
Littérature mineure et minorités dans la littérature. Penser le "mineur" dans les écrits contemporains (revue Socles)
Appel à contributions pour la Revue Socles, Volume 14, numéro 1, Numéro spécial
Laboratoire LISODIP (ENS – Bouzaréah)
Juin 2025
Littérature mineure et minorités dans la littérature,
Penser le « mineur » dans les écrits contemporains
Numéro spécial coordonné par
Pr. FATMI Sabrina et Dr. BRAHIMI Myriem
Argumentaire
« Une littérature mineure n’est pas celle d’une langue mineure, plutôt celle qu’une minorité fait dans une langue majeure. »[1] Lit-on dans Kafka : pour une littérature mineure de Deleuze et Guattari[2]. Cet ouvrage, paru en 1975, a mis en lumière le concept de « Littérature mineure » qui fait, depuis, partie du glossaire de la critique littéraire. Le terme ouvre un vaste champ de réflexions autant au sens du fond que de la forme. Il est élaboré au cœur même d’une certaine convenance polémique qui stipule que le mineur devrait être invariablement revu et corrigé par le majeur, le central, la référence.
La « minorité » qui désigne, dans le sens commun, ce qui est « d’importance ou d’intérêt secondaire » (Le Robert), serait sur le plan juridique l’ « état d'une personne qui n'a pas encore atteint l'âge où elle sera légalement considérée comme pleinement capable et responsable de ses actes ». Minorité renvoie ainsi à un état d'infériorité en opposition à ce qui est (pré)défini et (pré)déterminé comme entité dite « majeure » et donc supérieure. Les différentes acceptions de ce concept confortent l’idée d’une hiérarchisation pensée à la mesure de différents rapports de force et de pouvoir : Dominant/Dominé, Centre/Périphérie, Français/Francophone, Genre/Sous-genre, Homme/Femme, Pouvoir/Peuple, Société/Individu, Sage/Fou, Savant/Rudimentaire, Ouverture/Cloisonnement... La complexité de ces rapports se manifeste par les inégalités sociales qui existent et persistent, ainsi que par la mise à l’écart de l’Autre et sa stigmatisation. Le concept renferme de ce fait un réseau sémantique complexe qui ouvre la voie à des questionnements sur différentes interactions sociologiques, culturelles et ontologiques.
Pour son numéro spécial (Vol. 14/ Num 01), la revue SOCLES prévoit de proposer une réflexion sur le concept [Minorité/Mineur] afin de reconsidérer sa portée et de réévaluer sa pertinence. Il serait intéressant d’interroger, à l’aune du XXI siècle, le sens qu’apporte ce clivage existant entre la littérature majeure et celle taxée de mineure, ainsi que l’influence que peut exercer la critique littéraire, entant qu’autorité décisive, dans l'instauration d'une telle hiérarchie.
Le présent appel aspire à soulever des interrogations portant sur les facteurs et les fondements d’une qualification aussi échelonnée. La valeur d’une littérature dépend-elle de la quantité de sa distribution, de son influence populaire, de sa réception ou des prix décernés ? Devrions-nous avoir affaire à des standards esthétiques exigés par une norme académique et institutionnelle précise ? La hiérarchie générique est-elle d’ordre concret dans la plate-forme créatrice d'aujourd’hui ? Quelle place peut occuper une production telle que la Science-fiction, la BD ou le Polar, par exemple ? Le choix de la langue, à son tour, contribue-t-il à ce classement préférentiel sur la scène critique ? Les littératures produites en langue tamazight ou en arabe dialectal (la darija) sont-elles considérées comme mineures ? Et dans quelles mesures ?
Ces problématiques sur la forme entrainent, a fortiori, des questionnements sur le fond où il serait intéressant aussi d’aborder les figures des minorités sociales traitées au cœur des textes. Certaines figures, en effet, considérées comme « mineures » occupent une place de plus en plus grandissante dans les écrits de la littérature contemporaine de manière générale et algérienne de manière spécifique. Nombreux sont aujourd’hui les sujets sociaux qui aspirent à l’égalité face à la plume de la création. Nous ne manquons pas de remarquer que le fou, le criminel, le détenu, la féministe, l’enfant, le harrag ou le réfugié, entre autres ; se trouvent souvent aux premières loges et se concurrencent les premières places dans la visibilité littéraire. Cette ambition d’égalité [héro/anti-héros] aspire à un décloisonnement entre les différentes couches constitutives du tissu social. Comment s’élabore, par ricochet, ce discours paritaire des sujets sociaux dans le champ actuel de la littérature ?
Ce numéro ambitionne d’aborder les diverses perspectives qu’ouvre la question de « la minorité» et invite les chercheurs à tenter de répondre à de multiples problématiques relatives aux critères définissant « la minorité » à la lumière de systèmes d'interprétation critiques et modernes. La « petite » littérature permettrait-elle d'appréhender l'essence même de la "grande" littérature ? Ne prétendant aucunement l’exhaustivité, ce numéro propose quelques pistes à explorer parmi les nombreuses approches interprétatives que les littératures mineures ainsi que les minorités dans la littérature permettent. Nous souhaitons que ce numéro donne aux chercheurs en littérature une opportunité pour réfléchir à la question de la « minorité » en termes d’interprétations et d’exemples concrets et apporter de nouvelles perspectives de recherche sur ce dualisme majeur/mineur ainsi que sur la hiérarchisation que cette opposition engendre.
