APPEL A COMMUNICATIONS
La Nouvelle Aquitaine et l’Asie : pour une étude des transferts culturels
La Rochelle Université, jeudi le 12 juin 2025
Cette journée d’études s’attachera à faire la lumière sur les échanges des capitaux culturels entre les pays d’Asie du Sud-Est et la région Nouvelle Aquitaine du point de vue des transferts culturels.
L’étude des transferts culturels consiste moins à comparer les espaces qu’à mettre en évidence les points d’articulation qui les relient. Elle implique non seulement l’examen des dynamiques d’importation et d’exportation des capitaux culturels (terme emprunté à Pierre Bourdieu), mais surtout la réinterprétation liée au déplacement dans l’espace et dans le temps. Du XVIe au XVIIIe siècle, par ses ports ouverts sur l’Atlantique, la région Nouvelle Aquitaine (intégrant depuis 2016 les trois régions Aquitaine, Limousin et Poitou-Charentes) s’est mobilisée pour conquérir les ressources du Nouveau-Monde mais aussi de l’Asie. La région a joué un rôle majeur dans le grand commerce, la colonisation de l’Asie du Sud-Est et l’approvisionnement des colonies françaises. Si Bordeaux était la capitale du commerce maritime français au XVIIIe-XIXe siècle, l’Indochine a été une cible pour l’impérialisme économique de la Gironde. Des navires faisaient escale à Bordeaux entre les ports du Nord-Ouest et l’Asie : les Chargeurs réunis font partir un paquebot tous les 28 jours de Bordeaux et Marseille pour Port-Saïd, Djibouti, Colombo, Singapour, Saïgon, Tourane et Haïphong. Les Messageries maritimes partent aussi de Bordeaux pour l’Indochine et au-delà, bien que leur port-pivot soit Marseille. Le port de Hoi An quant à lui, d’abord intégré aux échanges économiques du Champa, assurait notamment les échanges avec la Chine. Mais la présence d’un pont couvert japonais montre qu’il s’agissait aussi d’un relais important dans le commerce avec le Japon. Une épave de navire thaï du XVe siècle retrouvée au large de Hoi An et transportant sans doute vers le golfe du Siam des porcelaines chinoises et des produits de l’artisanat viêt témoigne de la complexité des échanges économiques contrôlés par Hoi An. Puis lors de l’implantation des jésuites en Asie, la mission de Macao envoya des prêtres japonais à Hoi An où fut élaboré, avec l’aide des jésuites japonais le quoc ngu. Ainsi, les ports constituent un vecteur facilitant les mobilités humaines et les échanges économiques, mais aussi la diffusion du savoir.
Les espaces aquitains et du Sud-Est asiatique deviennent dès lors des terrains prospères pour les transferts culturels. Le siège social du Crédit agricole mutuel de la Gironde au centre de Bordeaux a accueilli jusqu’en 1953 le siège de la succursale bordelaise de la Banque d’Indochine. La Société bordelaise indochinoise qui était présente sur 3 sites – Bordeaux, Saïgon et Haïphong – distribuait en Indochine des spécialités de Bordeaux et de la France. L’Ecole Santé navale de Bordeaux, quant à elle avait des implantations au Vietnam et a sans doute fondé la première université de médecine de Hanoï. Les rues Bac Ninh, Son Tay et Saïgon dans le quartier Belcier à Bordeaux font référence à la présence de l’immigration d’origine vietnamienne, notamment des travailleurs indochinois en Gironde ou encore en Dordogne.
Les transferts culturels se manifestent également à travers des figures concernant l’histoire de deux cultures. Figures de voyageurs, elles contribuent à enrichir des imbrications des cultures et assurent des médiations. On ne peut manquer d’évoquer Pierre Loti, écrivain orientaliste né à Rochefort dont l’œuvre reflète l’Orient et l’Extrême-Orient à l’image des pays qu’il a visités. Nombreux administrateurs de l’Indochine venaient de la Nouvelle Aquitaine tels Chasseloup-Laubat, Albert Sarraut, Jean Decoux. Les commerçants, négociants participent aussi à la médiation culturelle comme la maison Denis Frères, Paul Blanchy homme politique mais aussi initiateur de la plantation du café en Indochine, William Fabre ou encore les frères Roque - commerçants bordelais, chefs d’entreprise en Cochinchine, et d’autres. En plein milieu des vignes de Gironde, de Dordogne et de Lot-et-Garonne le maître zen, militant pacifiste Thich Nhat Hanh a fondé en 1982 le village des Pruniers qui se présente comme un nœud de mobilité entre les différents modes de sociabilité, de solidarité communautaire au-delà de la foi religieuse. Sa Majesté Nam Phuong, la dernière impératrice d’Annam, s’est installée en 1958 après sa séparation avec l’empereur Bao Dai dans le domaine de la Perche à Chabrignac, en Corrèze. Sa tombe demeure dans le cimetière du village comme le témoignage d’une histoire commune entre la France et le Vietnam.
