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L’intime et le politique dans l’œuvre de Pascal Quignard (Nanterre)

L’intime et le politique dans l’œuvre de Pascal Quignard (Nanterre)

Publié le par Eloïse Bidegorry (Source : Jérémie Majorel)

L’intime et le politique dans l’œuvre de Pascal Quignard

Table-ronde organisée par Ridha Boulaâbi & Jérémie Majorel

Mardi 18 mars 2025, 13h30-15h30, s. L419, bât. Ricœur, Paris Nanterre

avec Chantal Lapeyre (Cergy Paris), Midori Ogawa (Tsukuba, Japon), Sylvain Santi (Savoie Mont Blanc), Alexandre Solans (Cergy Paris) & Marouene Souab (la Manouba, Tunisie) 

Les Ombres errantes, t. I de Dernier Royaume, Goncourt 2002, réédité chez Gallimard en « Folio » en 2004, offre un point de départ pour observer la tension entre l’intime et le politique qui traverse toute l’œuvre de Quignard : « Société des Solitaires » (p. 60), « sociétés secrètes fragiles » (p. 103), « société asociale » (p. 142), « sociétés secrètes d’hommes libres [...] de plus en plus minuscules [...] presque individuelles » (p. 148). Tension qui culmine donc en oxymores, au lieu de se résoudre dialectiquement. Ailleurs, par le truchement d’un auteur japonais, elle se polarise : « Tanizaki considérait que la position individuelle nocturne était l’autre pôle de l’ordre national solaire du Levant. » (p. 55) Essayons d’écouter, d’entendre plus avant, ce battement rythmique de l’intime et du politique.

Même si on ne présente pas habituellement Quignard de la sorte, prenons au sérieux cette assertion : « Écrire est entièrement politique. » (p. 123) Dans la suite du fragment où elle se trouve, l’auteur précise : « Je cherche à m’en tenir à cette règle que Vercors a édictée. Celui qui écrit est celui qui cherche à dégager le gage. À désengager le langage. À rompre le dialogue. À désubordonner la domestication. À s’extraire de la fratrie et de la patrie. À délier toute religion. » (p. 124) Son modèle n’est donc pas Sartre, encore moins Char. C’est un engagement qui finit par être synonyme de son contraire (« dégager », « désengager »). Il fait dire à Vercors ce qu’il n’a certainement pas fait : « s’extraire de la fratrie et de la patrie » (au sens républicain) sous l’Occupation. Il absolutise une rupture dialogique qui visait alors avant tout les Allemands, qui était donc contextuelle, en situation. Il met en œuvre, dans le style paratactique qui lui est propre, une poétique et une politique de la déliaison généralisée.

Essayons de saisir cet autre fragment politique, où fulgurent des phrases nominales juxtaposées, dans le contre-coup du 11 septembre 2001 : « Nous vivons en 1571. Une atmosphère de Saint-Barthélemy hante les banlieues. Les guerres de religion recommencent. La démocratie est une féroce religion protestante. L’Islam est une terrible religion sexuelle. Il n’y a jamais eu autant de mythes, concurrences de mythes durant l’histoire humaine, que maintenant : Femme divinisée. Mort adorée. Démocratie plus violente et inégalitaire qu’au temps de Périclès. Guerre du sujet contre lui-même dans la névrose qui n’est que le récit secret de l’assujetissement. Fétichisme technicien. Jeunisme grégaire sauvage. Pis que sauvage : dédomestiqué, psychotique. » (p. 23-24) Seul Quignard, ce contemporain hanté par « le jadis », peut oser de telles analogies (« Saint-Barthélemy », « Périclès »). Puisqu’elles ne valent pas que pour un seul mais pour un « nous », il est permis d’en mesurer la force et les faiblesses, à distance de la sidération suscitée par la parataxe. Sur quels fondements reposent-elles ? Structuraux, historiques, psycho-anthropologiques, ou idiosyncrasiques ? Si on entre dans la logique de ce fragment, les massacrés de naguères (les protestants parisiens) seraient devenus les massacreurs d’aujourd’hui (après le 11 septembre, les protestants américains). L’aversion qui perce ici se retrouve plus loin jusque dans la « lumière puritaine, impérialiste, américaine, éblouissante des néons » (p. 48). De même, que signifie la définition de l’« Islam » comme « terrible religion sexuelle » ?

Le moment de la réception de l’œuvre quignardienne est celui d’une relance herméneutique nécessaire, auprès notamment des lecteurs et des lectrices qui découvrent aujourd’hui cette œuvre décidément singulière. C’est à quoi s’emploieront les invités de cette table-ronde, qui mêle divers horizons et générations de spécialistes, ayant en commun d’entretenir un compagnonnage à la fois critique et constructif avec l’œuvre de Quignard.