéresserons donc à ces confusions minérales, à ces situations médusantes qui nous font devenir roches. Tels des gisants qui, dans la raideur cadavérique et la fraicheur des églises, attendent la résurrection de la chair. L’étude de ces fusions et métamorphoses avec le minéral permettrait-elle de changer notre appréhension de la matière lithique ? De penser la roche en lien avec le vivant et de révéler ainsi notre généalogie minéralogique comme peut le faire l’artiste Ilana Halperin avec My conglomerate Family (2019). Serait-il alors possible d’envisager que la roche ne soit pas un matériau inerte, qu’il y a « une vie propre à la matière » tel que l’entendent Gilles Deleuze et Félix Guattari dans Mille plateaux (1980 : 512). Et ainsi aller jusqu’à considérer la puissance d’agir des roches ou, pour reprendre le titre de Thomas Galoppin et Cécile Guillaume-Pey, Ce que peuvent les pierres (2021).
Ces différents questionnements nous permettront de croiser les arts plastiques à d’autres disciplines artistiques en s’ouvrant à la géologie, l’anthropologie, la philosophie pour aborder les pistes de réflexions suivantes :
- Pétrification et fossilisation des corps
- Pierres tombales et rites funéraires
- Pierres des sous-sols et carrières
- Pierres de révoltes et lapidations
- Pierres de rêves et collections
- Pierres qui bougent et autres croyances
- Pierres de fièvres et lithothérapie
- Pierres corporelles…
Modalités et calendrier :
Les propositions de communication sont à envoyer par courrier électronique avant le 3 février 2025 sous la forme d’un résumé (3000 signes espaces compris au maximum) accompagné d’une courte notice bio-bibliographique à l’adresse suivante : celine.cadaureille@univ-st-etienne.fr
Journée d’étude organisée le jeudi 24 avril 2025, sur le site Denis Papin, Université Jean Monnet, Saint Etienne. Avec le soutien du laboratoire ECLLA (Etudes du Contemporain en Littératures, Langues, Arts)
Bibliographie indicative :
Caillois Roger, Pierres, Paris, éd. Gallimard, 1966
Caillois Roger, L’écriture des pierres, Paris, éd. Flammarion, 1970
Collot Michel, La matière-émotion, Paris, PUF, 2005
Coltice Nicolas, Jolivet Romain, Olive Jean-Arthur, Schubnel Alexandre, La terre à l’œil nu, Paris, CNRS éditions, coll. « À l’œil nu », 2019
Corpataux Jean-François, Le corps à l'œuvre, Genève, éd. Droz, 2012
Dagognet François, Rematérialiser, Matières et matérialismes, Paris, Librairie Philosophique J. Vrin, coll. « Problèmes et controverses », 1989
Dagognet François, Le corps multiple et un, Paris, éd. Les empêcheurs de penser en rond,1992
Deleuze Gilles et Guattari Félix, Mille plateaux, Paris, éd. de Minuit, 1980.
Foucault Michel, Le corps utopique, Les hétérotopies, Paris, éd. lignes, 2009
Gosselin Sophie, Gé Bartoli David, Le toucher du monde, Technique du naturer, Bellevaux, éd. Dehors, 2019
Guédron Martial, De chair et de marbre, Paris, éd. Honoré Champion, 2003
Haraway Donna, Vivre avec le trouble, trad. (américain) Vivien Garcia, Vaulx-en-Velin, éd. Des mondes à faire, 2020
Heams Thomas, Infravies, Le vivant sans frontières, Paris, éd. Seuil, 2019
Ingold Tim, Faire, Anthropologie, archéologie, art et architecture, Bellevaux, éd. Dehors, 2018.
Ingold Tim, Correspondances, accompagner le vivant, Arles, éd. Actes Sud, 2024.
Lalouette Jacqueline, Un peuple de statues : la célébration sculptée des grands hommes en France, 1801-2018, Paris, éd. Mare & Martin, 2018
Macfarlane Robert, Underland, voyage au centre de la terre, trad. (anglais) Patrick Hersant, Paris, éd. Les arènes, 2020
Margantin Laurent, Système minéralogique et cosmogonie chez Novalis, ou les plis de la terre, Paris, L’Harmattan, coll. « Ouverture philosophique », 1998
Merlau ponty Maurice, Visible et l’Invisible, Paris, Gallimard, 1964
Morizot Baptiste, Manière d’être vivant, Arles, Actes Sud, 2020
Nancy Jean-Luc, Corpus, Paris, éd. Métailié, 2006
Perniola Mario, Le Sex-Appeal de l’inorganique, Paris, éd. Léo Scheer, 2003
Reclus Elisée, Histoire d’une montagne, Arles, éd. Actes Sud, 1999
Remaud Olivier, Quand les montagnes dansent, Arles, éd. Actes Sud, 2023
Schefer Jean-Louis, Pour un traité des corps imaginaires, Paris, éd. Pol, 2014
Sève Bernard, Les matériaux de l’art, Paris, éd. Seuil, 2023
Ce que peuvent les pierres, Vie et puissance des matières lithiques entre rites et savoirs, dir. Galoppin & Guillaume-Pey, Liège, Presses Universitaires de Lièges, 2021
Corps réel et corps imaginaire, éd. Dunod, Paris, 1998
Être pierre, exposition Musée Zadkine, éd. Paris Musées, 2017
Histoires de pierres, exposition Villa Médicis, Paris, éd. Delpire & co, 2023
Jean Carriès - La matière de l'étrange, Paris, Musée des beaux-arts de la ville de Paris, 2007
Le corps en morceaux, Paris, Musée d'Orsay, Francfort, Schirn Kunsthalle, 1990
Suivre les pierres, Technique & Culture, Paris, éd. EHESS, 2024, N°79