[1]Deleuze et Guattari, Kafka : pour une littérature mineure, Les Editions de minuit, 1975, p.23.
Axes de réflexion proposés (liste non-exhaustive) :
- Littérature classique VS littérature moderne/postmoderne
- Genre et « sous-genre » littéraire (BD, Polars, Science-fiction, contes…).
- La littérature migrante face à l’institution française
- Les considérations théoriques (Postcolonialisme, Critique de l’exiguïté, Gender-studies, Subalterne-studies…)
- Littérature et féminisme
- Minorités linguistiques : quelle langue adopter ?
- Oralité et spécificités culturelles (proverbes, expressions figées, chansons, Slams…)
- L’altérité, la marginalisation, l’aliénation, la rupture, le nomadisme, l’écriture carcérale, les aspects d’hétérogénéité… dans les textes.
Références bibliographiques
- Biron (Michel), L’Absence du maître. Saint-Denys Garneau, Ferron, Ducharme, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, « Socius », 2000
- Casanova (Pascale), « Nouvelles considérations sur les littératures dites mineures », Littératures classiques, n° 31, automne 1997
- Deleuze (Gilles) & Guattari (Félix), Kafka. Pour une littérature mineure, Paris, Minuit, 1975
- Dubois (Jacques), L’institution de la littérature [1978], Bruxelles, Labor, « Espace Nord », 2005.
- Fraisse (Luc), Pour une esthétique de la littérature mineure, Honoré Champion, 2000
- Garnier (Xavier), « Les littératures francophones sont-elles mineures, déterritorialisées ou rhizomatiques ? in Frontières de la francophonie. Francophonie sans frontières, sous la direction de Véronique Bonnet, Itinéraires et contacts de cultures, n° 30, Paris, L’Harmattan, 2002
- Gauvin (Lise), « Autour du concept de littérature mineure. Variations sur un thème majeur », dans Littératures mineures en langue majeure. Québec / Wallonie-Bruxelles, sous la direction de Jean-Pierre Bertrand & Lise Gauvin, Bruxelles/Montréal, P.I.E.-Peter Lang/Presses de l’Université de Montréal, « Documents pour l’Histoire des Francophonies / Théorie », 2003,
- Jaubert (Jean-Louis), « Littératures périphériques, mineures ou déterritorialisées ? », dans Jean-Louis Jaubert, Les Voleurs de langue, traversée de la francophonie littéraire, Paris, Philippe Rey,
- Khatibi (Abdelkebir), Le Monolinguisme de l’autre, Paris, Galilée, 1996.
- Lamothe (Maurice) (dir.), dossier « Littératures en milieu minoritaire et universalisme» (actes du colloque de l’APLAQA), Revue de l’Université de Ste Anne, Pointe-de-L’Église, Nova Scotia, 1996.
- Larose (Karim), « Majeur et mineur, regards croisés », dans Substance, vol. 31, no 1 (97), Santa Barbara, 2002.
- Paré (François), Les littératures de l’exiguïté, Ottawa, Le Nordir, 1972.
- Pascale Casanova, « Nouvelles considérations sur les littératures dites mineures », dans Littératures classiques, no 31, automne 1997
- Spivak (Gayatri), Les subalternes peuvent-elles parler ?, traduction de J. Vidal, Paris, Amsterdam, 2009.
- Thirouin (Marie-Odile), « Deleuze et Kafka : l’invention de la littérature mineure », dans Contribution au volume Deleuze et les écrivains. Littérature et philosophie, sous la direction de Bruno Gelas & Hervé Micolet, Nantes, Cécile Defaut, 2007,
- Thirouin (Marie-Odile), « Kafka, père des littératures mineures ? », dans Sillage de Kafka, sous la direction de Philippe Zard, Paris, Le Manuscrit, 2004,
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Modalités de soumission
Les contributions à ce numéro se feront sous forme d’article ne dépassant pas les 30.000 signes, espaces comprises. Ils seront soumis via la plateforme ASJP (Algerian Scientific Journal Platform), le portail des revues scientifiques algériennes, https://www.asjp.cerist.dz/). Vos articles doivent être accompagnés d’une bibliographie et de deux résumés en français et en anglais accompagnés de 5 mots clés dans chacune des deux langues. Le titre de l’article doit aussi être traduit en anglais.
Avant la soumission, il est nécessaire de créer un compte, de sélectionner la revue Socles, puis la rubrique « soumission d’article ». Les articles doivent être rédigés selon les instructions données aux auteurs, document à télécharger sur la page de soumission de l’article. Il est important de préciser que l’article est destiné au Numéro Spécial du Volume 14 de la revue.
Une rubrique Varia sera consacrée à des articles relevant des trois domaines : littérature, sciences du langage, didactique.
Adresse mail de la revue : revuesocles@gmail.com
Date butoir de soumission : le 5 avril 2025.
Date de publication : fin Juin 2025.