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Incarner l’oracle. Les figures prophétiques et divinatoires, entre autorité et égarement visionnaire (Lyon)

Incarner l’oracle. Les figures prophétiques et divinatoires, entre autorité et égarement visionnaire (Lyon)

Publié le par Marc Escola (Source : Hugo Lacoue-Labarthe)

Incarner l’oracle.

Les figures prophétiques et divinatoires, entre autorité et égarement visionnaire

Journée d’études interdisciplinaire, ENS de Lyon, 21 mars 2025.

(English version below)

La recherche d’une connaissance de l’avenir, constante anthropologique qui traverse les sociétés et les représentations, passe notamment, dans les mondes latin et grec puis dans le monde médiéval occidental qui leur succède, par l’intermédiaire d’un individu singulier. Nombreuses en sont les incarnations, réelles ou littéraires, auxquelles on songe aisément : Sibylles ou Pythie, Tirésias, Cassandre, Merlin, prophètes bibliques, diseuses de bonne aventure, etc. Ces figures emblématiques cristallisent l’image de locuteurs oraculaires qui sont autant d’êtres d’exception au sein de leurs communautés, parfois à rebours des pratiques divinatoires réelles qui pouvaient avoir cours dans les espaces où circulaient ces personnages. De fait, en Grèce, un oracle rendu par la Pythie pouvait tout autant être interprété par un homme politique comme Thémistocle que par les devins, et c’est au premier que les sources donnent raison (voir par exemple Hérodote, VII, 140-144). À Rome, les officiants principaux du culte restaient les magistrats élus, y compris en contexte divinatoire, où les experts religieux exerçaient un rôle d’appui. 

Comment, dès lors, interpréter ces individus rendus exceptionnels que la tradition n’a cessé d’élaborer et de remanier ? Faut-il y voir l’indice d’une volonté de s’en remettre à un individu spécifiquement dédié à cette fonction religieuse et sociale, qui pourrait assumer la responsabilité d’une parole parfois lourde de conséquences au bénéfice de sa communauté ? La place accordée à ces individus relève-t-elle vraiment des formes concrètes que prend l’interprétation de l’avenir en contexte antique ou médiéval, ou bien s’agit-il davantage d’une conséquence des usages poétiques et littéraires qui en sont faits ?

C’est en effet un être singulier, révélant par là-même une forme d’élection divine (qu’elle soit conçue comme un don ou au contraire comme une malédiction), que les sources nous montrent souvent comme plus à même d’assurer le passage d’un contenu inaccessible au commun des mortels (signes matériels, message direct d’une divinité) à un discours recevable – à défaut d’être nécessairement intelligible – par d’autres individus dépourvus des capacités ou de l’élection qui caractérise(nt) la figure oraculaire. L’individu qui dévoile l’avenir constitue alors un pont entre monde divin et monde humain, ce qui le met nécessairement à part et le constitue en figure saillante dont la représentation, passant généralement par l’emploi de caractères topiques, constitue un enjeu religieux mais aussi littéraire et politique.

 Ce sont ainsi les traits propres à l’incarnation d’une interprétation de l’avenir dans l’Occident antique et dans sa postérité médiévale et renaissante que s’attachera à cerner la journée d’études du 21 mars 2025 organisée par le laboratoire jeune AINIGMA (l’Avenir à INterpréter, ImaGiner et Méditer dans l’Antiquité) à l’ENS de Lyon. Cette journée d’études visera à explorer particulièrement les axes suivants :

- l’évolution des figures-types de l’interprétation de l’avenir, du monde polythéiste antique au monde chrétien médiéval, et leurs recompositions selon diverses typologies (par exemple chez Isidore de Séville ou Jean de Salisbury) qui redessinent  les frontières mouvantes entre pratiques magiques, religieuses, divinatoires et exégétiques, notamment au contact de l’hagiographie médiévale ; une attention particulière sera en outre portée à l’influence des représentations propres au féminin et au masculin dans l’élaboration de ces typologies.

- l’interaction entre les figures historiques et les figures fictives, mythologiques et littéraires qui structurent les représentations de l’interprétation de l’avenir, étant entendu que ces deux catégories constituent bien davantage les deux pôles opposés d’un même continuum plutôt qu’une dichotomie binaire, au vu d’un certain nombre de figures délicates à catégoriser (on pense par exemple aux prophètes bibliques).

- la dialectique entre l’impératif d’autorité des figures prophétiques et divinatoires, dont on attend une révélation intelligible de l’avenir propre à éclairer les choix présents ; et l’égarement, la perte de soi dont font preuve bon nombre des figures prophétiques et oraculaires, sur le modèle delphique de la Pythie.

