Johann Joachim Winckelmann (1717-1768) a inventé la description moderne des oeuvres d'art. C'est à partir de lui que le spectateur, libérant sa subjectivité, ses passions, ses désirs prend la première place dans le processus esthétique. Winckelmann met en crise la fiction d'une lecture impassible de l'art. Il scrute l'objet, fouille ses détails, en dit les charmes, reconstitue le Torse mutilé - cependant qu'en retour la sculpture bouscule ses certitudes de connaisseur et d'historien.
Winckelmann observe sur sa personne les effets de cette empathie : "[... ] ma poitrine a semblé se dilater et se gonfler. Transporté par une émotion puissante qui me hissait au-dessus de moi-même, j'adoptai, pour regarder avec dignité l'Apollon, un port sublime" . De telles extases ne vont pas sans combats intérieurs. L'auteur ne cesse d'osciller de la norme à sa transgression, de la raison au vertige, de la sublimation à l'effusion.
Son impressionnant savoir historique, anatomique, technique est traversé de bouffées désirantes qui s'apparentent à des poèmes, des chants d'amour. Pour mettre en évidence ces écarts, ces tensions, ces oscillations, Elisabeth Décultot a pris le parti de présenter, traduire, juxtaposer et comparer les diverses descriptions que "le père de l'histoire de l'art" a consacrées à chacune des trois plus célèbres sculptures antiques : le Laocoon, le Torse et l'Apollon du Belvédère.
Spécialiste de la période, Elisabeth Décultot nous offre une réinterprétation radicale de Winckelmann et de son influence sur les modernes, depuis Diderot à nos jours.