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Violence(s) : définitions, pratiques et représentations (Lille)

Violence(s) : définitions, pratiques et représentations (Lille)

Publié le par Faculté des lettres - Université de Lausanne (Source : Benjamin Demassieux)

Journée d’étude transdisciplinaire

Violence(s) : définitions, pratiques et représentations - 4 avril, Université de Lille.

La violence, omniprésente dans les sociétés humaines, se manifeste sous des formes variées et prend racine dans des causes complexes, que ce soit à travers les conflits armés, les discriminations systémiques, les violences interpersonnelles ou encore les dynamiques de pouvoir au sein des institutions. La violence est un des rares concepts, après l’amour, à couvrir autant de zones du spectre de l'âme humaine. La violence est englobante, opérant sur des registres multiples et couvrant un spectre très large, de la cruauté physique aux violences symboliques et psychologiques. Se montrant tantôt fondatrice tantôt destructrice, la violence est une force primitive chez les Anciens. Elle fonde l’univers, comme en témoignent les luttes entre les titans, les dieux olympiens et les géants. La violence de Zeus face aux races dissidentes du cosmos met fin à l’époque harmonieuse de l’âge d’or pour la période de l’orgueil, des guerres. 

La violence est une force primitive qui se transmet aux mortels. Associée à la survie et aux instincts les plus viscéraux, elle acquiert une dimension sociale et psychologique : elle se niche dans nos pulsions, nos désirs, nos peurs, et se traduit dans nos rapports de pouvoir, d’autorité, et de contrôle. En ce sens, elle est un terrain où se cristallisent des oppositions entre le « soi »  et l' « autre », entre l'individu et le collectif, entre le désir de transgresser et la nécessité de respecter des règles. La violence fait exister l’individu dans ce collectif, quand bien même le rapport tissé est celui de la destruction et de la souffrance. Dans Le mal : un défi à la philosophie et la théologie, Paul Ricoeur montre que la violence a une dimension quasi « originelle » dans l'expérience humaine, car elle est liée à la culpabilité et à la souffrance intrinsèque à la condition humaine. La violence est une rupture éthique et une atteinte à l’intégrité de l’autre, la violence est vue comme une transgression des règles de réciprocité qui fonde l'éthique et comme un obstacle à la constitution d'un « soi » moral, c'est-à-dire une identité fondée sur la reconnaissance mutuelle et la bienveillance envers l'autre.

La violence traverse également le champ du sacré et du profane. Dans l'histoire des religions, elle est souvent présente sous forme de sacrifices (comme celui d’Isaac par Abraham, Gen. 22, Agamemnon et Iphigénie, le roi Lear et ses filles), de rituels d’expiation ou de purification (comme l’image bien connue du bouc émissaire qu’on retrouve dans le Lévitique, 16, mais aussi dans toute la littérature occidentale de l’Oedipe Roi de Sophocle aux Frères Karamazov de Dostoïevski), renvoyant à une quête de sens, voire de transcendance. Cette présence de la violence sacrée souligne sa capacité à ouvrir des portes vers des zones liminales, là où l'humain se confronte aux forces qui le dépassent, qu'il s'agisse de divinités, de mystères ou de ses propres angoisses existentielles.

Sur le plan d’une perception microscopique, la violence peut donc surgir dans une cité, entre deux individus, entre des tribus, des castes, des corporations. Cependant, la violence est aussi caractérisée par sa proximité avec la pestilence, la maladie qui contamine l’autre. La violence s’étend grâce aux idéologies, à l’endoctrinement (H. Arendt, Eichmann à Jérusalem), de façon à ce que cette violence s’inscrive insidieusement dans les pratiques d’une forme de doxa.

Semblablement, Michel Foucault évoque la violence dans le cadre de sa réflexion sur les rapports de pouvoir et la biopolitique. La violence n'est pas un acte isolé, mais se manifeste dans les structures mêmes de la société, notamment à travers les institutions (prisons, hôpitaux, écoles) qui normalisent et disciplinent les corps et les comportements. Les corps féminin, les corps contraints aux travaux répétitifs, aux travaux manuels, par exemple, portent les stigmates de la violence indirecte exercée par des pressions extérieures. D’un point de vue existentialiste, le corps ne naît pas violenté, il est abîmé par la société. Dans Surveiller et punir, Foucault explore la manière dont le pouvoir pénètre les corps et les esprits, imposant une forme de violence institutionnelle qui se cache sous le masque de la légalité et de la rationalité. C’est cette violence qui devient un outil de contrôle et de manipulation, subtile, mais omniprésente, exerçant une domination par la surveillance et les normes.

Cette généralisation de la violence indirecte, mesquine, intégrée à l’ensemble des dispositifs de nos sociétés (dispositifs de santé, dans la sexualité, l’économie, dans l’ingénierie sociale, l’administration, etc.) est ce que Foucault nomme le bio-pouvoir dans Histoire de la sexualité. La violence n’a pas d’origine propre, mais elle est omniprésente à chaque niveau de la société.

