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Francophonies : pratiques, transferts culturels, mutations (Université Alexandru Ioan Cuza de Iaşi, Roumanie)

Francophonies : pratiques, transferts culturels, mutations (Université Alexandru Ioan Cuza de Iaşi, Roumanie)

Publié le par Marc Escola (Source : Cristina Petras)

Journées de la Francophonie — XXXe édition

Université Alexandru Ioan Cuza de Iaşi

Les 23 & 24 mai 2025

Se constituant autour de l’extension linguistique, discursive et culturelle du fait français, la francophonie est devenue par excellence un lieu de rencontre de langues, de civilisations, de mentalités. La diversité, le métissage, l’hybridation en sont les mots d’ordre.

L’intérêt pour la variation linguistique, la constitution d’objets d’étude comme les littératures francophones, l’émergence et la valorisation des normes endogènes illustrent la tension entre universel, global, générique, d’une part, et individuel, local, spécifique, d’autre part. Depuis la vision linguistique sur la francophonie (autour d’un français centralisé) que Klinkenberg (2016) qualifie d’« essentialisme » jusqu’au positionnement identitaire reconnaissant à celle-ci la diversitéculturelle dans le contexte de la mondialisation, des mutations se produisent qui correspondent aux changements politiques, économiques, culturels ayant façonné la société. 

La francophonie se voit vite décliner au pluriel – les francophonies – du fait notamment de la multiplication de ses centres (par exemple, Montréal pour l’Amérique du Nord, mais aussi Moncton pour l’Acadie), phénomène qui s’accélère sous l’action de l’immigration récente. Des francophones d’origines diverses viennent modeler le visage de l’espace francophone en Europe ou en Amérique du Nord. À côté des francophonies qui, à des époques différentes, ont été terre d’accueil pour les migrants francophones – France, Belgique, Québec, et plus récemment Nouveau-Brunswick (Sall et Bolland, 2021) –, de nos jours, on pourrait dire que l’immigration en crée de nouvelles. Selon Frenette et al. (2013), la Floride est devenue ainsi un exemple de ces francophonies récemment constituées, ayant attiré des francophones de l’Amérique du Nord, comme des Antilles. Conformément aux mêmes auteurs, il est plus pertinent de parler d’une francophonie des Amériques à la place d’une francophonie nord-américaine.

Plus largement, les mouvements sous-jacents à la mondialisation (migration, déplacements de tout type, délocalisation et relocalisation d’entreprises qui emploient des professionnels du français) influencent les pratiques langagières, donnant lieu à l’émergence de mini-communautés francophones (les employés des entreprises francophones, les étudiants des filières francophones, notamment en médecine, en Roumanie). Ce dernier cas est d’autant plus intéressant à étudier que la Roumanie, pays de tradition culturelle francophone, se voit participer à ce changement qui marque la francophonie contemporaine. Il s’agit, à plusieurs niveaux – démographie, travail, enseignement, culture, etc. –, d’un afflux nouveau, inversé, dirigé vers des « aires géographiques francophones décentrées (dites périphériques) » (Cedergren et Lindberg, 2023 : 211).

Si la digitalisation du quotidien s’est rapidement emparée du monde francophone – pédagogie numérique, dépassement de la fracture numérique des pays Nord/Sud (Soupizet et Gille, 2001), partage de logiciels et de ressources numériques libres –, la recherche scientifique s’est à son tour ralliée à l’émancipation numérique : la revue ouverte Humanités numériques est une voix francophone pionnière du Manifeste des Digital Humanities (2010). Du côté des linguistes,le « discours numérique natif » ou « technodiscours » (Paveau, 2017), de plus en plus complexe en francophonie aussi, est devenu un inédit objet d’intérêt. Un des derniers défis technologiques de la francophonie « branchée » est le développement de l’intelligence artificielle en français. 

Savoirs et décisions stratégiques sont imbriqués au sein de la francophonie et de ses réseaux mondiaux. Y compris institutionnellement, avec la création de Centres Culturels Français / Instituts Français / Alliances Françaises, ainsi que d’organismes francophones internationaux (ACCT, AUPELF, AIRF, etc.), et surtout d’acteurs parastataux majeurs tels que l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF) ou l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF).

Si l’on se tourne vers le marché mondial des langues, là où le français se trouve confronté à l’anglais et à d’autres langues, la diversité linguistique et la connaissance du français revêtent, quelque paradoxal que cela puisse paraître, une valeur économique certaine (Klinkenberg, 2017). Le succès se joue au niveau de la capacité de cette langue à assurer une communication efficace, à renforcer son statut de langue de travail dans des entreprises francophones.