- dans la continuité de l’axe précédent, une attention particulière sera portée à l’écriture de la prophétie, et aux outils littéraires et stylistiques qui marquent à la fois le style erratique, confinant à la folie, qui caractérise bon nombre d’oracles, et qui permettent également d’imprimer les marques d’une auctoritas garante de la vérité qui se dévoile à travers le discours.

- l’enjeu de l’adhésion du public au discours sur l’avenir, qui n’est pas garantie et implique de mettre en place un ethos prophétique ou divinatoire souvent remis en question, moqué ou critiqué face à la prolifération de discours instrumentalisés sur l’avenir, et ce depuis les attaques de Cicéron contre les haruspices jusqu’aux tentatives par l’Église de contrôler la multiplication de ce qu’André Vauchez a qualifié de « prêt-à-porter prophétique » au bas Moyen Âge.

N.B. : les travaux de cette journée d’études se concentreront sur le monde antique et sa postérité médiévale jusqu’au XVIe siècle ; cependant, des contributions souhaitant élargir l’empan chronologique jusqu’à des périodes plus récentes pourront être envisagées si leur sujet le motive.

Par ailleurs, les propositions de jeunes chercheurs et chercheuses sont particulièrement encouragées et bienvenues.

Les propositions de communication, d’une longueur d’environ 2000 signes, sont à envoyer, en français ou en anglais, accompagnées d’un bref CV pour le lundi 13 janvier 2025, conjointement à :

Gustin Aubert - gustin.aubert@ens-lyon.fr

Justine Kaleta - jkaleta@parisnanterre.fr

Hugo Lacoue-Labarthe - hugo.lacoue-labarthe@sorbonne-nouvelle.fr

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Bibliographie indicative

BERTHELET, Yann, « Légitimer les experts religieux, sous la République romaine », Hypothèses, 14, 2011, p. 119‑128.

BOUDET, Jean-Patrice, Entre science et nigromance. Astrologie, divination et magie dans l’Occident médiéval (XIIe-XVe siècle), Paris, 2006, PUPS.

—, Astrologie et politique entre Moyen Âge et Renaissance, Florence, 2020, SISMEL-Edizioni del Galluzzo, « Micrologus Library, 102 ».

BOUQUET, Monique, MORZADEC, Françoise (dir.), La Sibylle. Parole et représentation, Rennes, 2004, Presses universitaires de Rennes.

BUELENS, Marie-Astrid, « Féminité et pouvoir de la Sibylle de Cumes dans l’Énéide de Virgile : un schéma d’opposition divinatoire des genres ? », Latomus, 72, 2013, p. 956‑970.

CROIZY-NAQUET, Catherine, Écrire en vers, écrire en prose. Une poétique de la révélation, Littérales. Moyen Age et Révélation, vol. 2, 41, 2007.

FLOWER, Michel A., The Seer in Ancient Greece, Berkeley, 2008, University of California Press.

KOBLE, Nathalie, Les Prophéties de Merlin en prose. Le roman arthurien en éclats, Paris, 2009, Honoré Champion.

MONTERO HERRERO, Santiago, Diosas y adivinas. Mujer y adivinación en la Roma antigua, Madrid, 1994, Trotta.

PILLINGER, Emily, Cassandra and the Poetics of Prophecy in Greek and Latin Literature, Cambridge, 2019, Cambridge University Press.

PIRON, Sylvain, « Anciennes sibylles et nouveaux oracles. Remarques sur la diffusion des textes prophétiques en Occident, viie-xive siècles », dans Stéphane Gioanni, Benoît Grévin (éds.), Les collections textuelles de L’antiquité tardive dans les collections médiévales. Textes et représentations, viie-xive siècles, Rome, École française de Rome, 2008, p. 261-301.

 —, « La parole prophétique », dans Nicole Bériou, Jean-Patrice Boudet, Irène Rosier-Catach (dir.), Le pouvoir des mots, Turnhout, Brepols (« Bibliothèque d’Histoire culturelle du Moyen Âge »), 2014, p. 255-286. 

RAYNE-MICHEL, Servane, & VALERIA INGEGNO, Maria, La Prophétie. Questes n°28, 2014.

TRACHSLER, Richard (dir.), Moult obscures paroles. Études sur la prophétie médiévale, Paris, 2007, PUPS

VAUCHEZ, André, Saints, prophètes et visionnaires. Le pouvoir surnaturel au Moyen Âge, Paris, 1999, Albin Michel.