Enfin, d’un point de vue esthétique, la violence se manifeste dans l'art, la littérature, le théâtre et le cinéma, où elle devient un moyen d’expression de l’ineffable, de l'inexprimable. Des auteurs comme Antoine Artaud la voient comme une catharsis puissante, qui permet de toucher les recoins inexplorés de l'âme humaine, de révéler ses failles et ses contradictions. Dans son ouvrage, Le théâtre et son double, Artaud conçoit la violence comme un moyen de rupture radicale avec les conventions artistiques et sociales. La violence sur scène devient une manière d'atteindre une vérité profonde, en plongeant le spectateur dans une expérience sensorielle et émotionnelle intense, voire traumatisante. Loin d’être un appel à la brutalité gratuite, l’idée de  « cruauté »  dans le théâtre d'Artaud permet de mettre en scène de l'existence humaine dans sa vulnérabilité et son intensité, sans masque ni artifice. A contrario, chez Mishima, la violence est l’unique solution pour l’humain de renouer avec son existence épique et héroïque. La violence sur scène est symbolique et constitue le soubresaut de l’humanité cherchant à vivre vraiment.

Cette journée d'étude transdisciplinaire, organisée à l’Université de Lille par des doctorants du laboratoire HALMA (UMR 8164), se propose d’explorer les multiples facettes de la violence au travers d’approches transdisciplinaires qui concerneront l’ensemble des disciplines de la recherche. L’objectif de cette rencontre est d’offrir un espace d’échange et de réflexion permettant d’articuler les différentes perspectives théoriques et méthodologiques en lien avec la thématique de la violence, dans la suite des deux journées transdisciplinaires menées en 2024 sur la Nature. 

En mettant en dialogue des chercheurs aux spécialités diverses (SHS, sciences exactes, etc.), nous cherchons à questionner les contours de la violence : comment est-elle définie et théorisée ? Comment est-elle pratiquée, normalisée ou contestée ? Quelles sont les représentations qui en découlent, dans les discours médiatiques, la littérature et les arts, mais aussi dans les pratiques sociales, politiques et dans la nature ?

La journée s’articulera autour de trois axes principaux :

Définitions et théories de la violence : Approches historiques, philosophiques et sociologiques des concepts de violence, de pouvoir et de domination.
Pratiques et dynamiques de la violence : Étude des manifestations de la violence dans les relations interpersonnelles, institutionnelles et internationales.
Représentations de la violence : Analyse des discours et des représentations artistiques et médiatiques de la violence, de l’Antiquité à nos jours.
Par cette approche transdisciplinaire, cette journée souhaite contribuer à une compréhension nuancée de la violence en tant que phénomène fondamental mais protéiforme, afin de susciter des pistes de réflexion pour le traitement et la compréhension de la violence dans les différentes sphères de la société.

L’intérêt de cette journée est de permettre aussi à des étudiants en master de donner de la visibilité à leurs travaux. C'est pourquoi, nous envisageons d’intégrer ces apprentis chercheurs afin qu’ils puissent partager les résultats de leurs enquêtes dans des interventions d'une quinzaine de minutes.

Calendrier :

Clôture des soumissions de proposition : lundi 13 janvier 2025.

Date d’envoi des réponses aux participants : lundi 27 janvier 2025.

Envoi des contributions à l’adresse suivante et selon les modalités indiquées ci-dessous : jeviolencelille@gmail.com">jeviolencelille@gmail.com

 Modalités de participation :

Dans une optique transdisciplinaire, sont acceptées les contributions issues de toutes les disciplines ayant pour sujet la/les violence(s), comme il est décrit dans la présentation.

Cette journée se destine à des chercheurs, doctorants ainsi qu’à de jeunes chercheuses et chercheurs en quatrième ou cinquième année de cursus (maîtrise/master).  Les communications peuvent être rédigées en français, anglais, espagnol, allemand et italien. Les auteurs sont priés d'envoyer initialement le résumé de leur communication, comprenant :

Nom :

Prénom :

Affiliation / Discipline :

Courriel :

Brève biobibliographie :

Titre de la communication :

Résumé (300 mots maximum) :

Mots clés :

Bibliographie indicative : 


Paul Ricoeur, Le mal : un défi à la philosophie et à la théologie, Genève, Labor Fides, 1986.


Michel Foucault, Surveiller et punir, Gallimard, 1975.


Michel Foucault, Histoire de la sexualité, Gallimard, de 1976 à 2018.


Jean-David Zeitoun, Les Causes de la violence, Denoël, 2024.


Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem : Rapport sur la banalité du mal, Viking Press (édition originale en anglais), 1963.


Yukio Mishima, Keiichirō Hirano, Le Théâtre selon Mishima, Paris, Atelier Akatombo, 2023. 


Antonin Artaud, Le Théâtre et son double, Gallimard, 1938.


Pierre Bourdieu, La domination masculine, Seuil, 1998.


Norbert Elias, La civilisation des mœurs, Calmann-lévy, 1939 (reed.1994).


Didier Fassin, La force de l’ordre. Une anthropologie de la police des quartiers, Seuil, 2011.


Loïc Wacquant, Les Prisons de la misère, Liber/ raisons d’agir, 1999.


Randall Collins - Violence: A Micro-sociological Theory, Princeton University Press, 2008.


Philippe Bourgois, In Search of Respect: Selling Crack in El Barrio, Cambridge University Press, 1995.