Des changements se produisent aussi dans le type d’apprentissage du français. En Afrique, par exemple, on assiste à la mutation enregistrée entre une appropriation formelle et une appropriation dans la rue, une vernacularisation qui se manifeste par l’émergence de variétés mixtes et d’argots (De Féral et Gandon, 1994 ; Lafage, 1998). Des parlers hybrides émergent du fait du contact linguistique (Gadet et Ludwig, 2014). Les rapports entre langue maternelle / langue première versus langue seconde / langue étrangère se voient ainsi nuancer.

Dans la mouvance des changements sociétaux, la francophonie littéraire (notion forgée au Québec par Tougas, 1973) est sans cesse questionnée sous l’aspect de son rapport à l’identité et à la langue, de sa constitution même comme objet : s’agit-il de littératures francophones, d’expression française, minoritaires, mineures, minorées, connexes, marginales, périphériques, émergentes, etc. ? Comment se rapporter au champ (Bourdieu, 1992) / système littéraire (Halen, 2001) des études migratoires(migration studies) et à ses nombreux concepts concurrents : littérature migrante / translingue / exilaire / diasporique / littérature-monde (World Literature / Weltliteratur), etc. (Declercq, 2011) ?

Les entreprises contestataires ou radicales ne manquent pas : la notion même de francophonie est déclarée obsolète par l’essayiste français Michel Le Bris, dont le manifeste polémique, soutenu publiquement par une quarantaine de confrères, lui préfère celle de « littérature-monde en français » (Le Bris, Rouaud et Almassy, 2007). Selon Mohammed Dib, « [n]ous ne sommes sans doute pas les seuls à avoir inventé la francophonie » (1998). Amin Maalouf se déclare d’ailleurs « écrivain de langue française » dans son article « Contre la littérature francophone » (2006). Plus accommodant, Édouard Glissant répond, à la question « êtes-vous un écrivain francophone ? », qu’il écrit « en présence de toutes les langues du monde ».

Le rapport à la diversité linguistique prend diverses formes chez les écrivains francophones : présence des diatopismes (chez Antonine Maillet, Tahar Ben Jelloun, Amin Maalouf, Patrick Chamoiseau, Rhéal Cenerini), discréditation humoristique des variétés africaines parlées par la traduction du malinké en français (chez Ahmadou Kourouma), intégration des parlers hybrides (joual chez Michel Tremblay et Jean Barbeau, chiac chez France Daigle). Malgré leur transnationalité, la réception des textes francophones à l’étranger s’avère parfois problématique : le joual québécois du roman L’Enfirouapé (1974) d’Yves Beauchemin est ainsi transposé, pour l’Hexagone, en français normalisé, dès son titre, L’Entourloupé (1995).

Les genres littéraires francophones sont parfois inédits, comme l’audience (lodyans, en graphie créole) en Haïti, une pratique narrative empruntant l’oralité du conte et le caractère amusant des histoires racontées entre amis, exemplifiée par Justin Lhérisson. Dans la première moitié du XXe siècle, la littérature haïtienne est d’ailleurs marquée par l’indigénisme (Jean Price-Mars), aux sources du noirisme des années 1920 et de la Négritude lancée une décennie plus tard. La langue de Molière est devenue aussi celle de Césaire.

Phénomène typique de l’écriture migrante, l’autotraduction littéraire se manifeste, à l’exemple prototypique, pour le français, de Samuel Beckett, chez Vassilis Alexakis, Nancy Huston, Dumitru Tsepeneag, Felicia Mihali. Les deux derniers écrivains sont nés en Roumanie, tout comme Matei Vișniec ou Dinu Flămând, des voix contemporaines de la littérature roumaine d’expression française, dite aussi littérature franco-roumaine ou littérature française/francophone d’origine roumaine, illustrée au XXe siècle par Tzara, Fondane, Voronca, Eliade, Cioran, Ionesco, Gheorghiu. 

Les études littéraires francophones attendent, dans leur ensemble, de nouvelles théorisations et évaluations (« archéologies », histoires littéraires, discours critiques, métarécits), dans le sillage de Tougas (1973), Joubert (1981), Beniamino (1999), Moura (2019 [1999]), Reutner (2017).