L’histoire des bibliothèques, l’histoire de la diffusion des produits éditoriaux et de la traduction font également partie de la recherche sur les transferts culturels. Car lorsqu’on passe des médiations humaines aux médiations associées à des livres ou à des archives, la question des transferts culturels rencontre celle de la mémoire. Le fonds d’archives Jean Decoux à la Bibliothèque municipale de Bordeaux reflète ses activités à la tête du gouvernement général d’Indochine mais aussi ses centres d’intérêt personnels tels que la mer, la marine et le Vietnam. La bibliothèque de géographie-cartothèque du SCD de l’Université Bordeaux Montaigne possède un fonds composé d’environ 35 000 cartes de quatre coins du monde, dont plus de 300 cartes donnent des connaissances géographiques les plus concrètes sur l’Asie du Sud-Est et l’Océanie. La Nouvelle Association des Amis du Vieux Huê, fondé en 1995 dont le siège est à Biscarosse, a pour premier objectif de redonner vie à l’ancienne association créée à Huê en 1913, à travers la constitution d’une bibliothèque regroupant des documents touchant au Viêt Nam ancien au service de la recherche sur l’histoire franco-vietnamienne. La maison d’édition Les Indes savantes dont le siège est à La Rochelle a publié nombre d’ouvrages sur l’histoire du Sud-Est asiatique. Les éditions La Frémillerie à Salles aux côtés d’Arcachon sont spécialisées en littérature vietnamienne, traduite du vietnamien ou d’auteurs vietnamiens francophones. Devenir attentif aux transferts culturels implique alors de sonder les structures de la mémoire collective des éditeurs, des bibliothèques et des archives en recherchant les éléments négligés ou marginalisés.
La recherche sur les transferts culturels s’attache à l’étude des vecteurs sociologiques du passage et du processus de réinterprétation qui l’accompagne. Elle nous conduit à montrer comment s’approprier un objet culturel et s’émanciper du modèle qu’il constitue. Une transposition, aussi éloignée soit-elle, a en effet autant de légitimité que l’original. Ainsi, cette journée d’étude vise à aborder par le biais d’une histoire comparée l’espace aquitain et l’espace asiatique et, de façon générale, mettre en relation ces espaces, leurs cultures ou leurs littératures entre lesquels une différence qualitative radicale est implicitement présupposée, ce qui aboutit à nier les possibilités d’hybridation.
Il s’agira de se détacher de l’imaginaire de l’influence pour réfléchir aux méditations historiquement constatables par lesquelles un ouvrage, une école de pensée ou un objet matériel ont pu circuler. Le négoce est un vecteur essentiel. Négociateurs, traducteurs, missionnaires, orientalistes, immigrés, sont des médiateurs par excellence par leurs déplacements d’un espace culturel à l’autre et contribuent à la mise en place de transferts. On examinera des instances d’imbrications culturelles comme les villes portuaires, les monuments historiques et culturels, les associations franco-asiatiques aussi bien que les fonds documentaires dans les bibliothèques et les archives, les éditeurs avec leurs publications comme réservoir et diffuseur de connaissances. Quelques axes de réflexion pourraient être approfondis :
· L’exploitation de ressources, l’importation et l’exportation par voie maritime
· Voyages maritimes entre la Nouvelle Aquitaine et l’Asie
· Immigrés asiatiques en Nouvelle Aquitaine
· Histoire des associations franco-asiatiques
· La pratique des religions
· Les patrimoines partagés entre la Nouvelle Aquitaine et l’Asie
La journée d’étude donnera l’occasion d’observer les phénomènes de transferts culturels entre l’Asie du Sud-Est et la région Nouvelle Aquitaine mais aussi les transferts culturels à l’intérieur de l’espace asiatique dans une durée plus longue que l’époque coloniale.
On s’intéressera surtout à l’Asie du Sud-Est, au Vietnam, au Cambodge et au Laos, pays qui à l’époque coloniale constituaient l’Indochine, mais aussi à la Thaïlande, l’Indonésie, le Singapour, les Philippines. Des contributions comparatives avec l’Inde, l’Asie du Sud, l’Asie centrale et l’Asie de l’Est seront également pris en compte.
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La langue de communication du colloque sera le français. Des propositions (environ 300 mots) accompagnées d’une brève biographie (environ 150 mots) peuvent être envoyées aux organisateurs jusqu’au 15 mars 2025 :
David Waterman : david.waterman@univ-lr.fr;
Giang-Huong Nguyen : gnguyen@univ-lr.fr
BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE :
Association des amis du Vieux Hué (éd.), Le rôle des associations dans la sauvegarde de la mémoire de l’Indochine, Biscarrosse, Association franco-vietnamienne Bordeaux-Aquitaine, 2004.
AUBERT-NGUYEN Hoai Huong & ESPAGNE Michel (éd.), Le Vietnam : une histoire de transferts culturels, Paris, Demopolis, 2015. https://doi.org/10.4000/books.demopolis.461.
BONIN Hubert, « La Banque de l’Indochine, symbole de la vocation ultramarine et coloniale de la place de Bordeaux », in Revue historique de Bordeaux et du département de la Gironde, n°26, 2020. pp. 115-130. https://doi.org/10.3406/rhbg.2020.1357
CHASSIN Lionel Max, « Les Girondins en Indochine », in Revue historique de Bordeaux et du département de la Gironde, tome 2 n°4, 1953. pp. 325-342. https://doi.org/10.3406/rhbg.1953.1698
DAUM Pierre, Immigrés de force : Les travailleurs indochinois en France (1939 - 1952), Paris, Actes Sud, 2009.
ESPAGNE Michel, NGUYEN Ba Cuong, NGUYEN Giang-Huong (éd.), France-Vietnam. Contribution à une histoire de l’anthropologie, Paris, Kimé, 2024.
ESPAGNE Michel, NGUYEN Ba Cuong, NGUYEN Thi Hanh, Hanoi-Paris : Un nouvel espace des sciences humaines, Paris, Kimé, 2020.
NGUYEN Giang-Huong (éd.), Le portail France-Vietnam, Paris, Kimé, 2021.
TEXIER Paul, Le Port de Saïgon, Bordeaux, Impr. de E. Trénit, 1909.
TRAN Thi Nhung, « Le bouddhisme vietnamien en France, tentatives de structuration », in Hommes et Migrations : Populations du Sud-Est Asiatique, n°1134, juillet 1990, pp. 27-34. https://doi.org/10.3406/homig.1990.1497