ZUMTHOR, Paul, Merlin le Prophète. Un thème de la littérature polémique, de l’historiographie et des romans, Genève, 2000, Slatkine (1943).

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English version

Embodying the oracle.

Prophetic and divinatory models, between authority and visionary madness

Interdisciplinary workshop, ENS de Lyon, 21 mars 2025


Seeking to know the future, an anthropological constant running through societies and representations, involves in particular, in the Latin and Greek civilizations and in the Western medieval world that followed them, the intermediary of a prophetic figure. Many such embodiments, either real or literary, easily come to mind : Sibyls or Pythia, Tiresias or Cassandra, Merlin, Bible prophets, fortune-tellers, etc. These emblematic figures tend to define the image of oracular speakers as exceptional beings within their communities, sometimes in contrast to the actual divinatory practices that were common in the areas where these figures circulated. In fact, in Greece, an oracle delivered by the Pythia could just as well be interpreted by a politician like Themistocles as by the soothsayers, and the sources actually support the former (see, for example, Herodotus, VII, 140-144). In Rome, the main officiants of the cult remained the elected magistrates, even in the divinatory context, where religious experts played a supporting role.

How, then, should we interpret these exceptional individuals who have been constantly developed and reshaped by tradition? Should we see them as indicators of a desire to rely on an individual specifically assigned to this religious and social function and who could assume, for the benefit of his or her community, the responsibility of a speech sometimes heavy with consequences? Does the place given to these individuals really derive from the concrete forms taken by the interpretation of the future in ancient or medieval contexts, or is it more of a consequence of the poetic and literary uses made of them?

Indeed, the sources often show a singular being, thereby revealing a form of divine election (whether conceived as a gift or, on the contrary, as a curse) as being best able to provide the transition from a content inaccessible to ordinary mortals (material signs, direct message from a divinity) to a discourse which can be received - if not necessarily understood - by other individuals lacking the abilities or election that characterise(s) the oracular figure. The person who reveals the future thus forms a link between divine and human worlds, which necessarily sets him apart and makes him a prominent figure whose representation, generally through the use of topical characteristics, constitutes not only a religious issue but also a literary and political one.

The workshop organised on 21 March 2025 by the AINIGMA junior research group (Interpreting, Imagining and Meditating on the Future in Ancient Worlds) at the ENS de Lyon will focus on the specific features of the future’s interpretation in the ancient West and in its medieval and Renaissance posterity. The aim of this workshop will be to explore the following aspects in particular:

  • the evolution of typical figures related to an interpretation of the future, from the ancient polytheistic world to the medieval Christian world, and their recomposition in different typologies (for example by Isidore of Seville or John of Salisbury), which define anew the shifting boundaries between magical, religious, divinatory and exegetical practices, particularly in relation to medieval hagiography; particular attention will also be given to the influence of representations linked to feminity and masculinity in the development of these typologies.
  • the interaction between historical figures and fictional, mythological and literary figures that shape representations of the interpretation of the future, given that these two categories constitute two opposite poles of the same continuum rather than a binary dichotomy, in light of a certain number of figures who appear as difficult to categorise (biblical prophets, for example).
  • the dialectical relationship between the need for an authoritative speech coming from prophetic and divinatory figures, who are expected to provide an intelligible revelation of the future to clarify current choices, and the turmoil and loss of self-control shown by many prophetic and oracular figures, based on the Delphic model of Pythia.
  • following the previous theme, particular attention will be paid to the way prophecy is written, and to the literary and stylistic tools that characterise the erratic style, often on the borders of madness, characteristic of many oracles - while at the same time making it possible to express an auctoritas that guarantees the truth revealed through the discourse.
  • the issue of public adherence to the discourse on the future, which is not guaranteed and involves establishing a prophetic or divinatory ethos often questioned, mocked or criticised given the proliferation of instrumentalised discourse on the future, from Cicero's attacks on the haruspices to the Church's attempts to control the multiplication of what André Vauchez has described as ‘prophetic ready-to-wear’ in the early Middle Ages.


N.B.: this workshop’s papers will focus on the Ancient World and its medieval posterity, up to the 16th century; however, contributions wishing to broaden the chronological scope to more recent periods may be considered if their subject justifies it.

Proposals from young researchers are particularly welcome and encouraged.

Paper proposals of approximately 2,000 characters should be sent in French or English, together with a brief CV, by Monday 13 January 2025, to :

Gustin Aubert - gustin.aubert@ens-lyon.fr

Justine Kaleta - jkaleta@parisnanterre.fr

Hugo Lacoue-Labarthe - hugo.lacoue-labarthe@sorbonne-nouvelle.fr