La trentième édition du colloque consacré à la francophonie par l’Université Alexandru Ioan Cuza de Iaşi s’intéresse aux dynamiques contemporaines de la francophonie dans ses manifestations culturelles, identitaires, littéraires, langagières, éducatives. Quelles mutations la francophonie connaît-elle dans la société contemporaine ? Quelle(s) perception(s) a-t-on de nos jours du français – langue véhiculaire, de la diplomatie, de culture, de travail, etc. – et quelles fonctions lui assigne-t-on ? Comment l’utilisation de la langue d’autrui façonne-t-elle les discours ? Quelles sont les singularités des littératures francophones actuelles, migrantes ou autres ? Quels défis pour les sociétés contemporaines – éclatées, multilingues, pluriculturelles ? La spécificité nationale est-elle à présent une peau de chagrin ? Quelles sont les nouvelles pratiques issues de la communication numérique et de l’intelligence artificielle ? 

De langue-monde à littérature-monde, nous interrogerons – et serons immanquablement interrogés par – la francophonie, cette notion-monde.

Les contributions pourront répondre aux axes de réflexion suivants, non exhaustifs :

·      Discours sur/autour de la francophonie

·      Ancien et nouveau dans la francophonie

·      Figures de la francophonie

·      La France et la francophonie : études françaises et francophones

·      Francophonie et mémoire(s) : patrimoines, filiations

·      Identité et acculturation

·      Pureté et mélange/métissage/mixité, parlers hybrides

·      FLE et didactique de la francophonie

·      Modes d’appropriation, transmission et partage du français 

·      Discours professionnel en français

·      Écrivains migrants, littérature translingue/exilaire/diasporique

·      Réécritures et intertextualités francophones

·      Enjeux esthétiques et idéologiques des littératures francophones contemporaines

·      Média et médiatisation francophones

·      Humanités et francophonie numériques

Références bibliographiques

Beniamino, Michel (1999), La francophonie littéraire. Essai pour une théorie, Paris, L’Harmattan.

Bourdieu, Pierre (1992), Les règles de l’art : genèse et structure du champ littéraire, Paris, Seuil.

Cedergren, Mickaëlle, Lindberg, Ylva (2023), Le transfert des littératures francophones en(tre) périphérie. Pratiques de sélection, de médiation et de lecture, Stockholm, Stockholm University Press.

Citton, Yves (2015), « Humanités numériques. Une médiapolitique des savoirs encore à inventer », Multitudes (Humanités numériques 3.0), 59, p. 171-180.

De Féral, Carole, Gandon, Francis-Marie (dirs) (1994), Langue française (Le français en Afrique noire, faits d’appropriation), 104.

Declercq, Elien (2011), « ‟Écriture migranteˮ, ‟littérature (im)migranteˮ, ‟migration literatureˮ : réflexions sur un concept aux contours imprécis », Revue de littérature comparée, 3 (339), p. 301-310.

Desouches, Christine (2023), « La France et la Francophonie : une dynamique complexe », Questions internationales, 3 (119-120), p. 190-195.

Frenette, Yves, Rivard, Étienne, Saint-Hilaire, Marc (2013), « Les mutations de la francophonie contemporaine », in La francophonie nord-américaine, Québec, Les Presses de l’Université Laval, p. 281-299.

Gadet, Françoise, Ludwig, Ralph (2014), Le français au contact d’autres langues, Paris, Ophrys.

Gauvin, Lise (éd.) (2009 [1997]), L’écrivain francophone à la croisée des langues. Entretiens, Paris, Karthala.

Halen, Pierre (2001), « Constructions identitaires et stratégies d’émergence : notes pour une analyse institutionnelle du système littéraire francophone », Études françaises (La littérature africaine et ses discours critiques), éd. Josias Semujanga, 2 (37), p. 13-31.

Joubert, Jean-Louis (1981), « Le vaudou sans peine (ou réflexion sur l’épistémologie et la méthodologie des études francophones) », Romanica Wratislaviensia (Études françaises en Europe non francophone), 613 (XVII), p. 182-190.

Klinkenberg, Jean-Marie (2016), « La fabrique du francophone. Une construction discursive », in Laurence Arrighi et Annette Boudreau (éds), Langue et légitimation. La construction discursive du locuteur francophone, Québec, Presses de l’Université Laval, p. 19-41.

Klinkenberg, Jean-Marie (2017), « La francophonie comme idéologie. Mythes et réalités d’un discours sur la diversité culturelle », Revue de l’Université de Moncton, 48 (1), p. 11-39.

Lafage, Suzanne (1998), « ‟Le français des ruesˮ, une variété avancée du français abidjanais », Faits de langues, 11-12, p. 135-144.

Le Bris, Michel, Rouaud, Jean, Almassy, Eva (dirs) (2007), Pour une littérature-monde, Paris, Gallimard.

Lüsebrink, Hans-Jürgen (2014), « Les transferts culturels : théorie, méthodes d’approche, questionnements », in Pascal Gin et al. (éds),Transfert, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, p. 25-48.

Moura, Jean-Marc (2019 [1999]), Littératures francophones et théorie postcoloniale, Paris, Presses Universitaires de France.

Paveau, Marie-Anne (2017), L’analyse du discours numérique. Dictionnaire des formes et des pratiques, Paris, Hermann.

Sall, Leyla, Bolland, Benoit (2021), « L’Acadie du Nouveau-Brunswick et les immigrants francophones. Un modèle d’intégration économique par les marges », Revue européenne des migrations internationales, 37 (1-2), p. 67-90.

Soupizet, Jean-François, Gille, Laurent (dirs) (2001), Nord et Sud numériques, Les Cahiers du numérique, 3-4 (2).

Sperti, Valeria (2017), « L’autotraduction littéraire : enjeux et problématiques », Revue italienne d’études françaises, 7.

Tougas, Gérard (1973), Les écrivains d’expression française et la France, Paris, Denoël.

Calendrier

Date limite de soumission des propositions : 30 mars 2025.

Notification des acceptations : 10 avril 2025.

Date limite de la confirmation de présence : 20 avril 2025.

Programme préliminaire : 28 avril 2025.

Programme définitif : 10 mai 2025.

Soumission

Les propositions de communication seront envoyées sous la forme d’un résumé d’environ 200 mots accompagné de références bibliographiques avant le 23 mars 2025 à colloque.jdlfi@gmail.com et cristina.petras@uaic.ro. Seront précisés le nom, le prénom et l’institution de rattachement des auteur(e)s. 

Questions pratiques

·       Taxe de participation (en euros ou en RON) : 75 euros ; 50 euros pour les doctorants. 

·       Les frais de voyage et de séjour à Iaşi sont à la charge des participants. Les organisateurs peuvent réserver des chambres à la Résidence Internationale de l’Université (Gaudeamus ou Akademos), dans la limite des places disponibles. 

·      Une sélection des contributions présentées dans le cadre du colloque fera l’objet d’une publication en volume.

Comité scientifique

Ana M. ALVES (Institut Polytechnique de Bragança)

Laurence ARRIGHI (Université de Moncton)

Sonia BERBINSKI (Université de Bucarest)

Mickaëlle CEDERGREN (Université de Stockholm)

Rudy CHAULET (Université de Franche-Comté)

Maria Isabel CORBÍ SÁEZ (Université d’Alicante)

Jean-Pierre CUQ (Université Côte d’Azur)

Jean-Paul DEREMBLE (Université de Lille)

Felicia DUMAS (Université Alexandru Ioan Cuza de Iaşi)

Vincent FERRÉ (Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3)

Liliana FOȘALĂU (Université Alexandru Ioan Cuza de Iaşi)

Jean-Pierre GABILAN (Université Savoie Mont Blanc)

Ioana GALLERON (Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3)

Diana GRADU (Université Alexandru Ioan Cuza de Iaşi)

Katrien LIEVOIS (Université d’Anvers)

Robert MASSART (Haute École provinciale de Hainaut-Condorcet)

Simona MODREANU (Université Alexandru Ioan Cuza de de Iaşi)

Argyro MOUSTAKI (Université d’Athènes)

Marina MUREȘANU (Université Alexandru Ioan Cuza de Iaşi)

Corina DIMITRIU-PANAITESCU (Université Alexandru Ioan Cuza de Iaşi)

Radu PETRESCU (Université Alexandru Ioan Cuza de Iaşi)

Emmanuelle PRAK-DERRINGTON (École Normale Supérieure de Lyon)

Seza YILANCIOGLU (Université de Galatasaray)

Comité d’organisation

Cristina PETRAȘ (Université Alexandru Ioan Cuza de Iaşi)

Mihaela LUPU (Université Alexandru Ioan Cuza de Iaşi)

Dana NICA (Université Alexandru Ioan Cuza de Iaşi)

Brîndușa GRIGORIU (Université Alexandru Ioan Cuza de Iaşi) 

Dana MONAH (Université Alexandru Ioan Cuza de Iaşi)